CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 21 juin 2023
Cassation
Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président
Arrêt n° 439 F-B
Pourvoi n° W 21-17.077
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 21 JUIN 2023
Mme [L] [K], domiciliée [Adresse 4], a formé le pourvoi n° W 21-17.077 contre deux arrêts rendus les 8 février 2017 (3e chambre B) et 25 mars 2021 (2e chambre de la famille) par la cour d'appel de Montpellier, dans le litige l'opposant :
1°/ à Mme [U] [J], domiciliée [Adresse 2], prise en qualité de représentante légale de son fils mineur [G] [W],
2°/ à M. [Aa] [W], domicilié [… …],
3°/ à M. [A] [W], domicilié [… …],
4°/ à Mme [M] [Ab], épouse [N], domiciliée [Adresse 3],
5°/ à M. [Ac] [W], domicilié [Adresse 1], devenu majeur le 8 mai 2022,
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Agostini, conseiller, les observations de la SCP Claire Leduc et Solange Vigand, avocat de Mme [K], de la SCP Le Bret-Desaché, avocat de Mme [Ad] et de M. [W], après débats en l'audience publique du 16 mai 2023 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Agostini, conseiller rapporteur, Mme Antoine, conseiller, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Reprise d'instance
1. Il est donné acte à M. [Ac] [W], devenu majeur, de sa reprise d'instance en son nom.
Faits et procédure
2. Selon les arrêts attaqués (Montpellier, 8 février 2017 et 25 mars 2021), deux jugements des 7 février 1995 et 4 novembre 1996 ont, pour le premier, prononcé le divorce de Mme [K] et de [B] [W] et, pour le second, homologué leur accord prévoyant le paiement de la prestation compensatoire mise à la charge de l'époux sous la forme d'une rente mensuelle d'un certain montant.
3. Après le décès de celui-ci, survenu le 28 octobre 2012, Mme [Ad], agissant en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs, [V] et [G] [W], issus de ses relations avec [B] [W], a assigné Mme [K], M. [A] [W] et Mme [M] [W], enfants issus du mariage, en suppression de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère, subsidiairement, en diminution de celle-ci ou, très subsidiairement, en sa conversion en capital.
4. M. [V] [W], devenu majeur, est intervenu volontairement à l'instance.
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen
Enoncé du moyen
5. Mme [K] fait grief à l'arrêt du 25 mars 2021 de déclarer recevable la demande de M. [V] [W] et de Mme [Ad], en sa qualité d'administratrice légale sous contrôle judiciaire d'[G], aux fins de suppression ou de diminution du montant de la prestation compensatoire sous forme de rente viagère et, en conséquence, de supprimer celle-ci à compter du décès de [B] [W], alors « qu'en l'absence d'accord de l'ensemble des héritiers pour maintenir les modalités de règlement de la prestation compensatoire sous forme de rente, le décès de l'époux débiteur entraîne de plein droit sa conversion en un capital immédiatement exigible, si bien que l'action en révision ou en suppression de la rente n'est plus ouverte aux héritiers, faute d'objet, sans qu'il y ait lieu de distinguer selon qu'elle a été fixée avant ou après l'entrée en vigueur de la
loi n° 2000-596 du 30 juin 2000🏛 ; qu'en déclarant néanmoins recevable l'action intentée par Mme [U] [J], agissant ès qualités et M. [V] [W], motif pris que la rente litigieuse aurait été fixée sous l'empire du droit antérieur à la
loi du 30 juin 2000🏛 et que resterait en ce cas ouverte aux héritiers l'action en révision ou en suppression de la rente fondée sur l'avantage manifestement excessif que procurerait son maintien, ce nonobstant l'absence de tout accord des héritiers pour maintenir le service de cette rente, la cour d'appel a violé les
articles 280 et 280-1 du code civil🏛🏛, ensemble les
articles 33 VI et 33 X de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 276-3, 280 et 280-1 du code civil🏛 et l'article 33 de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 :
6. Il résulte de la combinaison de l'article 33, VI, de la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 et de l'article 276-3 du code civil, issu de cette loi, que la révision des rentes viagères attribuées à titre de prestation compensatoire avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2000-596 du 30 juin 2000, qu'elles aient été fixées par le juge ou par convention des époux, peut être demandée par le débiteur ou ses héritiers, soit lorsque leur maintien procure au créancier un avantage manifestement excessif au regard des critères définis à l'
article 276 du code civil🏛, soit en cas de changement important dans les ressources ou les besoins de l'une ou l'autre des parties.
7. Selon l'article 33, X, de la loi précitée, les dispositions des articles 280 et 280-1 du code civil, issus de la même loi, sont applicables aux prestations compensatoires allouées avant son entrée en vigueur, le 1er janvier 2005, sauf lorsque la succession du débiteur a donné lieu à un partage définitif à cette date.
8. Selon l'article 280 du code civil, à la mort de l'époux débiteur, le paiement de la prestation compensatoire, quelle que soit sa forme, est prélevé sur la succession. Le paiement est supporté par tous les héritiers, qui n'y sont pas tenus personnellement, dans la limite de l'actif successoral. Lorsque la prestation compensatoire a été fixée sous forme de rente, il lui est substitué un capital immédiatement exigible.
9. Selon l'article 280-1 du même code, par dérogation à l'article 280, les héritiers peuvent décider ensemble de maintenir les formes et modalités de règlement de la prestation compensatoire qui incombaient à l'époux débiteur, en s'obligeant personnellement au paiement de cette prestation. A peine de nullité, l'accord est constaté par un acte notarié. Il est opposable aux tiers à compter de sa notification à l'époux créancier lorsque celui-ci n'est pas intervenu à l'acte.
10. Pour supprimer la prestation compensatoire versée sous forme de rente à Mme [K], l'arrêt retient que les
articles 280 à 280-2 du code civil🏛 sont applicables aux prestations compensatoires allouées avant l'entrée en vigueur de la
loi du 26 mai 2004🏛 en l'absence de partage définitif intervenu entre les différents héritiers, sauf en ce qui concerne la révision, suspension ou suppression des prestations compensatoires sous forme de rente viagère fixées par le juge ou par convention avant l'entrée en vigueur de la loi du 30 juin 2000.
11. En statuant ainsi, alors que les articles 280 et 280-1 du code civil étaient applicables à la prestation compensatoire allouée sous forme de rente avant le 1er juillet 2000, de sorte qu'en l'absence d'accord des héritiers de [B] [W] pour maintenir les modalités de règlement de la prestation compensatoire sous forme de rente, celle-ci était capitalisée en raison du décès du débiteur, ce dont il se déduisait que l'action en révision engagée par Mme [Ad], agissant en qualité de représentante légale de ses enfants alors mineurs, [G] et [V] [W], et reprise par ceux-ci, était irrecevable, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
Portée et conséquences de la cassation
12. Après avis donné aux parties, conformément à l'
article 1015 du code de procédure civile🏛, il est fait application des
articles L. 411-3, alinéa 1er, du code de l'organisation judiciaire🏛 et 627 du code de procédure civile.
13. La cassation prononcée n'implique pas, en effet, qu'il soit à nouveau statué sur le fond du chef de la révision de la rente attribuée à titre de prestation compensatoire.
14. En application de l'
article 625, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, la cassation de l'arrêt du 25 mars 2021 entraîne, par voie de conséquence, celle de l'arrêt du 8 février 2017, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus les 8 février 2017 et 25 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Montpellier ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi du chef de la révision de la rente attribuée à titre de prestation compensatoire ;
DECLARE irrecevable l'action en révision de la rente attribuée à titre de prestation compensatoire servie à Mme [K] engagée par Mme [Ad], agissant en qualité de représentante légale de ses enfants alors mineurs, [V] et [G] [W], et reprise par ceux-ci ;
Renvoie la cause et les parties devant la cour d'appel de Montpellier autrement composée pour qu'elle statue sur leur demande subsidiaire de conversion de la rente en capital ;
Condamne M. [V] [W] et M. [Ac] [W] aux dépens, en ce compris ceux exposés devant la cour d'appel et les frais d'expertise ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par M. [V] [W] et M. [G] [W] et les condamne à payer à Mme [K] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un juin deux mille vingt-trois.