CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 68965
Grisoni
Lecture du 09 Novembre 1988
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu la requête enregistrée le 28 mai 1985 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée pour M. Félix GRISONI, demeurant 21 boulevard Carnot, au Cannet (06110), et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1°) annule le jugement en date du 20 mars 1985 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle auxquelles il a été assujetti au titre des années 1974, 1975, 1976, 1977 et 1978, d'une part, et au titre de l'année 1975, d'autre part, dans les rôles de la commune du Cannet, 2°) lui accorde la décharge des cotisations contestées et des pénalités dont les impositions ont été assorties,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Turquet de Beauregard, Maître des requêtes, - les observations de la S.C.P. Nicola y, avocat de M. GRISONI, - les conclusions de M. Martin-Laprade, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, si le requérant soutient que le tribunal administratif aurait dû accorder la réduction du supplément d'impôt sur le revenu auquel il a été assujetti au titre de l'année 1974, dès lors que le directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes avait proposé cette réduction dans son mémoire en défense enregistré au greffe du tribunal le 28 septembre 1984, ses prétentions sur ce point ne peuvent être admises ; qu'il appartient, en effet, à l'administration des impôts de prononcer d'office le dégrèvement des impositions qu'elle estime avoir établies à tort ; qu'il s'ensuit que les conclusions que le directeur des services fiscaux des Alpes-Maritimes présentait ainsi au tribunal étaient irrecevables ; qu'il suit de là qu'en statuant comme il l'a fait, sans prononcer la réduction dont s'agit, le tribunal administratif n'a ni entaché son jugement d'irrégularité, ni méconnu les limites du litige dont il était saisi ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
Considérant que, si M. GRISONI soutient que la procédure d'imposition suivie à son encontre aurait été irrégulière, ses prétentions ne sont assorties d'aucune précision ; que, dès lors, elles ne peuvent qu'être écartées ; En ce qui concerne le caractère libératoire à l'égard de M. GRISONI du prélèvement de 25 % sur les profits de construction réalisés par la société civile immobilière "Les Sirènes" de 1974 à 1978 :
Considérant qu'aux termes de l'article 235 quater du code général des impôts : " ... I bis. Le prélèvement visé au I ... est applicable au taux de 25 %, sous les mêmes conditions, aux profits réalisés à l'occasion de la cession d'immeubles ayant fait l'objet d'un permis de construire délivré entre le 1er janvier 1966 et le 1er janvier 1972 .. Le prélèvement applicable auxdits profits est libératoire de l'impôt sur le revenu, quelle que soit l'activité professionnelle du redevable, sous réserve que les autres conditions posées par le I soient remplies" ; que le I de l'article 235 quater du même code dispose que le prélèvement qu'il institue est libératoire de l'impôt sur le revenu pour "les plus-values auxquelles il s'applique, même si elles sont réalisées à titre habituel, lorsque les conditions suivantes sont remplies : - 1°) En dehors des placements visés ci-dessus, le redevable ne doit pas accomplir d'autres opérations entrant dans les prévisions de l'article 35-I-1° à 3° ; 2°)- Il ne doit pas intervenir à d'autres titres dans les opérations se rattachant à la construction immobilière ; - 3°) Les plus-values soumises au prélèvement ne doivent pas constituer la source normale de ses revenus ; - 4°) Les immeubles cédés ne doivent pas figurer à l'actif d'une entreprise industrielle ou commerciale et doivent être affectés à l'habitation pour les trois-quarts au moins de leur superficie totale ; - 5°) Ils doivent être achevés au moment de la cession sous réserve des exceptions qui pourront être prévues par décret, notamment dans le cas de vente en l'état de futur achèvement" ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que si, pour les profits réalisés à l'occasion de la cession d'immeubles ayant fait l'objet d'un permis de construire délivré entre le 1er janvier 1966 et le 1er janvier 1972, le caractère libératoire ou non du prélèvement doit être apprécié indépendamment de l'activité professionnelle du redevable et seulement par référence à l'opération même qui est à l'origine de la plus-value, le bénéfice de ce caractère libératoire demeure néanmoins réservé, comme sous l'empire des dispositions du I de l'article 235 quater, aux contribuables qui, sans y trouver la source normale de leurs revenus, se bornent à placer leurs capitaux personnels dans des opérations de construction et de vente d'immeubles, de fractions d'immeubles ou de droits immobiliers, même à titre habituel ; que ce principe implique notamment que les intéressés ne doivent pas avoir joué, dans la préparation, la réalisation ou la commercialisation de la construction, un rôle qui excéderait celui que jouerait un simple particulier dans le cadre d'une opération de placement ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. GRISONI, qui détenait 17,5 % du capital de la société civile immobilière "Les Sirènes", était l'un des deux associés majoritaires et le président de la société "Entreprise générale de bâtiments de la Seyne" à laquelle cette société civile immobilière a confié la réalisation de son programme qui comportait la construction à Mandelieu d'un ensemble de 282 logements destinés à la vente ; que le requérant a ainsi assumé, dans l'exécution de ce programme immobilier, par le biais de cette entreprise de construction, un rôle prépondérant qui excède celui que joue un simple particulier dans le cadre d'une opération de placement ; que, par suite, il ne remplit pas l'une des conditions exigées par les dispositions du I bis de l'article 235 quater pour bénéficier du caractère libératoire du prélèvement ; En ce qui concerne l'évaluation du profit de construction imposable au titre de l'année 1974 :
Considérant que, pour demander une réduction du supplément d'impôt qui lui a été assigné au titre de l'année 1974, M. GRISONI fait valoir que le profit de construction réalisé par la société civile immobilière "Les Sirènes" en 1974 a été, en méconnaissance des règles de droit commun qui régissent la détermination des bénéfices industriels et commerciaux, évalué en prenant en compte des créances nées de ventes d'appartements en l'état futur d'achèvement conclues au cours des années 1972 et 1973 alors que l'action de l'administration fiscale pour les droits dus au titre de ces deux années était atteinte par la prescription lorsque les redressements qui sont à l'origine des droits en litige ont été portés à sa connaissance par les notifications du 18 décembre 1978 ;
Considérant qu'aux termes du 2 de l'article 38 du code général des impôts, le bénéfice net imposable dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux "est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture" de l'exercice et que "l'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société civile immobilière "Les Sirènes", croyant pouvoir bénéficier des dispositions du I bis de l'article 235 quater du code général des impôts, a fait application des règles spéciales de rattachement édictées aux articles 165 et suivants de l'annexe II à ce code et n'a retracé que dans les écritures l'exercice clos au cours de l'année 1974, année d'achèvement de l'immeuble qu'elle a fait construire, les ventes qu'elle avait réalisées ; qu'elle s'est, en particulier, abstenue d'inscrire dans ses écritures des exercices clos en 1972 et 1973 les créances acquises, voire les recettes perçues, à raison des ventes en l'état futur d'achèvement conclues durant ces exercices ; que cette manière de faire a eu pour conséquence une sous-estimation de l'actif net à la clôture de l'exercice 1973 ; que celui-ci étant le dernier exercice prescrit, ainsi que le soutiennent à juste titre tant le contribuable que l'administration, cette sous-estimation ne pouvait être corrigée qu'à la clôture de l'exercice 1974, premier exercice non prescrit ; que, dès lors, c'est à bon droit que l'administration a, en l'espèce, rattaché à l'exercice 1974 les créances ou recettes provenant des ventes réalisées en 1972 et 1973 ;
Sur les intérêts de retard qui ont été appliqués aux impositions supplémentaires contestées : Sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée sur ce point par le ministre chargé du budget :
Considérant qu'aux termes de l'article 1728 du code général des impôts applicable aux impositions contestées : "- Lorsqu'une personne tenue de souscrire ou de présenter une déclaration ou un acte comportant l'indication de bases ou éléments à retenir pour l'assiette, la liquidation ou le paiement de l'un des impôts, droits, taxes, redevances ou sommes quelconques établis ou recouvrés par la direction générale des impôts déclare ou fait apparaître une base ou des éléments d'imposition insuffisants, inexacts ou incomplets ou effectue un versement insuffisant, le montant des droits éludés est majoré ... d'un intérêt de retard calculé dans les conditions fixéesà l'article 1734. - Lorsqu'un contribuable fait connaître, par une indication expresse portée sur la déclaration ou l'acte, ou dans une note y annexée, les motifs de droit ou de fait pour lesquels il ne mentionne pas certains éléments d'imposition en totalité ou en partie, ou donne à ces éléments une qualification qui entraînerait, si elle était fondée, une taxation atténuée, ou fait état de déductions qui sont ultérieurement reconnues injustifiées, les redressements opérés à ces titres n'entraînent pas l'application de ... l'intérêt de retard prévu ci-dessus" ; qu'aux termes de l'article 1730 : "- L'indemnité ou l'intérêt de retard et les majorations prévus aux articles 1728 et 1729-1 ne sont pas applicables ... en ce qui concerne les impôts sur les revenus et les taxes accessoires autres que la taxe d'apprentissage, lorsque l'insuffisance des chiffres déclarés n'excède pas le dixième de la base d'imposition" ;
Considérant qu'il ressort des dispositions précitées que, même en tenant compte du cas où le contribuable peut se prévaloir des dispositions du deuxième alinéa de l'article 1728, les intérêts de retard sont dus de plein droit sur la base de l'imposition à laquelle ils s'appliquent dès lors que l'insuffisance des chiffres déclarés excède le dixième de la base d'imposition ; qu'ils n'impliquent ainsi aucune appréciation par l'administration fiscale du comportement du contribuable et n'ont, dès lors, pas le caractère d'une sanction ; qu'il s'ensuit que, lorsque l'action de l'administration n'est pas atteinte par la prescription au moment où elle met en recouvrement les droits omis, les intérêts légalement applicables à ces droits ne peuvent être eux-mêmes atteints par la prescription ;
Considérant que les impositions supplémentaires litigieuses, qui correspondent à une insuffisance de déclaration excédant le dixième de la base d'imposition, ont été majorées des intérêts de retard prévus par les dispositions précitées de l'article 1728 ; qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est, d'ailleurs, pas contesté que, à la date de la mise en recouvrement desdites impositions supplémentaires, l'action de l'administration n'était pas atteinte par la prescription, laquelle avait été interrompue par les notifications de redressements des 18 décembre 1978 et 10 mai 1979 ; que, par suite, le moyen que tire M. GRISONI de ce que ces notifications n'auraient pas mentionné les intérêts de retard légalement dus est inopérant ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. GRISONI n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande ;
Article 1er : La requête susvisée de M. GRISONI est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. GRISONI et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.