TA Caen, du 15-03-2023, n° 2101302
A10649IA
Référence
Par une requête, des pièces et des mémoires enregistrés les 14 et 17 juin 2021, le 27 septembre 2021, le 30 juin 2022 et le 29 septembre 2022, M. E B et Mme B, représentés par la SCP Adjudicia en la personne de Me Enguehard, demandent au tribunal :
1°) d'annuler la décision du 23 avril 2021 par laquelle la maire de Genêts a délivré un certificat de permis tacite à Monsieur C A, pour la construction d'une maison d'habitation sur la parcelle cadastrée section AB n° 649 ;
2°) de mettre à la charge de la commune de Genêts une somme de 2 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.
Ils soutiennent que :
- leur requête est recevable à trois égards ;
- le permis tacite ne pouvait intervenir faute de réitération exprès de sa demande par le pétitionnaire au regard des dispositions des articles L. 424-1, L. 424-2 et L. 600-2 du code de l'urbanisme🏛🏛🏛, de sorte que le certificat de permis tacite est entaché d'un vice de procédure ;
- le permis de construire méconnaît l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme ;
- le permis de construire a été délivré en méconnaissance du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté d'agglomération Mont-Saint-Michel Normandie qui classe la parcelle concernée en zone N ;
- l'acte litigieux ne mentionne ni la date à laquelle il aurait été affiché en mairie, ni celle à laquelle il aurait été transmis au préfet en violation des dispositions de l'article R. 424-13 du code de l'urbanisme🏛.
Par des mémoires enregistrés le 13 août 2021, le 27 mai 2022 et le 5 octobre 2022, la commune de Genêts, représentée par Me Chanut, conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de condamner M. et Mme B à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué ne mentionne ni la date d'affichage de l'arrêté en mairie ni celle de sa transmission au préfet est inopérant ;
- les autres moyens soulevés par M. et Mme B ne sont pas fondés.
Par des mémoires enregistrés le 24 mai 2022 et le 14 septembre 2022, M. C A, représenté par Me Blanquet, conclut au rejet de la requête et demande au tribunal de condamner M. et Mme B à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la requête est irrecevable en application de l'article L. 600-1-2 du code de l'urbanisme🏛 faute d'intérêt à agir des requérants ;
- les autres moyens soulevés par M. et Mme B ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D
- les conclusions de M. Blondel, rapporteur public,
- et les observations de Me Saint Léger, représentant la commune de Genêts, et de Me Blanquet, représentant M. et Mme A.
1. M. C A est propriétaire d'une parcelle en front de mer et enclavée, cadastrée AB n° 649, située place des Halles à Genêts (Manche). Il l'a acquise par acte de vente du 20 février 2002 auprès de M. E B, propriétaire occupant des parcelles voisines sur lesquelles M. C A exerce un droit de passage. Le 25 janvier 2018, M. C A a sollicité un permis pour la construction d'une maison d'habitation que la maire de Genêts lui a refusé par arrêté en date du 21 mars 2018. Par un arrêt de la Cour administrative d'appel de Nantes du 19 mars 2021, il a obtenu l'annulation de ce refus et qu'il soit enjoint à la maire de Genêts de lui délivrer le permis de construire. Le 23 avril 2021, la maire de la commune de Genêts lui a délivré un certificat de permis tacite. M. E B et Mme B contestent cette décision et doivent être regardés comme demandant l'annulation du permis de construire tacite révélé par ce certificat.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le moyen tiré d'un vice de procédure :
2. Aux termes de l'article L. 424-1 du code de l'urbanisme : " L'autorité compétente se prononce par arrêté sur la demande de permis ou, en cas d'opposition ou de prescriptions, sur la déclaration préalable () ". Aux termes de l'article L. 424-2 du même code : " Le permis est tacitement accordé si aucune décision n'est notifiée au demandeur à l'issue du délai d'instruction () ". Aux termes de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol ou l'opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l'objet d'une annulation juridictionnelle, la demande d'autorisation ou la déclaration confirmée par l'intéressé ne peut faire l'objet d'un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d'urbanisme intervenues postérieurement à la date d'intervention de la décision annulée sous réserve que l'annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire ".
3. Il résulte des dispositions des articles L. 123-6, L. 600-2, R. 423-23 et R. 424-1 du code de l'urbanisme🏛🏛🏛 et de celles de l'article L. 911-2 du code de justice administrative🏛 que l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de la décision qui a refusé de délivrer un permis de construire, ou qui a sursis à statuer sur une demande de permis de construire, impose à l'administration qui demeure saisie de la demande de procéder à une nouvelle instruction de celle-ci, sans que le pétitionnaire ne soit tenu de la confirmer. En revanche, un nouveau délai de nature à faire naître une autorisation tacite ne commence à courir qu'à dater du jour de la confirmation de sa demande par l'intéressé. En vertu de l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme, la confirmation de la demande de permis de construire par l'intéressé fait courir le délai à l'expiration duquel le silence gardé par l'administration fait naître un permis de construire tacite.
4. Toutefois, lorsqu'une juridiction, à la suite de l'annulation d'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol, fait droit à des conclusions aux fins d'injonction sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative🏛, ces conclusions du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale.
5. Il ressort des pièces du dossier que la Cour administrative d'appel de Nantes a fait droit aux conclusions de M. A aux fins d'injonction de délivrer le permis de construire demandé. Par suite, ses conclusions déposées le 7 décembre 2020 doivent nécessairement être regardées comme confirmant sa demande initiale, de sorte qu'au 23 avril 2021 M. A pouvait se prévaloir d'un permis de construire acquis tacitement pour le projet correspondant à sa demande initiale. La commune pouvait donc, sans commettre d'erreur de procédure, certifier l'existence de ce permis de construire et, par là-même, satisfaire à l'injonction de délivrer le permis dans les deux mois suivant la notification de l'arrêt du 19 mars 2021. Le moyen tiré d'un vice procédure manque ainsi en fait.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme.
6. Comme il a été dit au point 4 du présent jugement, lorsqu'une juridiction, à la suite de l'annulation d'un refus opposé à une demande d'autorisation d'occuper ou d'utiliser le sol, fait droit à des conclusions aux fins d'injonction sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, ces conclusions du requérant doivent être regardées comme confirmant sa demande initiale. Par suite, la condition posée par l'article L. 600-2 du code de l'urbanisme imposant que la demande ou la déclaration soit confirmée dans les six mois suivant la notification de l'annulation au pétitionnaire doit être regardée comme remplie lorsque la juridiction enjoint à l'autorité administrative de délivrer l'autorisation d'urbanisme sollicitée.
7. Dès lors que la demande d'injonction de délivrer le permis de construire a été satisfaite, les conclusions aux fins d'injonction qui ont été déposées par M. A doivent nécessairement être regardées comme confirmant sa demande initiale. Par suite, la condition tenant à la confirmation de la demande est satisfaite.
8. Il ressort également des pièces du dossier que l'arrêt de la Cour administrative d'appel de Nantes du 19 mars 2021 est définitif, ainsi qu'en atteste le certificat de non pourvoi en date du 18 octobre 2021 produit par la commune de Genêts. Par suite cette condition est également remplie.
9. Il s'ensuit que le moyen manque en fait et doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) de la communauté d'agglomération Mont-Saint-Michel Normandie
10. Aux termes de l'article L. 410-1 du code de l'urbanisme🏛 : " Le certificat d'urbanisme () b) indique (), lorsque la demande a précisé la nature de l'opération envisagée ainsi que la localisation approximative et la destination des bâtiments projetés, si le terrain peut être utilisé pour la réalisation de cette opération ainsi que l'état des équipements publics existants ou prévus. / Lorsqu'une demande d'autorisation ou une déclaration préalable est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, les dispositions d'urbanisme, le régime des taxes et participations d'urbanisme ainsi que les limitations administratives au droit de propriété tels qu'ils existaient à la date du certificat ne peuvent être remis en cause à l'exception des dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique ".
11. L'article L. 410-1 du code de l'urbanisme a pour effet de garantir à la personne à laquelle a été délivré un certificat d'urbanisme, quel que soit son contenu, un droit à voir sa demande de permis de construire déposée durant les dix-huit mois qui suivent, examinée au regard des dispositions d'urbanisme applicables à la date de ce certificat, à la seule exception de celles qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. Lorsqu'une demande est déposée dans le délai de dix-huit mois à compter de la délivrance d'un certificat d'urbanisme, dans les conditions précisées au point précédent, l'annulation du refus opposé à cette demande ne prive pas le demandeur du droit à voir sa demande examinée au regard des dispositions d'urbanisme en vigueur à la date de ce certificat, l'administration demeurant saisie de cette demande. Il en va ainsi alors même que le demandeur n'est susceptible de bénéficier d'un permis tacite qu'à la condition d'avoir confirmé sa demande.
12. Il ressort des pièces du dossier que M. A bénéficiait à la date du 12 septembre 2016 d'un certificat d'urbanisme positif concernant son projet de maison d'habitation sur le terrain d'assiette concerné par le permis délivré. Il a déposé sa demande de permis de construire le 25 janvier 2018 soit dans les dix-huit mois. La cristallisation des règles d'urbanisme au 12 septembre 2016 lui est donc acquise et rend inopposable à son projet les dispositions du PLUi de la communauté d'agglomération Mont-Saint-Michel Normandie classant sa parcelle en zone N, dès lors qu'il ne s'agit pas de dispositions qui ont pour objet la préservation de la sécurité ou de la salubrité publique. Le moyen est donc infondé et doit être écarté.
En ce qui concerne le moyen tiré de la méconnaissance de l'art R. 424-13 du code de l'urbanisme :
13. Aux termes de l'article R 424-13 dans sa version applicable à l'espèce : " En cas de permis tacite ou de non-opposition à un projet ayant fait l'objet d'une déclaration, l'autorité compétente en délivre certificat sur simple demande du demandeur, du déclarant ou de ses ayants droit. / Ce certificat mentionne la date d'affichage en mairie de l'avis de dépôt prévu à l'article R. 423-6. / En cas de permis tacite, ce certificat indique la date à laquelle le dossier a été transmis au préfet ou à son délégué dans les conditions définies aux articles L. 2131-1 et L. 2131-2 du code général des collectivités territoriales🏛🏛 ".
14. Les conclusions des requérants dirigées contre le certificat de permis de construire tacite doivent être regardées comme étant dirigées contre le permis de construire né tacitement dont le certificat a pour seul objet d'attester l'existence. Les vices propres susceptibles d'entacher le certificat de permis de construire sont sans incidence sur la légalité du permis de construire tacitement obtenu et ne peuvent donc pas être utilement invoqués. Le moyen soulevé par M. et Mme B relatif, d'une part, au défaut de mention de la date d'affichage de l'avis de dépôt et, d'autre part, au défaut de mention de la date à laquelle le dossier a été transmis au préfet doit par conséquent être écarté dans ses deux branches comme inopérant.
15. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M. A, que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. et Mme B doivent être rejetées.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la commune de Genêts, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. et Mme B demandent au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et de mettre à la charge de M. et Mme B le versement à la commune de Genêts, d'une part, et à M. A, d'autre part, d'une somme de 2 000 euros à chacun au titre des mêmes frais.
Article 1er : La requête de M. et Mme B est rejetée.
Article 2 : M. et Mme B verseront la somme de 2 000 euros à la commune de Genêts au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : M. et Mme B verseront la somme de 2 000 euros à M. A au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent jugement sera notifié à M. E B et à Mme B, à la commune de Genêts et à M. C A.
Délibéré après l'audience du 9 février 2023, à laquelle siégeaient :
M. Mondésert, président,
Mme Pillais, première conseillère,
Mme Silvani , conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 mars 2023.
La rapporteure,
Signé
M. PILLAIS
Le président,
Signé
X. MONDESERT La greffière,
Signé
A. LAPERSONNE
La République mande et ordonne au préfet de la Manche en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
la greffière,
A. Lapersonne