CE 1/4 ch.-r., 04-04-2023, n° 449276, mentionné aux tables du recueil Lebon
A83129MS
Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:449276.20230404
Référence
66-07-01-04-03-01 1) Pour apprécier si l’employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l’autorité administrative doit s’assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu’il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié protégé, en tenant compte de l’ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié. ...2) Lorsque l’employeur licenciant pour motif économique un salarié protégé a connaissance de ce qu’il a la qualité de travailleur handicapé, il appartient à l’autorité administrative de vérifier que l’employeur auquel incombe, en application de l’article L. 5213-6 du code du travail, de prendre toutes les mesures appropriées pour permettre à un travailleur handicapé de conserver un emploi correspondant à sa qualification, a, le cas échéant à la lumière des préconisations du médecin du travail, procédé à une recherche sérieuse de postes de reclassement appropriés à la situation du salarié, au besoin par la mise en œuvre de mesures d’adaptation.
La société Asteelflash France a demandé au tribunal administratif de
Clermont-Ferrand d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 8 septembre 2016 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a, d'une part, retiré sa décision implicite de rejet née du silence gardé sur le recours hiérarchique de
Mme B A contre la décision de l'inspectrice du travail de la septième section de l'unité départementale de l'Allier du 20 janvier 2016 ayant autorisé son licenciement pour motif économique, d'autre part, annulé cette décision, enfin, refusé d'autoriser le licenciement de
Mme A. Par un jugement n° 1601922 du 19 juin 2018, le tribunal administratif a annulé la décision de la ministre chargée du travail du 8 septembre 2016.
Par un arrêt n° 18LY02694 du 6 août 2020, la cour administrative d'appel de Lyon⚖️ a rejeté l'appel formé par Mme A contre ce jugement.
Par un pourvoi sommaire et un mémoire complémentaire, enregistrés les
1er février et 3 mai 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, Mme A demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler cet arrêt ;
2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros à verser à la SCP Thouin-Palat, Boucard, son avocat, en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative🏛 et 37 de la loi du 10 juillet 1991🏛.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Camille Belloc, auditrice,
- les conclusions de M. Raphaël Chambon, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de Mme A ;
1. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la société Asteelflash France, spécialisée dans la sous-traitance électronique, a sollicité l'autorisation de licencier pour motif économique Mme A, salariée protégée, employée depuis le
2 février 2004 en qualité d'opératrice de production sur le site de Domérat, dans l'Allier. Par une décision du 20 janvier 2016, l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement. Par une décision du 8 septembre 2016, la ministre chargée du travail a, d'une part, retiré la décision implicite par laquelle elle avait rejeté le recours hiérarchique formé par Mme A contre la décision de l'inspectrice du travail, d'autre part, annulé cette décision, enfin, refusé d'autoriser le licenciement de la salariée. Par un jugement du 19 juin 2018, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a, sur demande de la société Asteelflash France, annulé la décision de la ministre chargée du travail du 8 septembre 2016. Par un arrêt du 6 août 2020, contre lequel Mme A se pourvoit en cassation, la cour administrative d'appel de Lyon a rejeté l'appel formé par Mme A contre ce jugement.
2. D'une part, aux termes de l'article L. 5213-6 du code du travail🏛, dans sa rédaction applicable au litige : " Afin de garantir le respect du principe d'égalité de traitement à l'égard des travailleurs handicapés, l'employeur prend, en fonction des besoins dans une situation concrète, les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs mentionnés aux 1° à 4° et 9° à 11° de l'article L. 5212-13 d'accéder à un emploi ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification, de l'exercer ou d'y progresser ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée. / Ces mesures sont prises sous réserve que les charges consécutives à leur mise en œuvre ne soient pas disproportionnées, compte tenu de l'aide prévue à l'article L. 5213-10 qui peuvent compenser en tout ou partie les dépenses supportées à ce titre par l'employeur. / Le refus de prendre des mesures au sens du premier alinéa peut être constitutif d'une discrimination au sens de l'article L. 1133-3 ".
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 1233-3 du code du travail🏛, dans sa rédaction applicable au litige : " Constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi (), consécutives à des difficultés économiques ou mutations technologiques ". Aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail🏛, dans sa rédaction applicable au litige : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré sur les emplois disponibles, situés sur le territoire national dans l'entreprise ou les autres entreprises du groupe dont l'entreprise fait partie. / Le reclassement du salarié s'effectue sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent assorti d'une rémunération équivalente. A défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, le reclassement s'effectue sur un emploi d'une catégorie inférieure. / Les offres de reclassement proposées au salarié sont écrites et précises ".
4. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions d'effectifs envisagées et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié.
5. Pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement du salarié protégé, en tenant compte de l'ensemble des circonstances de fait qui lui sont soumises, notamment de ce que les recherches de reclassement ont débouché sur des propositions précises de reclassement, de la nature et du nombre de ces propositions, ainsi que des motifs de refus avancés par le salarié. Lorsque l'employeur a connaissance de ce que le salarié a la qualité de travailleur handicapé, il appartient à l'autorité administrative de vérifier que l'employeur auquel incombe, en application des dispositions de l'article L. 5213-6 du code du travail citées au
point 2, de prendre toutes les mesures appropriées pour permettre à un travailleur handicapé de conserver un emploi correspondant à sa qualification, a, le cas échéant à la lumière des préconisations du médecin du travail, procédé à une recherche sérieuse de postes de reclassement appropriés à la situation du salarié, au besoin par la mise en œuvre de mesures d'adaptation.
6. Il ressort des énonciations de l'arrêt attaqué que, pour apprécier le respect par la société Asteelflash France de son obligation de recherche sérieuse de postes de reclassement, la cour a relevé, d'une part, que des propositions écrites et précises de postes de reclassement ont été faites à Mme A, parmi lesquelles figuraient des postes d'opérateur de production, identiques à celui qu'elle occupait précédemment, pour lequel le médecin du travail l'avait déclarée apte à plusieurs reprises, en dernier lieu par un avis du 19 janvier 2015, d'autre part, qu'il n'était pas allégué que ce poste aurait fait l'objet d'adaptations particulières liées à sa qualité de travailleur handicapé, ni que les postes proposés auraient nécessité des adaptations liées à cette qualité. En jugeant ainsi, la cour a porté sur les faits qui lui étaient soumis une appréciation souveraine exempte de dénaturation. Elle a pu en déduire, sans commettre d'erreur de droit, que la société Asteelflash France avait, en l'espèce, pris en compte, dans sa recherche des possibilités de reclassement de la salariée, la qualité de travailleur handicapé de celle-ci, malgré l'absence de sollicitation préalable à sa recherche de l'avis du médecin du travail, et que, par suite, la société n'avait pas méconnu son obligation de procéder à une recherche sérieuse des possibilités de reclassement.
7. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Lyon qu'elle attaque. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du
10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées sur leur fondement par la SCP Thouin-Palat, Boucard, avocat de Mme A.
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Article 1er : Le pourvoi de Mme A est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme B A et à la société Asteelflash France.
Copie en sera adressée au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.