Jurisprudence : CE Contentieux, 11-04-1986, n° 40646

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 40646

société anonyme "MAGNETTE et compagnie"

Lecture du 11 Avril 1986

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Vu la requête sommaire et le mémoire complémentaire enregistrés les 8 mars 1982 et 8 juillet 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la société "MAGNETTE et compagnie", société anonyme dont le siège est 20 rue de Bouxwiller à Strasbourg (Bas-Rhin), représentée par son directeur général en exercice, et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1°) annule le jugement du 3 décembre 1981 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande en décharge des cotisations supplémentaires à l'impôt sur les sociétés et de la majoration exceptionnelle auxquelles elle a été assujettie au titre, respectivement, des années 1974, 1975 et 1976, et de l'année 1975, 2°) lui accorde la décharge des impositions contestées,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Hassan, Maître des requêtes, - les observations de Me Vuitton, avocat de la société anonyme "MAGNETTE et compagnie", - les conclusions de M. Chahid-Nouraï, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'à la suite d'une vérification de comptabilité commencée au mois de novembre 1977, l'administration a réintégré dans les bénéfices de la Société "Etablissements MAGNETTE et Cie", société anonyme qui a pour objet le commerce en gros de produits alimentaires, au titre de l'exercice clos le 31 décembre 1974, une provision qui avait été constituée par celle-ci, au cours des exercices clos le 31 décembre 1970 et le 31 décembre 1971, en vue de faire face à la perte probable de la créance qu'elle détenait sur la Société "CABROL-FREINET", société anonyme important des produits alimentaires ; que, pour procéder à cette réintégration, l'administration s'est fondée sur ce que ladite créance procédait d'opérations étrangères à une gestion commerciale normale des "Etablissements MAGNETTE et Cie" et que, par voie de conséquence, la perte de cette créance ne pouvait donner lieu à la constitution de provisions déductibles ;
Sur l'intervention de M. Léonard Meyer :
Considérant que, dans les litiges de plein contentieux, sont seules recevables à former une intervention les personnes qui se prévalent d'un droit auquel la décision à rendre est susceptible de préjudicier ; que M. Léonard Meyer, actionnaire de la société requérante, ne se prévaut pas d'un droit de cette nature ; que, dès lors, son intervention n'est pas recevable ;
Sur la régularité du jugement attaqué : Considérant, en premier lieu, qu'en relevant que l'ensemble des opérations d'achat par la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" de marchandises importées par la Société "CABROL-FREINET" à laquelle ces marchandises étaient ensuite revendues relevait d'une gestion anormale, les premiers juges ont suffisamment répondu à l'argument seon lequel les relations entre les deux sociétés n'auraient relevé d'une gestion anormale qu'après la période concernée par le chef de redressement contesté ; Considérant, en second lieu, que le tribunal administratif a pu valablement reprendre, dans la motivation du jugement attaqué, les affirmations de l'administration selon lesquelles "le marché que la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" "détenait pour la distribution des produits fournis en exclusivité par la Société CABROL-FREINET n'a pas excédé en moyenne 4 % de son chiffre d'affaires", dès lors que la société requérante n'avait à aucun moment de la procédure fourni d'autres indications relatives à son chiffre d'affaires que celles indiquées par l'administration, et qui dégagent un pourcentage moyen de 3,63 % ; qu'il résulte de ce qui précède que les "Etablissements MAGNETTE et Cie" ne sont pas fondés à soutenir que le jugement attaqué ne serait pas suffisamment motivé ;
Sur la prescription :
Considérant que l'administration est en droit de rapporter aux résultats du plus ancien des exercices non prescrits le montant des provisions figurant au bilan de clôture de cet exercice, dans la mesure où celles-ci ont été irrégulièrement constituées, et alors même que les dotations faites à ce compte de provisions seraient antérieures à l'ouverture de l'exercice ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutient la société requérante, la réintégration opérée dans les résultats de l'exercice 1974 a porté à bon droit sur le montant de provisions qui, constituées au cours d'exercices précédents couverts par la prescription, avaient été reconduites au bilan de clôture de l'exercice 1974 ;
Sur la régularité de la provision constituée en 1970 et en 1971 :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, sans qu'aucune convention ait été passée à ces fins entre la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" et la Société "CABROL-FREINET", juridiquement indépendantes l'une de l'autre, cette dernière vendait à la première des marchandises qu'elle venait, prétendûment ou réellement, d'acquérir à l'étranger ; que, pour en obtenir le règlement, la Société "CABROL-FREINET" tirait des traites sur la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie", correspondant au montant de la facture qu'elle avait émise et accompagnée d'un bon d'achat à délivrer ; qu'avant l'échéance de ces traites, les mêmes marchandises étaient rachetées par la Société "CABROL-FREINET" avec une majoration de leur prix fixée d'ordinaire à 3 % et contre restitution du bon à délivrer ; que cette dernière société payait alors comptant au moyen du produit de l'escompte d'une nouvelle traite tirée sur "MAGNETTE et Cie" et afférente à une nouvelle opération, analogue dans son principe à celle ainsi décrite ; que, de 1965 aux derniers mois de l'année 1969, les factures ainsi réglées par la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" et les rachats de la Société "CABROL-FREINET" se sont élevés à plus de quarante millions de francs ; que ces rachats ont tous été réglés, à l'exception de ceux qui ont eu lieu en novembre et en décembre 1969 pour un montant total de 4 421 121,09 F ; qu'au cours des premières semaines de l'année 1970, un autre type de relations financières a été convenu entre les deux sociétés, qui évitait à la Société "CABROL-FREINET" de recourir à l'escompte bancaire ; qu'il s'agissait pour la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" de tirer des traites sur les clients de "CABROL-FREINET" destinataires effectifs des marchandises dont "MAGNETTE et Cie" continuait de financer l'achat par son partenaire, pour une rémunération consistant cette fois en un escompte sur les factures présentées par "CABROL-FREINET" ; que, les marchandises ainsi prétendûment achetées étant fictives, les clients désignés ont refusé l'acceptation des traites, tandis que dans les autres cas, "CABROL-FREINET" n'a pas indiqué leur identité à la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie", laquelle s'est trouvée créancière de la précédente pour un nouveau montant de 498 224,16 F ; que ces deux sommes de 4 424 121,09 F et de 1 498 224,16 F sont à l'origine de la provision constituée par la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" pour un montant de, respectivement, 4 000 000 F au titre de l'exercice clos en 1970 et 1 919 345,25 F au titre de l'exercice clos en 1971 ;
Considérant qu'il a été révélé, au moment de la liquidation de biens de la Société "CABROL-FREINET", intervenue en mars 1970, que les opérations susmentionnées avaient permis à la Société "CABROL-FREINET", sous le couvert de ventes et de rachats dont une large partie étaient fictifs, d'obtenir des facilités de trésorerie sans qu'elle détînt en réalité la totalité des marchandises sur lesquelles portaient les transactions ; que la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie", qui prétend qu'elle n'a pas eu connaissance de cette situation avant la liquidation de biens de la Société "CABROL-FREINET", soutient sans être contredite, que ses relations avec cette dernière ont pu être entretenues durant cinq années au cours desquelles les rémunérations importantes qu'elle percevait lui ont permis de réaliser des produits financiers, d'un montant supérieur à deux millions de francs ; que les rémunérations ainsi reçues, jusqu'au 31 décembre 1969, par la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" correspondent à un rendement annuel des sommes mises à la disposition de la Société "CABROL-FREINET" compris entre 18 % et 19 % ; que l'administration soutient que ce rendement, augmenté du taux de l'escompte, portait à un niveau très élevé le coût des ressources que la Société "CABROL-FREINET" se procurait auprès de la société requérante et que, par suite, du fait même que la Société "CABROL-FREINET" a recouru durant plusieurs années, et de façon continue, à ce mode de financement particulièrement coûteux, les "Etablissements MAGNETTE et Cie" n'ont pu longtemps ignorer que les banquiers de leur partenaire lui refusaient leurs concours ; que l'administration relève en outre que, malgré cela, la société requérante, d'une part, n'a jamais cherché à obtenir des garanties sérieuses de l'existence des marchandises qu'elle achetait ou croyait acheter et, d'autre part, a accepté un risque financier élevé en laissant se constituer un écart important entre le montant des reventes facturées à "CABROL-FREINET" et celui des règlements effectués par cette dernière société ;
Considérant que pour l'application des dispositions de l'article 38 du code général des impôts selon lesquelles le bénéfice net imposable est "déterminé d'après les résultats d'ensemble des opérations de toute nature effectuées par les entreprises", seuls peuvent ne pas être pris en compte les actes ou opérations qui ont été réalisés à des fins autres que celle de satisfaire les besoins ou, de manière générale, servir les intérêts de l'entreprise et qui, dans ces conditions, ne peuvent pas être regardés comme relevant d'une gestion normale de celle-ci ; que, par suite, ne relèvent pas nécessairement d'une gestion anormale tous les prêts ou avances que l'exploitant décide d'accorder à une entreprise juridiquement indépendante, en exposant sa propre entreprise à des risques de pertes en capital ; que, dans le cas de l'espèce, et s'agissant des opérations réalisées jusqu'au 31 décembre 1969, s'il est établi que la société requérante n'a pas retiré d'avantage commercial de ces opérations, du fait notamment que l'exclusivité de distribution dans l'Est de la France et en Allemagne, longtemps promise, ne lui a jamais été accordée par "CABROL-FREINET", elle en a en revanche tiré un avantage financier important, ainsi qu'il a été dit plus haut ; qu'à lui seul, le niveau élevé de cette rémunération suffit à écarter les allégations de l'administration selon lesquelles, durant près de cinq années, les opérations dont il s'agit auraient été décidées à des fins étrangères aux intérêts de la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" ; qu'il suit de là que la créance de 4 421 121,09 F, née en 1969 après plusieurs années de relations entre "CABROL-FREINET" et les "Etablissements MAGNETTE et Cie" ne saurait être regardée comme ayant été acquise à l'occasion d'opérations contraires à une gestion commerciale normale ; qu'en revanche, après la mise en place au cours des premières semaines de l'année 1970 de nouvelles relations financières destinées à éviter à "CABROL-FREINET" tout recours aux banques, la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie", instruite par le refus alors très récent de son partenaire de s'acquitter de sa créance de 4 421 121,09 F, ne pouvait ignorer qu'elle prenait des risques très importants de pertes en capital, et que les "facilités" qu'elle consentait n'avaient désormais d'autre effet que de retarder le constat de l'insolvabilité de "CABROL-FREINET" ; que, malgré cela, la société requérante a accepté de payer son partenaire sans avoir au préalable acquis la certitude des intentions d'achat des entreprises que "CABROL-FREINET" désignait comme étant ses clients, voire, dans certains cas, sans même que "CABROL-FREINET" lui ait fait l'envoi d'une facture ; que dans ces conditions de telles opérations doivent être regardées comme ayant été décidées à des fins étrangères aux intérêts de la société requérante et que la créance acquise en 1970 est née à la suite d'opérations contraires à une gestion commerciale normale ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la provision susmentionnée n'a été irrégulièrement constituée qu'à concurrence du montant de 1 498 224,16 F égal à celui de la créance née en 1970 ; que sa réintégration ne doit dès lors être maintenue qu'à hauteur de ce montant et que la société requérante est fondée à soutenir que c'est à tort que l'administration a procédé à la réintégration de l'ensemble de la provision susmentionnée ;
Article 1er : L'intervention de M. Léonard Meyer n'est pas admise.
Article 2 : Le bénéfice de la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" à retenir pour l'assiette de l'impôt sur les sociétés au titre des années 1974, 1975 et 1976 sera calculé en regardant comme déductible, pour la première de ces années, et à hauteur du montant de 4 421 121,09 F, la provision constituée par la société pour faire face au caractère irrecouvrable de ses créances sur la Société "CABROL-FREINET".
Article 3 : Il est accordé décharge à la société requérante de la différence entre le montant des droits contestés et ceux résultant de l'article 2 ci-dessus.
Article 4 : Le jugement du tribunal administratif de Strasbourg en date du 3 décembre 1981 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie" est rejeté.
Article 6 : La présente décision sera notifiée à la Société Anonyme "Etablissements MAGNETTE et Cie", au ministre de l'économie, des finances et du budget et à M. Léonard Meyer.

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