SOC.
AF1
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 8 mars 2023
Rejet
M. SOMMER, président
Arrêt n° 227 FS-B
Pourvoi n° M 20-21.848
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 8 MARS 2023
La société Compagnie des transports strasbourgeois, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2], a formé le pourvoi n° M 20-21.848 contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2020 par la cour d'appel de Colmar (chambre sociale), dans le litige l'opposant :
1°/ à M. [Aa] [T], domicilié [… …],
2°/ à Pôle emploi, dont le siège est [Adresse 1],
défendeurs à la cassation.
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Barincou, conseiller, les observations de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Compagnie des transports strasbourgeois, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [T], et l'avis de Mme Grivel, avocat général, après débats en l'audience publique du 17 janvier 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Barincou, conseiller rapporteur, Mme Mariette, conseiller doyen, MM. Pietton, Seguy, Mmes Grandemange, Douxami, conseillers, M. Le Corre, Mmes Prieur, Marguerite, M. Carillon, conseillers référendaires, Mme Grivel, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'
article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire🏛, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 22 septembre 2020), M. [T] a été engagé, le 4 janvier 1999, par la société Compagnie des transports strasbourgeois (la société) en qualité de conducteur.
2. A la suite d'une plainte déposée par le salarié, qui avait constaté la disparition d'un bloc de tickets dans un des bus qu'il conduisait, l'employeur a remis aux services de police les bandes du système de vidéoprotection équipant les véhicules.
3. Le 19 septembre 2016, les services de police ont remis à l'employeur un procès-verbal, établi en exploitant ces enregistrements, établissant que le salarié avait téléphoné au volant et fumé dans le bus.
4. Le même jour, à la suite de cette révélation, l'employeur a notifié au salarié une mise à pied conservatoire, l'a convoqué à un entretien préalable et l'a invité à se présenter devant le conseil de discipline en vue d'un éventuel licenciement. Le salarié a été licencié pour faute grave le 4 octobre 2016.
5. Contestant son licenciement, le salarié a saisi la juridiction prud'homale.
Examen du moyen
Enoncé du moyen
6. L'employeur fait grief à l'arrêt de le condamner à payer au salarié diverses sommes à titre de rappel de salaire, d'indemnité de préavis, d'indemnité de licenciement, de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en application de l'
article L. 1235-4 du code du travail🏛, à rembourser à l'organisme intéressé, dans la limite de six mois, les indemnités chômage versées au salarié du jour de son licenciement à celui de la décision, alors :
« 1°/ que l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; que le juge doit apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits du salarié et le droit de l'employeur à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments obtenus illicitement à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi ; qu'en jugeant le licenciement sans cause réelle et sérieuse du seul fait de l'utilisation, en tant que moyen de preuve, d'un procès-verbal de police illicite car communiqué à un tiers à la procédure pénale sans autorisation et rédigé à partir d'enregistrements transmis aux services de police en violation de la charte de la vidéoprotection applicable dans l'entreprise, sans constater que la production du procès-verbal de police constatant les infractions commises par le salarié sur son lieu et pendant son temps de travail portait une atteinte disproportionnée aux droits du salarié et n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de la société CTS, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à justifier l'irrecevabilité de la pièce litigieuse aux débats, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des
articles 9 du code de procédure civile🏛 et 6§1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°/ si, en vertu du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, l'employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour obtenir une preuve, l'utilisation d'un procès-verbal qui lui a été spontanément communiqué par les services de police constitue un procédé loyal d'obtention de la preuve ; qu'en jugeant que la société CTS ne pouvait loyalement utiliser les constats tirés par la police dans le procès-verbal car communiqué à un tiers à la procédure pénale sans autorisation et rédigé à partir d'enregistrements transmis aux services de police en violation de la charte de la vidéoprotection de l'entreprise, quand elle constatait expressément que la CTS n'avait pas elle-même sollicité le procès-verbal litigieux aux services de police ni été à l'initiative de sa transmission, ce dont elle déduisait qu'elle n'avait eu recours à aucun stratagème pour l'obtenir et avait agi sans déloyauté, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les
articles 9 et 1353 du code civil🏛🏛, ensemble l'
article 9 du code de procédure civile🏛. »
Réponse de la Cour
7. D'une part, il ne résulte ni de l'arrêt ni des pièces de la procédure que la société, qui s'était bornée à faire valoir qu'elle avait respecté le principe de loyauté de la preuve et ne s'était pas procuré irrégulièrement le procès-verbal de police, avait soutenu en substance devant la cour d'appel que le rejet de la preuve illicite pouvait porter atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble.
8. D'autre part, aux termes de l'
article 9 du code de procédure civile🏛, il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention.
9. La cour d'appel a d'abord constaté que la preuve de la faute grave énoncée dans la lettre de licenciement n'était administrée par l'employeur qu'au moyen d'un procès-verbal de police, dressé après que le salarié avait lui-même déposé plainte pour vol de tickets de bus, et que les enquêteurs, en visionnant les enregistrements vidéo du bus conduit par celui-ci, avaient relevé des infractions au code de la route contre ce dernier.
10. Elle a ensuite relevé que, de l'aveu même de l'employeur, la communication du procès-verbal était intervenue dans le cadre informel des relations qu'il entretenait pour les besoins de son activité avec les autorités de police, en sorte qu'au sens de l'
article R. 156, alinéa 1, du code de procédure pénale🏛, cette délivrance de pièce issue d'une procédure pénale à laquelle l'employeur était tiers, intervenue sans justification d'une autorisation du procureur de la République, était illicite.
11. Elle a enfin retenu que l'employeur, de manière déloyale et en méconnaissance de ses propres engagements résultant de la charte de la vidéo protection en vigueur dans l'entreprise, d'une part, avait accepté de remettre l'enregistrement à la police au mépris de l'article 4 de cette même charte, alors qu'aucune infraction ou perturbation afférente à la sécurité des personnes n'était en cause s'agissant de l'allégation d'un vol de titres de transport sans violences et, d'autre part, avait utilisé les constats tirés par la police de cet enregistrement contenus dans le procès-verbal dont il avait en outre irrégulièrement été destinataire, pour prouver la faute du salarié et procéder à son licenciement, en violation de l'article 3-3 de la charte, aux termes duquel il s'était engagé à ne pas recourir au système de vidéoprotection pour apporter la preuve d'une faute du salarié lors d'affaires disciplinaires internes.
12. De ces constatations et énonciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à la recherche invoquée par la première branche, laquelle ne lui était pas demandée, a pu déduire que le procès-verbal litigieux avait été obtenu de manière illicite et était dès lors irrecevable.
13. Le moyen n'est donc pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Compagnie des transports strasbourgeois aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société Compagnie des transports strasbourgeois et la condamne à payer à M. [T] la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille vingt-trois.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt
Moyen produit par la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat aux Conseils, pour la société Compagnie des transports strasbourgeois
La société CTS reproche à l'arrêt infirmatif attaqué de l'AVOIR condamnée à payer à M. [T] les sommes de 275,84 euros à titre de rappel de salaire correspondant à la mise à pied, outre 27,58 euros de congés payés afférents, 5.239,88 euros à titre d'indemnité de préavis, outre 523,98 euros de congés payés afférents, 12.008,06 euros à titre d'indemnité de licenciement, 35.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et, en application de l'
article L. 1235-4 du code du travail🏛, à rembourser à l'organisme intéressé, dans la limite de six mois, les indemnités chômage versées au salarié du jour de son licenciement à celui de la décision ;
1°) ALORS QUE l'illicéité d'un moyen de preuve n'entraîne pas nécessairement son rejet des débats ; que le juge doit apprécier si l'utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance les droits du salarié et le droit de l'employeur à la preuve, lequel peut justifier la production d'éléments obtenus illicitement à la condition que cette production soit indispensable à l'exercice de ce droit et que l'atteinte aux droits du salarié, à la supposer établie, soit proportionnée au but poursuivi ; qu'en jugeant le licenciement de M. [T] sans cause réelle et sérieuse du seul fait de l'utilisation, en tant que moyen de preuve, d'un procès-verbal de police illicite car communiqué à un tiers à la procédure pénale sans autorisation et rédigé à partir d'enregistrements transmis aux services de police en violation de la Charte de la vidéoprotection applicable dans l'entreprise, sans constater que la production du procès-verbal de police constatant les infractions commises par M. [T] sur son lieu et pendant son temps de travail portait une atteinte disproportionnée aux droits du salarié et n'était pas indispensable à l'exercice du droit à la preuve de la société CTS, la cour d'appel, qui a statué par un motif impropre à justifier l'irrecevabilité de la pièce litigieuse aux débats, n'a pas justifié légalement sa décision au regard des
articles 9 du code de procédure civile🏛 et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
2°) ALORS QUE si, en vertu du principe de loyauté dans l'administration de la preuve, l'employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour obtenir une preuve, l'utilisation d'un procès-verbal qui lui a été spontanément communiqué par les services de police constitue un procédé loyal d'obtention de la preuve ; qu'en jugeant que la société CTS ne pouvait loyalement utiliser les constats tirés par la police dans le procès-verbal car communiqué à un tiers à la procédure pénale sans autorisation et rédigé à partir d'enregistrements transmis aux services de police en violation de la Charte de la vidéoprotection de l'entreprise, quand elle constatait expressément que la CTS n'avait pas elle-même sollicité le procès-verbal litigieux aux services de police ni été à l'initiative de sa transmission, ce dont elle déduisait qu'elle n'avait eu recours à aucun stratagème pour l'obtenir et avait agi sans déloyauté, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les
articles 9 et 1353 du code civil🏛🏛, ensemble l'
article 9 du code de procédure civile🏛.