CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 102443
MINISTRE DE L'INTERIEUR
contre
M. Doucet
Lecture du 19 Juin 1992
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du Contentieux, 3ème et 5ème sous-sections réunies),
Sur le rapport de la 3ème sous-section de la Section du Contentieux,
Vu le recours et le mémoire complémentaire du MINISTRE DE L'INTERIEUR enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 3 octobre 1988 et 27 janvier 1989 ; le MINISTRE DE L'INTERIEUR demande au Conseil d'Etat : 1°) de réformer le jugement du 29 avril 1988 par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. René Doucet, la somme de 382 642 F, avec intérêts de droit, capitalisés à compter du 31 décembre 1987, en réparation du préjudice résultant du décret du 20 juillet 1983 prononçant la mise à la retraite d'office de l'intéressé ; 2°) de ramener l'indemnité globale, toutes causes de préjudice confondues, due à ce fonctionnaire, à 36 215,38 F et de rejeter le surplus des prétentions de l'intéressé ; 3°) de décider qu'il sera, en attendant que le Conseil d'Etat se prononce au fond, sursis à l'exécution de ce jugement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
Vu la loi de finances pour 1983 et notamment son article 95 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Labarre, Conseiller d'Etat, - les observations de la S.C.P. Coutard, Mayer, avocat de M. René Doucet, - les conclusions de M. Pochard, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'à la suite de l'annulation du décret du 20 juillet 1983, l'ayant mis à la retraite d'office, par une décision du 22 novembre 1985 du Conseil d'Etat statuant au Contentieux, M. Doucet a demandé au tribunal administratif la condamnation de l'Etat à réparer les préjudices subis du fait de son éviction illégale du service ; que le MINISTRE DE L'INTERIEUR fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Paris a condamné l'Etat à verser à M. Doucet la somme de 382 642 F et que, par la voie du recours incident, l'intéressé demande que cette somme soit portée à 690 716 F ;
Sur l'indemnité due à M. Doucet :
Considérant que, depuis l'intervention de l'article 95 de la loi du 29 décembre 1982 portant loi de finances pour 1983, l'indemnité de sujétions spéciales des personnels des services actifs de police est soumise à retenue pour pension ; qu'elle présente ainsi le caractère d'un supplément de traitement et non d'une indemnité liée à l'exercice des fonctions ; qu'il doit donc être tenu compte de la perte de cette indemnité dans l'évaluation du préjudice financier subi par M. Doucet pendant la période de son éviction illégale du service ;
Considérant que les sommes que l'intéressé a perçues au titre de sa pension, et qu'il devra reverser à l'organisme qui les lui a servies, ne sauraient venir en déduction de l'indemnité à laquelle il a droit en réparation du préjudice financier qui est résulté de sa mise d'office à la retraite ;
Considérant qu'il ne résulte pas des pièces du dossier que les décisions réintégrant M. Doucet dans son grade de contrôleur général de la police et reconstituant sa carrière aient fait une inexacte appréciation des perspectives de carrière de l'intéressé pendant la période où il a été évincé du service, en ne procédant pas à sa nomination, pendant cette période, dans un emploi d'inspecteur général ; que, le MINISTRE DE L'INTERIEUR est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a calculé les pertes de traitement subies par M. Doucet du fait de son éviction illégale du service en tenant compte d'une nomination comme inspecteur général à laquelle il aurait eu droit et lui a accordé, de ce fait, une indemnité de 150 000 F ; qu'il résulte de tout ce qui précède qu'il sera fait une juste appréciation du préjudice financier subi par M. Doucet en ramenant à 182 642 F, le montant de l'indemnité due à M. Doucet ; Considérant, enfin, que s'il n'y a pas lieu de réduire les sommes dues à M. Doucet en raison des fautes que celui-ci a commises, dès lors que le Conseil d'Etat a jugé que ces fautes ne justifiaient pas la sanction de la mise à la retraite d'ofice, il résulte de l'instruction que dans les circonstances de l'espèce, le tribunal administratif a fait une évaluation exagérée du préjudice moral subi par M. Doucet ; qu'il y a lieu de faire partiellement droit, sur ce point, au recours du ministre, en ramenant l'indemnité que l'Etat a été condamné à payer à M. Doucet à ce titre de 50 000 F à 10 000 F ; que les conclusions du recours incident, sur ce point, doivent donc être rejetées ;
Considérant que de tout ce qui précède, il résulte que la somme que l'Etat a été condamnée, par le jugement attaqué, à payer à M. Doucet doit être ramenée de 382 642 F à 192 642 F ; que le recours incident de M. Doucet tendant à l'augmentation de cette indemnité ne peut qu'être rejeté ;
Sur les intérêts des intérêts :
Considérant que l'indemnité de 192 642 F allouée à M. Doucet doit porter intérêts à compter du 28 mai 1986, ainsi que l'a décidé le tribunal administratif ; que depuis le 31 décembre 1987, date à laquelle la capitalisation des intérêts a été ordonnée par les premiers juges, M. Doucet a demandé, à nouveau, la capitalisation des intérêts les 25 septembre 1989 et 3 décembre 1990 ; qu'à chacune de ces dates, il était dû, au moins, une année d'intérêts ; que, dès lors, et conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à ces demandes ;
D E C I D E :
Article 1er : La somme de 382 642 F que l'Etat, a été condamné à verser à M. Doucet, par le jugement attaqué, est ramenée à 192 642 F. Les intérêts de cette somme échus les 25 septembre 1989 et 3 décembre 1990 seront capitalisés à ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 29 avril 1988, est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 3 : Le surplus des conclusions du recours du MINISTRE DE L'INTERIEUR et le recours incident de M. Doucet sont rejetés.
Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Doucet et au ministre de l'intérieur et de la sécurité publique.