CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 47658
Ministre délégué chargé du budget
contre
M. VERGER
Lecture du 11 Mai 1984
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 7ème Sous-Section
Vu le recours du ministre délégué, chargé du budget, enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 30 décembre 1982, et tendant à ce que le Conseil d'Etat:
1° réforme le jugement du 8 juillet 1982, par lequel le tribunal administratif de Paris a déchargé M. Verger des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et à la taxe complémentaire, et à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti au titre respectivement de l'année 1969 et des années 1970, 1971 et 1972, dans les rôles de la ville de Paris, déduction faite des dégrèvements prononcés au cours de la procédure contentieuse;
2° remette ces impositions à la charge de M. Verger;
Vu le code général des impôts;
Vu le code des tribunaux administratifs;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;
Vu la loi du 30 décembre 1977;
Vu la loi du 29 décembre 1983, portant loi de finances pour 1984, notamment son article 93-II.
Considérant que le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget fait appel d'un jugement du tribunal administratif de Paris, en date du 8 juillet 1982, en tant que, par ce jugement, le tribunal a déchargé M. Verger, président-directeur général de la "Compagnie française de radioguidage", société anonyme, des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu des personnes physiques et à la taxe complémentaire et à l'impôt sur le revenu auxquelles ce contribuable a été assujetti au titre, respectivement, de l'année 1969 et des années 1970, 1971 et 1972, à raison de réintégrations correspondant, d'une part, à des mouvements de fonds, d'autre part, à des avantages en nature dont aurait bénéficié l'intéressé;
Sur les mouvements de fonds:
Considérant que l'administration, estimant que les sommes de 892 527 F et 1 110 025 F, représentant la différence constatée, respectivement en 1969 et 1970, entre les montants des chèques provenant de tiers encaissés par M. Verger et des chèques émis par celui-ci au profit de tiers, constituaient des revenus, à par voie de taxation d'office, ajouté ces sommes aux bases imposables de l'intéressé, au titre de ces deux années, pour lesquelles aucune déclaration n'avait été produite;
Considérant, en premier lieu, que le ministre invoque, à l'appui de son pourvoi, l'autorité de la chose jugée qui s'attacherait, selon lui, à un jugement du tribunal de grande instance de Paris, siégeant en audience correctionnelle, en date du 14 novembre 1979, confirmé par un arrét, en date du 12 mai 1982, de la cour d'appel de Paris devenu définitif; que, si l'autorité de la chose jugée des décisions des juges répressifs devenues définitives s'attache à la constatation matérielle des faits qui sont le support de la condamnation et à la qualification de ces faits sur le plan pénal, il ressort de l'examen de l'arrêt susmentionné de la cour d'appel de Paris, que celle-ci ne s'est pas prononcée sur la question de savoir si M. Verger a, en ce qui concerne les sommes classées sous le chef "mouvements de fonds", perçu des revenus; que, dès lors, contrairement à ce que soutient le ministre, la solution du litige sur le plan fiscal n'est pas déterminée par une constatation faite par le juge pénal à laquelle s'attacherait l'autorité de la chose jugée;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 92 du code général des impôts: <<... 1. Sont considérés.... comme revenus assimilés aux bénéfices non commerciaux, les bénéfices... de toutes.... sources de profits ne se rattachant pas à une autre catégorie de bénéfices ou de revenus...."; qu'il résulte de l'instruction, notamment d'une expertise ordonnée par le tribunal administratif, dont l'administration n'a contesté ni l'exposé des faits ni les conclusions, que les sommes en litige, portées sur les comptes bancaires personnels de M. Verger, qui provenaient de sociétés contrôlées par ce dernier ou avec lesquelles il avait passé des accords à cette fin, étaient le support d'"opérations croisées" ayant pour but de procurer des facilités de crédit, et étaient exactement compensées par des chèques émis par M. Verger ou le débit des comptes courants que ce contribuable possédait dans lesdites sociétés; que, dans ces conditions, ces sommes, qui ne constituaient pas pour l'intéressé des profits, au sens des dispositions précitées de l'article 92 du code, ne peuvent être regardées, contrairement à ce que soutient le ministre, comme des somme appréhendées par M. Verger, correspondant à des revenus imposables; qu'il suit de là que les moyens tirés par le ministre du principe de l'annualité de l'impôt ou de la circonstance que les mouvements de fonds dont s'agit ont eu lieu entre personnes juridiquement distinctes sont inopérants;
Sur l'avantage en nature:
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'au cours des années 1969 à 1972, M. Verger a eu à sa disposition des véhicules automobiles inscrits à l'actif de la "compagnie française de radioguidage" qu'il a utilisés partiellement à des fins privées; que cet avantage a été évalué par l'administration à 13 200 F pour chacune des années concernées; que M. Verger, qui, comme il a été dit ci-dessus supporte la charge de la preuve, n'établit pas qu'il utilisait essentiellement à des fins professionnelles ces véhicules; qu'en revanche, il ne resort pas des pièces du dossier, et il n'est, d'ailleurs, même pas allégué, que la prise en compte de cet avantage en nature a porté la rémunération versée par la "compagnie française de radioguidage" à M. Verger à un niveau excessif par rapport à l'activité déployée par celui-ci; que, dès lors, l'avantage en nature litigieux devait être regardé, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, comme un supplément de salaire qui trouve son origine dans les fonctions de l'intéressé, et non pas, contrairement à ce que soutient le ministre, comme un revenu de capitaux mobiliers, nonobstant la circonstance que la "compagnie française de radioguidage" n'aurait pas porté dans sa comptabilité et dans ses déclarations cet avantage en nature;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget n'est pas fondé à demander la réformation du jugement attaqué.
DECIDE
Article 1er - Le recours du ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances, chargé du budget est rejeté.