ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 185753
M. BORRAT
Mme Guilhemsans, Rapporteur
M. Courtial, Commissaire du gouvernement
Séance du 2 mai 2001
Lecture du 1er juin 2001
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 9ème et 10ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 9ème sous section de la Section du contentieux
Vu la requête sommaire et les mémoires complémentaires, enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat les 25 février et 2 juin 1997 présentés pour M. Claude BORRAT ; M. BORRAT demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler l'arrêt du 31 décembre 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a rejeté partiellement ses conclusions tendant à l'annulation du jugement du 6 octobre 1992 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa requête tendant à la décharge des compléments d'impôt sur le revenu et de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été réclamés au titre des années 1981 à 1984, ainsi que des pénalités afférentes à ces impositions ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions et des pénalités dont elles ont été assorties ;
3°) de prononcer le sursis à exécution de l'arrêt de la cour administrative d'appel du 31 décembre 1996 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code rural ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Guilhemsans, Maître des Requêtes, les observations de la SCP Célice, Blancpain, Soltner, avocat de M. BORRAT,
- les conclusions de M. Courtial, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. BORRAT, agriculteur à Céret, dans les Pyrénées-Orientales, imposé au régime forfaitaire, exploitait également un camping de 60 emplacements et fournissait à ses hôtes diverses prestations annexes ; que, le 9 août 1985, trois agents de l'administration fiscale, accompagnés de gendarmes, effectuèrent sur les lieux un contrôle inopiné, sur le fondement de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ; qu'à cette occasion, le requérant et ses fils proférèrent à l'encontre des vérificateurs des menaces qui les contraignirent à quitter les lieux sans avoir pu ni remettre l'avis de vérification, ni procéder à aucune constatation matérielle ; qu'un procès-verbal de ces faits fut établi, le jour même, par les gendarmes et un autre, le 27 août 1985, par le vérificateur ; que, par un jugement du 3 juin 1986 devenu définitif, le tribunal de grande instance de Perpignan statuant en matière correctionnelle condamna M. BORRAT à 2 500 F d'amende pour opposition à contrôle fiscal ; que l'administration fiscale, se fondant sur l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, évalua d'office les bases d'imposition de M. BORRAT au titre de l'impôt sur le revenu et de la taxe sur la valeur ajoutée pour les années 1981 à 1984 et lui notifia le 22 octobre 1985, le montant des droits complémentaires qui lui étaient réclamés, soit 190 117 F pour l'impôt sur le revenu et 46 553 F pour la taxe sur la valeur ajoutée, assortis de pénalités pour manuvres frauduleuses s'élevant, respectivement pour chacune de ces impositions, à 285 217 F et 139 659 F ; que M. BORRAT se pourvoit contre l'arrêt du 31 décembre 1996, en tant que par celui-ci, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a fait droit à sa demande en décharge, rejetée par le tribunal administratif, qu'à hauteur de 12 500 F pour l'année 1981 et de 8 800 F pour l'année 1984 ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que par décision du 14 mai 1998, postérieure à l'introduction du pourvoi, le directeur des services fiscaux des Pyrénées-Orientales a accordé à M. BORRAT la décharge des pénalités sanctionnant les manuvres frauduleuses prévues par les articles 1729 et 1731 du code général des impôts, dont les cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de taxe sur la valeur ajoutée en litige ont été assorties, pour des montants de 245 559 F et de 117 040 F concernant chacune de ces impositions ; que les conclusions de la requête sont dans cette mesure devenues sans objet ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article L.47 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction en vigueur à l'époque du litige : " ... En cas de contrôle inopiné tendant à la constatation matérielle des éléments physiques de l'exploitation ou de l'existence et de l'état des documents comptables, l'avis de vérification est remis au début des opérations de constatations matérielles. L'examen au fond des documents comptables ne peut commencer qu'à l'issue d'un délai raisonnable permettant au contribuable de se faire assister d'un conseil" et qu'aux termes de l'article L.74 du même livre : "Les bases d'imposition sont évaluées d'office lorsque le contrôle fiscal ne peut avoir lieu du fait du contribuable ou de tiers" ;
Considérant qu'en estimant que le moyen tiré de ce que l'avis de vérification n'avait pas été présenté à M. BORRAT lors du contrôle inopiné opéré le 9 août 1985 manquait en fait, la cour administrative d'appel a, sans les dénaturer, porté sur les conditions matérielles dans lesquelles ce contrôle s'est déroulé, une appréciation souveraine qui n'est pas susceptible d'être discutée devant le juge de cassation, et ainsi n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve incombant à l'administration quant à la remise de l'avis de vérification au début des opérations de contrôle inopiné ;
Considérant ainsi, que doit être écarté le moyen tiré de ce que la Cour ne pouvait estimer régulière l'application de la taxation d'office prévue à l'article L. 74 du livre des procédures fiscales au seul motif de la condamnation pénale de M. BORRAT pour opposition à contrôle fiscal, sans rechercher si la vérification de comptabilité, et en particulier la remise de l'avis de vérification, avaient été effectuées conformément aux prescriptions de l'article L. 47 du livre des procédures fiscales ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
Considérant que M. BORRAT était, pour les années litigieuses et pour l'ensemble de ses activités, imposé au régime forfaitaire au titre de ses bénéfices industriels et commerciaux ; que l'administration a évalué d'office, sur le fondement de l'article L. 74 du livre des procédures fiscales, les bases d'imposition qui devaient lui être assignées pour ces mêmes années et a constaté la caducité de son forfait ;
Considérant que, pour juger que M. BORRAT n'apportait pas la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues par l'administration, la Cour, après avoir relevé que celle-ci avait utilisé les tarifs de M. BORRAT, obtenus par usage de son droit de communication, a indiqué que l'administration avait pu légalement calculer un tarif moyen des emplacements du seul camping Saint-Georges avec un taux d'occupation de 100 % mais seulement pendant les deux mois d'été, une minoration étant également appliquée aux activités annexes du camping ; que l'arrêt attaqué a ainsi écarté comme non probantes les statistiques départementales de fréquentation moyenne des campings, relevé que l'administration avait pu prendre en compte les recettes de deux thés dansants en décembre 1982 et janvier 1983 ainsi que celles tirées de l'activité de gardiennage, et que M. BORRAT n'établissait pas la sous-estimation qu'il invoquait, des prélèvements opérés pour sa consommation personnelle, lors de l'évaluation des recettes de l'activité "épicerie" ; que ce faisant, la Cour a porté sur les faits, sans les dénaturer, et par une motivation suffisante, une appréciation souveraine qui n'est pas susceptible d'être discutée en cassation ;
Considérant enfin qu'en relevant que M. BORRAT avait lui-même compris les recettes perçues à raison de l'activité annexe de louage de chevaux dans ses déclarations pour la fixation de ses bases forfaitaires de bénéfices industriels et commerciaux, la Cour a implicitement, mais nécessairement répondu au moyen tiré de ce que ces revenus ne pouvaient être imposés dans cette catégorie de bénéfices, sans méconnaître les dispositions de l'article 1144 du code rural qui instituent un régime d'assurance obligatoire contre les accidents-de travail et les maladies professionnelles au profit de salariés agricoles ;
Sur les pénalités :
Considérant qu'après le dégrèvement des pénalités sanctionnant les manuvres frauduleuses prévues par les articles 1729 et 1731 du code général des impôts, prononcé par l'administration dans sa décision du 14 mai 1998, ne subsistent que les intérêts de retard prévus par l'article 1734 du code, pour les droits complémentaires d'impôt sur le revenu dus au titre des années considérées, ainsi que les indemnités de retard prévues par les articles 1727 et 1728 du code, pour les cotisations complémentaires de taxe sur la valeur ajoutée dus pour ces mêmes années ; que, dans ces conditions, les moyens dirigés par M. BORRAT contre l'arrêt attaqué en tant qu'il a statué sur les pénalités pour manuvres frauduleuses qui lui ont été infligées, sont devenus inopérants ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. BORRAT n'est pas fondé à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 31 décembre 1996 ;
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. BORRAT, dirigées contre les pénalités prévues aux articles 1729 et 1731 du code général des impôts, à concurrence de 245 559 F pour l'impôt sur le revenu et de 117 040 F pour la taxe sur la valeur ajoutée.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. BORRAT est rejeté.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. Claude BORRAT et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.