ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
Conseil d'Etat
Statuant au contentieux
N° 178564
9 / 8 SSR
MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES
M. Rivet
M Fabre, Rapporteur
M Goulard, Commissaire du gouvernement
Lecture du 26 Janvier 2000
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Vu le recours et le mémoire complémentaire, enregistrés au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat les 7 mars 1996 et 4 juillet 1996, présentés par le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES ; le ministre demande au Conseil d'Etat d'annuler l'arrêt du 28 décembre 1995 par lequel la cour administrative d'appel de Bordeaux a accordé à M Jean-Marc Rivet, demeurant 58, rue Peycheraud, à Brive (19100), la décharge de suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il avait été assujetti au titre de chacune des années 1987, 1988 et 1989 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M Fabre, Conseiller d'Etat,
- les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de M Rivet,
- les conclusions de M Goulard, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 156 du code général des impôts : "L'impôt sur le revenu est établi d'après le montant total du revenu net annuel dont dispose chaque contribuable. Ce revenu net est déterminé sous déduction : II. Des charges ci-après : 2° rentes prévues à l'article 276 du code civil et pensions alimentaires versées en vertu d'une décision de justice, en cas de séparation de corps ou de divorce " ; qu'aux termes de l'article 270 du code civil : " l'un des époux peut être tenu de verser à l'autre une prestation destinée à compenser, autant qu'il est possible, la disparité que la rupture du mariage crée dans les conditions de vie respectives" ; que selon les articles 274 à 275-1 du même code, la prestation compensatoire prend, lorsque la consistance des biens de l'époux débiteur le permet, la forme d'un capital, qui peut, notamment, être constitué par une somme d'argent dont le versement peut être autorisé en trois annuités ou par l'abandon de l'usufruit d'un bien ; qu'enfin, l'article 276 dispose : "A défaut de capital ou si celui-ci n'est pas suffisant, la prestation compensatoire prend la forme d'une rente", laquelle est, selon l'article 276-1, attribuée pour une durée égale ou inférieure à la vie de l'époux créancier, et indexée ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis à la cour administrative d'appel que, par un jugement du 8 septembre 1984, le tribunal de grande instance de Brive a prononcé le divorce de M et Mme Jean-Marc Rivet et, homologuant la convention que lui soumettaient les intéressés en vue du règlement des conséquences de ce divorce, a notamment condamné M Rivet à verser à son ex-épouse, à titre de prestation compensatoire, d'une part, une somme de 30 000 F et, d'autre part, "une somme mensuelle de 5 100 F pendant une durée de quinze ans", étant précisé que cette somme correspondait aux mensualités de remboursement d'un emprunt contracté par Mme Rivet, avec la garantie d'une caution solidaire de M Rivet, pour l'acquisition, effectuée par acte notarié du 29 juin 1983, d'une maison d'habitation, pour son propre compte à concurrence de l'usufruit pendant une durée de près de dix-sept années, et, pour le surplus des droits de propriété, au nom de l'enfant né du mariage en 1982 ; que, par l'arrêt attaqué, la cour administrative d'appel a jugé qu'en application des dispositions précitées de l'article 156-II-2° du code général des impôts, M Rivet avait à bon droit déduit de ses revenus nets annuels déclarés, en tant que "rente prévue à l'article 276 du code civil", le montant des versements par lui effectués à son ex-épouse à raison de la susdite somme mensuelle de 5 100 F, et, en conséquence, a prononcé la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels l'administration l'avait assujetti au titre de chacune des années 1987, 1988 et 1989, du fait de son refus d'admettre cette déduction ;
Considérant, en premier lieu, que, contrairement à ce que soutient le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les faits ci-dessus rapportés, en regardant les sommes litigieuses comme versées par M Rivet à son ex-épouse en exécution du jugement rendu par le tribunal de grande instance de Brive le 8 septembre 1984, et ce, alors même que l'engagement de caution précédemment souscrit par le contribuable en faveur de l'intéressée l'exposait à devoir s'acquitter de sommes identiques envers l'organisme qui avait accordé un prêt à cette dernière ;
Considérant, en deuxième lieu, que les versements litigieux ayant été ordonnés par le juge du divorce à titre de prestation compensatoire, le ministre ne saurait, en tout état de cause, utilement soutenir devant le juge de l'impôt qu'en raison de leurs "finalités", ils n'auraient pas en totalité la nature d'une telle prestation ;
Considérant, en dernier lieu, que, pour déterminer si la prestation compensatoire instituée par le juge du divorce présente le caractère d'un capital, entrant dans les prévisions des articles 274 à 275-1 du code civil, ou celui d'une rente prévue à l'article 276 du même code, il convient de se référer aux modalités selon lesquelles le juge a prescrit au débiteur de s'en acquitter ; que les versements mensuels en l'espèce imposés, pour une durée de quinze années, à M Rivet par le tribunal de grande instance de Brive ne peuvent, contrairement à ce que soutient le ministre, être regardés comme un procédé d'exécution d'un "abandon de bien pour l'usufruit", alors même qu'ils auraient permis à la bénéficiaire de faire face aux charges de remboursement d'un emprunt grâce auquel elle avait acquis auprès d'un tiers un droit d'usufruit ; qu'en jugeant lesdits versements représentatifs d'une prestation compensatoire en forme de rente prévue à l'article 276 du code civil en dépit du fait que leur montant, fixé en considération d'une charge invariable qu'aurait à supporter la bénéficiaire, n'ait pas été indexé par le juge du divorce, la cour administrative d'appel en a fait une qualification juridique exacte ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES n'est pas fondé à soutenir que la cour administrative d'appel aurait fait une inexacte application des dispositions de l'article 156-II-2° du code général des impôts, et à demander l'annulation de l'arrêt attaqué ;
Sur l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant qu'en application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, il y a lieu d'ordonner que l'Etat rembourse à M Rivet, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens, la somme de 16 884 F ;
DECIDE :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'ECONOMIE ET DES FINANCES est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M Rivet, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991, la somme de 16 884 F
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie et à M Jean-Marc Rivet.