N° X 20-87.132 F-D
N° 00422
ECF
4 AVRIL 2023
CASSATION SANS RENVOI
M. BONNAL président,
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 4 AVRIL 2023
M. [U] [Aa] a formé un pourvoi contre le jugement du tribunal de police de Lille, en date du 1er décembre 2020, qui, pour bruit ou tapage injurieux troublant la tranquillité d'autrui, l'a condamné à 100 euros d'amende.
Un mémoire a été produit.
Sur le rapport de M. Sottet, conseiller, les observations de la SCP Krivine et Viaud, avocat de M. [U] [Aa], et les conclusions de M. Lemoine, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 mars 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Sottet, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Coste-Floret, greffier de chambre,
la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'
article 567-1-1 du code de procédure pénale🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Il résulte du jugement attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.
2. M. [Aa] a été poursuivi devant le tribunal de police du chef précité, pour avoir proféré, avec d'autres personnes qui participaient à une manifestation organisée à l'appel d'un parti politique pour protester contre des projets de réforme gouvernementaux, le slogan « CRS au zoo, libérez les animaux ».
Examen des moyens
Sur le deuxième moyen, pris en ses deuxième et troisième branches
Enoncé du moyen
3. Le moyen critique le jugement attaqué en ce qu'il a déclaré coupable M. [Aa] de la contravention de bruits ou tapages injurieux troublant la tranquillité d'autrui et l'a condamné à une peine d'amende de 100 euros, alors :
« 2°/ que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en l'espèce, en déclarant M. [Aa] coupable de bruits ou tapages injurieux troublant la tranquillité
d'autrui pour avoir crié, lors d'une manifestation sur la voie publique, « CRS
au zoo, libérez les animaux », quand ces propos n'excédaient pas les limites
admissibles de la liberté d'expression dans un pays démocratique, le tribunal
a violé les articles 10 et 11 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
3°/ que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en l'espèce, en déclarant M. [Aa] coupable de bruits ou tapages injurieux troublant la tranquillité
d'autrui pour avoir crié, lors d'une manifestation sur la voie publique, « CRS
au zoo, libérez les animaux », quand une telle condamnation, qui ne constitue pas une mesure nécessaire, dans une société démocratique à la défense de l'ordre ou à la protection des droits et libertés d'autrui, portait une atteinte excessive à la liberté d'expression et à la liberté de réunion, le tribunal de police a violé les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme. »
Réponse de la Cour
Vu les articles 10 et 11 de la Convention européenne des droits de l'homme :
4. La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans le cas où celles-ci constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 du premier de ces textes.
5. Il en est de même, s'agissant de la liberté de réunion et d'association, au regard du paragraphe 2 du second.
6. Pour dire établie la contravention de tapage injurieux, le jugement attaqué énonce qu'il résulte du procès-verbal de contravention et d'un rapport subséquent que le prévenu a été reconnu parmi des manifestants vociférant des propos injurieux destinés aux forces de police, en ces termes : « CRS au zoo, libérez les animaux », et qu'il n'apporte pas la preuve contraire de ces constatations circonstanciées.
7. En prononçant ainsi, alors qu'il résulte de ces énonciations et des pièces de procédure que le prévenu participait, pour exprimer et soutenir des opinions de nature politique et sociale, à une manifestation pacifique sur la voie publique, au cours de laquelle, avec d'autres manifestants, il a scandé un slogan qui n'excédait pas les limites admissibles de la liberté d'expression, de sorte qu'une condamnation pour tapage injurieux ne constituait pas une mesure nécessaire, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre ou à la protection des droits et libertés d'autrui, le tribunal de police a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés.
8. La cassation est, en conséquence, encourue.
Portée et conséquences de la cassation
9. N'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, la cassation aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'
article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire🏛.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens de cassation proposés, la Cour :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement susvisé du tribunal de police de Lille, en date du 1er décembre 2020 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du tribunal de police de Lille et sa mention en marge ou à la suite du jugement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du quatre avril deux mille vingt-trois.