COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 12 janvier 2023, en audience publique, devant la Cour composée de :
Madame Sophie MOLLAT, Présidente
Madame Isabelle ROHART, Conseillère
Madame Déborah CORICON, Conseillère
qui en ont délibéré
GREFFIERE : Madame A, lors des débats
ARRET :
- contradictoire,
- rendu par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛,
- signé par Madame Sophie MOLLAT, Présidente et par Madame Saoussen HAKIRI, Greffière.
**********
La SAS SHAAMAN, créée en 2016, est spécialisée dans le conseil en management et propose des services d'intermédiation commerciale à destination d'un public senior. Elle est dirigée par son unique actionnaire, la société de droit belge SOLUWAY, elle-même dirigée par M. [Aa] [H].
Le 6 septembre 2019, dans le cadre du projet d'augmentation de capital de la société SHAAMAN sur la plateforme AYOMI, prestataire de la société SHAAMAN, M. [F] [V] signait électroniquement un bulletin de souscription portant sur un apport en numéraire d'une somme de 10.400€. En contrepartie de cet apport, il recevait 13 actions ordinaires de la société SHAAMAN d'une valeur nominale de 1€ avec une prime d'émission de 799€.
Le 28 mai 2020, le procès-verbal des décisions de l'associé unique de la société SHAAMAN constatait la réalisation définitive de l'augmentation de capital de ladite société par émission de 50 actions ordinaires nouvelles d'une valeur nominale de 1€ chacune, émises au prix unitaire de 800€, soit avec une prime d'émission de 799€, correspondant à une somme globale de 40.000€.
Les fonds levés ont été transférés sur le compte de la SAS SHAAMAN le 12 juin 2020.
N'ayant aucune nouvelle de cette société, ni de son dirigeant, M. [Aa] [H], le 9 octobre 2020, M. [V] mettait en demeure la SAS SHAAMAN de lui restituer le montant de l'apport en numéraire versé lors de l'opération d'augmentation de capital, dans la mesure où aucune formalité de publication n'avait été réalisée depuis le virement des 10.400€ et où la société SHAAMAN ne semblait plus avoir d'activité (la ligne téléphonique ayant été coupée et les comptes annuels n'ayant pas été déposés depuis 2017).
Le 4 décembre 2020, M. [F] [V] déposait une plainte entre les mains du Procureur de la République de Reims pour abus de confiance ayant entraîné un détournement de 10.400€.
Puis, le 21 janvier 2021, M. [F] [V] assignait la SAS SHAAMAN, la société SOLUWAY ainsi que M. [Aa] [H] devant le tribunal de commerce de Paris afin d'obtenir la nullité de l'augmentation de capital de la SAS SHAAMAN en date du 28 mai 2020 et de voir leur responsabilité engagée pour fraude dans le cadre de l'augmentation de capital.
Par jugement en date du 11 février 2022, le Tribunal de Commerce de Paris a prononcé la nullité de l'augmentation de capital de la société SHAAMAN en date du 28 mai 2020 et a condamné in solidum la SAS SHAAMAN, la société SOLUWAY et M. [Aa] [H] à payer à M. [F] [V] la somme de 10.400€ outre les intérêts à taux légal à compter du 12 octobre 2020, et celle de 2.500€ au titre de l'
article 700 du Code de procédure civile🏛.
La SAS SHAAMAN, la société SOLUWAY et M. [Aa] [H] ont interjeté appel de ce jugement.
*****
Dans leurs dernières conclusions signifiées à la Cour par voie électronique le 17 juin 2022, la société SHAAMAN, la société SOLUWAY et M. [Aa] [H] demandent à la Cour de :
INFIRMER le jugement entrepris en ce qu'il a :
Prononcé la nullité de l'augmentation de capital de la SAS SHAAMAN en date du 28 mai 2020,
Condamné in solidum la SAS SHAAMAN, la Sprl de droit belge B et M. [Aa] [H] à payer M. [F] [V] la somme de 10.400€, outre les intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2020, et celle de 2500€ en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
Condamné in solidum la SAS SHAAMAN, le Sprl de droit belge B et M. [Aa] [H] aux dépens.
Et, statuant à nouveau :
DIRE ET JUGER que l'augmentation de capital en date du 28 mai 2020 est justifiée et valable ;
DIRE ET JUGER que la preuve du caractère frauduleux de l'augmentation de capital correspondant à la demande de nullité n'est pas rapportée
CONDAMNER Monsieur [F] [V] à payer à chacun des appelants une somme de 2.500€ au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
CONDAMNER Monsieur [F] [V] aux entiers dépens au titre de l'
article 699 du Code de procédure civile🏛.
*****
Dans ses dernières conclusions signifiées à la Cour par voie électronique le 9 septembre 2022, M. [F] [V] demande à la Cour de :
DECLARER recevable mais mal fonde' la société SHAAMAN, la société SOLUWAY et M. [Aa] [H] en leur appel,
CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de Commerce de PARIS en date du 11/02/2022,
Y ajoutant
CONDAMNER solidairement la société SHAAMAN, la société SOLUWAY et M. [Aa] [H] a' payer a' Monsieur [F] [V] la somme de 4.500€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens de première instance et d'appel,
DEBOUTER la Société' SHAAMAN, la Société SOLUWAY et M. [Aa] [H] de leur demande de condamnation au paiement de la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.
*****
SUR CE :
Sur la nullité de l'augmentation de capital de la SAS SHAAMAN
Les appelants critiquent le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'augmentation de capital et dit que rien ne justifiait que la prime d'émission soit plus de 400 fois supérieure à la valeur nominale de l'action. Ils soutiennent qu'il existe une liberté contractuelle pour la fixation de cette prime, que les critères pour la fixer sont larges et ne sauraient se résumer au seul niveau des réserves de l'entreprise ni à ses perspectives de croissance.
Ils prétendent que leur prestataire, la société AYOMI, chargée de réaliser l'opération d'augmentation de capital, a utilisé une méthode de valorisation fondée sur les résultats futurs de la société SHAAMAN. Ils rappellent en outre que la société AYOMI avait pour mission de « s'occuper de discuter avec les potentiels investisseurs et surtout de les aider dans leur prise de décision », de sorte que M. [V] ne peut nier avoir été informé des conditions financières de son entrée au capital de la SAS SHAAMAN, que son consentement était libre et éclairé et qu'il n'a d'ailleurs jamais émis le moindre doute au moment de la signature des contrats.
Ils soulignent que l'existence d'un risque est inhérente à tout investissement et que M. [Ab] ne peut dont pas aujourd'hui arguer de résultats financiers décevants de la SAS SHAAMAN pour remettre en cause son apport. Selon eux, l'action en justice introduite par M. [Ab] est uniquement guidée par le fait que la SAS SHAAMAN n'a pas connu une croissance exceptionnelle depuis son entrée au capital, et non par le fait que la prime d'émission ne saurait être justifié en son principe.
M. [F] [V] répond que contrairement à ce que soutiennent les appelants et conformément à une jurisprudence ancienne et constante, la prime d'émission n'est pas libre et se doit d'être justifiée, soit par l'existence de réserves, soit par le fort potentiel de développement de l'entreprise, faute de quoi l'augmentation de capital peut être annulée pour fraude. Or en l'espèce, M. [V] estime que ni les réserves ni les prévisions de développement de la SAS SHAAMAN ne sauraient justifier une telle prime d'émission.
Il rappelle en effet qu'en 2019, les réserves de la SAS SHAAMAN s'élevaient à 41.158€ soit 2,74€ par action, et que les pertes s'élevaient à 31.163€ soit 2,07€ par action sur le même exercice, de sorte que l'action de la SAS SHAAMAN pouvait être valorisée à seulement 0,70€ en 2019. Il ajoute qu'en 2020, avec des réserves équivalent à 0,66€ par action, pour des pertes de 0,72€ par action, l'action de la SAS SHAAMAN ne pouvait pas être valorisée à plus de 0€. M. [V] en conclut qu'en aucun cas les réserves de la SAS SHAAMAN au cours des exercices 2019 et 2020 ne pouvaient justifier une telle prime d'émission.
Par ailleurs, M. [V] soutient que le niveau de la prime d'émission ne pouvait non plus être justifié par de fortes perspectives de développements pour la SAS SHAAMAN et que si M. [H] a fourni un prévisionnel établi par la société AYOMI, celui-ci n'a aucune valeur probante.
Il souligne que la SAS SHAAMAN n'a pas réalisé un chiffre d'affaires de 160.000€ comme cela est pourtant indiqué pour l'année 2018, ni un résultat comptable net de 5.000€ sur la même année. M. [V] en conclut que les prévisions pour les années 2020 et 2021 sont donc complètement hors de la réalité et basées sur des projections mensongères, et rappelle que c'est ce qui a d'ailleurs valu à la SAS SHAAMAN d'être qualifiée de « coquille vide » par le tribunal de commerce.
M. [Ab] fait enfin valoir que les appelants ne peuvent sérieusement prétendre qu'il n'a fait que prendre un risque inhérent à tout investissement en entrant au capital de la société SHAAMAN, puisque son investissement a en réalité été effectué en pure perte et que M. [Ac] avait sciemment caché à M. [Ab] le fait qu'il ne comptait faire aucun effort pour déployer l'activité de la SAS SHAAMAN.
M. [V] estime en outre que malgré les allégations formulées à leur encontre, les appelants ne cherchent aucunement à démontrer la réalité de la poursuite de l'activité de la SAS SHAAMAN, se contentant de verser au débat le trafic du site Internet de la société ainsi qu'une facture payée à la société AYOMI, ce qui ne saurait justifier en soit l'existence d'une quelconque activité.
M. [V] rappelle enfin que depuis décembre 2020, M. [Ac] exerce le rôle de dirigeant d'une société basée à [Localité 9], ce qui démontre, selon lui, que M. [Ac] n'a jamais sérieusement envisagé de s'investir pleinement dans le développement de la SAS SHAAMAN.
Selon l'
article L. 225-128 du code de commerce🏛, les titres de capital nouveau sont émis soit à leur montant soit à ce montant majoré d'une prime d'émission.
Si aucun texte ne régit le montant de cette prime d'émission, il convient néanmoins de souligner que cette prime est la contrepartie des droits que les actionnaires nouveaux acquièrent sur les réserves ou les plus-values d'actif et le montant doit être justifié par la valeur réelle des actions anciennes.
Il résulte de l'
article 1128 du code civil🏛 que pour être valable le contrat doit avoir un contenu licite et certain et l'article 1169 du même code précise qu'un contrat à titre onéreux est nul lorsqu'au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s'engage est illusoire ou dérisoire.
En l'espèce, dès le versement par M. [V] de la somme de 10.400 € correspondant à sa souscription, la ligne téléphonique de la société SHAAMAN a été coupée, celle-ci n'a plus eu d'activité et de surcroît aucune formalité de publication de la souscription d'actions n'a été réalisée.
Il s'ensuit qu'aucune contrepartie réelle n'existait et il y a lieu, dès lors, de confirmer le jugement en ce qu'il a prononcé la nullité de l'augmentation de capital.
Sur la condamnation in solidum de la SAS SHAAMAN, de la société SOLUWAY et de M. [Aa] [H] à verser la somme de 10.400€ à M. [F] [V] :
Les appelants estiment que c'est à tort que le tribunal de commerce a retenu leur responsabilité en raison de fraude pour l'augmentation de capital en date du 28 mai 2020. Ils réitèrent leur position selon laquelle la prime d'émission jouit d'une grande souplesse nécessaire à la vie des affaires, concluant que la fixation d'une prime d'émission même largement supérieure à la valeur nominale de l'action ne caractérise en rien une faute ni ne révèle une quelconque opération de fraude.
M. [F] [V] réitère sa demande de condamnation solidaire de M. [Ac] et de la société SOLUWAY avec la SAS SHAAMAN. Il rappelle en effet qu'au visa des
articles L.227-8, L.227-7 et L.225-51 du Code de Commerce🏛🏛🏛, M. [Ac] a bien engagé sa responsabilité puisqu'il a délibérément retenu les informations comptables et financières de la SAS SHAAMAN, de sorte à se rendre bénéficiaire de l'augmentation de capital frauduleuse.
La cour considère que la responsabilité des dirigeants peut être engagée à l'égard des tiers s'ils ont commis une faute séparable de leurs fonctions, c'est-à-dire une faute intentionnelle d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal de leurs fonctions.
En l'espèce, le fait de proposer une souscription d'actions avec prime d'émission et d'en recevoir le paiement, sans avoir l'intention de poursuivre l'activité de la société, à tel point que la ligne téléphonique a été coupée, que M. [Ab] n'a jamais reçu aucune information suite à son versement, qu'aucune formalité de publication n'a été effectuée, constitue une fraude et donc une faute séparable des fonctions et c'est en conséquence à juste titre que les premiers juges ont condamné la société SOLUWAY, actionnaire unique de la SAS SHAAMAN et M. [Aa] [H] dirigeant de la société de droit belge SOLUWAY in solidum avec la SAS SHAAMAN à payer à M. [F] [V] une somme de 10.400 €, outre intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 9 octobre 2020.
Sur les dépens et les demandes au titre de l'article 700 du Code de procédure civile :
La SAS SHAAMAN, la société SOLUWAY et M. [Aa] [H] seront condamnés in solidum aux dépens, ainsi qu'à payer à M. [F] [V] une somme de 4.500€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS :
Confirme le jugement,
Y ajoutant,
Condamne la SAS SHAAMAN, la société SOLUWAY et M. [Aa] [H] in solidum aux dépens d'appel, ainsi qu'à payer à M. [F] [V] une somme de 4.500€ sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais hors dépens exposés en appel.
Le greffier La présidente