Jurisprudence : CE 8/9 SSR, 08-09-1999, n° 179832

ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT


Conseil d'Etat

Statuant au contentieux


N° 179832

8 / 9 SSR

LE FORESTIER de QUILLIEN

Mme Liebert-Champagne, Rapporteur

M Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement

Lecture du 8 Septembre 1999


REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 13 mai et 13 septembre 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M Mirko LE FORESTIER de QUILLIEN, demeurant Route de Doudeville, à Sainte-Marie-des-Champs (76190) ; M LE FORESTIER de QUILLIEN demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 21 février 1996 par lequel la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté sa requête dirigée contre le jugement du 30 décembre 1992 du tribunal administratif de Rouen rejetant ses demandes en décharge des suppléments d'impôt sur le revenu, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquels il a été assujetti au titre des années 1981, 1982 et 1983 ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code général des impôts ;

Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;

Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;

Après avoir entendu en audience publique :

- le rapport de Mme Liebert-Champagne, Conseiller d'Etat,

- les observations de la SCP Delaporte, Briard, avocat de M LE FORESTIER de QUILLIEN,

- les conclusions de M Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;

Considérant que, lorsqu'une entreprise est exploitée par une personne physique, celle-ci a la faculté de comprendre dans les valeurs d'actif au bilan de l'entreprise, tout bien provenant de son patrimoine privé alors même que ce bien ne concourrait pas à l'exploitation ; que, dès lors, en jugeant que l'administration était en droit de s'assurer que l'inscription, à compter du 31 décembre 1981, à l'actif du bilan de l'entreprise individuelle exploitée par M LE FORESTIER de QUILLIEN, du navire "Le Roche Douvres" que celui-ci avait acquis à titre personnel en 1978, avait été faite dans l'intérêt de cette exploitation, et en apportant la preuve que cette condition n'était pas remplie, en l'espèce, faute, par M LE FORESTIER de QUILLIEN de justifier d'aucun projet d'exploitation directe ou indirecte du navire, elle avait, à juste titre, réintégré dans les résultats imposables de l'entreprise de ce dernier, au titre des exercices clos en 1981, 1982 et 1983, les amortissements qu'il avait pratiqués sur la valeur du "Roche Douvres", ainsi que les frais qu'il avait exposés pour la rénovation de ce bâtiment, la cour administrative d'appel de Nantes a commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de sa requête, M LE FORESTIER de QUILLIEN est fondé à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler l'affaire au fond ;

Considérant que, pour refuser, par son jugement du 30 décembre 1992, de décharger M LE FORESTIER de QUILLIEN des suppléments d'impôt sur le revenu qui lui ont été assignés au titre des années 1981, 1982 et 1983 en conséquence des redressements ci-dessus mentionnées, qui lui avaient été notifiés par l'administration, le tribunal administratif de Rouen s'est fondé sur le fait que, compte tenu de son intention de revendre le "Roche Douvres", il n'aurait pu inscrire celui-ci qu'en stocks à l'actif du bilan de son entreprise individuelle, de sorte que ce bien n'était pas amortissable ; qu'il résulte, toutefois, de l'instruction qu'à la date à laquelle le navire a été inscrit au bilan, M LE FORESTIER de QUILLIEN avait abandonné le projet de le revendre et comptait en faire un élément de l'exploitation de son entreprise ; que, dès lors, il était en droit de comprendre le navire dans l'actif immobilisé de cette entreprise ; qu'il est, en conséquence, fondé à soutenir que les premiers juges ont retenu un motif erroné pour rejeter sa demande ;

Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens de la demande de M LE FORESTIER de QUILLIEN ;

Considérant que ce dernier conteste la régularité de la procédure d'imposition suivie à son encontre, en faisant valoir que, du fait que les éléments constitutifs de son entreprise individuelle, qui faisaient partie des biens de la communauté constituée avec son épouse, se sont trouvés placés sous le régime de l'indivision à la suite du jugement de séparation de corps prononcé par le tribunal de grande instance de Rouen le 19 janvier 1983, l'avis de vérification de comptabilité et la notification de redressement dont il a fait l'objet, auraient dû être aussi adressés à sa femme ; que, cependant, dès lors qu'il est constant que M LE FORESTIER de QUILLIEN avait seul la qualité d'exploitant de l'entreprise qui a été soumise à vérification, l'administration était en droit de n'adresser qu'à lui-même l'avis et la notification contestés ;

Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'après le jugement de séparation de corps du 19 janvier 1983, Mme Le Forestier de Quillien ait perçu une part quelconque des revenus d'exploitation du navire "Le Roche Douvres" ; qu'ainsi, M LE FORESTIER de QUILLIEN n'est pas fondé à se prévaloir de la situation d'indivision ayant résulté de ce jugement pour soutenir qu'une partie de l'imposition qui lui a été assignée au titre de l'année 1983 aurait dû être mise à la charge de son épouse ;

Considérant, ainsi qu'il a été dit, que le navire acquis par M LE FORESTIER de QUILLIEN en 1978 n'a été inscrit au bilan de son entreprise individuelle qu'à compter du 31 décembre 1981 ; qu'ayant jusqu'alors fait partie du patrimoine privé de M LE FORESTIER de QUILLIEN, il ne pouvait donner lieu, au titre de l'année 1981, à aucun amortissement, ni à aucune déduction de charges ; que, dès lors, M LE FORESTIER de QUILLIEN n'est pas fondé à se plaindre de ce que le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande en décharge du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1981 ;

Considérant, en revanche, que M LE FORESTIER de QUILLIEN était en droit, pour le navire, entièrement équipé qu'il avait inscrit à l'actif du bilan de son entreprise individuelle le 31 décembre 1981, de pratiquer des amortissements, dans les conditions prévues à l'article 39-1-2° du code général des impôts, au titre des exercices clos en 1982 et 1983 ; qu'il résulte de l'instruction que le navire avait, à la date de son inscription au bilan, une valeur de 2 100 738 F ; que cette somme doit être retenue pour le calcul des amortissements pratiqués selon le mode dégressif par M LE FORESTIER de QUILLIEN, sans qu'il y ait lieu, ni de la réduire pour tenir compte des amortissements qui auraient pu être effectués au cours de la période antérieure aux années 1982 et 1983 si le navire avait déjà été inscrit à l'actif du bilan de l'entreprise exploitée par son propriétaire, ni de l'augmenter du montant des frais correspondant aux emprunts contractés par ce dernier pour l'exécution, confiée aux "Chantiers normands réunis", des travaux de rénovation du même bâtiment, dès lors qu'il n'est pas démontré que la valeur de celui-ci aurait été accrue du fait de l'engagement de ces frais ;

Considérant que M LE FORESTIER de QUILLIEN était en droit de déduire les frais qu'il a exposés pour la rénovation de son navire, au cours des exercices clos en 1982 et 1983 ; qu'il ne justifie pas des autres charges dont il demande la déduction ;

Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M LE FORESTIER de QUILLIEN est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 30 décembre 1992, le tribunal administratif de Rouen a rejeté les conclusions de sa demande ayant trait à la déduction, au titre des années 1982 et 1983, des amortissements et des frais de rénovation du navire "Le Roche Douvres" ;

DECIDE :

Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 21 février 1996 est annulé.

Article 2 : Le montant de l'impôt sur le revenu de M LE FORESTIER de QUILLIEN au titre des années 1982 et 1983 sera déterminé en déduisant des bénéfices industriels et commerciaux afférents à l'exploitation du navire "Le Roche Douvres" les amortissements calculés sur la base d'une valeur de 2 100 738 F, ainsi que les frais exposés pour l'exécution de la convention conclue par l'intéressé, le 3 avril 1980, avec les "Chantiers normands réunis".

Article 3 : M LE FORESTIER de QUILLIEN est déchargé, en droits et pénalités, de la différence entre les suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1982 et 1983 et les sommes résultant de l'application de l'article 2 ci-dessus.

Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 30 décembre 1992 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête présentée par M LE FORESTIER de QUILLIEN devant la cour administrative d'appel de Nantes est rejeté.

Article 6 : La présente décision sera notifiée à M Mirko Le FORESTIER de QUILLIEN et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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