Jurisprudence : TA Poitiers, du 06-07-2023, n° 2101582


Références

Tribunal Administratif de Poitiers

N° 2101582

2ème chambre
lecture du 06 juillet 2023
REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 7 juin 2021, Mme Céline Tissier-Buge demande au tribunal :

1°) d'annuler le compte rendu de son entretien professionnel au titre de l'année 2020 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme d'un euro en réparation du préjudice moral qu'elle estime avoir subi ;

3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 100 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Elle soutient que :

- son entretien a été réalisé six jours seulement avant la fin de la campagne d'évaluation et le compte rendu de l'entretien professionnel lui a été notifié postérieurement à la fin de cette campagne d'évaluation ;

- le guide de l'évaluation qui lui a été communiqué préalablement à l'entretien ne correspondait pas à son corps administratif, ce qui a eu pour effet de la priver d'une bonne compréhension des enjeux de l'entretien et d'une préparation adéquate ;

- l'entretien n'a pas été mené par son supérieur hiérarchique direct ;

- le compte rendu de l'entretien professionnel lui a été notifié par courriel et non par un courrier recommandé avec accusé de réception alors qu'elle avait informé être absente du service ;

- l'autorité hiérarchique a apposé son visa sur le compte rendu d'évaluation par anticipation, avant même qu'il ne lui soit notifié pour observations ;

- le supérieur hiérarchique a irrégulièrement apposé sa signature sur la page de l'entretien relative aux besoins de formation pour l'année 2021 alors que cette rubrique concernait exclusivement sa nouvelle autorité hiérarchique ;

- le chef de service ayant pouvoir de notation a apposé sa signature sur le compte rendu de l'entretien par anticipation, avant qu'elle n'ait pu formuler ses observations ;

- le compte rendu de l'entretien mentionne de manière erronée un temps de présence de 43 % au titre de l'année 2020 ;

- il comporte des observations relatives à la période du 1er janvier au 1er février 2021, laquelle n'avait pas à faire l'objet d'une évaluation au titre de l'année 2020 ;

- il mentionne qu'elle n'a jamais répondu à une demande de son supérieur hiérarchique tendant à la transmission de codes informatiques alors que cette circonstance n'est pas établie ;

- il mentionne des difficultés dans l'accomplissement d'une mission qui ne relevait pas de sa compétence ;

- il mentionne qu'elle serait responsable de l'épuisement professionnel de l'une de ses adjointes alors que cette circonstance n'est pas établie pas des éléments objectifs ;

- il ne mentionne aucun des évènements qui ont eu un impact sur l'activité du service.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er mars 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions indemnitaires sont irrecevables ;

- les moyens soulevés au soutien des conclusions à fin d'annulation ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983🏛 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984🏛 ;

- le décret n° 2010-888 du 28 juillet 2010🏛 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Dumont,

- et les observations de M. Lacaïle, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme Céline Tissier-Buge, secrétaire administrative de classe supérieure du ministère de la justice, exerçait jusqu'à la date du 1er février 2021 les fonctions de responsable du service économique et achats au sein du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Par une requête enregistrée le 7 juin 2021, elle demande l'annulation du compte-rendu de son entretien professionnel au titre de l'année 2020.

Sur les conclusions indemnitaires :

2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative🏛 : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision () / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle ". La condition tenant à l'existence d'une décision de l'administration doit être regardée comme remplie si, à la date à laquelle le juge statue, l'administration a pris une décision, expresse ou implicite, sur une demande formée devant elle, régularisant ce faisant la requête.

3. Si Mme E demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme d'un euro au titre de son préjudice moral, elle ne démontre pas avoir préalablement saisi l'administration d'une demande d'indemnisation de ce préjudice. Par suite, ses conclusions indemnitaires doivent être rejetées comme irrecevables.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes de l'article 17 de la loi du 13 juillet 1983🏛 portant droits et obligations des fonctionnaires alors en vigueur : " La valeur professionnelle des fonctionnaires fait l'objet d'une appréciation qui se fonde sur une évaluation individuelle donnant lieu à un compte rendu qui leur est communiqué. ". Aux termes de l'article 55 de la loi du 11 janvier 1984🏛 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'Etat alors en vigueur : " Par dérogation à l'article 17 du titre Ier du statut général, l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires se fonde sur un entretien professionnel annuel conduit par le supérieur hiérarchique direct () ". Aux termes de l'article 2 du décret du 28 juillet 2010🏛 relatif aux conditions générales de l'appréciation de la valeur professionnelle des fonctionnaires de l'Etat : " Le fonctionnaire bénéficie chaque année d'un entretien professionnel qui donne lieu à compte rendu. / Cet entretien est conduit par le supérieur hiérarchique direct. / La date de cet entretien est fixée par le supérieur hiérarchique direct et communiquée au fonctionnaire au moins huit jours à l'avance ". Aux termes de l'article 4 du même décret : Le compte rendu de l'entretien professionnel est établi et signé par le supérieur hiérarchique direct du fonctionnaire. Il comporte une appréciation générale exprimant la valeur professionnelle de ce dernier. / Il est communiqué au fonctionnaire qui le complète, le cas échéant, de ses observations. / Il est visé par l'autorité hiérarchique qui peut formuler, si elle l'estime utile, ses propres observations. / () ".

5. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient au seul supérieur hiérarchique direct de l'agent de conduire l'entretien professionnel de celui-ci et d'établir et de signer le compte rendu s'y rapportant.

6. D'une part, il ressort des pièces du dossier que l'entretien professionnel dont le compte rendu est contesté a été conduit par Mme B C, directrice des services pénitentiaire, cheffe du centre pénitentiaire de Poitiers-Vivonne. Si elle exerçait, en sa qualité de chef d'établissement, son autorité sur le service dans lequel était affecté Mme E, il ressort toutefois des pièces du dossier que cette dernière était placée sous l'autorité directe, non pas de Mme C, mais de M. D A, attaché financier. Si le garde des sceaux, ministre de la justice, soutient en défense que le précédent supérieur hiérarchique de Mme E ayant été muté le 1er novembre 2020, il était dans l'impossibilité de procéder à l'évaluation de la requérante, il n'établit pas que M. A, supérieur hiérarchique direct de Mme E depuis le 1er décembre 2020, aurait été dans l'impossibilité de procéder à cette évaluation, le cas échéant en recueillant préalablement à l'entretien l'avis du précédent supérieur hiérarchique direct de la requérante.

7. Dans ces conditions, c'est à tort que Mme B C, qui n'était pas le supérieur hiérarchique direct de Mme E, a conduit l'entretien professionnel de cette dernière. Par suite, les dispositions précitées de l'article 2 du décret du 28 juillet 2010 ont été méconnues.

8. D'autre part, si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

9. La règle selon laquelle l'agent doit bénéficier d'un entretien professionnel conduit par le supérieur hiérarchique direct constitue une garantie pour l'agent, dès lors qu'il doit être évalué par le supérieur hiérarchique qui est le mieux à même d'apprécier sa manière de servir. En l'espèce, Mme E a été privée d'une telle garantie.

10. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, Mme E est fondée à demander l'annulation du compte rendu de son entretien professionnel établi au titre de l'année 2020.

Sur les frais liés au litige :

11. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de Mme E présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E

Article 1er : Le compte rendu de l'entretien professionnel de Mme E au titre de l'année 2020 est annulé.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 3 : Le présent jugement sera notifié à Mme Céline Tissier-Buge et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 22 juin 2023, à laquelle siégeaient :

M. Le Méhauté, président,

Mme Dumont, première conseillère,

M. Bureau, conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 juillet 2023.

La rapporteure,

Signé

G. DUMONT

Le président,

Signé

A. LE MEHAUTE La greffière,

Signé

G. FAVARD

La République mande et ordonne au garde sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour le greffier en chef,

La greffière,

Signé

G. FAVARD

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus