5ème Chambre
ARRÊT N°-105
N° RG 21/02616 - N° Portalis DBVL-V-B7F-RSSW
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
A. RESDIDA
Infirme la décision déférée dans toutes ses dispositions, à l'égard de toutes les parties au recours
Copie exécutoire délivrée
le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE RENNES
ARRÊT DU 15 MARS 2023
COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :
Président : Madame Pascale LE CHAMPION, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie PARENT, Présidente,
Assesseur : Madame Virginie HAUET, Conseiller,
GREFFIER :
Madame Aa B, lors des débats et lors du prononcé
DÉBATS :
A l'audience publique du 18 Janvier 2023
ARRÊT :
Contradictoire, prononcé publiquement le 15 Mars 2023 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l'issue des débats
****
APPELANTE :
S.A. AXA FRANCE IARD
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Emilie BUTTIER de la SELARL RACINE, Postulant, avocat au barreau de NANTES
Représentée par Me Agathe ROBLES, Plaidant, avocat au barreau de PARIS
INTIMÉE :
S.A.R.L. RESDIDA Société à responsabilité limitée au capital de 7 335 000,00 €, immatriculée au RCS de RENNES sous le n° 387 849 037 dont le siège social est [Adresse 3] [Localité 2], prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 3]
[Localité 2]
Représentée par Me Bruno CRESSARD de la SELARL CRESSARD & LE GOFF, AVOCATS, Plaidant/Postulant, avocat au barreau de RENNES
La société Resdida exploite plusieurs restaurants sous enseigne 'Del Arte', marque du groupe Le Duff.
La société Resdida est titulaire auprès de la société Axa France Iard des polices d'assurance suivantes :
- contrat n°10060l82404 souscrit par la SARL Mon Petit Business le 17 octobre 2017, pour l'exploitation d'un établissement de restauration sous l'enseigne Del Arte situé [Adresse 5] à [Localité 9],
- contrat n°4134761604 souscrit par la SARL Sigma 35 le 14 décembre 2012 pour l'exploitation d'un établissement de restauration sous l'enseigne Del Arte situé [Adresse 6] à [Localité 2],
- contrat n°6309058304 souscrit par la société Resdida le 6 août 2014 pour l'exploitation d'un établissement de restauration sous l'enseigne Del Arte situé [Adresse 7] à [Localité 2].
La société Resdida vient aux droits et obligations de la SARL Mon Petit Business et de la SARL Sigma 35 par suite d'opérations d'absorption.
À la suite de la crise sanitaire dite Covid-19, les restaurants ont fait l'objet d'une fermeture administrative.
La société Resdida a déclaré le sinistre à son assureur afin d'être indemnisé de ses pertes d'exploitation.
La rédaction des clauses contractuelle a fait l'objet d'interprétations différentes entre les parties, de telle sorte que celles-ci n'ont pu s'entendre, la société Axa France Iard refusant toute indemnisation au titre de la fermeture administrative des restaurants.
La société Resdida a saisi le tribunal de commerce de Rennes.
Par jugement du 23 mars 2021, la juridiction consulaire a :
- confirmé la qualité à agir de Resdida concernant les contrats n°10060182404 et n°6309058304,
- dit que la clause d'exclusion de garantie relative aux pertes d'exploitation inscrite dans les conditions particulières du contrat est réputée non écrite, et donc est nulle et de nul effet et en tout état de cause non opposable à la société demanderesse.
- constaté que les conditions relatives à la 'garantie pertes d'exploitation' consécutives à la fermeture administrative des restaurants appartenant à la société demanderesse lui sont acquises,
- condamné la société Axa France Iard à garantir, dans la limite contractuelle les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative des restaurants exploités par la société demanderesse, dans les conditions prévues au contrat,
- ordonné le versement par la société Axa France Iard à la société demanderesse, à titre de provision, de la somme de 302 500 euros sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour passé le 15ème jour suivant la signification du jugement, et ce pour une période de 60 jours, après quoi il devra à nouveau y être fait droit,
- s'est réservé le pouvoir de liquider l'astreinte conformément aux dispositions de l'
article 491 du code de procédure civile🏛,
- fait droit à la demande d'expertise judiciaire formulée par la société demanderesse, aux frais avancés exclusivement par elle,
- désigné Mme [E] [O] expert judiciaire avec pour mission de :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, (notamment l'estimation effectuée par la demanderesse et/ou son expert-comptable) accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation 2019-2020,
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance,
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires-charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,
* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture,
* rédiger un pré-rapport et le soumettre aux parties,
* répondre aux dires des parties,
* rédiger un rapport définitif,
- dit qu'avant d'accepter sa mission, l'expert désigné pourra consulter au greffe du tribunal les documents qui lui sont nécessaires par application de l'
article 268 du code de procédure civile🏛,
- dit qu'en cas de refus de la mission, il sera procédé à la désignation d'un autre Expert par le Juge en charge du suivi du présent dossier,
- dit qu'en cas de carence des parties à fournir tous moyens à l'Expert d'accomplir sa mission, ce dernier informera le juge chargé du suivi du dossier conformément aux dispositions de l'
article 275 du code de procédure civile🏛,
- dit que I'expert pourra recueillir les déclarations de toutes personnes informées et pourra s'adjoindre tout technicien de son choix dans une spécialité distincte de la sienne par application de l'
article 278 du code de procédure civile🏛,
- fixé la provision sur honoraires de l'expert à la somme de 3 000 euros que la demanderesse devra consigner au greffe du tribunal, dans le délai d'un mois à compter de la date de la présente ordonnance,
- dit que I'expert devra commencer ses opérations à compter du jour où il aura reçu notification par le greffe de la consignation de la provision fixée ci-dessus, et ce, conformément à l'
article 267 alinéa 2 du code de procédure civile🏛,
- dit qu'à défaut de consignation dans le délai imparti, le Juge chargé du suivi du dossier constatera la caducité de la mesure sauf par l'une des parties à agir conformément à l'
article 271 du code de procédure civile🏛,
- dit que l'expert fera connaître à la société demanderesse le montant de ses frais et honoraires dans le mois suivant la première réunion,
- dit que l'expert devra déposer son rapport définitif en deux exemplaires au greffe du tribunal de commerce de Rennes dans un délai de 4 mois à compter du jour de la consignation de la provision au greffe du tribunal,
- dit que dans le cas ou les parties viendraient à se concilier, elles en informeront l'expert, lequel devra constater que sa mission est devenue sans objet et en faire rapport au juge chargé du suivi du dossier après que les parties aient convenu du mode de règlement de ses honoraires et débours,
- dit que M. Eyraud président de chambre du tribunal, aura en charge le suivi du présent dossier,
- autorisé les greffiers à remettre leurs dossiers aux parties ou à leurs conseils,
- sursis à statuer sur la liquidation définitive de l'indemnisation pour pertes d'exploitation dans l'attente du rapport de l'expert.
- condamné la société Axa France Iard, qui succombe, à payer à la société demanderesse la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- débouté la société demanderesse du surplus de ses demandes,
- débouté la société Axa France Iard de sa demande d'écarter l'exécution provisoire à hauteur de 50 %,
- condamné la société Axa France Iard aux entiers dépens,
- liquidé les frais de greffe à la somme de 80.28 euros tels que prévu aux
articles 695 et 701 du code de procédure civile🏛🏛.
Le 29 avril 2021, la société Axa France Iard a interjeté appel de cette décision et aux termes de ses dernières écritures notifiées le 17 janvier 2023, elle demande à la cour de :
- déclarer recevable et bien-fondé son appel et, y faisant droit :
A titre principal,
- infirmer le jugement du 23 mars 2021 du tribunal de commerce de Rennes, ainsi que la décision rectificative prononcée le 30 mars suivant, en ce qu'il :
* a dit que la clause d'exclusion de garantie relative aux pertes d'exploitation, inscrite dans les conditions particulières du contrat, est réputée non écrite, et donc est nulle et de nul effet et en tout état de cause non opposable à la société Resdida,
* a constaté que les conditions relatives à la « garantie pertes d'exploitation » consécutives à la fermeture administrative des restaurants exploités par la société Resdida lui sont acquises,
* l'a condamnée à garantir, dans la limite contractuelle, les pertes d'exploitation consécutives à la fermeture administrative des restaurants exploités par la société Resdida, dans les conditions prévues au contrat,
* l'a condamnée à payer à la société Resdida, à titre de provision, la somme de 302 500 euros à valoir sur l'indemnité définitive, sous astreinte provisoire de 1 000 euros par jour passé le 15ème jour suivant la signification du jugement,
* a ordonné une mesure d'instruction,
* a commis pour y procéder Mme [E] [O], Espace Performance, à [Localité 8], laquelle aura pour mission parties présentes ou dûment convoquées de :
° se faire communiquer tous les éléments contractuels et comptables utiles,
° entendre tout sachant,
° examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance,
° donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffres d'affaires - charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,
° donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture »
* a débouté les parties de toutes leurs autres demandes,
* l'a condamnée à régler à la société Resdida la somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamnée à supporter les entiers dépens de l'instance,
- infirmer le jugement du 23 mars 2021 du tribunal de commerce de Rennes, ainsi que la décision rectificative prononcée le 30 mars suivant, en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion,
- infirmer le jugement du 13 avril 2021 du tribunal de commerce de Rennes en ce que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui ne serait pas inscrite en termes très apparents, de sorte que sa rédaction ne serait pas conforme aux règles de formalisme prescrites par l'
article L. 112-4 du code des assurances🏛,
Statuant à nouveau,
- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce,
- juger que cette clause d'exclusion répond au caractère formel et limité de l'
article L. 113-1 du code des assurances🏛,
- juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et répond au caractère limité de l'article L. 113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas son obligation essentielle de sa substance au sens de l'
article 1170 du code civil🏛,
- juger que cette clause d'exclusion est inscrite en des termes très apparents, de sorte que sa rédaction est conforme aux règles de formalisme prescrites par l'article L. 112-4 du code des assurances,
En conséquence :
- juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie,
- débouter l'assurée de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 23 mars 2021 du tribunal de commerce de Rennes, ainsi que la décision rectificative prononcée le 30 mars suivant,
- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Rennes,
A titre subsidiaire,
- ordonner la fixation de la mission de l'expert désigné par le tribunal de commerce de Rennes comme suit :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'intimée et/ou son expert comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années,
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicable,
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, comprenant le calcul de la perte de marge brute et déterminer le montant des charges salariales et des économies réalisées,
* donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée,
* donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 15 mars 2020 et le 29 octobre 2020,
En tout état de cause,
- débouter l'assurée de toutes demandes, fins ou conclusions contraires au présent dispositif,
- condamner la société Resdida à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 17 janvier 2023, la société Resdida demande à la cour de :
- confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 23 mars 2021 dans toutes ses dispositions,
Par conséquent,
- débouter la société Axa France Iard de toutes ses demandes,
Y ajoutant,
- condamner la société Axa France Iard à lui verser la somme de 217 818 euros à titre de provision complémentaire à valoir sur l'indemnisation définitive de ses préjudices,
- condamner la société Axa France Iard à verser à la société Resdida, la somme de 15 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel,
- condamner la société Axa France iard aux entiers dépens d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 18 janvier 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au soutien de son appel, la société Axa France Iard entend se prévaloir de la clause d'exclusion concernant l'extension de garantie des pertes d'exploitation en présence d'une fermeture administrative contenue dans les conditions particulières du contrat d'assurance.
La société Axa France Iard conteste, comme l'affirme l'intimée, ne pas avoir repris dans le dispositif de ses premières conclusions l'énoncé des chefs de jugement critiqués.
Elle fait état des divergences jurisprudentielles ainsi que de 4 arrêts de la Cour de cassation rendus le 1er décembre 2022 qui ont reconnu le caractère formel et limité de la clause d'exclusion du contrat d'assurance.
L'assureur estime que les termes de la clause d'exclusion sont clairs ainsi que les 3 critères d'application. Il indique que la garantie est écartée lorsque la fermeture administrative affecte, concomitamment, dans le même département, un autre établissement pour une cause identique, et donc lorsqu'une même épidémie entraîne la fermeture d'un autre établissement.
La société Axa France Iard explique qu'un restaurateur contracte en qualité de professionnel et non pas de consommateur et qu'il sait que le risque garanti est celui de l'épidémie d'origine alimentaire (provoquée notamment par les salmonelloses par exemple). Elle rappelle qu'à la date de souscription du contrat, une épidémie de type Covid-19 n'avait jamais existé.
Elle précise que le critère de 'la cause identique' se suffit à lui-même.
Elle explique que l'absence de définition du terme 'épidémie', qui est seulement employé au titre des conditions de garantie, n'affecte pas la validité de la clause d'exclusion et que les critères d'application de la clause d'exclusion sont indépendants des événements visés au titre des conditions de garantie telles que l'épidémie.
L'assureur soutient que l'extension de la garantie des pertes d'exploitation ne constitue pas une garantie contre le risque d'une épidémie parce que le risque assuré est la fermeture administrative.
Il expose que la clause d'exclusion n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance et qu'une épidémie peut ne toucher qu'un seul établissement.
La société Axa France Iard fait référence à la commune intention des parties au jour de la souscription du contrat qui est celle de couvrir les risques inhérents à l'exploitation d'un restaurant.
Elle signale qu'elle n'a jamais entendu couvrir les conséquences d'un risque systémique et que les pertes alléguées constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas d'une garantie individuelle de droit privé.
Elle considère que la rédaction de la clause d'exclusion répond au formalisme de l'article L. 112-4 du code des assurances puisqu'elle apparaît en lettres majuscules contrairement aux autres dispositions contractuelles.
En réponse, la SARL Resdida mentionne les différentes mesures gouvernementales liées à la pandémie de Covid-19 imposant la fermeture totale ou partielle des restaurants ou le respect de règles sanitaires réduisant leur capacité d'accueil du 15 mars 2020 au 30 juin 2021.
Elle signale que l'expert désigné par le tribunal a déposé son rapport le 28 octobre 2021 et a évalué ses pertes d'exploitation à la somme de 520 318 euros.
Elle maintient ses demandes assurant que les 4 arrêts de la Cour de cassation vont à l'encontre d'un grand nombre de décisions rendues par les juridictions de première instance et que ces décisions ne répondent pas à l'ensemble des problématiques juridiques posés par la clause d'exclusion.
La SARL Resdida indique qu'à défaut pour la société Axa France Iard d'avoir critiqué, dans ses premières conclusions, les chefs du jugement la condamnant à lui verser la somme de 302 500 euros à titre de provision et la somme de 6 000 euros au titre des frais irrépétibles, ces chefs de jugements ne pourront être que confirmés.
Elle invoque une nouvelle rédaction de la clause de garantie des pertes d'exploitation suite à une fermeture administrative et de la clause d'exclusion, synonyme d'ambiguïté de ladite clause.
Elle assure que la notion de fermeture administrative n'est pas contestable et que la fermeture de ses restaurants trouvait bien son origine dans une décision prise par une autorité administrative compétente, en raison de la propagation du Covid-19, représentant une maladie contagieuse voire une épidémie.
La SARL Resdida considère que la clause d'exclusion de garantie est contraire aux dispositions de l'article L. 112-4 du code des assurances car elle est simplement intégrée au corps du texte de la garantie sans différenciation.
Elle explique que la clause d'exclusion nécessite une interprétation et que, par là même, elle ne peut être formelle et limitée. Selon l'intimée, la notion d''établissement' est imprécise et peut recouvrir des réalités très différentes. La SARL Resdida soutient que la notion d''épidémie' suscite de nombreux débats et qu'il en est de même de la notion de 'cause identique'.
Elle estime que cette clause d'exclusion vide la garantie de sa substance alors que le contrat d'assurance a pour objet de couvrir les pertes subies en cas de fermeture administrative consécutive à une épidémie, soit le développement et la propagation d'une maladie contagieuse dans une population.
Pour l'intimée, la communication d'une documentation scientifique par la société Axa France Iard suffit à justifier l'ambiguïté du terme 'épidémie' et donc son interprétation.
En préliminaire, la cour rappelle qu'il n'y a pas lieu de statuer sur les demandes de 'juger que' qui ne constituent pas des prétentions susceptibles d'entraîner des conséquences juridiques au sens de l'
article 4 du code de procédure civile🏛, mais uniquement la reprise de moyens développés dans le corps des conclusions qui ne doivent pas, à ce titre, figurer dans le dispositif des écritures des parties.
- Sur l'étendue de la saisine de la cour d'appel.
En application de l'
article 964 du code de procédure civile🏛, les conclusions d'appel contiennent, en en-tête, les indications prévues à l'article 961. Elles doivent formuler expressément les prétentions des parties et les moyens de fait et de droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau récapitulatif des pièces est annexé.
Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, l'énoncé des chefs de jugement critiqués, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu'un dispositif récapitulant les prétentions. Si, dans la discussion, des moyens nouveaux par rapport aux précédentes écritures sont invoqués au soutien des prétentions, ils sont présentés de manière formellement distincte.
L'
article 910-4 du même code🏛 prévoit que : à peine d'irrecevabilité, relevée d'office, les parties doivent présenter, dès les conclusions mentionnées aux articles 905-2 et 908 à 910, l'ensemble de leurs prétentions sur le fond. L'irrecevabilité peut également être invoquée par la partie contre laquelle sont formées des prétentions ultérieures. Néanmoins, et sans préjudice de l'alinéa 2 de l'article 802, demeurent recevables, dans les limites des chefs du jugement critiqués, les prétentions destinées à répliquer aux conclusions et pièces adverses ou à faire juger les questions nées, postérieurement aux premières conclusions, de l'intervention d'un tiers ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
Dans ses premières conclusions la société Axa France Iard demande à la cour de :
- réformer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Rennes le 18 mars 2021 ainsi que la décision rectificative prononcée le 30 mars 2021, en ce qu'il a déclaré la clause d'exclusion de garantie nulle et inopposable à la société Resdida et dit que la garantie était due,
statuant à nouveau,
- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce,
- juger que cette clause d'exclusion répond au caractère formel et limité de l'article L. 113-1 du code des assurances,
- juger que cette clause ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et répond au caractère limité de l'article L. 113-1 du code des assurances et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'Axa France Iard de sa substance au sens de l'article 1170 du code civil,
en conséquence,
- débouter la société Resdida de sa demande de condamnation formulée à l'encontre de la société Axa France Iard.
(...)
Ainsi, bien que l'assureur se soit trompé sur la date du jugement (sans se tromper sur l'identité de l'intimée) la société Axa France Iard a rempli les conditions posées par l'article 910-4 du code de procédure civile.
Suivre le raisonnement de l'intimée consisterait à, éventuellement, juger de manière contradictoire que la clause d'exclusion est valable tout en condamnant l'assureur à régler les pertes d'exploitation.
- Sur le contrat.
Au visa de l'
article 1103 du code civil🏛, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
Les conditions contractuelles sont composées des conditions générales et des conditions particulières souscrites par chacune des 3 sociétés.
Seules les conditions particulières prévoient une extension de garantie des pertes d'exploitation dans l'hypothèse d'une fermeture administrative rédigée comme suit :
PERTE D'EXPLOITATION SUITE A FERMETURE ADMINISTRATIVE:
La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1- la décision de fermeture a été prise par une autorité compétente, et extérieure à vous-même,
2- la décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication (....)
SONT EXCLUES
- LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, A LA DATE DE LA DÉCISION DE FERMETURE, AU MOINS UN ETABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITE, FAIT L'OBJET, SUR LE MEME TERRITOIRE DEPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ETABLISSEMENT ASSURE, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE.
* Sur le formalisme de la clause.
Au visa de l'article L 112-4 du code des assurances, les clauses des polices édictant des nullités, des déchéances ou des exclusions ne sont valables que si elles sont mentionnées en caractères très apparents.
Aucune typographie n'est exigée par la loi. La clause d'exclusion doit, par sa grande lisibilité, ne pas échapper à l'assuré. Le caractère apparent doit s'apprécier par rapport aux autres clauses qui l'entourent.
Cette clause d'exclusion est située dans les conditions particulières et il importe peu de constater que la typographie des conditions générales (et des clauses d'exclusion y figurant) est différente.
Dans le cas présent, la clause d'exclusion apparaît en lettres majuscules et en grand format dans un paragraphe et une page essentiellement rédigés en lettres minuscules. Cette clause est précédée de la mention 'SONT EXCLUES' mettant la clause d'exclusion en évidence.
Une lecture même rapide permet de voir et lire la clause d'exclusion critiquée même s'il n'y a ni caractère gras ni encadré de couleur et de comprendre qu'il s'agit d'une clause d'exclusion.
Le jugement est infirmé à ce titre.
* Sur la clause d'exclusion.
Au visa de l'article L. 113-1 du code des assurances, les pertes et dommages occasionnés par cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. Toutefois, l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré.
C'est à l'assureur invoquant une exclusion de garantie qu'il incombe de démontrer la réunion des conditions de fait de cette exclusion et c'est à l'assuré, qui prétend à l'invalidité de la clause d'exclusion, de supporter la charge de la preuve.
Selon une jurisprudence constante, dès lors qu'elle est sujette à interprétation, une clause d'exclusion de garantie ne peut être considérée comme formelle et limitée.
Dans un premier temps, il y a lieu de rappeler que la compréhension de la clause critiquée doit s'apprécier à la date de souscription du contrat. À cette date les parties n'ont pu envisager l'existence d'une pandémie au niveau national et international qui n'avait jamais existé. La commune intention des parties était de couvrir les aléas inhérents à l'exploitation normale d'un restaurant exposé à des risques biologiques notamment.
Il convient, dans un second temps, de souligner que la clause d'exclusion précitée ne contient aucun terme technique.
L'absence de définition du terme 'épidémie' est inopérante dès lors qu'il ne se trouve pas dans la clause litigieuse.
Ce qui est important, ce n'est pas la nature, l'origine ou l'étendue de l'épidémie mais sa conséquence.
Ainsi, le risque couvert est celui des pertes d'exploitation subséquentes à une fermeture administrative et non le risque de survenance d'une épidémie.
La circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'est pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture, un autre établissement fait l'objet d'une mesure de fermeture pour une cause identique à celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme 'épidémie' est sans incidence sur la compréhension par l'assuré des cas dans lesquels l'exclusion s'appliquait (Cour de cassation, 2ème chambre civile, 1er décembre 2022).
La notion d'établissement ne peut se limiter à une définition juridique et peut être traduite, pour une non juriste telle que l'intimée, à toute catégorie de restaurant, ferme, cantine, commerce de bouche susceptible de faire l'objet d'une fermeture administrative.
Le périmètre départemental ne peut constituer une difficulté au demeurant non soulevée.
La 'cause identique' figurant dans la clause d'exclusion renvoie nécessairement aux mêmes événements que ceux figurant dans la clause de garantie à savoir 'une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication'. Ce terme 'cause identique' se suffit à lui-même et est donc parfaitement compréhensible sauf à vouloir, comme le fait l'intimée, compliquer à l'extrême toute situation de manière subjective.
Selon une jurisprudence constante, toute exclusion de garantie ne peut être formelle et limitée et ne saurait aboutir, sans retirer son objet au contrat d'assurance, à annuler pratiquement toutes les garanties prévues sauf pour une catégorie de dommage très étroite.
Il a été dit que la garantie couvre le risque de pertes d'exploitation consécutives non pas en raison d'une épidémie, mais d'une fermeture de l'établissement à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication.
Contrairement aux écritures de l'intimée, la clause et son exclusion ne peuvent être appréciées par rapport à la seule pandémie de Covid-19 mais doivent s'apprécier au regard des 5 événements susceptibles d'entraîner une fermeture que sont la maladie contagieuse, le meurtre, le suicide, l'intoxication ou l'épidémie.
La société Axa France Iard fait remarquer utilement que l'extension de garantie a vocation à être mobilisée également lorsque le foyer de l'épidémie se situe à l'intérieur et/ou à l'extérieur de l'établissement concerné, le critère d'application de l'exclusion étant seulement la nature isolée de la fermeture administrative.
L'assureur démontre à l'appui d'une documentation circonstanciée, que la fermeture d'un seul établissement dans un même département fondée sur des cas de listériose, grippe aviaire, légionellose ou fièvre typhoïde, donnant lieu à des épidémies, est avérée. Il est d'ailleurs établi qu'un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (au nombre desquelles figure la salmonellose), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale) alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d'hygiène alimentaire et de sécurité sanitaire, susceptibles d'entraîner une fermeture administrative.
Ainsi, la clause d'exclusion ne vide pas la garantie de sa substance.
La proposition d'un avenant à l'assuré par la société Axa France Iard, qui exclut de la garantie toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est indifférente quant à l'analyse du contrat litigieux, si ce n'est qu'elle atteste que ce dernier n'avait pas été envisagé par les parties au regard d'une épidémie telle que celle de la Covid-19.
En conséquence, il convient de juger que la clause d'exclusion est formelle et limitée et donc opposable à la société Resdida.
La société Axa France Iard est fondée à refuser la garantie 'pertes d'exploitation'.
La société Resdida doit donc être déboutée de l'ensemble de ses demandes en ce comprise la demande relative à l'expertise.
Le jugement critiqué est infirmé en toutes ses dispositions.
- Sur les autres demandes.
Concernant la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement déféré, il convient de rappeler que un arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à la restitution des sommes versées en exécution d'un jugement infirmé et les sommes devant être restituées portent intérêt au taux légal à compter de la signification, valant mise en demeure, de la décision ouvrant droit à restitution. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur une telle demande.
Pour des motifs d'équité, il n'est pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au bénéfice de la société Axa France Iard qui sera, tout comme la société Resdida, déboutée de sa demande formée de ce chef.
Succombant en toutes ses demandes, la société Resdida doit supporter les dépens de première instance et d'appel.
PAR CES MOTIFS
Statuant publiquement, par arrêt contradictoire rendu par mise à disposition au greffe :
- Déboute la société Resdida de sa demande formulée au titre de la saisine de la cour d'appel ;
Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Statuant à nouveau,
Déboute la société Resdida de l'ensemble de ses demandes ;
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement déféré à la cour ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile;
Condamne la société Resdida aux dépens de première instance et d'appel.
La greffière La présidente