La SASU Signall Centre France a interjeté appel le 21 février 2022 de la décision prud'homale, qui lui avait été notifiée le 27 janvier 2022.
Par dernières conclusions notifiées par voie électronique le 05 janvier 2023, la SASU Signall Centre France demande à la cour de :
In limine litis
- juger irrecevable la demande nouvelle en cause d'appel de condamnation de la société à verser à M. [F] la somme de 5 000 euros au titre de l'obligation de sécurité,
- en conséquence l'en débouter,
Sur le fond
- Confirmer la décision déférée en ce qu'elle a débouté M. [F] de sa demande au titre de la nullité du licenciement,
- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle a :
o Dit que le licenciement de M. [F] ne reposait pas sur une cause réelle et sérieuse ;
o Condamné la société Signall Centre France à verser à M. [F] les sommes de :
- 2 131,95€ à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre 213,20 € au titre des congés payés afférents,
- 9 949,50€ à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 994,95€ au titre des congés payés afférents,
-1 828,62€ au titre de l'indemnité légale de licenciement,
-5 000,00€ à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- A titre subsidiaire, réformer la décision déférée en ce qu'elle l'a condamnée à verser à M. [F] la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- A titre infiniment subsidiaire, réformer le quantum alloué en l'absence de démonstration d'un préjudice,
- A titre encore plus subsidiaire, confirmer la décision déférée sur ce quantum,
- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle l'a condamnée à verser à M. [F] les sommes de :
' 28 497,94 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires,
' 2 849,79 euros au titre des congés payés afférents,
' 15 399 euros au titre de l'indemnité de repos compensateur légal,
- A titre subsidiaire, réformer le quantum des condamnations au titre des heures supplémentaires, congés payés afférents et du repos compensateur,
- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle lui a ordonné de remettre à M. [F] les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire conformes à la présente décision dans le délai d'un mois à compter de la notification,
- Confirmer la décision déférée en ce qu'elle a dit n'y avoir lieu à astreinte,
- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle l'a déboutée de sa demande formée au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- En conséquence, condamner M. [F] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,
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03 mars 2023
- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle l'a condamnée aux entiers dépens,
- Infirmer la décision déférée en ce qu'elle l'a condamnée à verser à M. [F] la somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en première instance,
- Statuant à nouveau, condamner M. [F] à lui verser la somme de 3 500 euros au titre des frais irrépétibles exposés en appel,
- Le condamner, enfin, aux entiers dépens.
Par dernières conclusions également notifiées par voie électronique le 05 janvier 2023, M. [F] demande à la cour de :
In limine litis
- Juger recevable sa demande formulée au titre des dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité,
- Juger l'appel de la Société Signall Centre France mal fondé,
A titre principal,
- Infirmer le jugement entrepris seulement en ce qu'il l'a débouté de sa demande au titre de la nullité de son licenciement,
En conséquence,
- Juger son licenciement nul,
- Condamner la Société Signall Centre France à lui verser les sommes suivantes :
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul,
- 2 131,95 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre 213,20 euros au titre des congés payés afférents
- 9 949,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 994,95 euros au titre des congés payés afférents
- 1 828,62 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
A titre subsidiaire,
- Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a minoré le quantum des dommages et intérêts alloués à M. [F] au titre de son licenciement sans cause réelle et sérieuse,
Statuant à nouveau,
- Condamner la Société Signall Centre France à lui verser les sommes suivantes :
- 20 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
- 2 131,95 euros à titre de rappel de salaire sur la mise à pied conservatoire, outre 213,20 euros au titre des congés payés afférents
- 9 949,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 994,95 euros au titre des congés payés afférents
- 1 828,62 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement
A titre infiniment subsidiaire,
- Confirmer le jugement prud'homal en ce qu'il lui a alloué à la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
En tout état de cause,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré la convention individuelle de forfait en jours privée d'effet et condamné la Société Signall Centre France à lui verser les sommes suivantes :
-28 497,94 euros à titre de rappel d'heures supplémentaires, outre 2 849,79 euros au titre des congés payés afférents
-15 399 euros au titre de l'indemnité de repos compensateur légal
- Condamner la Société Signall Centre France à lui verser la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de sécurité,
- Débouter la Société Signall Centre France de l'ensemble de ses demandes,
- Confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné à la Société Signall Centre France à lui verser la somme de 1 500 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
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- Condamner la Société Signall Centre France à lui verser la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés dans le cadre de la présente instance d'appel,
- Condamner la Société Signall Centre France aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est en date du 05 janvier 2023.
SUR CE
1) Sur la recevabilité de la demande en paiement de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de sécurité
Aux termes des dispositions de l'
article 564 du code de procédure civile🏛, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, les parties ne peuvent soumettre à la cour de nouvelles prétentions si ce n'est pour opposer compensation, faire écarter les prétentions adverses ou faire juger les questions nées de l'intervention d'un tiers, ou de la survenance ou de la révélation d'un fait.
L'
article 565 du même code🏛 dispose que les prétentions ne sont pas nouvelles dès lors qu'elles tendent aux mêmes fins que celles soumises au premier juge, même si leur fondement juridique est différent.
Et selon l'
article 566 du même code🏛, les parties ne peuvent ajouter aux prétentions soumises au premier juge que les demandes qui en sont l'accessoire, la conséquence ou le complément nécessaire.
En l'espèce, l'employeur s'oppose à la demande indemnitaire formée par le salarié au titre d'une violation de l'obligation de sécurité dont il se serait rendu fautif, en soulevant son caractère nouveau en ce qu'elle n'aurait pas été présentée devant les premiers juges.
M. [F], qui ne conteste pas ne pas avoir présenté cette demande en première instance, soutient qu'elle ne peut être qualifiée de nouvelle dès lors qu'elle dérive du même contrat de travail que celles antérieurement présentées et tendant aux mêmes fins puisqu'elle n'est que la conséquence de la dégradation de son état de santé sur lequel il fonde la nullité de son licenciement.
Néanmoins, M. [F] qui a saisi le conseil de prud'hommes de Bourges le 22 janvier 2020, ne peut se prévaloir des dispositions de l'
article R. 1452-7 du code du travail🏛, aux termes desquelles les demandes nouvelles dérivant du même contrat de travail sont recevables même en appel, en ce qu'il résulte des articles 8 et 45 du décret n°2016-660 du 20 mai 2016 qu'elles ne sont plus applicables aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes postérieu-rement au 1er août 2016.
Par ailleurs, les demandes formulées par le salarié devant les premiers juges étaient limitées à la contestation du licenciement et de la convention de forfait en jours et au paiement de sommes pouvant en découler, la demande indemnitaire visant le préjudice allégué au titre d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, laquelle se rapporte à l'exécution du contrat de travail, ne se rattache pas aux prétentions originelles par un lien suffisant et doit être déclarée irrecevable comme étant nouvelle en cause d'appel.
2) Sur la convention de forfait en jours
Le droit à la santé et au repos est au nombre des exigences constitutionnelles.
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Il résulte des articles 17, paragraphe 1, et 4 de la directive 1993/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, ainsi que des articles 17, paragraphe 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne que les Etats membres ne peuvent déroger aux dispositions relatives à la durée du temps de travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
En l'espèce, M. [F] demande à la cour de confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que sa convention de forfait en jours était privée d'effet, ce à quoi s'oppose l'appelante pour qui ladite convention est valide.
Les
articles L. 3121-63 et L. 3121-64 du code du travail🏛🏛 prévoient que les forfaits annuels en heures ou en jours sur l'année sont mis en place par un accord collectif d'entreprise ou d'établissement ou, à défaut, par une convention ou un accord de branche, qui doit notamment déterminer les modalités selon lesquelles l'employeur assure l'évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié, celles selon lesquelles l'employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, sur sa rémunération ainsi que sur l'organisation du travail dans l'entreprise.
L'article 5.5.4.1. de la convention collective relatif à la durée quotidienne et hebdomadaire de travail prévoit que :
nonobstant les dispositions de l'
article L. 3121-48 du code du travail🏛, afin de garantir une durée raisonnable, les limites suivantes devront être respectées :
- la durée quotidienne maximale prévue à l'
article L. 3121-34 du code du travail🏛,
- aux durées hebdomadaires maximales de travail prévues au 1er alinéa de l'article L. 3121-35 et aux 1er et 2e alinéas de l'article L. 3121-36.
Il est également prévu aux termes de ses articles, 5-5-6-1 et 5-5-6-2 le suivi régulier par le supérieur hiérarchique du salarié de l'organisation du travail de l'intéressé, de sa charge de travail ainsi que l'adéquation entre ses objectifs et les missions assignées au salarié avec les moyens dont il dispose, ce suivi pouvant donner lieu à des entretiens périodiques, outre un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique portant sur le temps de travail, sur l'organisation, la charge et l'amplitude du travail, le respect du repos quotidien et hebdomadaire ainsi que l'articulation entre les temps de vie professionnelle et la vie familiale.
En l'espèce, le contrat de travail de M. [F] stipule, conformément aux
articles L3121-43 et suivants du code du travail🏛, que la durée du travail est de 216 jours par an, précise l'autonomie du salarié et son obligation de respecter les repos quotidiens, les repos hebdomadaires ainsi que la durée journalière maximale.
Le salarié soutient que compte tenu de sa charge de travail, il était amené à dépasser régulièrement les durées maximales de travail tant quotidiennes qu'hebdomadaires, que l'employeur a été défaillant dans le contrôle du nombre de jours travaillés et que l'entretien annuel ne respecte pas les dispositions conventionnelles, la convention de forfait jours étant ainsi privée d'effet ce qui l'autorise à réclamer paiement d'heures supplémentaires.
La société Signall Centre France s'oppose à la demande en affirmant qu'elle n'avait pas à réaliser d'entretien annuel en 2017 puisque le salarié a été engagé à compter du 1er mars 2017, et qu'elle avait mis en place un espace dédié au droit d'alerte dont M. [F] n'a jamais fait usage alors qu'il était défaillant à transmettre le document mensuel exigé par la société afin de lui permettre un suivi du nombre de jours travaillés.
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Elle produit le compte rendu d'un entretien annuel de performance du 13 septembre 2018 dans lequel il est noté en observations du salarié 'une charge de travail trop importante car non maitrisée : en amélioration ; une amplitude de journée d'activité : en amélioration ; une articulation entre activité professionnelle et vie personnelle et familiale : doit être présent pour ses enfants 1 semaine:2 + kiné actuellement.'
Outre que cet entretien qui n'est pas dédié au suivi de la charge de travail du salarié et de son organisation, a eu lieu plus de 18 mois après l'entrée du salarié dans la société, il ne procède à
aucune évaluation chiffrée quant au nombre de jours travaillés, à la durée de travail raisonnable journalier et hebdomadaire, au respect du repos journalier et hebdomadaire, ni ne formule de réajustement dans un délai précis permettant de considérer que l'employeur a satisfait à son obligation de protection de la sécurité et de la santé du travailleur.
L'employeur produit ensuite les demandes et rappels formulés les 30 août et 13 novembre 2018 auprès de M. [F] d'avoir à produire ses déclarations mensuelles devant refléter les nombre de jours travaillés dans le mois dont il se déduit également une absence de contrôle et de suivi régulier par l'employeur du nombre de jours travaillés par le salarié.
En effet, le caractère déclaratif de ces informations n'exonère en rien l'employeur de ses responsabilités alors que sa première mise en garde reprenant ce manquement du salarié est datée du 21 septembre 2018.
Ainsi, faute d'avoir satisfait à son obligation de mener des entretiens annuels ayant pour but de mesurer la charge de travail du salarié et d'adopter les mesures nécessaires pour garantir la protection de sa sécurité et de sa santé, c'est exactement que les premiers juges ont dit que la convention de forfait était privée d'effet.
Dès lors, la durée légale du travail s'applique à M. [F], soit 35 heures de travail effectif par semaine, ce qui lui permet de réclamer le paiement d'heures supplémentaires.
3) Sur les demandes de rappel de salaire pour heures supplémentaires et de dommages et intérêts pour non-respect des seuils légaux du temps de travail
- Sur les heures supplémentaires
Selon l'
article L. 3171-4 du code du travail🏛, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Il résulte par ailleurs des
articles L. 3171-2, alinéa 1, L. 3171-3 et L. 3171-4 du code du travail🏛🏛🏛, qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, il appartient au salarié de présenter, à l'appui de sa demande, des éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu'il prétend avoir accomplies afin de permettre à l'employeur, qui assure le contrôle des heures de travail effectuées, d'y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge forme sa conviction en tenant compte de l'ensemble de ces éléments au regard des exigences rappelées aux dispositions légales et réglementaires précitées. Après analyse des pièces produites par l'une et l'autre des parties, dans l'hypothèse où il retient l'existence d'heures supplémentaires, il évalue souverainement, sans être tenu de préciser le détail de son calcul, l'importance de celles-ci et fixe les créances
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salariales s'y rapportant.
En l'espèce, M. [F] produit aux débats un tableau par semaine des heures de travail qu'il affirme avoir réalisées, des heures supplémentaires alléguées et par mois des sommes réclamées pour un total de 15 469,69 euros en 2017 et 13 028,25 euros en 2018, ainsi que des photos de chantiers et de la géolocalisation de son téléphone portable.
M. [F] présente ainsi des éléments suffisamment précis à l'appui de sa demande permettant à l'employeur d'y répondre utilement.
La société Signall Centre France s'oppose à la demande en paiement d'heures supplémentaires sans verser aux débats aucune pièce, notamment sur le contrôle de la durée du travail du salarié dans le cadre de la convention de forfait jours irrégulièrement mise en place à laquelle était alors soumis le salarié.
C'est ainsi de manière inopérante que l'employeur, à qui appartient la charge de contrôler les heures de travail effectuées, fait reproche à M. [F] de ne pas avoir régulièrement communiqué ses déclarations mensuelles relatives au nombre de jours travaillés dans le mois.
Il affirme néanmoins sans être contredit que M. [F] bénéficiait de toute latitude pour organiser ses journées, partager son temps avec ses enfants une semaine sur deux et honorer ses rendez-vous médicaux.
Il soutient ensuite que c'est à tort que le salarié a comptabilisé dans son temps de travail l'ensemble des heures de trajets nécessaires entre son domicile et son lieu de travail, ce que le salarié ne conteste pas.
Selon l'
article L3121-4 du code du travail🏛, le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d'exécution du contrat de travail n'est pas un temps de travail effectif. Toutefois, s'il dépasse le temps normal de trajet entre le domicile et le lieu habituel de travail, il fait l'objet d'une contrepartie soit sous forme de repos, soit sous forme financière. La part de ce temps de déplacement professionnel coïncidant avec l'horaire de travail n'entraîne aucune perte de salaire.
Il se déduit du contrat de travail de M. [F] que le lieu d'exercice de ses fonctions avait été fixé au siège de la société à [Localité 4] et qu'il pouvait être amené à effectuer des déplacements en France ainsi qu'en dehors et notamment en Europe voire à l'international.
Il bénéficiait de la mise à disposition d'un véhicule de service pour ses déplacements professionnels et était indemnisé sur justificatif pour les frais exposés à l'occasion de ses déplacements.
Le temps de trajet domicile-lieu de travail ne peut en conséquence être assimilé à un temps de travail et générer des heures supplémentaires.
Au regard des éléments produits, la cour a la conviction que si M. [F] a réalisé de nombreuses heures supplémentaires, il n'a pas effectué toutes celles qu'il allègue. Il y a donc lieu, par voie infirmative, de fixer forfaitairement à la somme de 7 000 euros pour les années 2017 et 2018 le rappel de salaire dû à l'intimé, outre 700 euros au titre ses congés payés afférents.
- Sur la demande en paiement de dommages et intérêts pour non-respect des seuils légaux du temps de travail
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M. [F] ne justifiant pas de la totalité des heures supplémentaires qu'il allègue et ne démontrant pas par les seules captures d'écran de la géolocalisation de son téléphone la réalité du non respect des seuils légaux, sera débouté de la demande en paiement de dommages et intérêts qu'il forme de ce chef.
Le jugement sera donc infirmé sur ce point.
4) Sur la contestation du licenciement et les demandes indemnitaires subséquentes
- Sur la nullité du licenciement
M. [F] soutient que son licenciement est nul au motif qu'il serait discriminatoire car fondé sur son état de santé.
La SASU Signall Centre France conteste la nullité du licenciement en ce que celui-ci a été prononcé pour faute grave et non en raison de l'état de santé du salarié.
Il résulte des dispositions des
articles L.1132-1 et L.1132-4 du code du travail🏛🏛 qu'aucun salarié ne peut être licencié en raison de son état de santé, et que tout licenciement trouvant sa cause dans l'état de santé d'un salarié est nul.
En application de l'
article L.1134-1 du même code🏛, lorsque survient un litige en raison d'une méconnaissance des dispositions de l'article L.1132-1, le salarié présente des éléments de fait laissant supposer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte telle que définie par les dispositions de l'
article 1er de la loi du 27 mai 2008🏛. Il appartient au juge d'apprécier si ces éléments pris dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.
Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles.
En l'espèce, M. [F] soutient que la relation de travail s'était déroulée sans difficulté depuis son embauche, et qu'elle s'est dégradée lors de son arrêt de travail pour raison de santé au mois de mai 2018. Il affirme qu'à compter du 07 juillet 2018, il a été victime d'une discrimination liée à son état de santé, réelle cause de son licenciement, de sorte que celui-ci prononcé pour faute grave est nul.
Il prétend en effet, que la société Signall Centre France n'a pas entendu respecter les préconisations du médecin du travail, a manoeuvré sans succès auprès de ce dernier pour obtenir un avis d'inaptitude et à défaut a fait le choix de le licencier pour faute grave.
M. [F] présente les faits suivants :
- lors de son arrêt de travail, il a subi, le 07 juillet 2018, une contre visite médicale diligentée par l'employeur,
- il a été contraint par l'employeur, en contradiction avec les termes de l'avis du médecin du travail du 20 août 2018, de se rendre notamment à une réunion de chantier à [Localité 3] le 11 septembre 2018, à la demande de M. [Aa], chef de projet,
- il a reçu une lettre de mise en garde du 21 septembre 2018 pour avoir travaillé pendant son arrêt de travail et à plus de deux heures de trajet, l'employeur prétendant qu'il avait agi en violation de ses instructions,
- l'employeur sollicitait une nouvelle visite médicale le 06 novembre 2018,
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- il était convoqué par courrier du 03 janvier 2019, à un entretien préalable à un éventuel licenciement lequel est intervenu pour faute grave le 22 janvier 2019.
Au soutien de sa demande, il produit :
- l'avis de passage du médecin dans le cadre d'une contre visite médicale privée diligentée par l'entreprise les 6 et 7 juillet 2018,
- des documents relatifs à la construction d'un centre commercial Carrefour,
- une convocation à une visite médicale prévue le 12 novembre 2018,
- l'avis du médecin du travail daté du 12 novembre 2018,
- une attestation de M. [O] datée du 02 décembre 2022 affirmant que l'employeur était informé du déplacement de M. [F] en région parisienne à plus de deux heures de trajet le 11 septembre 2018.
Ainsi l'ensemble de ces éléments, corrélé à la chronologie des événements, laisse supposer une discrimination liée à l'état de santé du salarié.
La SASU Signall Centre France dénie tout lien entre la rupture du contrat de travail et l'état de santé du salarié.
Elle démontre en effet par un email du 25 octobre 2017, alors qu'elle venait d'apprendre l'existence de problèmes de santé de M. [F], avoir envisagé un aménagement de son poste de travail si nécessaire, puis par la saisine du médecin du travail en octobre 2017, en août 2018 et en novembre 2018, s'être inquiété des aménagements de poste utiles en raison des restrictions de déplacements préconisés sans qu'il s'en déduise une volonté d'obtenir un avis d'inaptitude de son salarié, alors que la contre visite sollicitée le 6 juillet 2018 relevait de son pouvoir de direction.
L'employeur a, par lettre recommandée du 21 septembre 2018, notamment, mis en garde et rappelé à son salarié l'interdiction qui lui était faite de travailler pendant ses arrêts maladie et de se déplacer sur des chantiers à la demande de M. [Aa], sans en aviser son responsable hiérarchique M. [Y], comme il avait pu le faire le 11 septembre 2018.
Elle combat ainsi utilement par la production des attestations de M. [Ab], M. [Ac] et M. [P] qui relatent les difficultés pour sa hiérarchie à connaître ses déplacements alors qu'il pouvait se présenter à des réunions auxquelles il n'était pas convié, l'affirmation du salarié selon lequel il y avait été contraint.
Le compte-rendu d'entretien du 13 septembre 2018 fait de même état de la nécessité d'aviser son responsable et de lui faire retour.
Ainsi, l'employeur prouve que sa décision de licenciement est étrangère à toute discrimination et M. [F] sera, par la confirmation du jugement critiqué, débouté de ses demandes en nullité du licenciement et en paiement d'indemnités subséquentes.
- Sur la cause du licenciement
Il résulte de l'
article L. 1235-1 du code du travail🏛 que le juge à qui il appartient d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs de licenciement invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
L'employeur qui prend l'initiative de rompre le contrat de travail doit énoncer son ou ses motifs dans la lettre de licenciement, laquelle fixe les limites du litige. Les griefs avancés doivent être fondés sur des faits exacts, précis, objectifs et matériellement vérifiables. À défaut, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
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Quand le licenciement contesté repose sur une faute grave, il incombe à l'employeur de démontrer la réalité de la violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail et d'établir que cette violation présente un caractère de gravité tel qu'elle impose le départ immédiat du salarié.
En l'espèce, aux termes de la lettre de licenciement du 22 janvier 2019 qui fixe les limites du litige, la société reproche les manquements suivants à M. [F] justifiant son licenciement pour faute grave :
'Monsieur,
(...)
Vous êtes embauché en contrat à durée indéterminée au sein de Signall Centre France au poste de conducteur de travaux depuis le 1er mars 2017. Le 7 décembre dernier était porté à la connaissance du comité de direction, un échange datant de trois semaines, entre vous-même,
M. [B] [D] - directeur du développement et des opérations d'une société concurrente, ci-après dénommée la SIB - et l'ancien directeur général de la société Signall, M. [M] [Ad]. Le contenu de cet échange est le suivant:
- M. [D], se présentant clairement sur le réseau social Linkedln dont il est question ici comme 'directeur du développement et des opérations chez SIB - révélateur de réseaux retail' lance une question ouverte : 'A la recherche de matériaux vraiment recyclables pour réaliser 1500 enseignes extérieures éphémères (longévité
Vous n'êtes pas sans ignorer que la SIB est un concurrent direct puisqu'ils interviennent chez l'un de nos plus gros clients et si vous l'aviez ignoré, l'interlocuteur précité ne laisse aucune place au doute dans la manière de se présenter sur le réseau social : activité de 'retail', il précise vouloir 'réaliser 1500 enseignes extérieures' ; il est clairement établi qu'il s'agit d'un professionnel de l'enseigne, tout comme nous...
- M. [M] [Ad], ancien directeur général du groupe Signall, ayant quitté le groupe depuis un an répond à M. [D]: 'Bonjour [B], quelles sont les contraintes ' lumineuses ou pas, un masquage provisoire qui doit recouvrir des enseignes existantes ou des enseignes complètes ' plutôt un format centre-ville ou ZAC ' Ces enseignes doivent-elles être en couleur (lesquelles) ou assez neutres avec juste des contrastes de matériaux '
- M. [D] précise : 'Bonjour [M], nous devons couvrir les nouvelles enseignes que nous allons déployer par des masques. Les enseignes seront standardisés. L'Akilux ou la bâche sont des pistes mais nous cherchons des alternatives plus respectueuses de l'environnement.'
Vous intervenez alors dans la conversation, à notre plus grande stupéfaction - votre nom et votre photographie apparaissent clairement ainsi que votre qualification professionnelle - et faites des recommandations techniques :
- [R] [F] : 'et pourquoi pas faire des housses en jet tex de Dickson ''
Il va de soi que le fait de donner des recommandations techniques à un concurrent qui plus est lié à l'ancien directeur général de la société sur la place publique, constitue une faute grave.
Ceci constitue un manquement à vos obligations, notamment à l'article 11 de votre contrat de travail relatif aux obligations professionnelles, ou il est clairement stipulé 'Monsieur [R] [F] s'engage à observer, tant pendant l'exécution qu'après la cessation du contrat de travail, une discrétion professionnelle absolue pour tout ce qui concerne les faits ou informations dont il aura connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions. Monsieur [R] [F] ne pourra exercer sous quelque forme que ce soit, une activité concurrente de celle de son employeur pendant l'exécution de son contrat de travail.' Ce manquement justifie à lui seul votre licenciement pour faute grave.
Il convient d'y ajouter d'autres manquements qui vous ont déjà été signifiés par le passé et rappelés lors de l'entretien préalable, à savoir votre manque de rigueur, le non-respect des règles de l'entreprise, l'absence de compte-rendu d'activité... ces derniers griefs constituant
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également des manquements graves.
Eu égard à ce qui précède, vos manquements ne nous laissent pas d'autre choix que de procéder à votre licenciement pour faute grave sans indemnité ni préavis.
La date de première présentation de la présente lettre à votre domicile marquera le terme de votre contrat de travail.(...)'
Ainsi, la lettre de licenciement ne mentionnant aucunement un manque de respect par le salarié des propositions de mesures individuelles d'aménagement, d'adaptation ou de transformation du poste de travail, l'insubordination du salarié et notamment son absence de respect du pouvoir de décision de l'employeur, son insubordination conduisant à sa mise en danger, la violation des restrictions imposées par la médecine du travail, l'ensemble des développements de ces chefs par la société dans ses dernières conclusions sont inopérants.
Le seul document produit au dossier par l'employeur concernant d'autres manquements du
salarié susceptibles d'être ceux visés par la lettre de licenciement est la lettre de mise en garde du 21 septembre 2018 qui rappelait les règles de l'entreprises relatives à l'interdiction de travailler pendant les congés ou les absences pour arrêt maladie,
- adresser les déclarations mensuelles de forfait jours,
- ne plus se déplacer sans y avoir été invité par son responsable hiérarchique.
Il n'est pas démontré que ces manquements ont perduré et ce alors que le salarié a produit dès le 16 novembre 2018 les déclarations mensuelles qui lui avaient été demandées 3 jours auparavant, et qu'ils n 'avaient alors pas été considérés d'une gravité telle qu'ils imposaient le départ immédiat du salarié et n'avaient été sanctionnés que par une mise en garde.
Ils ne peuvent fonder un licenciement pour faute grave.
La SASU Signall Centre France fonde également le licenciement pour faute grave en reprochant à son salarié de ne pas avoir respecté son obligation contractuelle de discrétion professionnelle absolue, de non-concurrence et de loyauté.
M. [F] fait valoir, au soutien de sa contestation, que les faits qui lui sont reprochés ne peuvent être constitutifs d'une faute grave dès lors qu'il s'est écoulé près d'un mois entre la date de la connaissance des faits et l'engagement de la procédure disciplinaire, ce que l'appelante ne discute pas.
En effet, l'employeur qui entend rompre le contrat de travail en raison d'une faute grave doit respecter un délai restreint entre la connaissance des faits fautifs et la mise en oeuvre de la procédure de licenciement.
En l'espèce, l'employeur n'a engagé la procédure disciplinaire que le 03 janvier 2019 pour des faits dont il avait eu connaissance dès le 07 décembre 2018, délai qui ne peut être qualifié de restreint.
Il s'en déduit que le manquement reproché au salarié ne pouvait avoir le degré de gravité allégué et que l'employeur n'établit pas l'existence d'une faute grave.
La cause réelle et sérieuse du licenciement n'est pas plus démontrée en ce qu'il ne peut être sérieusement soutenu que l'indication sous forme de question par M. [F], sur un réseau social, même avec mention de sa qualité de salarié de la société Signall Centre France, de la possibilité d'utiliser 'des housses en jet tex de Dickson' ne saurait constituer une
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recommandation formulée au nom de son employeur, ni même une inobservation de son obligation de discrétion professionnelle absolue, l'employeur ne démontrant en rien la révélation d'un fait ou d'une information dont il aurait eu connaissance dans l'exercice ou à l'occasion de ses fonctions.
C'est en conséquence exactement que les premiers juges ont dit que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement doit dès lors être confirmé de ce chef.
- Sur les demandes indemnitaires
a) Sur l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse
Le salarié qui présentait une ancienneté deux années complètes - deux ans, 01 mois et 22 jours - et qui était employé dans une société employant plus de onze salariés peut, en application de l'
article L.1235-3 du code du travail🏛 dans sa rédaction applicable, prétendre à une indemnité minimale égale à trois mois de salaire brut et maximale à trois mois et demi de salaire brut.
Eu égard au montant de la rémunération mensuelle brute perçue par le salarié, de sa capacité à retrouver un emploi, de l'absence de justificatif de son préjudice alors que l'appelante démontre par ses recherches sur les réseaux sociaux qu'il a créé son entreprise à tout le moins à compter du 25 septembre 2019, c'est par une juste appréciation des éléments du dossier que les premiers juges ont fixé à la somme de 10 000 euros l'indemnité apte à réparer le préjudice résultant pour le salarié de la rupture du contrat de travail.
Le jugement sera infirmé sur le montant de l'indemnité allouée et la société Signall Centre France condamnée à payer à M. [F] la somme de 10 000 euros à ce titre.
b) Sur l'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents
L'
article L. 1234-5, alinéas 1 et 3, du code du travail🏛 précise que lorsque le salarié n'exécute pas le préavis, il a droit, sauf s'il a commis une faute grave, à une indemnité compensatrice.
L'inexécution du préavis, notamment en cas de dispense par l'employeur, n'entraîne aucune diminution des salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise.
En l'espèce, en l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement et d'exécution de préavis par le salarié, il convient, conformément aux dispositions de la convention collective applicable prévoyant pour les cadres un préavis de 3 mois sans condition d'ancienneté, de confirmer le jugement critiqué en ce qu'il a condamné l'appelante à payer à M. [F] la somme de 9 949,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre la somme de 994,95 euros au titre des congés payés afférents.
c) Sur le rappel de salaire pour mise à pied conservatoire
Par courrier de convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement du 03 janvier 2019, M. [F] a été mis à pied à titre conservatoire.
Il réclame à ce titre la somme 2 131,95 euros, outre 213,20 euros de congés payés afférents.
Le licenciement étant dépourvu de cause réelle et sérieuse, la mise à pied n'était pas justifiée ; le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a condamné la société Signall Centre France à payer au salarié cette somme à titre de rappel de salaire.
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d ) Sur l'indemnité légale de licenciement
Aux termes de la convention collective applicable l'indemnité de licenciement pour les cadres coefficient 900 et plus est pour un salarié ayant une ancienneté de 8 mois à 3 ans dans l'entreprise de 1/4 de mois de salaire de référence par année d'ancienneté, outre en cas d'année incomplète, à une indemnité calculée proportionnellement au nombre de mois complets.
En l'espèce, M. [F] qui avait une ancienneté de deux ans, 01 mois et 22 jours dans l'entreprise, peut prétendre à une indemnité légale de licenciement d'un montant de 1 658,25 + 69,09 = 1 727,34 euros.
Le jugement sera infirmé sur le montant de l'indemnité allouée et la société Signall Centre France condamnée à payer à M. [F] la somme de 1 727,34 euros à ce titre.
3 ) Sur les autres demandes, les dépens et les frais irrépétibles
Compte tenu de ce qui précède, le jugement sera confirmé en ce qu'il a ordonné à la société
Signall Centre France de remettre au salarié les documents de fin de contrat et les bulletins de salaire conformes à la décision dans le mois de sa signification.
Le jugement querellé est confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
La SASU Signall Centre France qui succombe, sera condamnée aux dépens d'appel et déboutée de sa demande formulée au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.
Elle sera condamnée en équité à verser à M. [F] la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles en cause d'appel.