CAA Bordeaux, 08-03-2023, n° 22BX03136
A71389HT
Référence
Procédure contentieuse antérieure :
M. A D, représenté par la Selarl Lexmendi (Me Soro), a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Pau, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative🏛, d'ordonner une mesure d'expertise médicale aux fins de déterminer les préjudices en lien avec l'injection d'une première dose de vaccin contre la Covid 19.
Par une ordonnance n°2102932 du 16 décembre 2022, la présidente du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 22 décembre 2022, M. D, représenté par
la Selarl Lexmendi (Me Soro) demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance n° 2102932 du 16 décembre 2022 ;
2°) d'ordonner l'expertise sollicitée, à confier à un collège de médecins experts (cardiologue, pneumologue, gastro-entérologue et psychiatre).
Il soutient que :
- les documents médicaux produits attestent du lien entre la vaccination et ses symptômes, dont la matérialité n'est pas contestable, et la première juge ne pouvait dénier l'utilité de l'expertise au motif qu'un tel lien ne pouvait manifestement pas être retenu ;
- il convient de déterminer les préjudices subis à la suite des effets secondaires
du vaccin.
Le président de la cour a désigné, par une décision du 1er mars 2023, Mme Catherine Girault, présidente de chambre, comme juge des référés en application des dispositions du livre V du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021🏛 ;
- le décret n° 2021-1059 du 7 août 2021🏛 ;
- le code de justice administrative.
1. M. D, agent de sécurité au centre hospitalier de la Côte Basque et pompier volontaire, alors âgé de 27 ans, a fait l'objet le 23 août 2021 d'une première injection de vaccin Pfizer contre la Covid 19, à la suite de laquelle il a présenté immédiatement un malaise vagal et des sueurs, puis des douleurs thoraciques qui ont fait suspecter une myocardite. Si les examens réalisés au vu de douleurs persistantes et d'une importante asthénie avec dyspnée d'effort n'ont pu affirmer un tel diagnostic, une sophagite a été confirmée après gastroscopies. M. D a bénéficié d'arrêts de travail dès le 23 août 2021, régulièrement renouvelés, et d'un certificat de contre-indication à la deuxième dose de vaccin, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de santé en matière d'effet indésirable d'intensité sévère ou grave attribué à la première dose de vaccin,
le 15 septembre 2021. Le 16 novembre 2022, le conseil médical a émis un avis " favorable
à la reconnaissance de l'imputabilité au service de l'accident du travail du 23 août 2021 ".
2. M. D a saisi le 3 novembre 2021 le juge des référés du tribunal administratif de Pau d'une demande d'expertise pour évaluer ses préjudices, et relève appel de l'ordonnance du 16 décembre 2022 qui a rejeté sa requête.
Sur le cadre juridique du litige :
3. D'une part, l'article L.3111-9 du code de la santé publique🏛 dispose : " Sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire pratiquée dans les conditions mentionnées au présent titre, est assurée par l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales institué à l'article L. 1142-22, au titre de la solidarité nationale./L'office diligente une expertise et procède à toute investigation sans que puisse lui être opposé le secret professionnel.() ".
4. D'autre part, les articles 12 à 19 de la loi du 5 août 2021🏛🏛 ont institué une obligation de vaccination contre la Covid-19, sauf contre-indication, pour certaines personnes, dont les professionnels de santé et autres agents travaillant au sein des établissements publics de santé. L'article 18 précise que la réparation intégrale des préjudices directement imputables à une vaccination obligatoire administrée en application du I de l'article 12 est assurée conformément à l'article L. 3111-9 du code de la santé publique. Le décret du 7 août 2021🏛 a modifié le décret du 1er juin 2021🏛 pour notamment, introduire ou modifier des dispositions règlementaires concernant les justificatifs, le certificat de rétablissement, les cas de contre-indication et le contrôle.
5. Enfin, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) a également pour mission d'assurer, en vertu de l'article L. 3131-4 du code de la santé publique🏛, et également sans préjudice des actions qui pourraient être exercées conformément au droit commun, la réparation au titre de la solidarité nationale des préjudices résultant de campagnes de vaccination, même non obligatoires, lancées par les autorités publiques en cas de menace sanitaire grave sur le fondement de l'article L. 3131-1 du code de la santé publique🏛.
Sur l'utilité de l'expertise demandée :
6. Aux termes de l'article R. 532-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, sur simple requête et même en l'absence de décision administrative préalable, prescrire toute mesure utile d'expertise ou d'instruction () ". L'utilité d'une mesure d'instruction ou d'expertise qu'il est demandé au juge des référés d'ordonner sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative doit être appréciée, d'une part, au regard des éléments dont le demandeur dispose ou peut disposer par d'autres moyens et, d'autre part, bien que ce juge ne soit pas saisi du principal, au regard de l'intérêt que la mesure présente dans la perspective d'un litige principal, actuel ou éventuel, auquel elle est susceptible de se rattacher. A ce titre, lorsqu'il est saisi d'une demande d'expertise visant à évaluer un préjudice en vue d'engager la mise en œuvre de la solidarité nationale, le juge ne peut se fonder, pour rejeter cette demande, sur l'absence de lien de causalité entre le préjudice à évaluer et la faute alléguée qu'en cas d'absence manifeste d'un tel lien de causalité.
7. Pour retenir, comme le suggérait l'ONIAM, une absence manifeste de lien entre la vaccination et l'état de santé de M. D, la première juge a indiqué que : " M. D produit à l'appui de sa demande des documents médicaux, établissant qu'il a été victime à la suite de sa vaccination d'un malaise, suivi de l'apparition de douleurs thoraciques pour lesquels il a été pris en charge le 24 août 2021 par le service des urgences du centre hospitalier d'Orthez, sans que les examens pratiqués ne mettent en évidence de trouble cardiaque particulier. S'il établit également avoir fait l'objet par la suite d'un suivi cardiologique et d'arrêts de travail, les documents produits se bornent à faire état d'éléments " évocateurs " d'une myocardite, sans que ce diagnostic ne se soit définitivement posé, le médecin chef de l'unité de cardiologie du centre hospitalier de la Côte basque ayant même indiqué dans son compte-rendu du 27 septembre 2021 qu'au regard des résultats des examens pratiqués, " il n'y a pas de signe significatif de myocardite " même si le diagnostic ne pouvait être écarté sur un petit territoire. Le compte-rendu établi le 25 avril 2022 par ce même praticien, s'il préconise une reprise à temps partiel, indique que l'état de M. D s'est stabilisé sur le plan cardiaque. Par ailleurs, et alors que M. D a des antécédents cardiaques antérieurs à sa vaccination, aucun de ces documents médicaux n'évoque un lien possible avec l'administration d'une première dose de Pfizer. Enfin le dernier compte rendu établi le 1er septembre 2022 par un médecin exerçant au service de pneumologie du centre hospitalier de la Côte basque, confirme la stabilisation de son état sur le plan cardiaque et indique que les autres troubles dont il se plaint, notamment pulmonaires, qui n'ont pas été attribués à la vaccination ont été aggravés par son infection au Covid 19 en mai 2022. Dans ces conditions, M. D ne produit pas d'éléments permettant de démontrer un lien entre les troubles ayant suivi l'administration le 23 août 2021 d'une première dose de vaccin Pfizer et cette injection, ni que son état de santé actuel aurait un lien quelconque avec sa vaccination. "
8. Toutefois, ni la circonstance que M. D avait souffert d'une péricardite en juillet 2020, ni celle que les examens pratiqués en septembre 2021 n'aient pu affirmer l'existence de la myocardite post-vaccinale suspectée par plusieurs médecins, y compris après les résultats de ces examens, ne sont de nature à permettre d'écarter manifestement l'existence d'un lien entre l'injection vaccinale et les douleurs thoraciques, dyspnées, tachycardies apparues au décours de ce geste. Dans ces conditions, et alors que l'ONIAM a au demeurant reconnu devant la première juge que M. D relevait bien d'une vaccination obligatoire en qualité d'agent d'un établissement hospitalier, une expertise est utile pour se prononcer contradictoirement d'abord sur le lien entre les troubles et la vaccination, et ensuite sur l'ampleur des préjudices. Par suite, M. D est fondé à soutenir que c'est à tort que la première juge a refusé de l'ordonner.
Article 1er : L'ordonnance du 16 décembre 2022 est annulée.
Article 2 : Le docteur B C, domicilié 137 rue Mac Carthy 33200 Bordeaux, est désigné pour procéder à une expertise aux fins précisées ci-après. Il aura pour mission :
- de se faire communiquer le dossier médical de M. D et tous les éléments relatifs aux soins reçus dans les suites de la vaccination contre le Covid 19, en se procurant le cas échéant tous documents utiles notamment auprès des centres hospitaliers d'Orthez et de la Côte basque et du médecin traitant de M. D ;
- de décrire l'histoire de la pathologie, de dire si les troubles constatés par le patient et transcrits par les médecins qu'il a consultés sont en lien avec la vaccination contre
le Covid 19 ; indiquer si un état antérieur, notamment la péricardite documentée en 2020, peut les expliquer et dans quelle mesure ; préciser si une déclaration de pharmacovigilance a été réalisée et les suites éventuellement réservées à ce signalement ; indiquer si, au regard des données de pharmacovigilance disponibles, des troubles similaires ont été constatés dans d'autres cas après une vaccination et si la littérature médicale en fait état ;
- d'examiner M. D, de recueillir ses doléances, d'indiquer la nature des séquelles qu'il conserve en précisant si elles peuvent aussi résulter d'un état antérieur ou des modalités des soins reçus, et dans l'affirmative dans quelles proportions ;
- d'indiquer si son état est consolidé ou s'il est susceptible d'évoluer en amélioration ou en aggravation ;
- de déterminer la durée des incapacités temporaires, en distinguant le cas échéant selon leur importance ;
- de chiffrer le cas échéant le déficit fonctionnel permanent par référence au
barème d'évaluation des taux d'incapacité des victimes d'accidents médicaux, d'affections iatrogènes ou d'infections nosocomiales publié à l'annexe 11-2 du code de la santé publique🏛 (décret n°2003-314 du 4 avril 2003🏛) ;
- de préciser les conséquences des séquelles sur l'activité professionnelle de M. D (conditions de reprise du travail, nécessité d'un poste aménagé ou d'une reconversion, tâches éventuellement incompatibles avec l'état de santé) ;
- de dire si, et en quoi, l'état de santé de M. D en lien avec la vaccination a nécessité l'aide d'une tierce personne, de quantifier le besoin en précisant s'il subsiste pour l'avenir et pour quelle durée ;
- d'évaluer les souffrances subies sur une échelle de 1 à 7 ;
- d'évaluer les éventuels préjudices esthétiques temporaire et permanent sur une échelle
de 1 à 7 ;
- d'indiquer si des frais médicaux en lien avec l'accident sont restés à la charge de M. D ou sont prévisibles pour l'avenir ;
- de donner son avis sur l'existence d'autres préjudices qui seraient allégués par l'intéressé (préjudice d'agrément, préjudice sexuel) ;
- plus généralement de faire toute observation de nature à éclairer le juge du fond éventuellement saisi sur les préjudices de M. D.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues aux articles R. 621-2
à R. 621-14 du code de justice administrative🏛. Il ne pourra recourir à un sapiteur sans l'autorisation préalable du président de la cour administrative d'appel.
Article 4 : Préalablement à toute opération, l'expert prêtera serment dans les formes prévues à l'article R. 621-3 du code de justice administrative🏛.
Article 5 : Les opérations d'expertise auront lieu contradictoirement entre :
- M. D,
- l'ONIAM
- la CPAM de Pau.
Article 6 : L'expert avertira les parties conformément aux dispositions de l'article R. 621-7 du code de justice administrative🏛.
Article 7 : L'expert déposera son rapport au greffe sous forme dématérialisée dans un délai de trois mois à compter de la notification de la présente ordonnance. Des copies seront notifiées par l'expert aux parties intéressées. Avec leur accord, cette notification pourra s'opérer sous forme électronique. L'expert justifiera auprès de la cour de la date de réception de son rapport par les parties.
Article 8 : Les frais et honoraires de l'expertise seront mis à la charge de la ou des parties désignées dans l'ordonnance par laquelle le président de la cour liquidera et taxera ces frais et honoraires.
Article 9 : La présente ordonnance sera notifiée à M. A D, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau.
Fait à Bordeaux, le 8 mars 2023.
La juge d'appel des référés,
Catherine Girault
La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Décret, 2003-314, 04-04-2003 Article, R532-1, CJA Article, L3131-4, C. santé publ. Article, L3111-9, C. santé publ. Article, R621-2 à R621-14, CJA Article, R621-7, CJA Article, R621-3, CJA Loi, 2021-1040, 05-08-2021 Décret, 2021-1059, 07-08-2021 Ordonnance, 2102932, 16-12-2022 Expertise Injections de vaccin Émission d'un avis favorable Évaluation du préjudice Réparation intégrale Vaccination obligatoire Accidents médicaux Infections nosocomiales Secret professionnel Professionnel de la santé Établissement public Modification du décret Autorité publique Prescription de toute mesure utile Décision administrative préalable Absence de lien de causalité Médecin-chef Résultats d'examens Dossier médical Service hospitalier Incapacité temporaire Taux d'incapacité Préjudice éventuel Préjudice esthétique Autorisation préalable Taxation de frais Caisse primaire d'assurance-maladie