AFFAIRE : N° RG 21/00342 -
N° Portalis DBVC-V-B7F-GVYP
ARRÊT N°
JB.
ORIGINE : Décision du TJ hors JAF, JEX, JLD, Aa A, JCP de CAEN du 15 Décembre 2020
RG n° 18/02140
COUR D'APPEL DE CAEN
PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE
ARRÊT DU 27 JUIN 2023
APPELANTS :
Monsieur [Ab] [O]
né le … … … à [Localité 17]
[Adresse 1]
[Localité 5]
Monsieur [Y] [O]
né le … … … à [… …]
[… …]
[Localité 4]
Madame [Ac] [O]
née le … … … à [Localité 16]
[Adresse 11]
[Localité 6]
Tous représentés et assistés de Me David GORAND, avocat au barreau de COUTANCES, substitué par Me SAMSON, avocat au barreau de CAEN,
INTIMÉE :
LA MAIRIE DE [Localité 18],
prise en la personne de son maire en exercice
[Adresse 13]
[Localité 18]
représentée par Me Anne BONNEAU, avocat au barreau de CAEN,
assistée de Me Céline LHERMINIER, substitué par Me HERPIN, avocats au barreau de PARIS
DÉBATS : A l'audience publique du 04 mai 2023, sans opposition du ou des avocats, Mme VELMANS, Conseillère, a entendu seule les plaidoiries et en a rendu compte à la cour dans son délibéré
GREFFIER : Mme B
COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ :
M. GUIGUESSON, Président de chambre,
M. GARET, Président de chambre,
Mme VELMANS, Conseillère,
ARRÊT : rendu publiquement par mise à disposition au greffe, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛 le 27 Juin 2023 et signé par M. GUIGUESSON, président, et Mme COLLET, greffier
* * *
EXPOSE DU LITIGE
Messieurs [Z] et [Y] [O] ainsi que Madame [M] [Ac], étaient propriétaires des parcelles cadastrées F [Cadastre 15], F [Cadastre 3], F [Cadastre 7] et E [Cadastre 12], situées sur la commune de [Localité 18], en bordure du littoral.
Suivant ordonnance du 15 mars 1988, le juge de l'expropriation du Calvados les a déclarées expropriées au profit de la commune de [Localité 18], en vue de la création d'un bassin tampon et d'un parc d'animation.
Soutenant que les parcelles expropriées, n'avaient reçu qu'en partie la destination prévue dans la déclaration d'utilité publique, puisque la création d'un parc d'animation a consisté en l'extension du camping municipal et des activités privées du club hippique, les consorts [O] ont adressé au maire de la commune une lettre recommandée en date du 26 février 2018, demandant leur rétrocession.
La commune n'ayant pas donné suite à cette demande, les consorts [O] l'ont assignée par acte d'huissier du 27 juin 2018, devant le tribunal de grande instance de Caen aux fins de rétrocession des parcelles désormais cadastrées AE N°[Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 2].
Par jugement du 15 décembre 2020, le tribunal judiciaire de Caen a :
- déclarée irrecevable comme prescrite l'action aux fins de rétrocession des consorAcs [O],
- condamné les consorts [Ac] au paiement d'une somme de 2.000,00 € sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux dépens.
Par déclaration en date du 5 février 2021, les consorts [Ac] ont formé appel de la décision.
Aux termes de leurs dernières écritures en date du 3 avril 2023, ils concluent au visa des
articles L.231-4, L 112-1, L.110-1 du code des relations entre le public et l'administration🏛🏛🏛,
L.421-1 et suivants, R.421-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique🏛🏛, 563 et 564 du code de procédure civile, à la réformation du jugement et demandent à la cour de :
- dire et juger qu'ils sont bien-fondés à solliciter sur le fondement de l'article L.421-1 du code de l'expropriation, la rétrocession des parcelles objet de la demande,
- à titre principal, ordonner la rétrocession des parcelles cadastrées section AE [Cadastre 8] d'une surface de 32.248 m², Section AE [Cadastre 9] d'une surface de 3.858 m², Section AE [Cadastre 10] d'une surface de 8.932 m² pour la surface correspondant à la partie de la parcelle anciennement cadastrée E [Cadastre 12] d'une surface estimée à ce jour à environ 3.600 m², Section AE [Cadastre 2] classée en zone UB et IAUB d'une surface approximative de 10.323 m²,
- à titre subsidiaire, avant-dire-droit, ordonner une expertise afin de déterminer leurs préjudices liés à l'impossibilité de
mettre en oeuvre à leur profit la rétrocession les parcelles concernées, du préjudice résultant de la perte de la plus value sur ces parcelles et du préjudice de jouissance,
- condamner la commune de [Localité 18] au paiement d'une somme de 5.000,00 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 4 avril 2023, la commune de [Localité 18] conclut au visa de l'article L.421-1 du code l'expropriation :
- à titre principal, à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a déclaré l'action des consorts [O] irrecevable pour cause de prescription,
- à titre subsidiaire, au rejet de la demande de rétrocession, à titre principal au motif qu'elle est infondée et à titre subsidiaire, au motif qu'elle est impossible,
- et en tout état de cause, à la condamnation des consorts [Ac] au paiement d'une somme de 3.500,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
Pour l'exposé complet des prétentions et de l'argumentaire des parties, il est expressément renvoyé à leurs dernières écritures susvisées conformément à l'
article 455 du code de procédure civile🏛.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 avril 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la recevabilité de l'action des consorts [O]
L'article L.421-1 du code de l'expropriation dispose :
' Si les immeubles expropriés n'ont pas reçu dans le délai de cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique.'
L'article R.421-6 du même code dispose :
' Le tribunal judiciaire est compétent pour connaître des litiges nés de la mise en oeuvre du droit prévu à l'article L.421-1, lorsque la contestation porte sur le droit du réclamant.
Le recours est introduit, à peine de déchéance, dans le délai de deux mois à compter de la réception de la notification de la décision administrative de rejet.'
Si comme le rappellent les appelants, les articles L.110-1 et L.112-1 du code des relations entre le public et l'administration, désignent comme étant une demande, 'les demandes et réclamations y compris les recours gracieux adressées à l'administration', ceci est sans incidence sur l'interprétation de l'article L.421-1 du code de l'expropriation, qui concerne une demande bien spécifique ne s'apparentant pas à celles, visées de manière générale, par le code des relations entre le public et l'administration.
Par ailleurs et contrairement à ce qu'ils soutiennent, l'article L.421-1 sus-visé n'évoque aucunement la nécessité d'une demande préalable obligatoire, dont il n'est fait état que dans l'article R.421-6.
La demande de rétrocession visée par le premier de ces textes, doit donc s'entendre comme l'assignation en justice, qui doit intervenir dans le délai de trente ans à compter de l'ordonnance d'expropriation.
S'il est exact que les textes applicables en matière d'expropriation sont dérogatoires au droit commun, force est de constater que les textes sus-visés ne mentionnent nullement que la demande préalable au recours judiciaire ferait courir un nouveau délai de deux mois à compter de la réception de la décision administrative de rejet, ce, même au-delà du délai de trente ans, comme le prétendent les appelants.
Le recours visé à l'article R 421-6 doit donc être introduit, à peine de déchéance, dans le délai de deux mois de la notification de la décision administrative de rejet, mais également dans le délai de trente ans visé par l'article L.421-1.
Ce délai ne peut être interrompu par l'envoi d'une lettre recommandée, nonobstant le caractère dérogatoire des règles figurant dans le code de l'expropriation, qui ne comporte aucune disposition en matière d'interruption ou de suspension de la prescription, de telle sorte que ce sont bien les dispositions du code civil qui s'appliquent en la matière, qui ne prévoient pas qu'il puisse s'agir d'une cause d'interruption de la prescription.
Les appelants se prévalant enfin, des dispositions de l'
article 2227 du code civil🏛 qui prévoit que les actions réelles immobilières se prescrivent par trente ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer, soutiennent que leur action n'est pas prescrite puisqu'ils n'ont pu prendre connaissance de l'absence de réalisation du projet d'utilité publique sur l'immeuble exproprié qu'à l'issue de la cinquième année suivant le transfert de propriété.
Ils estiment que retenir que le point de départ de la prescription à compter de l'ordonnance d'expropriation, reviendrait à considérer que le délai de prescription prévu par l'article 2227 du code civil serait de vingt-cinq ans et non de trente ans.
Cependant, l'article L.421-1 du code de l'expropriation qui comporte des dispositions spécifiques, est précisément un texte dérogatoire aux dispositions du code civil, de telle sorte que l'article 2227 de ce code n'a pas vocation à s'appliquer en matière de demande de rétrocession faisant suite à une expropriation.
L'argumentation des consorts [Ac] est donc inopérante sur tous ces points.
L'ordonnance d'expropriation étant en date du 15 mars 1988, il leur appartenait de saisir le tribunal avant le 15 mars 2018, ce qu'ils n'ont pas fait puisque l'assignation a été délivrée à la Commune de [Localité 18], le 27 juin 2018, peu importe donc que leur demande adressée à cette dernière le 26 février 2018, l'ait été peu de temps avant l'expiration du délai de trente ans.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a déclaré irrecevable leur action en rétrocession des parcelles situées à [Localité 18], cadastrées section AE N°[Cadastre 8], [Cadastre 9], [Cadastre 10] et [Cadastre 2] pour cause de prescription.
Sur les frais irrépétibles et les dépens
L'équité commande de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné les consorts [Ac] au paiement d'une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, de les débouter de leur demande à ce titre et de les condamner à payer à la Commune de [Localité 18], une somme de 3.000,00 € sur ce fondement.
Succombant, ils seront condamnés aux dépens d'appel, le jugement étant confirmé s'agissant de leur condamnation aux dépens de première instance.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu en dernier ressort, mis à disposition au greffe,
CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du tribunal judiciaire de Caen du 15 décembre 2020,
Statuant à nouveau et y ajoutant,
CONDAMNE in solidum Madame [M] [Ad] veuve [O] et Messieurs [Z] et [Y] [O] à payer à la Commune de [Localité 18], une somme de 3.000,00 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
DÉBOUTE Madame [M] [Ad] veuve [O] et Messieurs [Z] et [Y] [O] de leur demande d'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
CONDAMNE Madame [M] [Ad] veuve [O] et Messieurs [Z] et [Y] [O] aux dépens.
LE GREFFIER LE PRÉSIDENT
M. COLLET G. GUIGUESSON