CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 56392
SARL "Central Clamart Auto-Ecole"
Lecture du 24 Novembre 1986
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu la requête,enregistrée le 18 janvier 1984 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la SARL "Central Clamart Auto-Ecole", dont le siège est 42 bis, avenue Jean-Jaurès à Clamart (92140), représentée par son gérant en exercice, domicilié audit siège et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1° Annule le jugement, en date du 17 novembre 1983, par lequel le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des années 1975, 1976 et 1977 dans les rôles de la ville de Clamart ; 2° Lui accorde la décharge des impositions contestées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu le code général des impôts ;
Vu la loi du 11 juillet 1979 ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Leclerc, Conseiller d'Etat, - les conclusions de M. Fouquet, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que, si la Société "Central Clamart Auto-Ecole" soutient que le tribunal administratif de Paris a omis de répondre à sa demande tendant à ce qu'il ne soit pas statué sur sa demande en matière d'impôt sur les sociétés avant que le tribunal administratif de Versailles se soit prononcé sur la demande en matière d'impôt sur le revenu concernant son gérant, le tribunal, étant maître de l'instruction, pouvait régulièrement se prononcer sans attendre la décision d'une autre juridiction relative à l'imposition d'un autre contribuable et sans devoir motiver sa décision sur ce point ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition et la charge de la preuve pour les exercices clos en 1975, 1976 et 1977 : Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction qu'au cours de l'exercice clos le 31 décembre 1975, M. Bros, gérant de la SARL "Central Clamart Auto-Ecole" a directement encaissé sur ses comptes bancaires personnels, pour un montant total de 5 518 F, des chèques établis au nom de cette société par des clients de celle-ci et a omis de porter lesdites sommes dans la comptabilité sociale ; que cette pratique constitue une grave irrégularité qui suffit à priver cette comptabilité de valeur probante ; que, par suite, l'administration était en droit, par application des dispositions combinées des articles 58 et 209 du code général des impôts, de rectifier d'office les résultats déclarés de l'exercice dont il s'agit ; que, dès lors, la société n'est fondée à soutenir ni que la procédure d'imposition aurait été irrégulière, ni que l'administration aurait dû saisir la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires et qu'il lui incombe d'apporter la preuve de l'exagération des bénéfices retenus comme base d'imposition au titre de l'exercice clos en 1975 ; Considérant, en second lieu,qu'il n'est pas contesté que, pour l'exercice clos le 31 décembre 1976, la société requérante n'a pas souscrit la déclaration de ses résultats ; qu'elle était, dès lors, en situation d'être taxée d'office ; qu'il suit de là, d'une part, qu'elle n'est pas fondée à soutenir que la procédure d'imposition a été irrégulière et, d'autre part, qu'elle a la charge d'apporter la preuve de l'exagération des bases d'imposition retenues par l'administration ; Considérant, en revanche, que pour l'exercice clos le 31 décembre 1977, l'administration se borne à faire état de recettes non comptabilisées d'un montant minime ; que ni l'irrégularité de l'inventaire, compte tenu des documents produits par la société, ni les autres éléments avancés par l'administration et tirés notamment de ce que M. BROS, aurait procédé à des versements en espèces sur son compte personnel, ne suffisent à faire regarder la comptabilité de la société comme dépourvue de valeur probante pour l'exercice clos le 31 décembre 1977 ; que l'administration n'était, dès lors, pas en droit de rectifier d'office les résultats déclarés de cet exercice ; que la société est, par suite, fondée à soutenir que les impositions correspondantes ont été établies à la suite d'une procédure irrégulière et à en demander la décharge ;
Sur le bien-fondé de l'imposition pour les exercices clos en 1975 et 1976 : En ce qui concerne la reconstitution des recettes :
Considérant que, pour reconstituer les bénéfices bruts, l'administration a estimé que l'enrichissement inexpliqué du gérant correspondait à des recettes sociales dissimulées que celui-ci avait appréhendées ;
Considérant que, en raison de la séparation existant entre le patrimoine d'une société et celui de ses dirigeants, l'administration ne peut estimer que l'enrichissement de ces derniers révèle l'existence de recettes dissimulées de la société que si la comptabilité de cette dernière est dépourvue de valeur probante et si le fait que les dirigeants se comportent en maîtres de l'affaire est établi, par leur part prépondérante dans le capital social, et par des circonstances précises et concordantes tirées du fonctionnement même de l'entreprise ; Considérant, en ce qui concerne, l'exercice clos le 31 décembre 1976, que l'administration se borne, pour contester la valeur probante de la comptabilité de la société requérante, à faire état de certaines des irrégularités invoquées à l'encontre de la comptabilité de l'exercice suivant, qui, ainsi qu'il a été dit, ne suffisent pas à priver la comptabilité de valeur probante ; qu'ainsi les bases d'imposition retenues par l'administration ayant été établies selon une méthode radicalement viciée, la société apporte la preuve de l'exagération de ces bases et est, par suite, fondée à demander la décharge des impositions auxquelles elle a été assujettie ; Considérant, en ce qui concerne l'exercice clos le 31 décembre 1975, que, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la comptabilité de la société était dépourvue de valeur probante ; que M. BROS, gérant de la société, possédait 99 des 200 parts composant le capital de celle-ci alors que son frère en possédait 52 ; qu'il disposait, en application d'une délibération des associés en date du 15 avril 1975, des pouvoirs les plus étendus et exerçait la responsabilité effective de la gestion ; qu'il doit, dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme ayant été le maître de l'affaire ; que, dès lors, l'administration a pu à bon droit, se fonder sur l'accroissement injustifié du patrimoine du gérant pour évaluer le montant des recettes dissimulées par la société ;
Considérant que, si la société soutient que les disponibilités utilisées par son gérant provenaient du remboursement d'un prêt familial que le gérant avait antérieurement consenti et des économies que celui-ci avait réalisées sur les salaires antérieurement perçus par lui-même et son épouse, elle n'apporte aucun élément de nature à justifier ces allégations ; Considérant, en revanche, que la société établit que ne doivent être incluses dans les recettes sociales reconstituées par l'administration à partir des ressources en espèces d'origine non justifiée du gérant ni une somme de 5 000 F virée en 1975 du compte bancaire de M. BROS à celui de l'entreprise et que le vérificateur a regardée à tort, pour évaluer l'écart entre les ressources et les dépenses en espèces du gérant, comme un versement en numéraire, ni un dépôt en espèces de 16 600 F effectué par M. BROS sur son compte bancaire le 14 avril 1975, alors qu'il n'avait pas encore pris ses fonctions de gérant dans la société ; que cette dernière est, dès lors, fondée à soutenir que le montant des recettes à retenir pour 1975 doit être réduit de 21 600 F ; En ce qui concerne les amortissements :
Considérant que l'administration a réintégré dans les résultats de l'exercice clos le 31 décembre 1975, des amortissements en estimant que la société ne les avait pas régulièrement comptabilisés ; que la société requérante, qui se borne à produire, d'une part, une reconstitution des amortissements en cause, faisant ressortir d'ailleurs des montants différents de ceux qu'elle avait déduits, d'autre part, un état des immobilisations comportant la mention d'amortissement globaux, ne peut être regardée comme ayant procédé à la comptabilisation régulière des amortissements dont s'agit ; qu'elle n'est, dès lors, pas fondée à contester la réintégration de ceux-ci ;
Sur les pénalités :
Considérant que, devant le tribunal administratif, la société requérante n'avait pas présenté de moyens propres aux pénalités ; que, si elle soutient que celles-ci étaient irrégulières faute d'avoir été motivées dans les conditions prévues par la loi susvisée du 11 juillet 1979, elle émet ainsi une prétention qui, reposant sur une cause juridique distincte de celle sur laquelle se fondaient les moyens présentés par la société en première instance, présente le caractère d'une demande nouvelle en appel et, comme telle, est irrecevable ;
Article 1er : Le montant des bases d'imposition à l'impôt sur les sociétés de la Société "Central Clamart Auto-Ecole" au titre de l'année 1975 est réduit de 21 600 F.
Article 2 : Il est accordé à la Société "Central Clamart Auto-Ecole" la décharge d'une part de la différence entre la cotisation à l'impôt sur les sociétés qui lui a été réclamée au titrede l'année 1975 et le montant qui résulte des bases définies à l'article 1er ci-dessus, d'autre part des cotisations à l'impôt sur les sociétés qui lui ont été réclamées au titre des années 1976 et 1977 ainsi que des pénalités correspondantes.
Article 3 : Le jugement susvisé du tribunal administratif de Paris en date du 17 novembre 1983 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la Société "Central Clamart Auto-Ecole" est rejetée.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à la Société "Central Clamart Auto-Ecole" et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la privatisation, chargé du budget.