CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 75464
société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE"
Lecture du 30 Septembre 1992
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du Contentieux, 8ème et 9ème sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 8ème sous-section de la Section du Contentieux,
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 4 février 1986 et 10 avril 1986, présentés par la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE", dont le siège social est 9, allée du Lubéron, Zone Industrielle Petite Montagne à Evry (91019), représentée par M. Philippe Doyen, son mandataire, domicilié à la société Fidal, 47, rue de Villiers à Neuilly (92200) ; la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" demande que le Conseil d'Etat : 1°) annule le jugement en date du 14 novembre 1985 du tribunal administratif de Versailles en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et de la retenue à la source auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1976 à 1979, ainsi que des compléments de taxe sur la valeur ajoutée mis à sa charge au titre de la période allant du 1er janvier 1976 au 31 décembre 1979 par avis de mise en recouvrement ; 2°) accorde la décharge demandée ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. du Marais, Maître des requêtes, - les conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement ;
Sur l'étendue du litige :
Considérant que, par décision en date du 22 août 1988, le directeur des services fiscaux a prononcé le dégrèvement en droits et pénalités, d'une part, à concurrence d'une somme de 215 160 F, de la retenue à la source sur produits distribués à laquelle la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" a été assujettie au titre des années 1976, 1977, 1978 et 1979, d'autre part, à concurrence d'une somme de 154 848,46 F, de la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 1976 au 31 décembre 1979 ; que les conclusions de la requête de la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" relatives à ces impositions sont, dans cette mesure, devenues sans objet ;
Sur l'impôt sur les sociétés des années 1976, 1977, 1978 et 1979 : En ce qui concerne les cadeaux et frais de voyage :
Considérant qu'il ressort des dispositions des articles 39-5 et 54 quater du code général des impôts que les dépenses de cadeaux effectuées par une entreprise ne sont déductibles des résultats que si elles figurent sur un relevé détaillé, si elles ne sont pas excessives, et s'il est prouvé qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise ; qu'aux termes de l' article 4 J de l'annexe IV au code : "Les entreprises... sont tenues de fournir... le relevé détaillé des catégories de frais généraux prévu à l'article 54 quater du code général des impôts lorsque ces frais excèdent... l'un des chiffres suivants... 5°) 2 000 F pour les cadeaux de toute nature à l'exception des objets spécialement conçus pour la publicité et dont la valeur unitaire ne dépasse pas 150 F par bénéficiaire" ;
Considérant qu'il est constant qu'au cours de la période en litige, la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" a engagé des dépenses de cadeaux qui excédaient le chiffre ainsi fixé ; que contrairement aux prescriptions du même article 4 J de l'annexe IV, elle n'a pas fourni le relevé détaillé prévu ; que si elle entend se prévaloir de la doctrine administrative exprimée dans l'instruction du 22 mars 1967 selon laquelle, en cas de bonne foi du contribuable, le service s'abstient de réintégrer dans les résultats imposables les frais ne figurant pas sur le relevé, il résulte de l'instruction que la société ne satisfait pas en l'espèce aux conditions auxquelles est subordonnée l'application de l'instruction invoquée, conditions tenant notamment à l'existence d'une corrélation entre ces dépenses et la contribution qu'elles apportent à l'expansion ou à la rentabilité de l'entreprise ; Considérant, en revanche, que si la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE", en vue de stimuler ses ventes, a organisé un concours ouvert à ses revendeurs, à l'issue duquel un voyage aux Etats-Unis était offert aux plus performants d'entre eux, l'avantage ainsi offert constitue la contrepartie de l'activité et des efforts déployés par ceux qui l'ont gagné ; qu'il ne présente pas, dès lors, le caractère de libéralité attaché aux cadeaux mentionnés à l'article 39-5 précité du code général des impôts ; qu'ainsi les dépenses résultant de ce voyage, doivent être regardées comme déductibles dans leur intégralité des résultats imposables de la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" en application des dispositions de l'article 39-1 du code général des impôts ; que l'administration a donc, à tort, réintégré dans les bases imposables de ladite société une partie des dépenses afférentes à ce voyage ; qu'il y a lieu, par suite, de réduire de 61 900 F les bases imposables de l'exercice clos en 1979 ; En ce qui concerne les frais de gestion :
Considérant qu'aux termes de l'article 238-A du code général des impôts : "Les ... redevances de cession et de concession de licence d'exploitation, de brevets d'invention, de marques de fabriques, procédés et formules de fabrication et autres droits analogues ou les rémunérations de services payés ou dus par une personne physique ou morale domiciliée ou établie en France à des personnes physiques ou morales qui sont domiciliées ou établies dans un Etat étranger... et y sont soumises à un régime fiscal privilégié, ne sont admis comme charges déductibles pour l'établissement de l'impôt que si le débiteur apporte la preuve que les dépenses correspondent à des opérations réelles et qu'elles ne présentent pas un caractère anormal ou exagéré." ; qu'il résulte de ces dispositions que, lorsqu'elle s'en prévaut pour écarter la déduction de certaines dépenses, l'administration fiscale doit justifier que le bénéficiaire des sommes versées est soumis, hors de France, à un "régime fiscal privilégié" ;
Considérant que l'administration a contesté, sur le fondement des dispositions de l'article 238-A du code général des impôts, le caractère déductible d'une partie des commissions versées en Suisse au titre des exercices clos les 31 novembre 1976 et 1977 par la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" à la société anonyme Tool AG et à la société holding Tosa en rémunération des travaux administratifs et de comptabilité que ces sociétés effectuaient pour son compte ; qu'en se bornant à faire valoir que dans le canton de Zurich, où les sociétés Tool AG et Tosa Holding ont leur siège, le taux maximal de l'ensemble des impôts fédéraux, cantonaux et communaux sur les bénéfices et sur le capital serait de 35 % environ, le ministre chargé du budget ne justifie pas que les sociétés suisses dont s'agit soient soumises à un "régime fiscal privilégié" ; que, dans ces conditions, la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" est fondée à soutenir que les commissions qu'elle a versées aux sociétés suisses n'entraient pas dans le champ d'application de l'article 238-A ;
Considérant que si le ministre soutient également, sur le fondement de l'article 39-1 du code général des impôts, que les commissions ainsi versées présentaient un caractère excessif, il ne formule aucune critique précise à l'encontre des justifications détaillées produites par la société ; En ce qui concerne la dépréciation des stocks :
Considérant que, pour justifier l'évaluation pour une valeur nulle de certains éléments de son stock au 31 décembre 1979, la société requérante se borne à alléguer que les marchandises correspondantes étaient "invendables" sans apporter la moindre justification à l'appui de ses affirmations ; qu'au contraire, l'administration soutient, sans être utilement contredite, que toutes les ventes d'éléments de cette nature intervenues au cours de l'année 1979 furent réalisées à un prix supérieur au prix de revient ; qu'il apparaît dès lors qu'à la date de clôture du bilan, la comptabilisation d'une quelconque dépréciation était injustifiée ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" est fondée à soutenir que c'est à tort que, d'une part, l'administration a réintégré à concurrence de 61 900 F dans ses bases imposables de 1979 une partie des dépenses du voyage aux Etats-Unis offert à certains de ses revendeurs, d'autre part, à conccurrence respectivement de 242 927 F et 67 540 F dans les bases imposables de 1976 et 1977 une fraction des redevances de gestion versées aux sociétés suisses Tool AG et Tosa Holding, et à demander, dans cette mesure seulement, la réduction des suppléments d'impôt sur les sociétés correspondants ;
D E C I D E :
Article 1er : A concurrence des sommes de 215 160 F, d'une part, en ce qui concerne la retenue à la source sur produits distribués à des sociétés étrangères et de 154 848,46 F, d'autre part, en ce qui concerne les compléments de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" a été assujettie pour la période du 1er janvier 1976 au 31 décembre 1979, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE".
Article 2 : La base d'imposition de la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" à l'impôt sur les sociétés établie au titre des exercices 1976, 1977 et 1979 est réduite respectivement de 242 927 F, 67 540 F et de 61 900 F.
Article 3 : La société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" est déchargée de la différence entre l'impôt sur les sociétés auquel elle a été assujettie au titre des exercices clos en 1976, 1977 et 1979 et celui qui résulte des bases d'imposition ainsi réduites.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Versailles en date du 14 novembre 1985 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la société à responsabilité limitée "TOOL FRANCE" et au ministre du budget.