N° T 23-80.470 F-B
N° 00615
ECF
13 AVRIL 2023
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________
ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 13 AVRIL 2023
[I] [U] a formé un pourvoi contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 3e section, en date du 5 janvier 2023, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs de viol aggravé, vol avec arme et menaces, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention le plaçant en détention provisoire.
Un mémoire et des observations complémentaires ont été produits.
Sur le rapport de M. Gouton, conseiller, les observations de la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat de [I] [U], et les conclusions de Mme Mathieu, avocat général, après débats en l'audience publique du 13 avril 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Gouton, conseiller rapporteur, M. de Larosière de Champfeu, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.
2. Une information judiciaire a été ouverte le 15 décembre 2022 des chefs de viol sur personne se livrant à la prostitution, vol avec arme et menaces de mort sous condition.
3. [I] [U] a été, le même jour, mis en examen de ces chefs par le juge d'instruction et placé en détention provisoire par ordonnance du juge des libertés et de la détention.
4. Il a relevé appel de cette ordonnance.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
5. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a dit l'appel mal fondé et confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention plaçant [I] [U] en détention provisoire, alors :
« 1°/ qu'en vertu du principe de spécialisation des juridictions pour mineurs et de l'
article L. 12-1 du code de la justice pénale des mineurs🏛, les magistrats amenés à connaître de la détention provisoire des mineurs doivent être spécialement désignés ou habilités à cette fin ; qu'en l'espèce, ni l'ordonnance de saisine du juge des libertés et de la détention rendue par le magistrat instructeur, ni les réquisitions du magistrat du parquet, ni l'ordonnance de placement en détention provisoire prise par le juge des libertés et de la détention, ne mentionnent l'habilitation spéciale de leurs auteurs pour connaître des mineurs ; qu'en rejetant ce moyen de nullité en ce que « la méconnaissance éventuelle de dispositions réglementaires du code de la justice pénale des mineurs ne saurait entraîner la nullité de ces actes », quand ce code prévoit également cette obligation dans sa partie législative, précisément aux articles préliminaire et L. 12-1, la chambre de l'instruction a méconnu le sens et la portée du principe et des dispositions susénoncés ;
2°/ que ni l'ordonnance du juge d'instruction, ni l'ordonnance du juge des libertés et de la détention ne mentionnent que ces deux magistrats ont été spécialement chargés des affaires de mineurs ; qu'en refusant néanmoins d'annuler l'ordonnance du juge des libertés et de la détention pour incompétence, la chambre de l'instruction a violé le principe de spécialisation des juridictions pour mineurs garanti par les articles préliminaire et L. 12-1 du code de la justice pénale des mineurs. »
Réponse de la Cour
Sur le moyen, en tant qu'il vise les actes du juge d'instruction et du juge des libertés et de la détention
6. Il résulte des pièces recueillies à l'occasion de l'instruction du présent pourvoi et mises à la disposition de l'avocat du demandeur que le juge d'instruction et le juge des libertés et de la détention qui sont intervenus au cours de la présente affaire avaient été préalablement désignés, de manière régulière, pour être chargés spécialement des affaires concernant les mineurs.
7. Les griefs qui visent leur défaut de spécialisation et d'indication de celle-ci ne peuvent être accueillis.
Mais sur le moyen, en tant qu'il vise les actes du magistrat du ministère public
Vu l'
article L. 12-2 du code de la justice pénale des mineurs🏛 :
8. Aux termes de ce texte, l'action publique relative à des crimes, délits ou contraventions de la cinquième classe reprochés à un mineur est exercée par des magistrats désignés chargés spécialement des affaires concernant les mineurs. Les fonctions du ministère public sont remplies par le procureur général ou un magistrat du ministère public spécialement chargé des affaires concernant les mineurs.
9. Cette règle constitue une dérogation au principe de l'indivisibilité des magistrats du ministère public édicté aux
articles 34 et 39 du code de procédure pénale🏛🏛.
10. Il résulte des pièces de la procédure que le magistrat du parquet d'Evry qui a prononcé des réquisitions à l'occasion de l'incarcération du demandeur n'a pas été désigné préalablement pour être spécialement chargé des affaires concernant les mineurs.
11. Par ailleurs, il ne résulte pas de la procédure qu'il ait remplacé, pour cause d'urgence ou d'empêchement, un membre du même parquet spécialement chargé de telles affaires.
12. Les réquisitions, ainsi prises par un magistrat incompétent, n'ont pu valablement saisir le juge d'instruction ni le juge des libertés et de la détention.
13. La cassation est par conséquent encourue.
Portée et conséquences de la cassation
14. La cassation aura lieu sans renvoi, la Cour de cassation étant en mesure d'appliquer directement la règle de droit et de mettre fin au litige, ainsi que le permet l'
article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire🏛.
15. [I] [U] doit être remis en liberté, s'il n'est détenu pour autre cause.
16. Cependant, les dispositions de l'
article 803-7, alinéa 1, du code de procédure pénale🏛, permettent à la Cour de cassation de placer sous contrôle judiciaire la personne dont la détention provisoire est irrégulière en raison de la méconnaissance des formalités prévues par ce même code, dès lors qu'elle trouve dans les pièces de la procédure des éléments d'information pertinents et que la mesure apparaît indispensable pour assurer l'un des objectifs énumérés à l'
article 144 du même code🏛.
17. En l'espèce, il existe des indices graves ou concordants rendant vraisemblable la participation de [I] [U], comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions pour lesquelles il a été mis en examen.
18. La mesure de contrôle judiciaire est indispensable afin :
- d'empêcher une concertation frauduleuse entre la personne mise en examen et ses coauteurs ou complices, en ce que leurs déclarations respectives divergentes doivent être vérifiées et qu'ils ont tenté de s'entendre lorsqu'ils se sont croisés dans les locaux du service enquêteur ;
- d'empêcher une pression sur les victimes, en ce que ces dernières disent avoir été menacées de représailles au cas où elles dénonceraient les faits, et que l'intéressé, qui connaît leur résidence, a, au cours de sa garde à vue, proféré de telles menaces ;
- de prévenir le renouvellement de l'infraction, que peuvent faire redouter la facilité et la détermination avec lesquelles l'intéressé est passé à l'acte, ainsi que ce qui apparaît être sa préparation ;
- de garantir sa représentation en justice, en l'absence de projet précis d'emploi ou de formation ;
- de mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé, s'agissant de faits d'atteintes délibérées, préméditées et violentes aux biens, mais surtout à la personne et à la dignité humaine, de nature à causer des traumatismes importants.
19. Afin d'assurer ces objectifs, [I] [U] sera astreint à se soumettre aux obligations précisées au dispositif.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 5 janvier 2023 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
CONSTATE que [I] [U] est détenu sans titre depuis le 15 décembre 2022 dans la présente procédure ;
ORDONNE la mise en liberté de [I] [U] s'il n'est détenu pour autre cause ;
ORDONNE le placement sous contrôle judiciaire de [I] [U] ;
DIT qu'il est soumis aux obligations suivantes :
- Ne pas sortir des limites territoriales suivantes : commune de [Localité 2] ;
- Ne s'absenter de son domicile ou de sa résidence, qu'il convient de fixer [Adresse 1], qu'aux conditions et pour les motifs suivants : chaque jour du lundi au vendredi inclus, entre 6 heures et 20 heures ; le samedi et le dimanche entre 10 heures et 16 heures ;
- Se présenter le premier jour ouvrable suivant sa mise en liberté et ensuite, une fois par semaine au jour convenu avec l'officier de police judiciaire, au commissariat de police de [Adresse 3] ;
- S'abstenir de recevoir ou de rencontrer, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit, les personnes suivantes : Mmes [O] [P] [Y] et [T] [D] [A], MM. [V] [K] et [J] [F] ;
- Ne pas détenir ou porter une arme ;
DÉSIGNE le magistrat chargé de l'information aux fins d'assurer le contrôle de la présente mesure de sûreté ;
RAPPELLE qu'en application de l'
article 141-2 du code de procédure pénale🏛, toute violation de l'une quelconque des obligations ci-dessus expose la personne sous contrôle judiciaire à un placement en détention provisoire ;
DIT que le parquet général de cette Cour fera procéder aux diligences prévues par l'
article 138-1 du code de procédure pénale🏛 ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.