MOTIFS
- Sur la péremption
En l'espèce, l'Urssaf soutient, sur le fondement de l'
article 386 du code de procédure civile🏛, que l'instance d'appel est périmée aux motifs que la déclaration d'appel date du 27 février 2020 et qu'aucune diligence n'a été accomplie par la société avant qu'elle ne notifie ses conclusions le 13 janvier 2023, soit pratiquement trois ans après avoir fait appel.
L'article 386 du code de procédure civile dispose que l'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans.
Le point de départ du délai de péremption est en principe fixé au jour de la saisine de la juridiction.
En appel, il est fixé au jour de la déclaration d'appel, en l'espèce, le 27 février 2020.
Dans les procédures orales, les parties n'ont pas d'autres diligences à accomplir que de demander la fixation de l'affaire.
Cependant, le fait d'imposer à une partie, de solliciter la fixation de l'affaire dans le but d'interrompre le délai de péremption constitue une charge procédurale excessive de nature à la priver de son droit d'accès au juge au sens de l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En conséquence, lorsque les actes de convocation incombent au greffe, le point de départ du délai est fixé au jour où ces diligences sont accomplies.
En effet, la péremption d'instance n'est pas acquise dès lors que la partie à laquelle on l'oppose ne disposait d'aucun moyen pour faire progresser la procédure.
En l'espèce, c'est le 4 avril 2022 que le greffe a adressé aux parties les lettres de convocation pour l'audience du 24 octobre 2022 (audience à laquelle l'affaire a été renvoyée contradictoirement à l'audience du 3 avril 2023).
En conséquence, le délai de péremption de l'instance n'a commencé à courir qu'à compter du 4 avril 2022.
L'exception de péremption sera donc rejetée.
- Sur l'existence du travail dissimulé
L'
article L 8221-5 du code du travail🏛 dispose 'qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :
1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;
2° Soit de se soustraire intentionnellement à la délivrance d'un bulletin de paie ou d'un document équivalent défini par voie réglementaire, ou de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie ;
3° Soit de se soustraire intentionnellement aux déclarations relatives aux salaires ou aux cotisations sociales assises sur ceux-ci auprès des organismes de recouvrement des contributions et cotisations sociales ou de l'administration fiscale en vertu des dispositions légales.'
L'
article L 1221-10 du code du travail🏛 dispose que 'l'embauche d'un salarié ne peut intervenir qu'après déclaration nominative accomplie par l'employeur auprès des organismes de protection sociale désignés à cet effet. L'employeur accomplit cette déclaration dans tous les lieux de travail où sont employés des salariés'.
En l'espèce, il résulte de la lettre d'observations que lors d'un contrôle inopiné, les services de l'Urssaf ont constaté le 23 avril 2016 à 00 H 30 que Mme [U] [B] était occupée au service bar/salle, c'est à dire qu'elle était en 'situation de travail'.
Elle a expliqué avoir été embauchée 'en extra le soir même à 22 heures' par la société.
Convoqué ultérieurement, le gérant de la société, M. [N], a précisé qu'il avait recruté Mme [U] le jour même, dans la précipitation sans l'avoir préalablement déclarée et que son comptable lui avait conseillé de ne pas déclarer un salarié en période d'essai. Il a précisé avoir régularisé la situation en effectuant la déclaration obligatoire le 23 avril 2016 à 14 heures 11.
La société produit un contrat de travail intitulé 'contrat extras' passé entre la société et Mme [U] le 22 avril 2016 à 22 heures ainsi qu'un bulletin de paie du mois d'avril 2016 portant sur huit heures de travail.
Il est ainsi établi que Mme [U] a été embauchée par la société en qualité de salariée et qu'elle était en situation de travail le 23 avril 2016 à 0 H 30.
Or, il est établi que la déclaration à l'embauche n'a été faite que le 23 avril 2016 à 14 heures 11.
La société s'est donc soustraite à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221- 10 du code du travail, c'est à dire la formalité de déclaration préalable à l'embauche de Mme [U].
La société affirme qu'aucune intention frauduleuse n'est caractérisée de telle sorte que le redressement est infondé.
Elle soutient notamment qu'elle n'a pas pu procéder à la déclaration préalable à l'embauche car le gérant a dû prendre la décision d'avoir recours à Mme [U] en urgence en raison de l'absence imprévue d'un de ses salariés et qu'il ne disposait ni d'ordinateur, ni de connexion internet sur son lieu de travail.
Toutefois, la société ne produit aucune pièce démontrant qu'elle était dans l'impossibilité de procéder à la déclaration préalable à l'embauche comme elle le soutient.
En outre, s'il procède du constat d'infraction de travail dissimulé par dissimulation d'emploi, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à cet emploi, sans qu'il soit nécessaire d'établir l'intention frauduleuse de l'employeur.
Dans le cas présent, le redressement a pour objet exclusif le recouvrement des cotisations afférentes à l'emploi de Mme [U] de telle sorte que l'Urssaf n'a pas à démontrer l'existence d'une intention frauduleuse de l'employeur.
En conclusion, l'Urssaf rapporte la preuve d'une situation de travail dissimulé au sens des dispositions de l'article L. 8221-5 du code du travail justifiant un rappel de cotisations et contributions.
- Sur le montant du redressement
L'
article L 242-1-2 du code de la sécurité sociale🏛 dispose que 'pour le calcul des cotisations et contributions de sécurité sociale et par dérogation à l'article L. 242-1, les rémunérations qui ont été versées ou qui sont dues à un salarié en contrepartie d'un travail dissimulé au sens des
articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail🏛 sont, à défaut de preuve contraire en termes de durée effective d'emploi et de rémunération versée, évaluées forfaitairement à 25 % du plafond annuel défini à l'article L. 241-3 du présent code en vigueur au moment du constat du délit de travail dissimulé. Ces rémunérations sont soumises à l'article L. 242-1-1 du présent code et sont réputées avoir été versées au cours du mois où le délit de travail dissimulé est constaté.'
Le plafond annuel de la sécurité sociale en vigueur en 2016 s'élevait à 38 616 euros.
En outre, l'
article L 243-7-7 du code de la sécurité sociale🏛 ajoute que le montant du redressement des cotisations et contributions sociales mis en recouvrement à l'issue d'un contrôle réalisé en application de l'article L. 243-7 est majoré de 25 % en cas de constat de l'infraction définie aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5 du code du travail.
En l'espèce, la société prétend que Mme [U] a travaillé précisément pendant huit heures, de telle sorte que le redressement devrait être calculé sur la base d'une rémunération globale égale à 65,23 euros (soit 9,67 euros bruts par heure).
Pour en justifier, la société produit un contrat intitulé 'contrat extras' signé par Mme [U] stipulant une durée de travail d'un jour le 22 avril 2016 à compter de 22 heures ainsi qu'un bulletin de paie afférent portant sur un salaire de 65,23 euros nets à payer (pour huit heures de travail).
La société verse en outre aux débats plusieurs déclarations écrites :
- M. [Ab] salarié de la société [6] déclare avoir informé son employeur le 22 avril 2016 en fin d'après-midi qu'il ne pourrait pas assurer le service pour la soirée pour des raisons personnelles
- Mme [U] indique que M. [Aa] l'a appelée en urgence le 22 avril 2016 car un serveur était absent afin qu'elle réalise un 'extra' et précise qu'elle venait travailler au sein de cet établissement pour la première fois
- le directeur du restaurant, '[5]' indique que M. [Aa] est venu faire des photocopies de pièces d'identité le '22 avril aux alentours de 22 heures'
- le gérant du restaurant, [7], précise que Mme [U] est embauchée par cet établissement, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps plein depuis le 1er avril 2015.
Ces déclarations écrites ne précisent pas les horaires de travail de Mme [U] au sein de la société [6], ni son salaire.
En outre, elles ne sont pas conforme aux
articles 201 et 202 du code de procédure civile🏛🏛. Notamment, il n'est pas fait mention que des sanctions pénales sont encourues en cas de fausses déclarations.
Par ailleurs, le contrat de travail qualifié 'contrat extras' fait seulement état d'une embauche pour une vacation d'un jour sans préciser le nombre d'heures de travail. Ce document ne précise pas non plus le salaire horaire de la salariée. En outre, il n'est pas démontré que ce contrat a été présenté lors du contrôle de telle sorte qu'il a pu être établi a posteriori. Enfin, lors de son audition, le gérant a précisé que son comptable lui avait conseillé de ne pas déclarer un salarié en période d'essai ce qui n'est pas compatible avec les mentions du contrat de travail versé aux débats qui se rapportent à un 'extra' d'une journée.
Le seul document mentionnant le nombre d'heures de travail de la salariée et le salaire horaire afférent est constitué par le bulletin de paie.
Or, il s'agit d'un document établi unilatéralement par l'employeur postérieurement au contrôle et qui n'a donc aucune valeur probante.
Compte tenu de ces observations, les éléments fournis par la société ne permettent pas de déterminer les heures de travail exactes de Mme [U] ainsi que le montant des rémunérations versées ou dues à cette dernière en contrepartie du travail fourni.
L'Urssaf était donc bien fondée à procéder à un redressement forfaitaire de 5 200 euros au titre des cotisations et contributions d'avril 2016, sur la base d'une assiette de 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit 9654 euros (38 616 euros x 25 %) et ce conformément aux calculs rappelés dans la lettre d'observations (qui ne sont pas contestés).
De même, c'est à juste titre que l'Urssaf a appliqué sur le montant des cotisations dues, une majoration de 25 % conformément à l'article L 243-7-7 du code de la sécurité sociale.
Le montant de la majoration pour travail dissimulé est donc de 1300 euros (soit 25 % de 5200 euros).
Par ailleurs, le redressement opéré entraîne l'annulation des réductions Fillon pour le mois d'avril 2016. Le calcul de l'Urssaf sur ce point n'est pas contesté.
La somme de 188 euros sera retenue à ce titre.
Enfin, le calcul des majorations de retard opéré par l'Urssaf n'est pas contesté par la société.
La somme de 312 euros sera donc retenue au titre des majorations de retard.
Il en résulte que la mise en demeure du 8 mars 2017 est bien-fondée en totalité, à hauteur de la somme globale de 7 000 euros (5200 euros + 1300 euros + 188 euros + 312 euros = 7 000 euros).
En conséquence, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a :
- débouté la société de ses demandes
- confirmé la décision de la commission de recours amiable du 5 juillet 2017
- condamné la société à payer à l'Urssaf la somme de 7000 euros sans préjudice des majorations de retard restant à courir jusqu'au paiement de l'intégralité des cotisations.
- Sur les dépens et frais irrépétibles
Compte tenu de la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 19 janvier 2023 ayant rejeté la demande d'aide juridictionnelle de M. [Ac] [N], il convient de rejeter sa demande d'aide juridictionnelle provisoire.
Le jugement étant confirmé sur le principal, il sera aussi confirmé sur les dépens et frais irrépétibles.
Succombant, la société [6] sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande au titre des frais irrépétibles.
Il est équitable de la condamner en outre à payer à l'Urssaf la somme de 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.