Jurisprudence : CE 8/9 SSR, 08-04-1998, n° 179605

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 179605

MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES
contre
Mme Gourcerol

Lecture du 08 Avril 1998

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 8ème et 9ème sous-sections réunies), Sur le rapport de la 8ème sous-section, de la Section du Contentieux,
Vu le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES enregistré le 25 avril 1996 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, ; le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2 et 3 de l'arrêt du 27 février 1996 de la cour administrative d'appel de Paris, en tant qu'ils annulent le jugement du 6 mai 1993 du tribunal administratif de Paris, en ce que celui-ci avait déclaré irrecevables les réclamations de Mme Gourcerol ayant trait à la taxe sur la valeur ajoutée, ainsi qu'aux pénalités y afférentes, auxquelles elle avait été assujettie au titre des périodes du 1er octobre 1983 au 30 avril 1984 et du 1er octobre 1984 au 31 décembre 1984, et la déchargent de ces impositions ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Ma‹a, Auditeur, - les observations de Me Boulloche, avocat de Mme Gourcerol, - les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme Gourcerol, qui exploitait, à Paris, une entreprise individuelle de toilettage et de vente d'accessoires pour chiens et était, pour cette activité, soumise au régime simplifié de liquidation des taxes sur le chiffre d'affaires institué en application de l'article 302 septiès A du code général des impôts et prévoyant, à l'époque, pour les contribuables concernés, l'obligation, énoncée par les articles 242 quater et 242 sexiès de l'annexe II au même code, de déposer, avant le 1er avril de chaque année, une déclaration faisant ressortir les taxes sur le chiffre d'affaires dues au titre de l'année précédente et de souscrire, en outre, chaque mois, une "déclaration abrégée" portant sur le montant des opérations réalisées et assortie du versement d'un acompte sur le montant de la taxe sur la valeur ajoutée due lors du dépôt de la prochaine déclaration annuelle, a été assujettie, notamment pour les douze mois de l'année 1983 et pour les mois de février à décembre 1984, par des avis de mise en recouvrement émis les 7 mars et 26 juillet 1984, 7 février, 4 mars et 24 mai 1985, à des droits qui, au motif qu'elle avait déposé tardivement ses "déclarations mensuelles" de chiffre d'affaires, ont été majorés des intérêts de retard, de 10, 25 ou 100 % selon le cas, prévus, en cas de taxation d'office à défaut de déclaration dans les délais prescrits, par les dispositions, alors applicables, du 1 de l'article 1733 du code général des impôts ; que, par diverses décisions prises au cours des instances que Mme Gourcerol a engagées devant le tribunal administratif de Paris, puis devant la cour administrative d'appel de Paris, les droits établis au titre des mois de janvier à juillet 1983, ainsi que les droits et pénalités afférents aux mois de mai et juin 1984 ont fait l'objet de dégrèvements d'office ; que, par l'article 4 de son arrêt du 27 février 1996, la cour administrative d'appel de Paris a déchargé Mme Gourcerol des intérêts majorés ajoutés aux droits, précédemment dégrevés, qui lui avaient été assignés pour les mois de janvier à juillet 1983 ; que, par l'article 3 du même arrêt, la cour a, en outre, déchargé Mme Gourcerol des droits et pénalités auxquels elle avait été assujettie pour les mois d'ao–t 1983 à avril 1984 et pour les mois de juillet à décembre 1984, après avoir relevé qu'ayant déposé, pour chacune des années 1983 et 1984, dans le délai prescrit, la déclaration annuelle prévue, par l'article 242 sexiès de l'annexe II au code général des impôts, dont le défaut de souscription était alors seul de nature à entraîner, pour les contribuables placés sous le régime simplifié de liquidation des taxes sur le chiffre d'affaires, la taxation d'office qu'encourent, en vertu du 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, "les personnes qui n'ont pas déposé dans le délai légal les déclarations qu'elles sont tenues de souscrire en leur qualité de redevables des taxes", elle n'était pas en situation de se voir taxée d'office pour les mois ci-dessus mentionnés ; que la Cour a statué ainsi après avoir écarté la fin de non-recevoir tirée par l'administration de ce que les réclamations que Mme Gourcerol lui avait présentées en vue d'être déchargée des impositions afférentes aux mois ci-dessus indiqués, avaient été formulés tardivement ; que, par l'article 2 de son arrêt, la Cour a en conséquence annulé le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mai 1993 en tant qu'il avait admis cette fin de non-recevoir ; que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES demande au Conseil d'Etat d'annuler les articles 2 et 3 de l'arrêt de la Cour, mais en tant seulement qu'ils portent sur les droits et pénalités qui avaient étémis à la charge de Mme Gourcerol au titre des mois d'octobre 1983 à avril 1984 et des mois d'octobre à décembre 1984 ;
Considérant qu'au soutien de son pourvoi, le ministre fait valoir que, du fait qu'au titre de ces différents mois, Mme Gourcerol a été imposée sur la base des montants de taxe sur la valeur ajoutée qu'elle avait spontanément mentionnés dans ses déclarations mensuelles tardivement déposées, sans avoir, pour cette raison, fait l'objet, comme cela avait été le cas pour les mois d'ao–t et septembre 1983 et pour les mois de juillet, ao–t et septembre 1984, de la notification prévue en cas d'imposition d'office par l'article L. 76 du livre des procédures fiscales, l'intéressée ne peut être regardée comme ayant été taxée d'office, de sorte qu'en jugeant que, malgré l'absence d'une telle notification, elle avait été soumise à une telle taxation, la cour administrative d'appel aurait commis une erreur de droit ; que le ministre en déduit que la Cour aurait dénaturé les faits ressortant du dossier qui lui était soumis en estimant que Mme Gourcerol avait fait l'objet d'une procédure de "redressement ou de reprise", au sens de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales et pu ainsi bénéficier, pour la présentation de ses réclamations, du délai spécial, d'une durée égale à celle du délai de reprise de l'administration, qui est ouvert par cet article aux contribuables ayant été soumis à une telle procédure, et non du seul délai de droit commun prévu par l'article R. 196-1 du même livre, qui, dans le cas des taxes sur le chiffre d'affaires, s'étend, au plus tard, jusqu'au 31 décembre de la deuxième année suivant celle de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; que le ministre en conclut que la Cour a, à tort, admis que les réclamations de Mme Gourcerol étaient recevables pour avoir été présentées avant l'expiration du délai prévu par l'article R. 196-3, et, en conséquence, annulé le jugement du 6 mai 1993 du tribunal administratif de Paris, en tant que celui-ci les avait regardées comme irrecevables pour avoir été déposées après l'expiration du délai spécifié par l'article R. 196-1 ; Mais, considérant qu'il ressort de ce qui a été dit ci-dessus qu'en estimant que Mme Gourcerol n'avait pas déposé ses "déclarations mensuelles" dans le délai légal et en lui réclamant, pour cette raison, des droits de taxe sur la valeur ajoutée assortis des intérêts de retard majorés prévus par les dispositions déjà citées, alors applicables, du 1 de l'article 1733 du code général des impôts, dans le cas de taxation d'office pour défaut de déclaration dans le délai légal, l'administration a nécessairement entendu la taxer d'office en application du 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales et mettre ainsi en oeuvre, à son égard, le droit qu'elle tient de l'article L. 168 du même livre de réparer, dans le délai qui lui est imparti, en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, par l'article L. 176 de ce livre, une omission dans l'assiette de l'impôt d–, alors même qu'elle se serait bornée à inclure dans cette assiette des sommes "tardivement" déclarées par l'intéressée et n'a pas adressé à celle-ci la notification prévue par l'article L. 76 du livre des procédures fiscales ; que, par suite, les impositions primitives en litige doivent être regardées comme ayant été établies à la suite d'une procédure de reprise, au sens de l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, de sorte que Mme Gourcerol disposait bien, pour la présentation de ses réclamations, du délai spécial prévu par cet article ; que les moyens ci-dessus analysés du recours du ministre doivent donc être écartés ; que les motifs, exposés plus haut, pour lesquels la cour administrative d'appel a jugé irrégulière la taxation d'office à laquelle Mme Gourecerol a été effectivement soumise en application du 3° de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales, n'étant pas en soi contestés par le ministre, celui-ci ne serait fondé à demander, dans les limites ci-dessus rappelées, l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué, pour tout ou partie des périodes d'imposition visées par son recours, que s'il ressortait des pièces du dossier soumis aux juges du fond que, contrairement à ce qu'a jugé la cour administrative d'appel, l'ensemble ou certaines des réclamations de l'intéressée ont été présentées après l'expiration du délai spécial prévu par l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales ;
Considérant qu'en vertu de l'article L. 176, premier alinéa, du livre desprocédures fiscales, le délai dans lequel l'administration peut exercer son droit de reprise court, en matière de taxes sur le chiffre d'affaires, à partir de la date d'exigibilité de ces taxes, telle qu'elle est fixée par le 2 de l'article 269 du code général des impôts ; que la durée de ce délai est, dans tous les cas, celle qui résulte de la législation en vigueur à cette date ; que, dans sa rédaction applicable aux dates d'exigibilité, en 1983 et 1984, des taxes contestées par Mme Gourcerol - antérieures à celle de l'entrée en vigueur du I de l'article 18 de la loi n° 86-824 du 11 juillet 1986, portant loi de finances rectificative pour 1986, qui l'a abrégé d'un an - le délai fixé par l'article L. 176 du livre des procédures fiscales s'étendait jusqu'à la fin de la quatrième année suivant celle au cours de laquelle il avait commencé à courir ; que ce délai n'ayant pas été interrompu dans les conditions prévues par l'article L. 189 du livre des procédures fiscales, notamment par une notification effectuée en application de l'article L. 76 du même livre, l'administration pouvait réparer les omissions qui auraient été constatées dans l'assiette des impositions de Mme Gourcerol à la taxe sur la valeur ajoutée, jusqu'au 31 décembre 1987, pour les taxes exigibles en 1983 et, jusqu'au 31 décembre 1988, pour les taxes exigibles en 1984 ; que le délai spécial, égal à celui de l'administration, dont disposait Mme Gourcerol pour présenter ses propres réclamations, en vertude l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales, expirait donc aussi à ces dates ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les réclamations de Mme Gourcerol ont été présentées à l'administration en 1988 pour l'ensemble des taxes qui lui ont été, notamment, réclamées au titre des mois d'octobre 1983 à avril 1984 et des mois d'octobre à décembre 1984 ; qu'il découle de ce qui a été dit ci-dessus que les réclamations ayant trait aux taxes établies au titre des mois de janvier à avril et d'octobre à décembre 1984 ont été présentées avant l'expiration, le 31 décembre 1988, du délai spécial prévu par l'article R. 196-3 du livre des procédures fiscales et étaient donc recevables ; qu'en revanche, celles qui se rapportaient aux taxes établies au titre des mois d'octobre à décembre 1983 et n'ont été formulées qu'après le 31 décembre 1987, étaient tardives ; que, par suite, le ministre n'est fondé à demander l'annulation des articles 2 et 3 de l'arrêt attaqué de la cour administrative d'appel de Paris qu'en tant que celle-ci a jugé ces dernières réclamations recevables et a déchargé Mme Gourcerol, en droits et pénalités, des impositions qu'elles visaient ;
Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, par application de l'article 11, deuxième alinéa, de la loi du 31 décembre 1987, de régler, dans cette mesure, l'affaire au fond ;
Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit ci-dessus que Mme Gourcerol n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par son jugement du 6 mai 1993, le tribunal administratif de Paris a rejeté comme irrecevables les conclusions de sa demande tendant à la décharge des droits et pénalités auxquels elle a été assujettie, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, pour les mois d'octobre, novembre et décembre 1983 ;
Considérant que les dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer à Mme Gourcerol la somme demandée par celle-ci au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : L'arrêt de la cour administrative d'appel de Paris du 27 février 1996 est annulé, entant que, par son article 2, il annule le jugement du tribunal administratif de Paris du 6 mai 1993 en ce que celui-ci déclare irrecevables les réclamations de Mme Gourcerol ayant trait aux droits et pénalités auxquels elle a été assujettie, en matière de taxe sur la valeur ajoutée, pour les mois d'octobre, novembre et décembre 1983, et que, par son article 3, il décharge Mme Gourcerol de ces droits et pénalités.
Article 2 : Les conclusions de la requête présentée par Mme Gourcerol devant la cour administrative d'appel de Paris qui tendent à la décharge des droits et pénalités mentionnés à l'article 1er ci-dessus sont rejetées.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du ministre de l'économie et des finances est rejeté.
Article 4 : Les conclusions présentées par Mme Gourcerol au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 sont rejetées.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à Mme Gourcerol et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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