Jurisprudence : CE 9/7 SSR, 09-12-1988, n° 40068

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 40068

Emile DUFOUR

Lecture du 09 Decembre 1988

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Vu la requête et le mémoire complémentaire enregistrés les 8 février 1982 et 8 juin 1982 au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour M. Emile DUFOUR, demeurant 10 rue Anatole France à Quimper (29000), et tendant à ce que le Conseil d'Etat : 1°) annule un jugement du tribunal administratif de Rennes en date du 9 décembre 1981 en tant que, par ce jugement, le tribunal a rejeté sa demande tendant à la décharge des compléments d'impôt sur le revenu et de majoration exceptionnelle auxquelles il a été assujetti, respectivement, au titre de chacune des années 1973, 1974, 1975 et 1976, et au titre des années 1973 et 1975, 2°) lui accorde la décharge des droits et pénalités contestés,
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs ;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953 ;
Vu la loi du 30 décembre 1977 ;
Après avoir entendu : - le rapport de M. Fabre, Conseiller d'Etat, - les observations de la S.C.P. Boré, Xavier, avocat de M. Emile DUFOUR, - les conclusions de M. Ph. Martin, Commissaire du gouvernement ; En ce qui concerne les redressements opérés dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers :
Considérant qu'à la suite de la vérification de la comptabilité de la société anonyme "CMC-Dufour" ainsi que de la situation fiscale personnelle d'ensemble de M. DUFOUR, alors président-directeur général et associé majoritaire de cette société, l'administration a, par voie de redressements, rapporté aux revenus de capitaux mobiliers de M. DUFOUR imposables à l'impôt sur le revenu, au titre de chacune des années 1973 à 1976, après les avoir réintégrées dans les résultats de la société "CMC-Dufour", en premier lieu, une fraction des salaires versés par cette dernière à son dirigeant et regardés comme excessifs, en deuxième lieu, une fraction des loyers, tenus pour anormalement élevés, que la société a payés à M. DUFOUR à raison de la location d'un magasin dont celui-ci était propriétaire, enfin, diverses dépenses prises en charge par la société, mais regardées comme exposées dans le seul intérêt personnel de son dirigeant ;
Sur la régularité de la procédure d'imposition au regard de certains des chefs de redressement et sur la charge de la preuve : Considérant, en premier lieu, que, si M. DUFOUR fait valoir qu'à la date à laquelle lui ont été notifiés les redressements susanalysés, la société "CMC-Dufour" était en état de liquidation de biens et administrée par un syndic, de sorte que lui-même n'avait plus accès à des documents annexés à la comptabilité sociale et qui lui eussent permis de contester utilement le bien-fondé de certains de ces redressements, les difficultés dont il fait ainsi état ne sont pas, en tout état de cause, pas de nature à affecter la régularité de la procédure d'imposition qu'a suivie l'administration alors qu'il est constant que, notamment pour l'nvoi des notifications de redressements, elle s'est conformée aux règles définies à l'article 1649 quinquies A du code général des impôts, alors applicable ; Considérant, en second lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. DUFOUR, en réponse à la notification des redressements envisagés, qu'il a reçue le 4 juillet 1977, n'a fait connaître ses désaccords que le 14 octobre 1977, soit après l'expiration du délai de trente jours dont il disposait pour ce faire en vertu des dispositions du 2 de l'article 1649 quinquies A du même code ; que, par suite, sans que le requérant puisse utilement invoquer, en ce qui concerne certains des chefs de redressement, la difficulté, non imputable à l'administration, qui résulterait pour lui de ce qu'il n'est pas en possession de documents annexés à la comptabilité de la société "CMC-Dufour", dont il ne précise, d'ailleurs, ni la nature, ni la portée, il lui appartient d'apporter, devant le juge de l'impôt, la preuve de l'exagération des bases d'imposition ;
Sur le bien-fondé des redressements relatifs aux salaires :
Considérant qu'aux termes de l'article 109 du code général des impôts : "1. Sont considérés comme revenus distribués : ...2° Toutes les sommes ou valeurs mises à la disposition des associés, actionnaires ou porteurs de parts et non prélevées sur les bénéfices ..." ; qu'aux termes de l'article 111 du même code : "Sont notamment considérés comme revenus distribués : ... d. La fraction des rémunérations qui n'est pas déductible en vertu de l'article 39-1-1° ..." ; que l'article 39, enfin, dispose que : "1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant ... notamment : 1° Les frais généraux de toute nature, les dépenses de personnel et de main-d'oeuvre, le loyer des immeubles dont l'entreprise est locataire. Toutefois, les rémunérations ne sont admises en déduction des résultats que dans la mesure où elles correspondent à un travail effectif et ne sont pas excessives eu égard à l'importance du service rendu ..." ;
Considérant que les salaires versés à M. DUFOUR par la société "CMC-Dufour" se sont élevés à 169 250 F en 1973, 186 151 F en 1974, 203 131 F en 1975 et 167 944 F en 1976 ; que l'administration fiscale a réduit à, respectivement, 100 000 F, 115 000 F, 130 000 F et 145 000 F la fraction, tenue par elle pour normale, de ces rémunérations, en se fondant, principalement, sur le fait qu'après un premier dépôt de bilan de la société, le 4 décembre 1970, l'administrateur au règlement judiciaire avait diminué de moitié le salaire de M. DUFOUR et que les résultats déficitaires de la société ne justifiaient pas qu'à compter du 1er avril 1973, un concordat ayant été conclu, ce salaire fût rétabli à son niveau antérieur ; que, toutefois, M. DUFOUR fait valoir, à bon droit, qu'en dépit des mauvais résultats de la société, le travail qu'il fournissait en assumant la direction d'une entreprise qui, au cours des années d'imposition, employait quelque deux cents salariés et a réalisé un chiffre d'affaires passé de 13 000 000 F à 18 000 000 F environ, ainsi qu'en prenant une part active aux tâches commerciales, justifiait la rétribution qui lui a été allouée lorsqu'il a recouvré la plénitude de ses responsabilités ; que M. DUFOUR doit ainsi être regardé comme apportant la preuve que l'administration a distrait à tort de ses salaires imposables, pour les intégrer à ses revenus de capitaux mobiliers, les sommes de 69 250 F au titre de l'année 1973, 71 151 F au titre de l'année 1974, 73 131 F au titre de l'année 1975 et 22 944 F au titre de l'année 1976 ;
Sur le bien-fondé des redressements relatifs aux loyers :
Considérant que M. DUFOUR a donné à bail, à compter du 1er janvier 1971, à la société "CMC-Dufour" un local commercial de 250 m2, compris dans un ensemble immobilier sis à Quimper où lui-même avait sa maison d'habitation, moyennant un loyer annuel de 12 225 F, demeuré inchangé durant les années 1973 à 1976 ; que l'administration a estimé que la société avait accompli un acte de gestion anormale en acceptant de payer à son dirigeant un loyer excédant 5 000 F par an ; que, toutefois, eu égard à la situation, à la superficie et à la destination du local, dans lequel la société avait aménagé deux magasins de présentation des matériels de cuisson qu'elle fabriquait, un atelier de réparation et un laboratoire de photographie et de duplication, ainsi qu'aux éléments de confort qu'il comportait, M. DUFOUR apporte la preuve que le loyer convenu n'était pas anormalement élevé et que l'administration n'était donc pas fondée à le distraire des revenus fonciers imposables qu'il avait déclarés et à le qualifier de revenu distribué, à concurrence de 7 225 F par an ;
Sur le bien-fondé des redressements relatifs aux dépenses prises en charge par la société "CMC-Dufour" : Considérant, en premier lieu, que l'administration a regardé comme des revenus distribués à M. DUFOUR par la société "CMC-Dufour" le montant des dépenses de fioul et d'électricité, se rapportant au local ci-dessus décrit, que la société a prises à sa charge au cours de chacune des années d'imposition ; qu'il est constant que ces dépenses avait pour objet le chauffage et l'éclairage tant de la maison d'habitation de M. DUFOUR que du local pris à bail par la société ; que M. DUFOUR affirme, sans être contredit, que les surfaces respectives de la maison d'habitation et des locaux commerciaux étaient sensiblement égales ; que, par suite, il y a lieu de faire droit aux conclusions de M. DUFOUR qui tendent à ce que les sommes qui ont, de ce chef, été rapportées à ses revenus de capitaux mobiliers imposables soient réduites de moitié et, par conséquent, ramenées à 1 423,25 F au titre de l'année 1973, à 970,30 F au titre de l'année 1974, à 1 336,80 F au titre de l'année 1975 et à 1 566,90 F au titre de l'année 1976 ; Considérant, en second lieu, que l'administration a regardé comme des revenus distribués à M. DUFOUR le montant de dépenses diverses supportées par la société "CMC-Dufour", telles que d'achat de boissons ou de cadeaux, d'entretien de véhicules automobiles appartenant à M. DUFOUR ou à des membres de sa famille, de voyages ou de vacances de M. DUFOUR et de sa famille, ou encore de restaurant ; que, si le requérant soutient que lesdites dépenses ont été exposées par la société dans l'intérêt de son exploitation, il n'apporte à l'appui de cette allégation aucun commencement de justification ; En ce qui concerne l'imposition de revenus d'origine indéterminée :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par voie de taxation d'office pour défaut de réponse à une demande de justification, sur le fondement des dispositions du second alinéa de l'article 179 du code général des impôts, alors applicable, l'administration fiscale a rattaché au revenu global de M. DUFOUR imposable à l'impôt sur le revenu le montant de virements effectués au crédit des comptes bancaires de celui-ci au cours de chacune des années 1973 à 1976 ;
Considérant que M. DUFOUR, qui n'a pas répondu dans le délai prescrit, à la demande de justifications que lui a adressée l'administration sur le fondement des dispositions, applicables en l'espèce, de l'article 176 du code général des impôts, ne conteste, ni la régularité de la procédure de taxation d'office dont il a fait l'objet, ni que la charge lui incombe d'apporter la preuve de l'exagération des bases d'imposition ; que celles-ci, après la réduction prononcée par le tribunal administratif, s'élèvent à 107 850 F au titre de l'année 1973, à 53 979 F au titre de l'année 1974, à 109 297 F au titre de l'année 1975, et à 70 000 F au titre de l'année 1976 ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'à concurrence de leur totalité, pour chacune des années 1973, 1974 et 1976, et de 44 800 F, pour l'année 1975, les sommes ci-dessus indiquées ont pour origine des remises de chèques établis au profit de M. DUFOUR, soit par son père, soit par sa future épouse, Mme Bourhis; que M. DUFOUR soutient, sans être contredit par l'administration, qui se borne à relever que cette affirmation n'est pas corroborée par des attestations ayant date certaine, que ces versements lui ont été consentis à titre de dons ou de prêts, pour l'aider à faire face aux difficultés que traversait la société "CMC-Dufour", dont il était le maître ; que, dans les circonstances de l'espèce et eu égard à la nature des liens qui unissaient M. DUFOUR aux auteurs des versements, la preuve de l'origine et du caractère non-imposable des sommes litigieuses doit, compte tenu des précisions données et des justifications fournies, être regardée comme apportée ; qu'il suit de là que, seule, doit être maintenue, en tant que revenu d'origine indéterminée, imposable à l'impôt sur le revenu, au nom de M. DUFOUR, au titre de l'année 1975, une somme de 64 497,76 F, correspondant à des crédits bancaires dont l'intéressé ne justifie pas l'origine ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. DUFOUR est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes ne lui a pas accordé les réductions d'impôt sur le revenu, de majoration exceptionnelle de l'impôt sur le revenu et de pénalités découlant des réductions de bases susindiquées ;
Article 1er : Les bases des cotisations à l'impôt sur le revenu dues par M. DUFOUR au titre des années 1973, 1974, 1975 et 1976, et des cotisations à la majoration exceptionnelle au titre des années 1973 et 1975 sont fixées en soustrayant de la catégorie des revenus de capitaux mobiliers des sommes de 69 250 F pour 1973, 71 151 F pour 1974, 73 131 F pour 1975 et 22 944 F pour 1976, à bon droit imposées, primitivement, dans la catégorie des traitements et salaires, ainsi qu'une somme de 7 225 F, à bon droit imposée, primitivement, dans la catégorie des revenus fonciers, pour chacune desdites années, et compte tenu, en outre, de revenus de capitaux mobiliers réduits de 1 423,25 F pour 1973, de 970,30 F pour 1974, de 1 336,80 F pour 1975 et de 1 566,90 F pour 1976, et de revenus d'origine indéterminée ramenés à néant pour chacune des années 1973, 1974 et 1976, et à 64 497,76 F pour l'année 1975.
Article 2 : Il est accordé à M. DUFOUR décharge de la différence entre le montant des droits supplémentaires auxquels il a été assujetti, et qui ont été maintenus à sa charge par le tribunal administratif de Rennes, en matière d'impôt sur le revenu, au titre de chacune des années 1973, 1974, 1975 et 1976, et de majoration exceptionnelle de l'impôt sur le revenu, au titre de chacune des années 1973 et 1975, et celui résultant de bases déterminées comme il est dit à l'article 1er ci-dessus, ainsi que des pénalités dont ces droits ont été assortis.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Rennes, du 9 décembre 1981 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. DUFOUR est rejeté.
Article 5 : La présente décision sera notifiée à M. DUFOUR et au ministre délégué auprès du ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et du budget, chargé du budget.

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