CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 53608
CARON
Lecture du 02 Mars 1987
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 22 août 1983 et 22 décembre 1983 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. CARON, demeurant 7, rue d'Elbée à Cholet (49300), et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1°) annule le jugement, du 10 juin 1983, par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à la décharge des cotisations supplémentaires auxquelles il a été assujetti en matière d'impôt sur le revenu, au titre des années 1972, 1973, 1974 et 1975 et de la majoration exceptionnelle dudit impôt, au titre de 1973 et 1975, 2°) lui accorde la décharge des impositions contestées ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu le code général des impôts ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Vu l'article 93-II de la loi n° 83-179 du 29 décembre 1983, portant loi de finances pour 1984 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Fabre, Maître des requêtes, - les observations de la SCP Tiffreau, Thouin-Palat, avocat de M. Jean CARON, - les conclusions de M. Le Roy, Commissaire du gouvernement ;
Considérant que dans les termes où elle est rédigée la requête de M. CARON doit être regardée comme tendant seulement à la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre des années 1974 et 1975 et de la cotisation de majoration exceptionnelle au titre de l'année 1975 ; Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête : En ce qui concerne la charge de la preuve :
Considérant qu'aux termes du 1 de l'article 1651 bis du code général des impôts, alors en vigueur, "Le rapport par lequel l'administration soumet le différend à la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires ainsi que tous les autres documents dont l'administration fait état auprès de cette commission pour appuyer sa thèse doivent être tenus à la disposition du contribuable ..., sous réserve du secret professionnel relatif aux renseignements concernant d'autres redevables, mais y compris les documents contenant des indications relatives aux bénéfices ou revenus de tiers, de telle manière qu'il puisse s'assurer que les points de comparaison retenus par l'administration visent bien des entreprises dont l'activité est comparable à la sienne" ;
Considérant que, lorsque l'administration, en application de ces dispositions, fait état auprès de la commission, à titre d'éléments de comparaison, des chiffres d'affaires et des rémunérations des dirigeants d'autres entreprises, elle doit, pour assurer le caractère contradictoire du débat sans méconnaître le secret professionnel, désigner nommément ces entreprises, mais ne fournir que des moyennes ne permettant pas de connaître, fût-ce indirectement, les données propres à chacune d'elles ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, pour soutenir que les rémunrations perçues par M. CARON, en sa qualité de gérant de la société à responsabilité limitée " SOFIDEX", au cours de chacune des années 1974 et 1975, étaient exagérées, l'administration a fait état auprès de la commission départementale des chiffres d'affaires et des rémunérations des dirigeants de neuf entreprises retenues comme comparables à celle de la société " SOFIDEX", mais non nommément désignées ; que le contribuable n'a pas été mis ainsi à même de s'assurer que les éléments de comparaison proposés par l'administration étaient pertinents ; qu'il est constant que la commission départementale a motivé l'avis émis par elle le 26 octobre 1977 en se référant notamment à ces éléments de comparaison ; que, par suite, ledit avis a été rendu irrégulièrement ; qu'il revient dès lors, à l'administration d'apporter la preuve que les redressements effectués par elle, conformément à l'avis de la commission, sont fondés ; En ce qui concerne les bases d'imposition :
Considérant qu'aux termes de l'article 39 du code général des impôts, "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant .. notamment : 1° les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel ... -Toutefois, les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu..." ; qu'aux termes de l'article 111 du même code, "sont notamment considérés comme revenus distribués : ... d) la fraction des rémunérations qui n'est pas déductible en vertu de l'article 39-1-1°" ;
Considérant que la société "SOFIDEX", qui exploite, à Cholet, un cabinet d'expertise comptable, a, au cours de chacune des années 1974 et 1975, alloué à M. CARON, son gérant, des rémunérations qui se sont élevées, successivement, à 258253 F, et 276753 F ; que l'administration a rapporté aux bénéfices imposables de la société, et regardé comme constitutive pour M. CARON d'un revenu de capitaux mobiliers, une fraction de ces rémunérations tenues par elle pour excessives, et s'établissant, respectivement, à 29030 F et 33000 F ; Considérant, d'une part, que, pour apporter la preuve, qui, ainsi qu'il a été dit ci-dessus, lui incombe, du bien-fondé des redressements opérés sur les revenus de M. CARON, l'administration ne saurait utilement faire état d'éléments de comparaison tirés de tierces entreprises non nommément désignées et dont elle ne peut justifier que l'activité soit, en tous points ou pour partie, comparable à celle de la société dont le contribuable est le dirigeant ; Considérant, d'autre part, qu'eu égard à la nature de l'activité et aux conditions d'exploitation de la société " SOFIDEX", il ne ressort pas du seul rapprochement des rémunérations allouées à M. CARON et du chiffre d'affaires de l'entreprise, de la masse des salaires versés par elle ou du montant de ses bénéfices, que lesdites rémunérations aient excessivement rétribué les services rendus par le requérant, seul à posséder le diplôme d'expert-comptable et que n'assistaient qu'un petit nombre de collaborateurs moins qualifiés ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'administration n'apporte pas la preuve du bien-fondé des redressements contestés, et que M. CARON, dès lors, est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande en décharge des droits supplémentaires auxquels il a été assujetti de ce chef en matière d'impôt sur le revenu, au titre de l'année 1974 et d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle dudit impôt, au titre de l'année 1975 ;
Article ler : Le jugement du tribunal administratif de Nantes, du 10 juin 1983, est annulé.
Article 2 : Il est accordé à M. CARON décharge des compléments d'impôt sur le revenu, au titre de l'année 1974, d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle dudit impôt, au titre de l'année 1975, auxquels il a été assujetti du fait de l'imposition en tant que revenu de capitaux mobiliers d'une fraction des rémunérations que la société à responsabilité limitée "SOFIDEX" lui aversées au cours de ces mêmes années.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à M. CARON et au ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et dela privatisation, chargé du budget.