CE 9/10 ch.-r., 20-04-2023, n° 458602, publié au recueil Lebon
A23399QP
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:458602.20230420
Référence
01-09-02-02 S’il appartient à l’autorité administrative d’abroger un acte non réglementaire qui n’a pas créé de droits mais continue de produire effet, lorsqu’un tel acte est devenu illégal en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction, 1) un décret prononçant la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait, pris sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936 ou, aujourd’hui, de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure (CSI), produit tous ses effets directs dès la date de son entrée en vigueur, 2) de telle sorte qu’une demande tendant à son abrogation ultérieure est sans objet alors même que, ainsi que le prévoit l’article 431-15 du code pénal, la participation au maintien ou à la reconstitution d’une association ou d’un groupement de fait dissous constitue un délit.
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 22 novembre 2021 et 25 avril 2022 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association Pupu Here Ai'Ia Te Nunaa Ia'Ora demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet née du silence gardé par le Président de la République sur sa demande tendant à l'abrogation du décret du 5 novembre 1963 portant dissolution du parti dit A des Populations Tahitiennes ;
2°) d'enjoindre au Président de la République d'abroger ce décret, au besoin sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la sécurité intérieure ;
- le code pénal ;
- la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de M. Bruno Delsol, conseiller d'Etat,
- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de l'association Pupu Here Ai'a Te Nunaa Ia'ora ;
1. L'association Pupu Here Ai'Ia Te Nunaa Ia'Ora demande l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande tendant à l'abrogation du décret du 5 novembre 1963 portant dissolution du parti dit A des Populations Tahitiennes.
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 10 janvier 1936🏛, dans sa version applicable au décret du 5 novembre 1963 : " Seront dissous, par décret rendu par le Président de la République en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait : / 1° Qui provoqueraient à des manifestations armées dans la rue ; / 2° Ou qui, en dehors des sociétés de préparation au service militaire agréées par le Gouvernement, des sociétés d'éducation physique et de sport, présenteraient, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées; / 3° Ou qui auraient pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ; / 4° Ou dont l'activité tendrait à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ; / 5° Ou qui auraient pour but soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration () ". Les dispositions régissant la dissolution des associations ou groupements de fait figurent aujourd'hui à l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure🏛. Par ailleurs, aux termes de l'article 431-15 du code pénal🏛 : " Le fait de participer au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'une association ou d'un groupement dissous en application de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende. ".
3. S'il appartient à l'autorité administrative d'abroger un acte non réglementaire qui n'a pas créé de droits mais continue de produire effet, lorsqu'un tel acte est devenu illégal en raison de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction, un décret prononçant la dissolution d'une association ou d'un groupement de fait, pris sur le fondement de la loi du 10 janvier 1936 ou, aujourd'hui, de l'article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, produit tous ses effets directs dès son entrée en vigueur, de telle sorte qu'une demande tendant à son abrogation ultérieure est sans objet alors même que, ainsi que le prévoit l'article 431-15 du code pénal, la participation au maintien ou à la reconstitution d'une association ou d'un groupement de fait dissous constitue un délit.
4. En l'espèce, la dissolution prononcée par le décret du 5 novembre 1963 avait produit tous ses effets avant que l'association Pupu Here Ai'Ia Te Nunaa Ia'Ora n'introduise sa requête tendant à l'annulation du refus implicite opposé à sa demande d'abrogation de ce décret. Etant ainsi dépourvue d'objet dès la date de son introduction, cette requête est irrecevable et ne peut, dès lors, qu'être rejetée.
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Article 1er : La requête de l'association Pupu Here Ai'Ia Te Nunaa Ia'Ora est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à l'association Pupu Here Ai'Ia Te Nunaa Ia'Ora, à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Article, L212-1, C. sécur. int. Article, 431-15, C. pén. Décision implicite de rejet Manifestations armées dans la rue Éducation physique Rétablissement de la légalité républicaine Changement dans les circonstances de droit Dissolution d'une association Abrogation