CE 1/4 ch.-r., 28-04-2023, n° 443749, mentionné aux tables du recueil Lebon
A70089SD
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:443749.20230428
Référence
36-07-07 Lorsqu’une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d’un agent public, y compris lorsqu’elle a été confiée à des corps d’inspection, 1) le rapport établi à l’issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu’ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l’agent faisant l’objet de l’enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, 2) sauf si a) la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. b) Dans ce cas, l’administration doit informer l’agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu’il puisse se défendre utilement.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 4 septembre 2020 et le 17 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, M. A B demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir, d'une part, le décret du Président de la République du 12 mars 2020 mettant fin à ses fonctions et à son détachement sur l'emploi fonctionnel de directeur académique des services de l'éducation nationale du département des Deux-Sèvres, et, d'autre part, l'arrêté du 16 mars 2020 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse le réintégrant à compter du 12 mars 2020 dans le corps des inspecteurs
d'académie-inspecteurs pédagogiques régionaux ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi du 22 avril 1905, notamment son article 65 ;
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005🏛 ;
- le décret n° 2016-1413 du 20 octobre 2016🏛 ;
- le décret n° 2019-1594 du 31 décembre 2019🏛 ;
- l'arrêté du 31 décembre 2019 fixant les modalités de recrutement des emplois de direction au ministère chargé de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports et au ministère chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche, notamment son article 5 et son annexe ;
- le code de justice administrative🏛 ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Laurent Cabrera, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Lyon-Caen, Thiriez, avocat de M. B ;
1. Il ressort des pièces du dossier que M. B, qui appartient au corps des inspecteurs pédagogiques régionaux-inspecteurs d'académie, a été nommé par décret du Président de la République du 27 novembre 2015 dans l'emploi de directeur académique des services déconcentrés de l'éducation nationale du département des Deux-Sèvres. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, après un signalement de la rectrice de l'académie de Poitiers, a confié à l'inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche une mission d'enquête administrative concernant de potentiels dysfonctionnements au sein la direction des services départementaux de l'éducation nationale des Deux-Sèvres. A la suite de la remise du rapport de la mission d'inspection au mois de janvier 2020, il a été, par un décret du Président de la République du 12 mars 2020, mis fin, dans l'intérêt du service, aux fonctions et au détachement de M. B dans cet emploi. Par un arrêté du 16 mars 2020 du ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, M. B a été réintégré dans son corps d'origine à compter du 12 mars et affecté auprès du recteur de l'académie de Nantes. M. B demande l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 12 mars 2020🏛 et de l'arrêté du 16 mars 2020.
Sur la fin de non-recevoir opposée aux conclusions dirigées contre l'arrêté du 16 mars 2020 :
2. Aux termes de l'article L. 221-8 du code des relations entre le public et l'administration🏛 : " Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires ou instituant d'autres formalités préalables, une décision individuelle expresse est opposable à la personne qui en fait l'objet au moment où elle est notifiée ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative🏛 : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ".
3. Il ressort des pièces du dossier, notamment du courriel de notification produit par l'administration et dont la réception n'est pas contestée par l'agent public requérant, que si l'arrêté du 16 mars 2020 a été notifié à M. B le jour-même de son édiction, cette notification n'était pas assortie de la mention des voies et délais de recours. Par suite, les conclusions présentées par M. B ne sont pas tardives, la notification effectuée le
16 mars 2020 sur la boite professionnelle de l'agent public n'ayant pas fait courir le délai de recours, faute de contenir les mentions prévues par l'article R. 421-5 du code de justice administrative. Le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse n'est donc pas fondé à soutenir qu'elles doivent être rejetées pour ce motif comme irrecevables.
Sur les moyens de la requête :
4. En vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905🏛, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même d'obtenir communication de son dossier.
5. Lorsqu'une enquête administrative a été diligentée sur le comportement d'un agent public, y compris lorsqu'elle a été confiée à des corps d'inspection, le rapport établi à l'issue de cette enquête, ainsi que, lorsqu'ils existent, les procès-verbaux des auditions des personnes entendues sur le comportement de l'agent faisant l'objet de l'enquête font partie des pièces dont ce dernier doit recevoir communication en application de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, sauf si la communication de parties de ce rapport ou de ces procès-verbaux serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui ont témoigné. Dans ce cas, l'administration doit informer l'agent public, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur, de telle sorte qu'il puisse se défendre utilement.
6. Il ressort des pièces du dossier que M. B a été effectivement destinataire, préalablement à la décision attaquée, qui constitue une mesure prise en considération de la personne, du rapport final de l'enquête administrative conduite par deux inspecteurs généraux de l'éducation, du sport et de la recherche au sein de la direction des services départementaux de l'éducation nationale des Deux-Sèvres et portant notamment sur son comportement. Toutefois, ce rapport lui a été transmis dans une version dans laquelle, d'une part, plusieurs parties avaient été intégralement occultées, y compris s'agissant de leur intitulé, et remplacées par les mentions " partie non communicable (art[icle] L. 311-6 CRPA) ", d'autre part, les parties non totalement occultées comportaient certaines mentions dissimulées selon le même procédé. En outre, il ressort des pièces du dossier que malgré une demande en ce sens,
M. B n'a eu communication que de certains des quarante-quatre comptes rendus d'audition annexés au rapport. Dans ces conditions, et alors qu'il n'est pas allégué que cette communication parcellaire avait pour objet de protéger les personnes qui avaient témoigné sur la situation en cause, M. B est fondé à soutenir qu'il n'a pas reçu communication de l'ensemble des pièces qu'il était en droit d'obtenir en vertu de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905, afin de préparer utilement sa défense, et que, par suite, la procédure préalable à l'édiction du décret attaqué a été entachée d'irrégularité.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, que M. B est fondé à demander l'annulation du décret du 12 mars 2020 ainsi que, par voie de conséquence, de l'arrêté du 16 mars 2020.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à verser à M. B, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
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Article 1er : Le décret du Président de la République du 12 mars 2020 et l'arrêté du 16 mars 2020🏛 sont annulés.
Article 2 : L'Etat versera à M. B une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. A B, à la Première ministre et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Décret, 2005-850, 27-07-2005 Article, R421-5, CJA Ordonnance, 2020-306, 25-03-2020 Décret, 2019-1594, 31-12-2019 Décret, 2016-1413, 20-10-2016 Décret, 2020-01 Directeur Services de l'éducation nationale Inspecteur d'académie Modalités de recrutement Emploi de direction Enseignement supérieur Services déconcentrés Enquête administrative Détachement dans un emploi Corps d'origine Décision individuelle expresse Course du délai Communication d'un rapport Préparation de la défense