Cour de justice des Communautés européennes14 décembre 2000
Affaire n°C-446/98
Fazenda Pública
c/
Câmara Municipal do Porto
61998J0446
Arrêt de la Cour (cinquième chambre)
du 14 décembre 2000.
Fazenda Pública contre Câmara Municipal do Porto.
Demande de décision préjudicielle: Supremo Tribunal Administrativo - Portugal.
Fiscalité - Sixième directive TVA - Assujettis - Organismes de droit public - Location d'emplacements destinés au stationnement des véhicules.
Affaire C-446/98.
Recueil de jurisprudence 2000 page 0000
1 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Assujettis - Organismes de droit public - Non-assujettissement pour les activités exercées en tant qu'autorités publiques - Notion - Inclusion de la location d'emplacements destinés au stationnement des véhicules - Conditions
(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 5, al. 1)
2 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Assujettis - Organismes de droit public - Non-assujettissement pour les activités exercées en tant qu'autorités publiques - Assujettissement en cas d'activités économiques de caractère non négligeable - Portée
(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 5, al. 3)
3 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Assujettis - Organismes de droit public - Non-assujettissement pour les activités exercées en tant qu'autorités publiques - Notion de distorsions de concurrence d'une certaine importance et notion d'activités économiques de caractère non négligeable - Législation nationale autorisant le ministre compétent à préciser ces notions - Admissibilité - Conditions
(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 5, al. 2 et 3)
4 Dispositions fiscales - Harmonisation des législations - Taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée - Assujettis - Organismes de droit public - Non-assujettissement pour les activités exercées en tant qu'autorités publiques - Location d'emplacements destinés au stationnement des véhicules - Incidence de l'absence d'exonération découlant de l'article 13, B, sous b), de la sixième directive - Absence
(Directive du Conseil 77/388, art. 4, § 5, al. 4, et 13, B, b))
5 Questions préjudicielles - Saisine de la Cour - Nécessité d'une question préjudicielle - Appréciation par le juge national
(Traité CE, art. 177 (devenu art. 234 CE))
6 Questions préjudicielles - Arrêt - Effets
(Traité CE, art. 177 (devenu art. 234 CE))
1 La location d'emplacements destinés au stationnement des véhicules est une activité qui, lorsqu'elle est exercée par un organisme de droit public, est accomplie par celui-ci en tant qu'autorité publique, au sens de l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, si cette activité est accomplie dans le cadre d'un régime juridique propre aux organismes de droit public. Tel est le cas lorsque l'exercice de cette activité comporte l'usage de prérogatives de puissance publique.
(voir point 24, disp. 1)
2 L'article 4, paragraphe 5, troisième alinéa, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires doit être interprété en ce sens que les organismes de droit public ne sont pas nécessairement considérés comme des assujettis pour les activités non négligeables qu'ils accomplissent. Ce n'est que dans le cas où ces organismes exercent une activité ou effectuent une opération énumérées à l'annexe D de la directive que le critère du caractère négligeable de cette activité ou de cette opération peut être pris en compte dans le but, si le droit national fait usage de la faculté prévue à l'article 4, paragraphe 5, troisième alinéa, de la directive, de les exclure de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles sont négligeables.
(voir point 28, disp. 2)
3 Le ministre des Finances d'un État membre peut être autorisé par une loi nationale à préciser ce que recouvrent, d'une part, la notion de distorsions de concurrence d'une certaine importance, au sens de l'article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires, et, d'autre part, celle d'activités exercées de manière négligeable, au sens de l'article 4, paragraphe 5, troisième alinéa, de la même directive, à condition que ses décisions d'application puissent être soumises au contrôle des juridictions nationales.
(voir point 35, disp. 3)
4 L'article 4, paragraphe 5, quatrième alinéa, de la sixième directive 77/388 en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires doit être interprété en ce sens que l'absence d'exonération de la location d'emplacements destinés au stationnement des véhicules, qui découle de l'article 13, B, sous b), de cette directive, n'empêche pas les organismes de droit public qui accomplissent cette activité de bénéficier du non-assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée pour celle-ci, lorsque sont remplies les conditions prévues par les premier et deuxième alinéas de cette disposition.
(voir point 46, disp. 4)
5 Le juge national a la faculté et, le cas échéant, l'obligation d'adresser à la Cour, même d'office, une question d'interprétation du droit communautaire, s'il considère qu'une décision de la Cour est nécessaire sur ce point pour rendre son jugement.
(voir points 48, 50, disp. 5)
6 Un arrêt rendu à titre préjudiciel par la Cour lie le juge national quant à l'interprétation des dispositions et actes communautaires en cause lorsqu'il prononce sa décision finale dans le litige au principal.
(voir points 49-50, disp. 5)
Dans l'affaire C-446/98,
ayant pour objet une demande adressée à la Cour, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), par le Supremo Tribunal Administrativo (Portugal) et tendant à obtenir, dans le litige pendant devant cette juridiction entre
Fazenda Pública
Câmara Municipal do Porto,
en présence de:
Ministério Público,
une décision à titre préjudiciel sur l'interprétation de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1),
LA COUR
(cinquième chambre),
composée de MM. A. La Pergola (rapporteur), président de chambre, D. A. O. Edward et P. Jann, juges,
avocat général: M. S. Alber,
greffier: Mme L. Hewlett, administrateur,
considérant les observations écrites présentées:
- pour la Fazenda Pública, par Mme M. A. Moreira, juriste au service juridique et du contentieux de la direction générale des contributions et impôts du ministère des Finances, en qualité d'agent,
- pour la Câmara Municipal do Porto, par M. A. Nogueira dos Santos, solicitador,
- pour le gouvernement portugais, par MM. L. Fernandes, directeur du service juridique de la direction générale des affaires communautaires du ministère des Affaires étrangères, et Â. Seiça Neves, membre du même service, et Mme T. Lemos, juriste au centre d'études fiscales de la direction générale des contributions et impôts du ministère des Finances, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement allemand, par MM. W.-D. Plessing, Ministerialrat au ministère fédéral des Finances, et C.-D. Quassowski, Regierungsdirektor au même ministère, en qualité d'agents,
- pour le gouvernement autrichien, par Mme C. Pesendorfer, Oberrätin à la Chancellerie, en qualité d'agent,
- pour la Commission des Communautés européennes, par M. E. Traversa, conseiller juridique, et Mme T. Figueira, membre du service juridique, en qualité d'agents,
vu le rapport d'audience,
ayant entendu les observations orales du gouvernement portugais, représenté par M. V. Guimarães, juriste au centre d'études fiscales de la direction générale des contributions et impôts du ministère des Finances, en qualité d'agent, et de la Commission, représentée par M. E. Traversa et Mme T. Figueira, à l'audience du 18 mai 2000,
ayant entendu l'avocat général en ses conclusions à l'audience du 29 juin 2000,
rend le présent
Arrêt
1 Par ordonnance du 28 octobre 1998, parvenue à la Cour le 7 décembre suivant, le Supremo Tribunal Administrativo a posé, en application de l'article 177 du traité CE (devenu article 234 CE), sept questions préjudicielles relatives à l'interprétation de l'article 4, paragraphe 5, de la sixième directive 77/388/CEE du Conseil, du 17 mai 1977, en matière d'harmonisation des législations des États membres relatives aux taxes sur le chiffre d'affaires - Système commun de taxe sur la valeur ajoutée: assiette uniforme (JO L 145, p. 1, ci-après la "sixième directive").
2 Ces questions ont été soulevées dans le cadre d'un litige opposant la Câmara Municipal do Porto (exécutif municipal de la ville de Porto, ci-après la "CMP") à la Fazenda Pública (Trésor public), au sujet de l'assujettissement de la CMP à la taxe sur la valeur ajoutée (ci-après la "TVA") au titre de ses activités de location d'emplacements destinés au stationnement des véhicules.
La sixième directive
3 L'article 4 de la sixième directive définit l'assujetti à la TVA. En ce qui concerne les organismes de droit public, son paragraphe 5 dispose:
"Les États, les régions, les départements, les communes et les autres organismes de droit public ne sont pas considérés comme des assujettis pour les activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques, même lorsque, à l'occasion de ces activités ou opérations, ils perçoivent des droits, redevances, cotisations ou rétributions.
Toutefois, lorsqu'ils effectuent de telles activités ou opérations, ils doivent être considérés comme des assujettis pour ces activités ou opérations dans la mesure où leur non-assujettissement conduirait à des distorsions de concurrence d'une certaine importance.
En tout état de cause, les organismes précités ont la qualité d'assujettis notamment pour les opérations énumérées à l'annexe D et dans la mesure où celles-ci ne sont pas négligeables.
Les États membres peuvent considérer comme activités de l'autorité publique les activités des organismes précités exonérées en vertu des articles 13 ou 28."
4 L'article 13 de la sixième directive prévoit que certaines activités ou opérations sont exonérées de la TVA. Parmi ces activités ou opérations, l'article 13, B, sous b), mentionne l'affermage et la location de biens immeubles, à l'exception de certaines opérations, dont les locations d'emplacement pour le stationnement des véhicules.
5 L'annexe D de la sixième directive énumère treize catégories d'activités, qui sont sans rapport avec l'activité concernée dans le litige au principal.
La législation portugaise
6 L'article 2, paragraphe 2, du code de la TVA portugais dispose que l'État et les autres personnes morales de droit public ne sont pas assujettis à la TVA lorsqu'ils accomplissent des opérations en exerçant leurs pouvoirs d'autorité, même lorsqu'ils perçoivent à cette occasion des redevances ou toute autre contrepartie, dans la mesure où leur non-assujettissement ne provoque pas de distorsions de concurrence.
7 L'article 2, paragraphe 3, du code de la TVA dispose que l'État et les autres personnes morales de droit public sont dans tous les cas assujettis à la TVA lorsqu'ils exercent certaines activités et pour les opérations imposables qui en résultent, sauf s'il est établi qu'ils les exercent de manière négligeable.
8 Enfin, l'article 2, paragraphe 4, du code de la TVA prévoit que, aux fins des paragraphes 2 et 3 de cet article, le ministre des Finances et du Plan définit, au cas par cas, les activités susceptibles de provoquer des distorsions de concurrence et celles qui sont exercées de manière négligeable.
Le litige au principal et les questions préjudicielles
9 L'administration fiscale portugaise a réclamé à la CMP la somme de 98 953 911 PTE représentant la TVA sur les recettes des parcmètres et des parcs de stationnement de la ville de Porto pour les années 1991 et 1992, ainsi que pour la période de janvier à avril 1993.
10 Estimant qu'elle n'était pas assujettie à la TVA, dans la mesure où elle aurait agi dans le cadre de l'exercice de ses pouvoirs d'autorité, la CMP a formé un recours pour violation de la loi devant le Tribunal Tributário de Primeira Instância do Porto contre les avis de liquidation émis par le service de l'administration de la TVA.
11 Dans son jugement, le Tribunal Tributário a fait droit au recours dans sa partie relative aux recettes perçues par la CMP pour l'exploitation du parc de stationnement de Trindade, établi sur le domaine public de la ville, et pour l'exploitation des parcmètres implantés sur les voies publiques. En revanche, ledit Tribunal a jugé le recours mal fondé en ce qui concerne les recettes afférentes à l'exploitation des parcs de stationnement faisant partie du patrimoine privé de la ville.
12 Aucune des deux parties n'ayant admis le jugement dans la partie qui lui était défavorable, chacune a formé un recours devant le Supremo Tribunal Administrativo.
13 C'est dans ces circonstances que le Supremo Tribunal Administrativo a décidé de soumettre à la Cour les questions préjudicielles suivantes:
"1) L'expression 'activités ou opérations qu'ils accomplissent en tant qu'autorités publiques' utilisée à l'article 4, paragraphe 5, premier alinéa, de la directive 77/388/CEE (sixième directive) inclut-elle la location d'emplacements destinés au stationnement des véhicules (aussi bien dans la rue que dans les parcs de stationnement) pratiquée par les autorités publiques (une municipalité)?
2) Les distorsions de concurrence d'une certaine importance auxquelles se réfère l'article 4, paragraphe 5, deuxième alinéa, de la sixième directive peuvent-elles être définies au cas par cas par le ministre des Finances d'un État membre?
3) Si la disposition du droit national qui donne compétence au ministre des Finances pour définir au cas par cas les distorsions de concurrence d'une certaine importance est inconstitutionnelle pour violation du principe de la légalité des impositions, mais conforme au droit communautaire (à la sixième directive), le juge national doit-il se conformer à sa constitution, ou doit-il, avant tout, se conformer au droit communautaire, en vertu de la primauté de ce dernier sur les constitutions?