Jurisprudence : CE 9/10 ch.-r., 16-06-2023, n° 468841

CE 9/10 ch.-r., 16-06-2023, n° 468841

A204293Z

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:468841.20230616

Identifiant Legifrance : CETATEXT000047693559

Référence

CE 9/10 ch.-r., 16-06-2023, n° 468841. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/96917088-ce-910-chr-16062023-n-468841
Copier


CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 468841

Séance du 31 mai 2023

Lecture du 16 juin 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 10ème et 9ème chambres réunies)


Vu les procédures suivantes :

Mme D C a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Mayotte d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative🏛, la suspension de l'arrêté du 27 août 2015 par lequel le maire de Mamoudzou a accordé à M. A B un permis de construire en vue de l'édification d'un immeuble de type R+3 comportant trois logements de type T3 et un local de bureau d'une surface de plancher de 292,82 m², jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision.

Par une ordonnance n° 2204733 du 26 octobre 2022, le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte a suspendu l'exécution de l'arrêté du 25 août 2015, modifié le 15 décembre 2016 et prorogé le 17 janvier 2019 et a enjoint au maire de Mamoudzou, agissant en qualité d'agent de l'Etat, de faire dresser un procès-verbal des travaux exécutés par M. A et de prescrire leur interruption.

1° Sous le numéro 468841, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et un mémoire en réplique, enregistrés les 10 et 25 novembre 2022 et le 21 avril 2023 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler cette ordonnance ;

2°) de mettre à la charge de Mme C la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

2° Sous le numéro 468846, par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les 10 et 25 novembre 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, la commune de Mamoudzou demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance du 26 octobre 2022 du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte ;

2°) de mettre à la charge de Mme D C la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. David Moreau, maître des requêtes,

- les conclusions de Mme Esther de Moustier, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SAS Boulloche, Colin, Stoclet et Associés, avocat de M. B, à la SCP Boré, Salve de Bruneton, Mégret, avocat de Mme C et à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de la commune de Mamoudzou ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A et la commune de Mamoudzou demandent l'annulation de l'ordonnance du 26 octobre 2022 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte, saisi sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative par Mme C, d'une part, a ordonné la suspension de l'arrêté du 27 août 2015 par lequel le maire Mamoudzou a accordé à M. A un permis de construire en vue de l'édification d'un immeuble comportant trois logements et un local de bureau, ainsi que celle du permis modificatif du 15 décembre 2016 et de l'arrêté de prorogation du 17 janvier 2019, et, d'autre part, a enjoint au maire de Mamoudzou de faire dresser un procès-verbal des travaux exécutés par M. A et de prescrire l'interruption des travaux dans un délai de 48 heures, sous astreinte de 300 euros par jour de retard.

2. Les pourvois de M. A et de la commune de Mamoudzou sont dirigés contre la même ordonnance. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

Sur la recevabilité des conclusions de première instance à fin d'annulation du permis de construire :

3. Aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme🏛 : " Le délai de recours contentieux à l'encontre () d'un permis de construire () court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 ". Aux termes de l'article R. 424-15 de ce code : " Mention du permis explicite ou tacite () doit être affichée sur le terrain, de manière visible de l'extérieur, par les soins de son bénéficiaire, dès la notification de l'arrêté ou dès la date à laquelle le permis tacite () est acquis et pendant toute la durée du chantier. () / () / Un arrêté du ministre chargé de l'urbanisme règle le contenu et les formes de l'affichage ". Aux termes de son article A. 424-15 : " L'affichage sur le terrain du permis de construire, d'aménager ou de démolir explicite ou tacite ou l'affichage de la déclaration préalable, prévu par l'article R. 424-15, est assuré par les soins du bénéficiaire du permis ou du déclarant sur un panneau rectangulaire dont les dimensions sont supérieures à 80 centimètres. ". Selon l'article A. 424-16 du même code🏛 : " Le panneau prévu à l'article A. 424-15 indique le nom, la raison sociale ou la dénomination sociale du bénéficiaire, le nom de l'architecte auteur du projet architectural, la date de délivrance, le numéro du permis, la nature du projet et la superficie du terrain ainsi que l'adresse de la mairie où le dossier peut être consulté. / Il indique également, en fonction de la nature du projet : / a) Si le projet prévoit des constructions, la surface de plancher autorisée ainsi que la hauteur de la ou des constructions, exprimée en mètres par rapport au sol naturel ; / () / d) Si le projet prévoit des démolitions, la surface du ou des bâtiments à démolir. ". L'article A. 424-18 du code ajoute : " Le panneau d'affichage doit être installé de telle sorte que les renseignements qu'il contient demeurent lisibles de la voie publique ou des espaces ouverts au public pendant toute la durée du chantier ".

4. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contesté indéfiniment par les tiers un permis de construire, une décision de non-opposition à une déclaration préalable, un permis d'aménager ou un permis de démolir. Dans le cas où l'affichage du permis ou de la déclaration, par ailleurs conforme aux prescriptions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme🏛, n'a pas fait courir le délai de recours de deux mois prévu à l'article R. 600-2 du même code, faute de mentionner ce délai conformément à l'article A. 424-17 de ce code🏛, un recours contentieux doit néanmoins, pour être recevable, être présenté dans un délai raisonnable à compter du premier jour de la période continue de deux mois d'affichage sur le terrain. En règle générale et sauf circonstance particulière dont se prévaudrait le requérant, un délai excédant un an ne peut être regardé comme raisonnable.

5. Le juge des référés a relevé par une appréciation souveraine exempte de dénaturation que si le pétitionnaire a produit, d'une part, deux attestations en date des 11 et 12 septembre 2022, établies par des entreprises ayant eu à intervenir sur le chantier, indiquant que l'autorisation de construire en litige était affichée en février 2019 et en mars 2019, soit trois ans auparavant, et d'autre part, un certificat intitulé rapport de visite rédigé le 4 juillet 2019 par agent de la direction de l'environnement, d'aménagement et du logement de Mayotte, " en tournée d'inspection du domaine public maritime ", rapportant avoir vu l'affichage du permis de construire sur le terrain de M. A, il n'en résultait ni que cet affichage aurait été réalisé dès le 27 août 2015, puis le 16 décembre 2016 et le 17 janvier 2019, ni que cet affichage aurait été continu pendant une période de deux mois. Il s'ensuit qu'il n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, pour écarter le moyen tiré de la tardiveté de la requête de Mme C tendant à l'annulation du permis de construire initial, que, dans ces circonstances, aucun délai raisonnable de recours n'avait pu commencer à courir.

Sur la suspension du permis initial délivré le 27 août 2015 :

6. Pour ordonner la suspension de l'exécution du permis de construire délivré à M. A le 27 août 2015, le juge des référés a, en application des dispositions de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme🏛, désigné quatre moyens lui paraissant susceptibles, en l'état de l'instruction, d'entraîner l'annulation de cette décision, tirés de la méconnaissance des articles UA 7, UA 12 et UA 13 du plan local d'urbanisme de Mamoudzou et de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme🏛.

7. En premier lieu, aux termes de l'article UA 7 du plan local d'urbanisme de Mamoudzou : " Toute nouvelle construction doit s'aligner sur les limites séparatives latérales ou observer un recul minimal de 2 m sur une des limites séparatives latérales. Toute nouvelle construction doit s'implanter à l'alignement ou observer un recul minimal de 2 m de la limite de fond de la parcelle ". Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, et notamment du plan de masse, que, si la construction ne suit pas la limite latérale gauche du terrain, elle en est éloignée en tous points d'une distance supérieure à 2 mètres. Par suite, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier en estimant que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article UA 7 du plan local d'urbanisme était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité du permis de construire litigieux.

8. En deuxième lieu, aux termes de l'article UA 13 du plan local d'urbanisme de Mamoudzou : " Au moins 10 % de la superficie de la parcelle doit être maintenu en pleine terre et planté afin de préserver les cours et jardins ". Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés, et notamment du plan de coupe joint à la requête de Mme C, que la réalisation d'un jardin est prévue dans la bande séparant la façade sud-ouest de la limite séparative, dont la surface excède 10 % de la surface totale de la parcelle. Par suite, et alors que Mme C se bornait à soutenir que le projet de construction ne comportait aucune indication sur les cours et jardins, le juge des référés a entaché sa décision de dénaturation des pièces du dossier en regardant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article UA 13 du plan local d'urbanisme comme étant propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité du permis de construire litigieux.

9. En troisième lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations ". Il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que le pétitionnaire avait joint à son dossier de demande une étude géotechnique concluant à la possibilité de construire le projet envisagé sous réserve du respect de certaines prescriptions pour prévenir les risques de glissement de terrain et que le permis de construire, qui lui a été délivré le 27 août 2015, lui imposait le respect de ces prescriptions en faisant expressément référence à l'étude jointe au dossier de demande. Par suite, et alors que Mme C se bornait à soutenir que l'arrêté contesté ne précisait pas la nature des prescriptions à mettre en œuvre, le juge des référés a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux sur la légalité du permis de construire litigieux.

10. En dernier lieu, cependant, aux termes de l'article UA 12 du plan local d'urbanisme de Mamoudzou relatif aux places de stationnement : " Il est exigé de réaliser sur la parcelle une place par logement à partir d'une construction individuelle comportant 3 logements ". En jugeant que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article UA 12 du plan local d'urbanisme était propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité du permis contesté, le juge a porté une appréciation souveraine exempte de dénaturation dès lors qu'il ne ressort d'aucune pièce du dossier soumis à ce juge que le permis de construire litigieux, qui prévoit la construction de trois logements, comprendrait la création de trois places de stationnement.

11. Le motif mentionné au point précédent suffit à justifier la suspension de l'exécution du permis de construire délivré à M. A le 27 août 2015. Par suite, les conclusions de M. A et de la commune de Mamoudzou tendant à l'annulation de l'ordonnance attaquée en tant qu'elle a suspendu l'exécution de ce permis doivent être rejetées.

Sur la suspension de l'exécution du permis modificatif du 15 décembre 2016 et de l'arrêté de prorogation du 17 janvier 2019 :

12. Si l'annulation ou la suspension d'un permis de construire interdit la mise en œuvre des éventuels permis modificatifs, mesures de régularisation ou décisions de prorogation intervenues ultérieurement, leur annulation ou suspension par voie de conséquence ne peut être prononcée par le juge que s'il est saisi de conclusions en ce sens. Il s'ensuit qu'en ordonnant la suspension du permis modificatif et de l'arrêté de prorogation du permis initial délivrés à M. A respectivement les 15 décembre 2016 et 17 janvier 2019 alors que Mme C ne l'avait saisi d'aucune conclusion en ce sens, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens dirigés contre cette partie de l'ordonnance, M. A est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance qu'il attaque en tant qu'elle a prononcé la suspension de l'exécution du permis modificatif et de l'arrêté de prorogation dont il a bénéficié.

13. Aucune question ne reste à juger sur ce point. Il n'y a lieu, dès lors, ni de statuer au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative🏛, ni de renvoyer l'affaire devant le juge des référés du tribunal administratif.

Sur l'injonction adressée au maire de Mamoudzou de prescrire l'interruption des travaux sur le fondement de l'article L. 480-2 du code de l'urbanisme🏛 :

14. Aux termes de l'article L. 480-2 code urbanisme : " () Dans le cas de constructions sans permis de construire ou d'aménagement sans permis d'aménager, ou de constructions ou d'aménagement poursuivis malgré une décision de la juridiction administrative suspendant le permis de construire ou le permis d'aménager, le maire prescrira par arrêté l'interruption des travaux ainsi que, le cas échéant, l'exécution, aux frais du constructeur, des mesures nécessaires à la sécurité des personnes ou des biens ; copie de l'arrêté du maire est transmise sans délai au ministère public ". Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que le juge administratif ne peut être saisi d'une demande tendant à leur application que dans les hypothèses où des travaux ont été réalisés sans autorisation ou se sont poursuivis malgré l'intervention d'une première décision de la juridiction administrative suspendant l'exécution du permis de construire ou d'aménager. Il s'ensuit qu'en ordonnant au maire de Mamoudzou de prescrire l'interruption des travaux dans la décision par laquelle il a ordonné la suspension du permis de construire accordé à M. A, le juge des référés a commis une erreur de droit. Les requérants sont dès lors fondés à demander l'annulation de l'article 2 de l'ordonnance qu'ils attaquent.

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de régler, dans cette mesure, l'affaire en référé en application des dispositions de l'article L. 821-2 du code de justice administrative.

16. Il résulte de ce qui a été dit au point 14 que les conclusions présentées par Mme C devant le juge des référés du tribunal administratif tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de Mamoudzou de prescrire l'interruption des travaux sous peine d'astreinte doivent être rejetées.

Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : L'article 1er de l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Mayotte du 26 octobre 2022 en tant qu'il ordonne la suspension du permis modificatif du 15 décembre 2016 et de l'arrêté de prorogation du 17 janvier 2019 et son article 2 sont annulés.

Article 2 : Les conclusions présentées par Mme C devant le juge des référés du tribunal administratif de Mayotte tendant à ce qu'il soit enjoint au maire de Mamoudzou de prescrire l'interruption des travaux sont rejetées.

Article 3 : Le surplus des conclusions des pourvois de M. A et de la commune de Mamoudzou est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de Mme C présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. A B, à la commune de Mamoudzou et à Mme D C.

Délibéré à l'issue de la séance du 31 mai 2023 où siégeaient : M. Rémy Schwartz, président adjoint de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M. Nicolas Polge M. Vincent Daumas, Mme Rozen Noguellou, conseillers d'Etat et M. David Moreau, maître des requêtes-rapporteur.

Rendu le 16 juin 2023.

Le président :

Signé : M. Rémy Schwartz

Le rapporteur :

Signé : M. David Moreau

La secrétaire :

Signé : Mme Claudine Ramalahanoharana

Nos 468841, 468846

Agir sur cette sélection :

Cookies juridiques

Considérant en premier lieu que le site requiert le consentement de l'utilisateur pour l'usage des cookies; Considérant en second lieu qu'une navigation sans cookies, c'est comme naviguer sans boussole; Considérant enfin que lesdits cookies n'ont d'autre utilité que l'optimisation de votre expérience en ligne; Par ces motifs, la Cour vous invite à les autoriser pour votre propre confort en ligne.

En savoir plus