SOC.
BD4
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er juin 2023
Cassation partielle
M. SOMMER, président
Arrêt n° 650 FS-B
Pourvoi n° M 21-23.393
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER JUIN 2023
La société CRM08, société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° M 21-23.393 contre le jugement rendu le 5 octobre 2021 par le président du tribunal judiciaire de Mâcon, statuant selon la procédure accélérée au fond, dans le litige l'opposant à la société [J], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Bouvier, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Aa et Rebeyrol, avocat de la société CRM08, de la SCP Boutet et Hourdeaux, avocat de la société [J], et l'avis de Mme Roques, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 19 avril 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Bouvier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Ab, Mmes Ac, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Roques, avocat général référendaire, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (président du tribunal judiciaire de Mâcon, 5 octobre 2021), statuant selon la procédure accélérée au fond, la société CRM08 (la société), qui développe une activité de centre d'appel, est une filiale du groupe Comdata Holdings France, qui fait partie du groupe Ad.
2. Le comité social et économique de la société (le comité) a décidé, par délibération du 4 juin 2021, du recours à une expertise comptable en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise au titre de l'année 2020 et a désigné la société [J] pour l'assister.
3. Par lettre du 14 juin 2021, la société [J] a adressé sa lettre de mission au président du comité, prévoyant une durée de quatorze jours pour un montant total de 21 000 euros HT.
4. Par acte du 23 juin 2021, la société a saisi le président du tribunal judiciaire afin que la mission soit limitée à la situation économique et financière de la seule société au cours des années 2019, 2020 et 2021 et que soient réduits en conséquence la durée de la mission et le coût prévisionnel de l'expertise.
Examen du moyen
Sur le moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
5. La société fait grief au jugement de la débouter de ses demandes tendant à constater que l'étendue de la mission décrite par la société [J] au sein de sa lettre de mission dépassait le cadre du recours à l'expertise prévue par la loi, à limiter la mission de l'expert [J] à la situation économique et financière de la société au cours des années 2019, 2020 et 2021, à constater que la durée de l'expertise et le coût prévisionnel étaient excessifs, à réduire la durée de la mission de l'expert à 4 jours au lieu de 14, et à réduire le coût prévisionnel de l'expertise à la somme de 6 000 euros HT, alors « qu'aux termes de l'
article L. 2312-17 du code du travail🏛 dans sa rédaction issue de l'
ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017🏛, ''le comité social et économique est consulté dans les conditions définies à la présente section sur (...) 2° la situation économique et financière de l'entreprise'' ; que l'
article L. 2315-88 du même code🏛, dans sa rédaction issue de l'
ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017🏛, énonce que ''le comité social et économique peut décider de recourir à un expert-comptable en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise prévue au 2° de l'article L. 2312-17'' ; que selon l'
article L. 2315-89 du code du travail🏛, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, ''la mission de l'expert-comptable porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise'' ; que la mission de l'expert-comptable désigné par le CSE pour l'assister dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise doit donc être circonscrite au périmètre de cette entreprise et ne peut s'étendre à tout ou partie du groupe auquel elle appartient ; qu'en l'espèce, il résulte du jugement attaqué que la lettre de mission établie par la société [J] du 14 juin 2021 pour la mission d'expertise ordonnée par le CSE de la société dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise précisait notamment qu'elle traiterait de la situation du groupe Comdata et du groupe Comdata en France ainsi que de la situation de la société CRM08 au sein du groupe ; qu'il en résultait que la mission telle que définie par l'expert incluait la situation du groupe et des entreprises françaises de celui-ci, dépassant donc les limites prévues par la loi et celles de l'expertise telle qu'ordonnée par le CSE lui-même, qui n'évoquait que la situation de l'entreprise ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande tendant à voir limiter la mission de l'expert [J] à la situation économique et financière de la société CRM08 et en conséquence à voir réduire la durée de la mission de l'expert et son coût prévisionnel, d'une part, que la mission de l'expert-comptable pouvait être étendue à la sous-traitance ou encore à l'insertion de ladite entreprise et à son rôle dans un groupe, et d'autre part, qu'en l'espèce, il n'était pas caractérisé que l'étendue de l'expertise indiquée par la société [J] excédait le champ de la consultation relative à la situation économique et financière de la société, le tribunal a violé les textes susvisés. »
Réponse de la Cour
6. Selon l'article L. 2315-88 du code du travail, le comité social et économique peut décider de recourir à un expert-comptable en vue de la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise prévue au 2° de l'article L. 2312-17.
7. Aux termes de l'article L. 2315-89 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, la mission de l'expert-comptable porte sur tous les éléments d'ordre économique, financier ou social nécessaires à la compréhension des comptes et à l'appréciation de la situation de l'entreprise.
8. Selon l'
article L. 2315-90 du code du travail🏛, pour opérer toute vérification ou tout contrôle entrant dans l'exercice de ses missions, l'expert-comptable a accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l'entreprise.
9. Aux termes de l'
article L. 823-14, 1er alinéa, du code de commerce🏛, les investigations prévues à l'article L. 823-13 peuvent être faites tant auprès de la personne ou de l'entité dont les commissaires aux comptes sont chargés de certifier les comptes que des personnes ou entités qui la contrôlent ou qui sont contrôlées par elle au sens des I et II et de l'article L. 233-3. Elles peuvent également être faites, pour l'application du deuxième alinéa de l'article L. 823-9, auprès de l'ensemble des personnes ou entités comprises dans la consolidation.
10. En conséquence, le président du tribunal judiciaire a exactement décidé que la mission d'expertise pour l'examen de la situation économique et financière de l'entreprise pouvait porter sur la situation et le rôle de cette entreprise au sein d'un groupe, de sorte qu'en l'espèce, la lettre de mission, en ce qu'elle précisait que l'expert-comptable traitera en particulier de la situation du groupe Comdata et de la situation de la société CRM08 au sein du groupe, n'excédait pas le champ de l'expertise.
11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
Mais sur le moyen, pris en sa deuxième branche
Enoncé du moyen
12. La société fait le même grief au jugement, alors « que la mission de l'expert désigné pour assister le comité dans la consultation sur la situation économique et financière de l'entreprise ne peut s'inscrire que dans la limite temporelle définie par le code du travail pour les documents devant être mis à disposition dans la base de données économiques et sociales, à savoir, en vertu de l'
article R. 2312-10 du code du travail🏛, l'année en cours et les deux années précédentes ; que lorsque l'expert sollicite pour accomplir sa mission des documents antérieurs à cette période, le président du tribunal judiciaire saisi sur le fondement de l'
article L. 2315-86, 3° du code du travail🏛🏛 doit limiter l'étendue de la mission temporellement à l'année en cours et aux deux années précédentes ; qu'en l'espèce, la société soulignait qu'il résultait de la lettre de ''première demande d'information'' adressée par la société [J] le 7 juin 2021 – liste des documents demandés pour réaliser sa mission, figurant également en annexe à la lettre de mission du 14 juin 2021 - qu'elle entendait étendre sa mission sur les cinq derniers exercices ; qu'en énonçant, pour rejeter la demande tendant à voir limiter la mission de l'expert à la situation économique et financière de la société au cours des années 2019, 2020 et 2021, et en conséquence à voir réduire la durée de la mission de l'expert et son coût prévisionnel, que la référence à l'article R. 2312-10 du code du travail fixant une limite temporelle aux investigations de l'expert pour les informations qu'il demande était en lien non pas avec la question de l'étendue de la mission, mais directement avec celles des pièces et informations communicables et qu'aucune limitation de l'étendue de la mission fût-elle temporelle ne pouvait être prononcée sur ce fondement, le tribunal a violé l'article R. 2312-10 du code du travail, ensemble l'article L. 2315-86, 3° du même code dans sa rédaction issue de l'
ordonnance n° 2019-738 du 17 juillet 2019🏛, l'article L. 2315-88 du même code du travail dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1718 du 20 décembre 2017, et l'article L. 2315-89 du même code dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles L. 2312-18, L. 2312-25, L. 2312-36 et R. 2312-10 du code du travail🏛🏛🏛 :
13. Selon l'article L. 2312-18 du code du travail, dans sa rédaction issue de la
loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018🏛, une base de données économiques et sociales rassemble l'ensemble des informations nécessaires aux consultations et informations récurrentes que l'employeur met à disposition du comité social et économique. Les éléments d'information transmis de manière récurrente au comité sont mis à disposition de leurs membres dans la base de données et cette mise à disposition actualisée vaut communication des rapports et informations au comité, dans les conditions et limites fixées par un décret en Conseil d'Etat.
14. Aux termes de l'article L. 2312-25 du même code : I.- La consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise porte également sur la politique de recherche et de développement technologique de l'entreprise, y compris sur l'utilisation du crédit d'impôt pour les dépenses de recherche.
II.- En vue de cette consultation, l'employeur met à la disposition du comité, dans les conditions prévues par l'accord mentionné à l'article L. 2312-21 ou à défaut d'accord au sous-paragraphe 4 :
1° Les informations sur l'activité et sur la situation économique et financière de l'entreprise ainsi que sur ses perspectives pour l'année à venir. Ces informations sont tenues à la disposition de l'autorité administrative ;
2° Pour toutes les sociétés commerciales, les documents obligatoirement transmis annuellement à l'assemblée générale des actionnaires ou à l'assemblée des associés, notamment le rapport de gestion prévu à l'
article L. 225-102-1 du code de commerce🏛 qui comprend les informations relatives à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, les communications et les copies transmises aux actionnaires dans les conditions prévues aux
articles L. 225-100 à L. 225-102-2, L. 225-108 et L. 225-115 à L. 225-118 du code de commerce🏛🏛🏛🏛🏛, ainsi que le rapport des commissaires aux comptes. Le conseil peut convoquer les commissaires aux comptes pour recevoir leurs explications sur les différents postes des documents communiqués ainsi que sur la situation financière de l'entreprise ;
3° Pour les sociétés commerciales mentionnées à l'
article L. 232-2 du code de commerce🏛 et les groupements d'intérêt économique mentionnés à l'
article L. 251-13 du même code🏛, les documents établis en application du même article L. 251-13 et des articles L. 232-3 et L. 232-4 dudit code. Ces documents sont réputés confidentiels, au sens de l'article L. 2315-3 du présent code ;
4° Pour les entreprises ne revêtant pas la forme de société commerciale, les documents comptables qu'elles établissent ;
5° Les informations relatives à la politique de recherche et de développement technologique de l'entreprise.
15. Selon l'article L. 2312-36 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-771 du 5 septembre 2018, constituant le sous-paragraphe 4, en l'absence d'accord prévu à l'article L. 2312-21, une base de données économiques et sociales, mise régulièrement à jour, rassemble un ensemble d'informations que l'employeur met à disposition du comité social et économique. Les informations contenues dans la base de données portent sur les thèmes suivants :
1° Investissements : investissement social (emploi, évolution et répartition des contrats précaires, des stages et des emplois à temps partiel, formation professionnelle, évolution professionnelle et conditions de travail), investissement matériel et immatériel et, pour les sociétés mentionnées aux I et II de l'article L. 225-102-1 du code du commerce, les informations en matière environnementale présentées en application du III du même article ;
2° Egalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein de l'entreprise : diagnostic et analyse de la situation comparée des femmes et des hommes pour chacune des catégories professionnelles de l'entreprise en matière d'embauche, de formation, de promotion professionnelle, de qualification, de classification, de conditions de travail, de sécurité et de santé au travail, de rémunération effective et d'articulation entre l'activité professionnelle et la vie personnelle et familiale, analyse des écarts de salaires et de déroulement de carrière en fonction de l'âge, de la qualification et de l'ancienneté, évolution des taux de promotion respectifs des femmes et des hommes par métiers dans l'entreprise, part des femmes et des hommes dans le conseil d'administration ;
3° Fonds propres et endettement ;
4° Ensemble des éléments de la rémunération des salariés et dirigeants ;
5° Activités sociales et culturelles ;
6° Rémunération des financeurs ;
7° Flux financiers à destination de l'entreprise, notamment aides publiques et crédits d'impôts ;
8° Sous-traitance ;
9° Le cas échéant, transferts commerciaux et financiers entre les entités du groupe.
Ces informations portent sur les deux années précédentes et l'année en cours et intègrent des perspectives sur les trois années suivantes.
16. Selon l'
article R. 2312-10, 1er alinéa, du code du travail🏛, en l'absence d'accord prévu à l'article L. 2312-21 du même code, les informations figurant dans la base de données portent sur l'année en cours, sur les deux années précédentes et, telles qu'elles peuvent être envisagées, sur les trois années suivantes.
17. Il en résulte que l'expertise à laquelle le comité social et économique peut décider de recourir en application de l'article L. 2315-88 du code du travail en vue de la consultation annuelle sur la situation économique et financière de l'entreprise, ne peut porter que sur l'année qui fait l'objet de la consultation et les deux années précédentes ainsi que sur les éléments d'information relatifs à ces années.
18. Pour rejeter les demandes de la société tendant à ce que la mission de l'expert-comptable soit limitée aux années 2019, 2020 et 2021 et que soient réduits en conséquence la durée et le coût prévisionnel de l'expertise, le jugement énonce que la référence à l'article R. 2312-10 du code du travail, fixant une limite temporelle aux investigations de l'expert-comptable pour les informations qu'il demande, est en lien non pas avec la question de l'étendue de la mission, mais directement avec celle des pièces et informations communicables, d'ailleurs pendante devant une autre juridiction et que, dès lors, aucune limitation de l'étendue de la mission, fût-elle temporelle, ne peut être prononcée sur ce fondement.
19. En statuant ainsi, le président du tribunal judiciaire a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il se déclare compétent quant aux prétentions soutenues par la société CRM08 relevant de l'étendue de la mission expertale, de son coût prévisionnel et de sa durée et déboute la société [J] de sa demande de rejet fondée sur l'irrespect du délai de 10 jours de l'article L. 2315-86 du code du travail, le jugement rendu le 5 octobre 2021, entre les parties, par le président du tribunal judiciaire de Mâcon, statuant selon la procédure accélérée au fond ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Châlon-sur-Saône, statuant selon la procédure accélérée au fond ;
Condamne la société [J] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-trois.