CIV. 1
CF
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 mars 2023
Cassation
M. CHAUVIN, président
Arrêt n° 161 FS-D
Pourvoi n° X 21-24.783
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
_________________________
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 8 MARS 2023
M. [F] [P], domicilié [Adresse 1], a formé le pourvoi n° X 21-24.783 contre le jugement rendu le 29 septembre 2021 par le tribunal judiciaire de Tours, dans le litige l'opposant à la société A&P réceptions, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de Mme Kerner-Menay, conseiller, les observations de la SCP Guérin-Gougeon, avocat de M. [P], de la SCP Thomas-Raquin, Le Guerer, Bouniol-Brochier, avocat de la société A&P réceptions, et l'avis écrit de M. Chaumont, avocat général, après débats en l'audience publique du 24 janvier 2023 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Kerner-Menay, conseiller rapporteur, Mme Duval-Arnould, conseiller doyen, MM. Aa, Mornet, Chevalier, Mme Bacache-Gibeili, conseillers, Mmes A Ab, de Cabarrus, Thieffry, M. Serrier, conseillers référendaires, et Mme Layemar, greffier de chambre,
la première chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon le jugement attaqué (tribunal judiciaire de Tours, 29 septembre 2021), rendu en dernier ressort, le 11 décembre 2019, M. [P] a, en vue du mariage de son fils prévu le 3 octobre 2020, conclu un contrat de réservation d'une salle de réception auprès de la société A&P réceptions (la société) et a payé un acompte de 2 375 euros. Le contrat stipulait qu'en cas d'annulation de la manifestation par le client, le montant de la location resterait intégralement dû à la société, sauf cas de force majeure.
2. A la suite de la publication, en raison de la crise sanitaire liée à la Covid-19, d'un arrêté préfectoral du 27 septembre 2020 fixant, pour les événements familiaux se déroulant à compter du 28 septembre et jusqu'au 12 octobre 2020, une jauge maximale de trente personnes, M. [Ac] a sollicité la résolution du contrat et la restitution de son acompte en invoquant l'existence d'une force majeure.
3. A titre reconventionnel, la société a sollicité le paiement d'une somme de 2 375 euros, correspondant au solde de la location.
Examen des moyens
Sur le premier moyen
4. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le deuxième moyen, pris en sa troisième branche
Enoncé du moyen
5. M. [P] fait grief au jugement de rejeter l'ensemble de ses demandes, alors « que M. [P] soutenait qu'en raison de l'arrêté du 27 septembre 2020 instaurant une jauge de trente personnes, la société n'était pas en mesure de fournir la prestation convenue, qui consistait en une mise à disposition d'un espace destiné à accueillir plus de six cent personnes, élément essentiel sans lequel il n'aurait jamais contracté ; qu'en retenant que si cet arrêté faisait peser sur la société des contraintes, celles-ci ne rendaient pas impossible l'exécution du contrat dès lors qu'une réception demeurait possible dans la limite de trente personnes, sans rechercher si l'obligation de la société, au-delà de la seule mise à disposition d'un espace, ne consistait pas essentiellement à fournir cet espace avec une telle capacité d'accueil, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard des
articles 1103, 1188 et 1218 du code civil🏛🏛🏛. »
Réponse de la Cour
Vu les
articles 1103 et 1218 du code civil🏛🏛 :
6. Aux termes du premier de ces textes, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.
7. Aux termes du second, il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur.
8. Il s'en déduit que, si le créancier ne peut obtenir la résolution du contrat en soutenant que la force majeure l'a empêché de profiter de la contrepartie à laquelle il avait droit, il peut se prévaloir de l'inexécution par le débiteur de son obligation contractuelle en raison de la force majeure.
9. Pour rejeter les demandes de M. [Ac], le jugement retient que les contraintes liées à la crise sanitaire ne constituaient pas un élément irrésistible dès lors que la société était en mesure de fournir la prestation, M. [P] pouvant organiser une réception dans la salle louée dans la limite de trente convives.
10. En se déterminant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si l'obligation de la société ne consistait pas à mettre à la disposition de M. [P] un espace dans lequel il pourrait accueillir effectivement plusieurs centaines de personnes qu'elle s'était trouvée elle-même dans l'impossibilité d'exécuter, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision.
Et sur le troisième moyen, pris en sa première branche
Enoncé du moyen
11. M. [P] fait grief au jugement de le condamner à verser à la société la somme de 2 375 euros correspondant au solde dû en application du contrat, alors « que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen de cassation entraînera nécessairement, par voie de conséquence, la cassation de ce chef de dispositif par application de l'
article 624 du code de procédure civile🏛, le chef de dispositif faisant droit à une demande reconventionnelle d'application du contrat présentant un lien d'indivisibilité et de dépendance nécessaire avec celui rejetant la demande de résolution de ce même contrat. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article 624 du code de procédure civile🏛 :
12. En application de ce texte, la cassation des dispositions du jugement rejetant les demandes formées par M. [Ac] entraîne la cassation du chef de dispositif qui le condamne à payer à la société une somme correspondant au solde restant dû, lequel s'y attache par un lien d'indivisibilité et de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement rendu le 29 septembre 2021, entre les parties, par le tribunal judiciaire de Tours ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ce jugement et les renvoie devant le tribunal judiciaire de Blois ;
Condamne la société A&P réceptions aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite du jugement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par la SCP Guérin-Gougeon, avocat aux Conseils, pour M. [P]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief au jugement attaqué d'avoir rejeté l'ensemble de ses demandes ;
1°) Alors que les parties peuvent à tout moment donner expressément leur accord pour que la procédure se déroule sans audience ; que le tribunal judiciaire, qui a tenu une audience sans répondre à la demande de M. [Ac] de mise en place d'une procédure sans audience ni constater le refus de la société d'y recourir, a violé l'
article 828 du code de procédure civile🏛 ;
2°) Alors qu'il ne résulte d'aucune mention du jugement que le tribunal se serait prononcé sur la demande de dispense d'audience – qu'il constatait –, formulée par M. [P] pour raison de santé ; que le tribunal judiciaire, qui n'a ce faisant pas mis à la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'
article 831 du code de procédure civile🏛 ;
3°) Alors que lorsque le juge dispense une partie d'audience, les échanges entre les parties se font par écrits, de sorte qu'il n'y a pas lieu, afin de respecter le principe de la contradiction à l'égard de la partie dispensée pour un motif légitime, d'organiser une audience où serait entendue seule la partie adverse ; qu'en dispensant M. [Ac] d'audience tout en constatant la tenue d'une audience à laquelle était présent le conseil de la société, le tribunal judiciaire a violé les
articles 16 et 831 du code de procédure civile🏛🏛 ;
4°) Alors que lorsqu'une partie est dispensée d'audience, le juge organise les échanges écrits entre les parties, qui doivent se communiquer leurs écritures par lettre recommandée avec avis de réception dont elles doivent justifier auprès du tribunal ; que le tribunal judiciaire, qui a dispensé M. [P] d'audience et constaté que, le jour de celle-ci, la société avait déposé des conclusions – sur lesquelles il s'est prononcé –, sans toutefois s'assurer qu'il avait été justifié de leur communication au demandeur par courrier recommandé ni constater l'organisation par lui des échanges écrits entre les parties, a violé les
articles 15, 16 et 831 du code de procédure civile🏛🏛🏛.
DEUXIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief au jugement attaqué d'avoir rejeté l'ensemble de ses demandes ;
1°) Alors qu'en énonçant que M. [P] ne pouvait, en sa qualité de créancier de l'obligation de prestation de réservation de salle, obtenir la résolution du contrat en invoquant n'avoir pu profiter du contrat en raison d'un cas de force majeure ayant empêché le débiteur de s'exécuter, après avoir pourtant constaté que le contrat avait instauré la possibilité, de part et d'autre, d'annuler la réservation pour des raisons de force majeure, ce qui l'autorisait à invoquer la force majeure ayant affecté l'obligation de son cocontractant, le tribunal judiciaire, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les
articles 1103 et 1218 du code civil🏛🏛 ;
2°) Alors qu'en tout état de cause, le créancier d'une obligation de fournir une prestation de réservation de salle peut, pour demander la résolution du contrat, invoquer la force majeure résultant des restrictions administratives prises à l'occasion de l'épidémie de Covid-19 et ayant empêché le débiteur de s'exécuter ; qu'en énonçant qu'en sa qualité de créancier d'une telle obligation, M. [P] ne pouvait obtenir la résolution du contrat en invoquant n'avoir pu profiter du contrat en raison d'un cas de force majeure, résultant desdites restrictions administratives et ayant empêché le débiteur de s'exécuter, le tribunal judiciaire a violé l'
article 1218 du code civil🏛 ;
3°) Alors que M. [P] soutenait (conclusions p. 13) qu'en raison de l'arrêté du 27 septembre 2020 instaurant une jauge de 30 personnes, la société A&P Réceptions n'était pas en mesure de fournir la prestation convenue, qui consistait en une mise à disposition d'un espace destiné à accueillir plus de 600 personnes, élément essentiel sans lequel il n'aurait jamais contracté ; qu'en retenant que si cet arrêté faisait peser sur la société des contraintes, celles-ci ne rendaient pas impossible l'exécution du contrat dès lors qu'une réception demeurait possible dans la limite de 30 personnes, sans rechercher si l'obligation de la société, au-delà de la seule mise à disposition d'un espace, ne consistait pas essentiellement à fournir cet espace avec une telle capacité d'accueil, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard des
articles 1103, 1188 et 1218 du code civil🏛🏛🏛 ;
4°) Alors que M. [P] soutenait (conclusions p. 23) que le contrat était caduc en application de l'
article 1186 du code civil🏛, l'un de ses éléments essentiels ayant disparu ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, le tribunal judiciaire a violé l'
article 455 du code de procédure civile🏛.
TROISIÈME MOYEN DE CASSATION
M. [P] fait grief au jugement attaqué de l'avoir condamné à verser à la société A&P Réceptions la somme de 2 375 € correspondant au solde dû en application du contrat ;
1°) Alors que la cassation à intervenir sur le deuxième moyen de cassation entraînera nécessairement, par voie de conséquence, la cassation de ce chef de dispositif par application de l'
article 624 du code de procédure civile🏛, le chef de dispositif faisant droit à une demande reconventionnelle d'application du contrat présentant un lien d'indivisibilité et de dépendance nécessaire avec celui rejetant la demande de résolution de ce même contrat ;
2°) Alors que s'il fallait déduire du jugement attaqué que la demande de dispense d'audience formulée par M. [P] pour raison de santé a été rejetée, voire qu'aucune demande de dispense n'a été présentée, il en résulte que la procédure était orale ; qu'en condamnant M. [Ac] reconventionnellement, sans toutefois constater que la société avait soumis cette prétention à l'oral lors de l'audience du 2 juin 2021, le tribunal a violé les
articles 817 et 831 du code de procédure civile🏛🏛 ;
3°) Alors qu'en énonçant que M. [P] ne pouvait, en sa qualité de créancier de l'obligation de prestation de réservation de salle, obtenir la résolution du contrat en invoquant n'avoir pu profiter du contrat en raison d'un cas de force majeure ayant empêché le débiteur de s'exécuter, après avoir pourtant constaté que le contrat avait instauré la possibilité, de part et d'autre, d'annuler la réservation pour des raisons de force majeure, ce qui l'autorisait à invoquer la force majeure ayant affecté l'obligation de son cocontractant, le tribunal judiciaire, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les
articles 1103 et 1218 du code civil🏛🏛 ;
4°) Alors qu'en tout état de cause, le créancier d'une obligation de fournir une prestation de réservation de salle peut, pour demander la résolution du contrat, invoquer la force majeure résultant des restrictions administratives prises à l'occasion de l'épidémie de Covid-19 et ayant empêché le débiteur de s'exécuter ; qu'en énonçant qu'en sa qualité de créancier d'une telle obligation, M. [P] ne pouvait obtenir la résolution du contrat en invoquant n'avoir pu profiter du contrat en raison d'un cas de force majeure, résultant desdites restrictions administratives et ayant empêché le débiteur de s'exécuter, le tribunal judiciaire a violé l'
article 1218 du code civil🏛 ;
5°) Alors que M. [P] soutenait (conclusions p. 13) qu'en raison de l'arrêté du 27 septembre 2020 instaurant une jauge de 30 personnes, la société A&P Réceptions n'était pas en mesure de fournir la prestation convenue, qui consistait en une mise à disposition d'un espace destiné à accueillir plus de 600 personnes, élément essentiel sans lequel il n'aurait jamais contracté ; qu'en retenant que si cet arrêté faisait peser sur la société des contraintes, celles-ci ne rendaient pas impossible l'exécution du contrat dès lors qu'une réception demeurait possible dans la limite de 30 personnes, sans rechercher si l'obligation de la société, au-delà de la seule mise à disposition d'un espace, ne consistait pas essentiellement à fournir cet espace avec une telle capacité d'accueil, le tribunal judiciaire a privé sa décision de base légale au regard des
articles 1103, 1188 et 1218 du code civil🏛🏛🏛 ;
6°) Alors que M. [P] soutenait que le contrat était caduc en application de l'
article 1186 du code civil🏛, l'un de ses éléments essentiels ayant disparu ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions, le tribunal judiciaire a violé l'
article 455 du code de procédure civile🏛.