Jurisprudence : CE 9/8 SSR, 03-11-1986, n° 57070

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 57070

Ministre du budget
contre
Régie immobilière de la ville de Paris

Lecture du 03 Novembre 1986

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Vu le recours enregistré le 16 février 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présenté par le ministre de l'économie, des finances et du budget, et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° annule le jugement en date du 19 octobre 1983 par lequel le tribunal administratif de Paris a déchargé la Régie immobilière de la ville de Paris des cotisations de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités correspondantes qui lui avaient été assignées au titre de l'année 1971, 2° rétablisse les impositions et pénalités litigieuses, 3° à titre subsidiaire remette en tout état de cause à la charge de la Régie immobilière de la ville de Paris un rappel de taxe non contesté d'un montant de 1 328 888,80 F ainsi que les pénalités correspondantes,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le livre des procédures fiscales du nouveau code des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu la loi n°64-1247 du 16 décembre 1964 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Teissier du Cros, Conseiller d'Etat, - les conclusions de M. Racine, Commissaire du gouvernement ;
Sur les conclusions du recours fondées sur ce que le tribunal a accordé la décharge en principal et intérêts de retard d'une fraction non contestée de l'imposition supplémentaire :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, devant le tribunal administratif de Paris, les conclusions de la Société Anonyme "Régie Immobilière de la ville de Paris" ne tendaient qu'à la réduction, à concurrence d'une somme de 535 945,20 F, des droits supplémentaires de taxe sur la valeur ajoutée qui lui ont été assignés au titre de la période du 1er janvier 1971 au 31 décembre 1975, ainsi que des intérêts de retard correspondants ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a prononcé la décharge de rappels de taxe sur la valeur ajoutée auxquels la société a été assujettie au titre de l'année 1971 pour un montant en principal de 1 864 834 F, ainsi que des pénalités y afférentes ; qu'en statuant ainsi, le tribunal a statué au-delà des conclusions dont il était saisi ; que le ministre est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par ledit jugement, le tribunal a prononcé la décharge dans cette mesure des impositions supplémentaires et à demander le rétablissement de l'imposition correspondant aux redressements non contestés par la société s'élevant à la différence entre les chiffres ci-dessus, soit 1 328 888 F, majorée des intérêts de retard ;
Sur le surplus des conclusions du recours :
Considérant qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable au cours de la période d'imposition : "1- Les affaires faites en France... sont passibles de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles relèvet d'une activité de nature industrielle ou commerciale, quels qu'en soient les buts ou les résultats. 2- Cette taxe s'applique quels que soient : - d'une part, le statut juridique des personnes qui interviennent dans la réalisation des opérations imposables ou leur situation au regard des autres impôts ; - d'autre part, la forme ou la nature de leur intervention, et le caractère, habituel ou occasionnel, de celle-ci" ; que, selon l'article 266 du même code : "1. Le chiffre d'affaires imposable est constitué : ... c) Pour les prestations de services, par le prix des services ou la valeur des biens ou services reçus en paiement" ; qu'aux termes de l'article 267-1-3 : "... Les sommes remboursées aux personnes qui rendent compte exactement à leurs commettants des débours effectués en leur lieu et place n'entrent pas dans le prix des services à raison desquels elles sont imposées" ; qu'enfin, aux termes de l'article 261 : "Sont exonérés de la taxe sur la valeur ajoutée... 5... 4° Le bail à construction" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que par acte en date des 24 et 25 juin 1971, substitué par les parties à une convention annulée par elles en date du 14 juin 1968, la Société "Régie Immobilière de la ville de Paris" a conclu avec la "Société Civile Immobilière des 117 et 119 rue de Montreuil" un bail à construction sur un terrain sis à la même adresse ; que ce bail stipulait, d'une part, la remise à la Société Civile Immobilière en fin de bail d'une partie des constructions à édifier, d'autre part, la prise en charge définitive par la régie immobilière de la totalité des dépenses, d'un montant de 4 080 000 F déjà exposées par elle en vertu de la convention annulée du 14 juin 1968, tant pour obtenir l'éviction des occupants des constructions anciennes existant sur le terrain dont s'agit que pour financer leur démolition et, enfin, la fixation à 266 000 F à compter seulement du 15 janvier 1978, du montant annuel du loyer ; qu'à la suite d'une vérification de comptabilité, la Société "Régie Immobilière de la ville de Paris" a été assujettie à la taxe sur la valeur ajoutée à raison de cette opération, au titre de la période du 1er janvier 1971 au 31 décembre 1975 sur la base d'un montant imposable de 4 080 000 F ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif, aux motifs que la somme de 4 080 000 F ci-dessus ne constituait ni la rémunération d'une prestation de services, ni la contrepartie d'une remise de loyers pendant une durée de six années, et qu'elle devait être regardée comme un élément du prix du bail à construction, exonéré de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de l'article 261,5,4° précité du code général des impôts, a fait droit aux conclusions en décharge de la société ; Considérant, d'une part, qu'il résulte clairement des stipulations du contrat du 24 et 25 juin 1971 susmentionné qu'en contrepartie de l'engagement qu'elle a pris de prendre en charge, les frais d'un montant de 4 080 000 F par elle déjà exposés pour la libération et la démolition des bâtiments existant antérieurement sur le terrain donné à bail à construction, la société "Régie Immobilière de la ville de Paris" a obtenu l'attribution des droits immobiliers et mobiliers attachés à la souscription dudit bail assortis d'un différé de perception du loyer ; que, dans les circonstances susanalysées de l'espèce, la somme de 4 080 000 F constituait pour la régie immobilière non, comme elle le prétend, le remboursement de débours qu'elle aurait faits aux lieu et place de son commettant au sens de l'article 267,1,3 précité du code, en l'occurence la société civile immobilière, mais la rémunération de prestations de services rendus par elle à cette dernière ; que ces prestations de services ont constitué pour la Régie immobilière, eu égard aux profits qu'elle a pu escompter de l'exécution du bail à construction aux conditions prévues au contrat, une affaire passible de la taxe sur la valeur ajoutée en vertu des dispositions précitées du 1 de l'article 256 du code général des impôts ; qu'ainsi, le ministre est fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés, pour décharger la Régie de la taxe sur la valeur ajoutée à laquelle elle a été assujettie sur ce que la prise en charge des indemnités d'éviction et des frais de démolition par la Régie n'ayant pas été rémunérée, n'avait pas eu le caractère d'une affaire passible de la taxe sur la valeur ajoutée ; Considérant, d'autre part, que l'opération passible de la taxe ayant été constituée non par le bail à construction lui-même, tel qu'il est défini par la loi n° 64-1247 du 16 décembre 1964, mais par des prestations de services détachables du bail, fournies antérieurement à la date de sa prise d'effet, le ministre est également fondé à soutenir qu'en se fondant, pour faire droit à la demande de la Société "Régie Immobilière de la ville de Paris", sur ce qu'elle bénéficiait de l'exonération édictée à l'article 261,5,4° précité du code en faveur du bail à construction, le tribunal administratif a fait une inexacte application de ces dispositions ; Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel de l'ensemble du litige, d'examiner les moyens présentés en première instance par la Société Anonyme "Régie Immobilière de la ville de Paris", ainsi que les autres moyens présentés par elle en défense devant le Conseil d'Etat ; Considérant, en premier lieu, que si la Société Anonyme "Régie Immobilière de la ville de Paris" se prévaut des stipulations de la précédente convention, en date du 10 juin 1968, par laquelle la "Société Civile Immobilière des 117 à 119 rue de Montreuil" lui avait consenti un bail à construction sous condition suspensive, il ressort des termes mêmes de la convention des 24 et 25 juin 1971 analysée ci-dessus que "ledit contrat sous condition suspensive doit être considéré comme nul et de nul effet" ; qu'ainsi, les moyens tirés de l'application de la convention du 10 juin 1968 sont inopérants ; Considérant, en second lieu, que si la société invoque, sur le fondement des dispositions de l'article 1649 quinquies E du code général des impôts, repris à l'article L.80-A du livre des procédures fiscales, une lettre du ministre de l'économie et des finances en date du 9 avril 1969, d'après laquelle sont exonérées de la taxe sur la valeur ajoutée "toutes opérations découlant de l'objet du bail à construction, c'est-à-dire non seulement l'attribution par le bailleur au preneur du droit immobilier temporaire conféré par le bail susvisé, mais également le versement d'indemnités consenti par le preneur aux occupants afin de pouvoir jouir librement du terrain", il ressort des termes mêmes de cette lettre qu'elle vise seulement le versement d'indemnités d'éviction par le preneur aux occupants et non le remboursement de telles indemnités opéré, comme en l'espèce, par le bailleur au preneur ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et du budget est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a accordé à la Société "Régie Immobilière de la ville de Paris" décharge du rappel de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 864 834 F et des intérêts de retard correspondants ;
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Paris en date du 29 septembre 1983 est annulé.
Article 2 : Les droits de taxe sur la valeur ajoutée d'un montant de 1 864 834 F, ainsi que les pénalités correspondantes, seront remis à la charge de la Société Anonyme "Régie Immobilière de la ville de Paris".
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget et à la Société Anonyme "Régie Immobilière de la ville de Paris".

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