Le 21 février 2022, le liquidateur amiable de la SCP [N] [O] & Associés, ès-qualités, a régulièrement interjeté appel de cette décision en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rejeté la nullité soulevée.
Le 12 mai 2022 a été prononcée l'ouverture d'une procédure de liquidation judiciaire de la SCP [N] [O] & Associés, la date de cessation des paiements étant fixée au 14 avril 2022. Maître [L] a été désigné en qualité de liquidateur judiciaire. Les organes de la procédure collective ont alors été assignés en intervention forcée par la salariée.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 29 septembre 2022, le liquidateur judiciaire de la SCP [N] [O] & Associés, ès-qualités, intervenant volontairement, demande à la cour d'infirmer la décision déférée en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'elle a rejeté la nullité soulevée, et statuant à nouveau de :
- débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes en ce compris ses demandes incidentes en appel,
- condamner Mme [V] à la somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- débouter la SARL [F] Avocats de ses demandes et de ses demandes incidentes en appel, et lui déclarer opposable l'arrêt à intervenir,
- condamner Mme [V] à la somme de 3 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux dépens.
Le liquidateur amiable de la SCP s'associe à ces demandes.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 30 septembre 2022, Mme [V] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a dit son licenciement sans cause réelle et sérieuse et en ce qu'il a condamné la SCP [N] [O] & Associés à lui payer diverses sommes à l'exception du montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de l'infirmer de ce seul chef et statuant à nouveau de :
- condamner la société à lui verser 26 000 euros,
- fixer l'ensemble des sommes allouées au passif de la liquidation judiciaire,
- condamner la SCP [N] [O] & Associés à lui payer 3 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ainsi qu'aux dépens,
- déclarer l'arrêt à intervenir opposable au CGEA AGS Ile de France Ouest.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 9 décembre 2022, la SARL [F] demande à la cour de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a écarté l'application de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛 et en ce qu'il a dit que le contrat de travail liant Mme [V] à la SCP [N] [O] & Associés ne lui avait pas été transmis avant ou après le 1er juillet 2020, et de :
- débouter le liquidateur judiciaire de la SCP [N] [O] & Associés, ès-qualités, de l'ensemble de ses demandes ;
- écarter des débats sa pièce 21 ;
- débouter l'UNEDIC de l'ensemble de ses demandes ;
- condamner le liquidateur judiciaire, ès qualités, à lui payer 10 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 outre 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Dans ses dernières conclusions notifiées par la voie électronique le 28 septembre 2022, l'UNEDIC délégation AGS CGEA Ile de France Ouest demande à la cour de réformer le jugement déféré en toutes ses dispositions et statuant à nouveau de débouter Mme [V] de l'ensemble de ses demandes.
Subsidiairement, l'UNEDIC demande à la cour de confirmer le jugement déféré s'agissant du montant des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de débouter Mme [V] de son appel incident à ce titre, et de donner acte à l'AGS de ce qu'elle s'en rapporte à l'appréciation de la cour sur le surplus des demandes indemnitaires de la salariée.
En tout état de cause, l'organisme demande de débouter Mme [V] et la SARL [F] de l'ensemble de leurs demandes respectives et de dire que l'AGS ne peut en aucun cas garantir la somme sollicitée au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, de dire que la garantie de l'AGS n'est également due que dans les limites et plafonds définis par les textes rappelés, et que par application des dispositions de l'
article L.622-28 du code de commerce🏛, le cours des intérêts a été interrompu à la date d'ouverture de la procédure collective.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 28 décembre 2022.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, pour un plus ample exposé des faits, des prétentions et moyens des parties, il est renvoyé aux dernières conclusions susvisées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le rejet de la pièce n°21 de la SCP [N] [O] & Associés
La SARL [F] demande à la cour d'écarter cette pièces n°21 produite par le liquidateur ès-qualités au motif que sa communication est illicite dès lors qu'elle est issue d'un rapport atteint de nullité déposé par un expert dans une autre procédure dont la présente cour n'est pas saisie, puisqu'il a été déposé alors que sa désignation était caduque, qu'il n'avait pas sollicité les observations des parties et qu'il avait outrepassé sa mission.
Le liquidateur judiciaire, ès-qualités, s'y oppose en soutenant qu'il s'agit d'une pièce importante montrant incontestablement les travaux préparatoires de Maître [O] dès octobre 2019 pour récupérer une partie substantielle des actifs de la SCP [N] [O] & Associés (dossiers judiciaires) pour sa nouvelle structure d'avocats et ce, avant même qu'il ne notifie son retrait. Il souligne que cette pièce a été loyalement obtenue dans le cadre d'une expertise, et qu'elle n'est ni douteuse ni suspecte.
Sur ce,
La cour rappelle qu'en matière prud'homale la preuve est libre et peut se faire par tous moyens. Les seules restrictions sont celles relatives à la licéité et la loyauté du procédé d'obtention de la pièce, à l'atteinte de la vie privée et au respect de la confidentialité. Toutefois, même dans cette dernière hypothèse, l'atteinte est légitime dès lors que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée.
En l'espèce, la SARL fait valoir que la pièce n°21 de la SCP ne constitue pas un moyen de preuve recevable. Or, cette pièce versée à la procédure correspond à un plan prévisionnel de la SARL [F] rédigé par Maître [O] en octobre 2019 pour décrire l'ensemble de son projet de création d'entreprise ainsi que l'évolution attendue de cette entreprise et de son activité, dont la SCP [N] [O] & Associés a eu communication dans le cadre d'un rapport d'une expertise ordonnée à sa demande. La SARL [F] ne produit pas à la présente procédure le moindre élément de nature à démontrer qu'elle a demandé à la juridiction concernée, ni a fortiori qu'elle a obtenu, la nullité de ce rapport notifié aux parties, ce qu'elle n'expose d'ailleurs pas.
Dans ces conditions, la cour juge recevable la production de ce document dont il n'est pas démontré qu'il aurait été obtenu par un procédé illicite ou déloyal, et qui ne porte pas atteinte de façon disproportionnée à la confidentialité ou à la vie privée de Maître [O] ou de sa SARL.
Sur le sort du contrat de travail liant Mme [V] à la SCP [N] [O] & Associés
Mme [V] soutient à titre principal qu'elle a été licenciée verbalement par le liquidateur amiable de la SCP [N] [O] & Associés.
Elle fait valoir en substance que par courrier du 4 juin 2020 confirmé par courrier du 24 juin suivant, le liquidateur amiable de la SCP [N] [O] & Associés l'a informée de sa non reprise par la SELAS [N]-[A] et l'a invitée à se rapprocher de la SARL [F] qui devait selon lui reprendre légalement son contrat de travail, tout en lui indiquant que son contrat de travail serait rompu le 30 juin et qu'elle devait donc ne plus se présenter à son poste de travail à compter de cette date. Elle souligne s'être néanmoins présentée à son poste de travail jusqu'au 30 juin, et que le 1er juillet l'accès aux locaux lui a été interdit par le liquidateur amiable assisté de son conseil et d'un huissier de justice chargé de dresser un constat, et il lui a été rappelé de se rapprocher de la SARL [F] qui devait reprendre son contrat de travail en application de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛. Elle indique avoir alors, par la voix de son avocat, adressé un courrier à la SCP [N] [O] & Associés le 16 juillet 2020 pour signaler qu'en lui refusant l'accès à son lieu de travail le 1er juillet et en cessant de lui donner du travail depuis cette date, son ancien employeur a procédé à son licenciement verbal sans avoir respecté le moindre formalisme. Elle précise avoir signé un contrat de travail avec la SARL [F] le 20 juillet 2020, et que le 3 août 2020 la SELAS [N]-[A] a proposé de l'embaucher aux mêmes conditions salariales du fait de l'absence de reprise par la SARL [F] mais qu'elle a refusé du fait des conditions de son départ le 1er juillet. Elle considère que la rupture de son contrat de travail intervenue le 1er juillet 2020 est abusive.
La SARL [F] Avocats soutient en synthèse que le contrat de travail de Mme [Ab], qui avait reçu un courrier lui notifiant de façon explicite la fin de ses fonctions au 1er juillet 2020, a irrégulièrement été rompu par la SCP [N] [O] & Associés à cette date alors qu'aucun transfert automatique ou volontaire n'était intervenu. Elle souligne l'absence de scission de la SCP [N] [O] & Associés en deux nouvelles structures alors qu'aucune décision en ce sens n'a été prise en assemblée générale ni même envisagée, la dissolution et la liquidation de la SCP [N] [O] & Associés n'étant pas l'effet d'un accord mais au contraire d'un désaccord qui a abouti au retrait de tous les associés. Elle précise qu'au moment où le liquidateur amiable a notifié à certains salariés et pas aux autres le transfert de leur contrat de travail au sein de la SELAS [N]-[A], du fait d'une décision unilatérale de la part de cette nouvelle société, la SCP [N] [O] & Associés était en possession de tous ses dossiers. Elle estime que l'
article L.1224-1 du code du travail🏛 ne trouvait donc pas à s'appliquer, la SELAS [N]-[A] tentant ainsi d'imposer son choix quant aux salariés à reprendre sans dès lors aucune automaticité. Elle soutient encore qu'aucun accord n'est intervenu sur un transfert volontaire et que Mme [Ab] n'a en aucun cas été embauchée officieusement en janvier 2020.
Elle souligne par ailleurs que le liquidateur amiable s'était placé sous le régime de l'article 9 du règlement intérieur du Barreau de Paris et que la seule modification juridique qu'ait connu la SCP [N] [O] & Associés est sa liquidation, qui n'est pas survenue le 1er juillet 2020. Elle précise par ailleurs que le transfert de clientèle ne se confond pas avec un transfert de dossiers, alors que les dossiers lui ayant été transférés étaient pour plus d'un tiers des dossiers archivés quand d'autres n'exigeaient pas une prestation attendue ou à accomplir, et indique encore qu'il n'y a eu aucune répartition de clients mais une série de succession d'avocats décidée par les seuls clients, lesquels ont choisi leur nouveau conseil. Elle soutient qu'il n'y a pas eu de poursuite d'une activité ayant conservé son identité.
Elle indique que la présence de deux salariée de la SCP [N] [O] & Associés, Ac [Ad] et [Z] sur le registre du personnel de cette société postérieurement au 1er juillet 2020 (jusqu'au 30 juillet pour la première du fait d'une rupture conventionnelle acceptée le 19 juin 2020 et le 7 septembre 2020 pour l'autre), est également la preuve de l'absence d'application d'un transfert automatique des contrats de travail au 1er juillet.
Le liquidateur judiciaire de la SCP [N] [O] & Associés, ès-qualités, suivi en cela par le liquidateur amiable, s'oppose aux demandes de la salariée en faisant valoir que les conditions d'application de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛 sur le transfert des contrats de travail étaient réunies en l'espèce au profit de la SARL [F] et que dès lors le contrat de travail de la salariée a été transféré de plein droit au sein de cette structure. Subsidiairement, ils affirment que le contrat de travail a fait l'objet d'un transfert volontaire.
Les liquidateurs, ès-qualités, soutiennent que dès qu'il avait décidé de quitter la SCP [N] [O] & Associés, Maître [O] avait déjà dès le début décidé et confirmé reprendre Mme [Ab], ce qu'elle savait pertinemment, mais qu'ils ont tous deux entretenu une fiction de la non poursuite du contrat de travail au-delà du 1er juillet 2020 pour prétendre échapper à toutes les conséquences de l'article L.1224-1 s'agissant des autres salariés devant être repris, et pour permettre à Mme [Ab] de percevoir grâce à ces manoeuvres des indemnités substantielles. Ils estiment que la fraude est ainsi constituée.
Ils font valoir que la SARL [F], au même titre que la SELAS [N]-[A] constitue une entité économique au sens du texte précité dès lors que le cabinet d'avocats a poursuivi l'activité de la SCP d'avocats dissoute, en reprenant une partie essentielle de la SCP d'avocats, à savoir des collaborateurs et secrétaires, des clients et dossiers attachés aux personnels repris alors que près de 1 000 dossiers du cabinet initial ont été transférés à la SARL qui ne se contente donc pas de poursuivre l'activité en cause mais reprend une partie essentielle en termes de dossiers mais aussi de nombre et de compétences des effectifs que son prédécesseur affectait spécialement à cette tâche. Ils soulignent que la SELAS [N]-[A] a ainsi repris 7 des 12 salariés restants à compter du 1er juillet 2020 en application du texte susvisé alors que la SARL [F] a officiellement refusé de reprendre les 4 derniers salariés parmi lesquels figure Mme [V], en arguant de manière péremptoire et non étayée que l'article L.1224-1 ne s'applique pas et qu'un licenciement a été signifié aux intéressés. Ils soutiennent que la SARL [F] a néanmoins repris Mme [V], comme elle s'y était engagée auprès du Conseil de l'Ordre des avocats de Paris par lettre du 30 avril 2020 et dans son courrier officiel du 7 mars 2020, et même officieusement depuis janvier 2020, ce qui rend la procédure prud'homale sans objet et surtout frauduleuse.
L'UNEDIC délégation AGS CGEA Ile de France Ouest soutient en synthèse que le contrat de travail de Mme [Ab] a bien fait l'objet d'un transfert en application des dispositions de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛, dès lors que les deux structures nouvellement créées ont succédé à la SCP [N] [O] & Associés en dissolution, que des dossiers ont été transférés à la SARL [F], et que les deux structures se sont donc réparti la clientèle et ont poursuivi un objet social identique, à savoir l'exercice en commun de la profession d'avocat, le nombre de dossier transféré à chacun étant indifférent. Il précise que dès le 7 mars 2020, le conseil de Maître [O] précisait que sa nouvelle structure serait composée de 5 avocats et de Mme [V], ce qu'il a réaffirmé le 30 avril 2020, et le liquidateur amiable en a d'ailleurs informé l'intéressée par deux courriers datés de juin, étant souligné l'acquisition d'une licence de logiciel de gestion de cabinet au profit de Mme [Ab] dès le début de l'année 2020 et la régularisation par Mme [V] d'un contrat de travail avec la SARL [F] à effet du 20 juillet 2020, structure dans laquelle elle a poursuivi sa fin de carrière avec reprise d'ancienneté et les mêmes conditions financières que dans son ancien poste de travail au sein de la SCP [N] [O] & Associés.
Subsidiairement, l'UNEDIC soutient que la SARL [F] a fait voeux de faire application volontaire de l'article susvisé, en réitérant par la voix de son conseil sa volonté de départ de Mme [V] au sein de la nouvelle structure.
Sur ce,
2.1 - Sur le transfert automatique du contrat de travail en application des dispositions de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛 Le transfert des contrats de travail s'opère de plein droit dès lors que les conditions d'application du transfert de l'entreprise sont réunies.
L'
article L.1224-1 du code du travail🏛 prévoit que lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur, notamment par succession, vente, fusion, transformation du fonds, mise en société de l'entreprise, tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise. Cet article interprété à la lumière de la Directive n° 2001/23/CE du 12 mars 2001, s'applique en cas de transfert d'une entité économique autonome qui conserve son identité et dont l'activité est poursuivie ou reprise.
Constitue une entité économique autonome un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels ou incorporels poursuivant un objectif économique propre. Le transfert d'une telle entité ne s'opère que si des moyens corporels ou incorporels significatifs et nécessaires à l'exploitation de l'entité sont repris, directement ou indirectement, par l'exploitant.
Il n'y a pas lieu d'appliquer les dispositions précitées lorsque l'entité économique a perdu son identité du fait de sa disparition pure et simple ou lorsque l'activité s'est poursuivie dans des conditions de fonctionnement très différentes de celles précédemment observées, de sorte qu'en réalité, ce n'est pas la même entreprise qui se continue.
En l'espèce, en premier lieu, il sera relevé que la SCP [N] [O] & Associés a été dissoute le 10 mars 2020, date de la dernière notification de retrait d'associé, cette dissolution ayant été validée par l'assemblée générale extraordinaire du 5 mai 2020 qui a alors prononcé sa liquidation et désigné Maître [N] en qualité de liquidateur amiable.
Si la société d'avocats a cessé toute activité le 30 juin 2020, il demeure que le courriel du liquidateur amiable du 3 juin 2020 confirme qu'elle n'était alors plus une structure d'exercice puisque dissoute, la SCP ne devant survivre jusqu'à cette dernière date que pour les besoins de sa liquidation amiable.
L'entité économique que constituait la SCP [N] [O] & Associés avait ainsi disparu avant le début d'activité de la SELAS [N]-[A] et de la SARL [F], puisque c'est postérieurement à la dissolution de la SCP et à l'ouverture de sa liquidation amiable, que les avocats qui la composaient ont mis en activité leur propre cabinet pour poursuivre l'exercice de leur profession pour leur intérêt propre, la SELAS [N]-[A] à compter du 12 mai 2020 et la SARL [F] à compter du 14 mai. L'entité économique que constituait la SCP avait même disparu dès avant la création de la SARL [F] puisque les statuts de la SARL sont certes datés du 14 février 2020, mais leur dépôt, date à compter de laquelle elle a reçu la personnalité morale, n'est cependant pas intervenu avant son début d'exercice en mai.
En second lieu, il sera observé que l'exercice de la profession d'avocat au sein de la SARL [F] s'est poursuivi dans des conditions très différentes de celles qui existaient au sein de la SCP [N] [O] & Associés.
En effet, d'abord, la SCP [N] [O] & Associés était une importante société d'avocats exerçant à Paris, comptant 16 avocats sous statut libéral dont 3 associés, et employant 14 salariés.
Le personnel essentiel à l'activité d'un cabinet d'avocats est constitué d'avocats, qui permettent l'exercice d'une activité poursuivant un objectif propre.
Or, les deux anciens associés Maître [A] et Maître [N] ont constitué une SELAS [N]-[A] & Associés, au sein de laquelle exercent 8 avocats de l'ancienne SCP, alors que Maître [O] a quant à lui constitué la SARL [F] avec Maître [K] (qui n'est pas une ancienne associée de la SCP), plus petite structure au sein de laquelle exercent seulement 5 avocats de l'ancienne SCP.
Il s'ajoute que la SELAS a par ailleurs repris 7 des 12 salariés restants de l'ancienne structure (deux salariés ayant préféré rompre leur contrat de travail).
La taille de la SARL est donc très différente de celle de la SCP [N] [O] & Associés, et il convient de relever que les quelques salariés ayant rejoint la SARL nouvellement créée ayant préalablement démissionné de la SCP [N] [O] & Associés, leur contrat de travail n'ont donc pas fait l'objet d'un transfert.
En outre, le bail des locaux dans lesquels exerçaient les membres de la SCP d'avocats n'a pas été cédé à la SARL [F] qui a quitté les lieux pour une autre adresse, et il n'est pas non plus démontré que la SARL a bénéficié d'un transfert des matériels qui profitait à la SCP.
Ensuite, aucun transfert convenu de dossiers n'est établi entre les cabinets d'avocats, ni aucun transfert convenu ou non de dettes ou de créances.
Or, les dossiers du cabinet constituaient un élément essentiel de l'entité dissoute dont le transfert devait entrainer celui de la totalité de la clientèle y étant attachée. Pour autant, il ne ressort d'aucun élément probant que la SCP et les deux sociétés nouvellement créées ont signé une convention de transfert de leurs dossiers du premier vers les seconds. Il n'est pas non plus établi que les associés et collaborateurs qui ont rejoint chacun des deux nouveaux cabinets d'avocats avaient une clientèle et des moyens propres.
Les pièces produites ne permettent pas à la cour de déterminer avec précision l'activité exacte de la SCP [N] [O] & Associés au moment de sa dissolution ou à tout le moins de l'ouverture de sa liquidation amiable, et celles de la SELAS ou de la SARL au début de leur activité. Il résulte tant du rapport du liquidateur amiable sur les opérations de l'exercice écoulé le 31 décembre 2020 en vue de l'assemblée générale ordinaire annuelle du 23 avril 2021 que du courrier du liquidateur amiable adressé à la clientèle de la SCP [N] [O] & Associés, qu'aucun transfert de dossier vers l'une ou l'autre nouvelle structure n'a été même convenu entre les associés puisqu'il a au contraire été décidé par le liquidateur amiable de laisser les clients libres de décider du sort de leur affaire. S'il ressort de ce rapport, sans plus de détail, que les deux nouvelles structures créées par les anciens associés ont repris des dossiers de la SCP à l'exception de quelques-uns (dont le nombre n'est toutefois pas précisé), il demeure néanmoins que l'essentiel de ces dossiers a ainsi été repris par les deux nouvelles structures mais seulement au mois de juillet 2020, et donc bien après l'ouverture de la liquidation amiable et après le début d'activité de ces nouveaux cabinets d'avocats, après que les clients interrogés aient fait connaître leur choix.
Rien au dossier ne permet à la cour de quantifier les dossiers de la SCP repris par l'un ou l'autre nouveau cabinet d'avocats et parmi ces dossiers la quantité de dossiers actifs, alors pourtant que la SARL souligne avoir reçu un nombre conséquent de dossiers archivés. Il s'ensuit qu'il n'est pas prouvé que la SARL a ainsi bénéficié d'un transfert d'une majorité significative de la clientèle de l'ancienne structure.
Ce rapport ne fait d'ailleurs pas état d'une répartition disproportionnée des dossiers au profit de la SARL [F], ni d'une manoeuvre quelconque réalisée par la SARL [F] en vue de s'attribuer une part significative de la clientèle, ce qui au demeurant n'apparaît pas établi par les éléments du dossier.
Il n'est pas non plus démontré que certains dossiers auraient été transférés à la SARL [F] avant même la dissolution de la SCP, la seule indication «liste des dossiers déjà transférés à la SARL [F]» pour débuter une liste de dossiers produite par la SCP [N] [O] & Associés est à ce titre tout à fait insuffisante en l'absence de tout élément objectif permettant d'établir la date du transfert, une telle conclusion ne pouvant pas être tirée du projet de création d'un nouveau cabinet d'avocats de Maître [O] d'octobre 2019.
Enfin, en l'absence d'informations précises sur ce point, il n'est pas non plus établi qu'il y ait eu identité d'activité entre celle de la SCP [N] [O] & Associés et la SARL [F], alors qu'il ne peut être exclu, au regard des documents produit, que la SCP pouvait être amenée à intervenir dans différents domaines juridiques.
Dans ces conditions, le liquidateur judiciaire, ès qualités, n'est pas fondé à soutenir que l'entité économique autonome à laquelle Mme [Ab] se trouvait affectée a conservé son identité et que son activité a été poursuivie par l'un ou l'autre des associés qui composaient la SCP [N] [O] & Associés et en particulier par la SARL [F].
Il s'ensuit que les dispositions précitées ne trouvent pas à s'appliquer et que le contrat de travail de cette salariée n'a pas été transféré de façon automatique aux ex-associés ou à l'un d'entre eux.
2.2 - Sur l'application volontaire des dispositions de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛Le transfert du contrat de travail peut néanmoins résulter d'un accord de volontés.
Toutefois, si les parties peuvent convenir de se soumettre volontairement aux dispositions de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛, encore faut-il pour revendiquer le bénéfice du transfert du contrat de travail, que l'accord de la société cessionnaire soit non équivoque, ce qui nécessite que le repreneur ait entendu reprendre le salarié aux conditions résultant de son contrat de travail. De la même manière, cette application volontaire nécessite l'accord exprès du salarié.
Or, en l'espèce, la SARL [F] a au contraire clairement manifesté à de multiples reprises son refus de faire application de l'article susvisé, dans ses courriers adressés à la SCP [N] [O] & Associés.
La circonstance qu'il est établi que Maître [O] (voire la SARL) a pu sérieusement envisager d'employer Mme [Ab] dès avant la dissolution de la SCP [N] [O] & Associés, au point de lui ouvrir préventivement des droits dans le logiciel installé dès janvier 2020 d'une part, et la reprise d'ancienneté de la salariée dans le cadre du contrat de travail signé en juillet 2020 , bien après la dissolution de la SCP [N] [O] & Associés et même postérieurement à sa cessation d'activité d'autre part, ne sont pas des éléments suffisants à démontrer que la nouvelle structure a en réalité entendu reprendre tel quel et poursuivre le contrat souscrit par Mme [V] avec la SCP [N] [O] & Associés en application des dispositions de l'article L.1224-1. Il sera souligné que le nouveau contrat de travail n'a d'ailleurs notamment pas repris ses congés payés acquis au sein de la SCP.
Surtout, il n'est aucunement démontré que la salariée a quant à elle, à un moment quelconque, manifesté un accord exprès et non équivoque en vue d'une application volontaire du texte susvisé. Il n'est pas non plus établi que l'intéressée aurait, comme le prétendent ses adversaires, travaillé pour la SARL [F] dès janvier 2020. En effet, si les pièces produites (courriers, courriels et autres) sont de nature à prouver que de façon évidente Maître [O] avait prévu dès octobre 2019 de se retirer de la SCP [N] [O] & Associés pour créer une nouvelle structure et qu'il souhaitait, voire même envisageait très concrètement, d'y emmener avec lui Mme [V], il reste que ces pièces ne démontrent pas que la salariée a effectivement travaillé pour ce nouveau cabinet avant le 20 juillet 2020.
En particulier, rien ne démontre une utilisation du logiciel de la SARL [F] par Mme [V] avant cette date. Il est certes justifié que la SARL a signé le 10 décembre 2019 l'acquisition de diverses licences d'un logiciel Secib Neo pour son futur nouveau cabinet (7 ouvertures de droits dont deux pour des assistantes), que l'installation du logiciel était prévue en janvier 2020, que les droits ont été ouverts pour Mme [V] le 9 janvier 2020 avec une journée de formation prévue en avril (Mme [Ab] étant à ce titre mentionnée par la SARL dans l'un des groupes), néanmoins il est établi que la secrétaire n'a pas suivi la formation en question, et il résulte d'un courriel du 16 juin 2021 de Mme [X] que la date du 9 janvier 2020 correspond uniquement à la date d'installation du logiciel affecté à un poste d'utilisateur et non à une première utilisation, une licence pouvant être installée sans jamais être utilisée. La copie écran de l'outil de gestion des licences de Secib produite, mentionne en outre uniquement une date de dernière utilisation au 12 mai 2021 sans aucune indication quant à la première utilisation.
Enfin, le contrat de travail signé le 20 juillet 2020 par Mme [V] avec la SARL [F] et donc postérieurement tant à la dissolution qu'à la cessation d'activité de la SCP [N] [O] & Associés, certes pour un même poste qu'au sein de la SCP, un même salaire et une reprise d'ancienneté mais sans toutefois aucune reprise de congés payés, n'est pas un élément opérant pour retenir une volonté d'un transfert du contrat de travail expressément manifestée par les parties. Au contraire, la signature de ce nouveau contrat de travail tend à prouver l'absence d'une volonté de soumettre la relation de travail aux dispositions de l'
article L.1224-1 du code du travail🏛.
Le contrat de travail de Mme [Ab] n'a donc pas été repris volontairement. Le moyen est écarté.
2.3 - Sur le licenciement de Mme [V]
Aux termes de l'
article L.1232-6 du code du travail🏛, l'employeur est tenu d'énoncer le ou les motifs du licenciement dans une lettre de licenciement. A défaut le licenciement est sans cause réelle et sérieuse.
En l'espèce, Mme [Ab] a travaillé au sein de la SCP [N] [O] & Associés, perçu son salaire et reçu à ce titre des bulletins de paie jusqu'au 30 juin 2020 inclus.
Alors que le contrat de travail de la salariée n'a pas fait l'objet d'un transfert automatique ou volontaire au sein de la SARL [F], le liquidateur amiable de la SCP, ès-qualités, croyant à tort que les conditions du transfert légal étaient réunies, n'a pas formalisé un licenciement et s'est néanmoins dispensé d'exécuter le contrat de travail à compter du 30 juin 2020 non inclus, date de la cessation d'activité, comme cela résulte des courriers des 4 et 24 juin adressés par le liquidateur amiable de la SCP [N] [O] & Associés à la salariée et du constat d'huissier de justice du 1er juillet 2020 dont il ressort que Mme [V] s'est présentée pour prendre son poste et que l'entrée du local lui a été interdit.
Le refus de poursuivre l'exécution du contrat de travail rendant la rupture imputable à l'employeur, Mme [V] est fondée à se prévaloir des conséquences du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La salariée n'a pas été réglée de ses indemnités de rupture, et est donc fondée à réclamer les sommes de :
- 5 708,04 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis (2 mois de salaire en application de l'article 20 de la convention collective), outre 570,80 euros au titre des congés pays afférents ;
- 8 562,06 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement conformément à l'article 20 de la convention collective.
En outre, il convient de fixer la créance indemnitaire de Mme [V] au titre du licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 8 562,06 euros correspondant à 3 mois de salaire, eu égard à son ancienneté dans l'entreprise (près de 11 ans), à son salaire moyen mensuel (2 854,02 euros), à son âge lors de la rupture (pour être née le … … …) et au fait qu'elle a immédiatement retrouvé un emploi au sein de la SARL [F].
La décision déférée sera confirmée, sauf à fixer les montants alloués au passif de la procédure collective de la SCP [N] [O] & Associés.
Sur l'indemnité compensatrice de congés payés
Mme [V] fait valoir qu'au 30 juin 2020 elle bénéficiait d'un solde de congés payés de 33,25 jours lui faisant bénéficier d'une indemnité de 4 313,46 euros.
L'employeur s'oppose à la demande.
Sur ce,
A l'instar des premiers juges, la cour constate qu'au 30 juin 2020 Mme [V] bénéficiait d'un solde de congés payés de 33,25 jours. Dès lors qu'elle n'a pas été mise en mesure de prendre ses congés du fait de la rupture de son contrat de travail par l'employeur, elle aurait dû bénéficier d'une indemnité au titre de ces congés payés de 4 313,46 euros, qu'elle n'a pas perçue.
Dans ces conditions, le jugement déféré qui a alloué cette somme à la salariée sera confirmé, sauf à la fixer à la procédure collective de la SCP [N] [O] & Associés.
Sur les tickets restaurants
Mme [V] fait valoir que la SCP [N] [O] & Associés a opéré une retenue de 55 euros sur les bulletins de paie de mai et juin au titre des tickets restaurant alors même qu'elle n'a pas bénéficié de tickets pour cette période.
La SCP [N] [O] & Associés s'oppose à la demande en répliquant que l'attribution de tickets restaurant suppose que la prise du repas soit concrètement comprise dans l'horaire journalier du salarié, ce qui n'était pas le cas «en mai et juillet 2020.»
Sur ce,
Il ressort des développements de la SCP [N] [O] & Associés qu'elle ne conteste pas que les conditions permettant à la salariée de bénéficier des tickets restaurants étaient remplies au mois de juin 2020, alors par ailleurs qu'elle ne justifie pas que la situation au mois de mai 2020 différait de sa situation des mois précédents. Faute de preuve que la retenue au titre des tickets restaurant était justifiée sur la période considérée, la décision déférée qui a alloué à Mme [V] la somme de 110 euros correspondant aux retenues injustement opérées aux mois de mai et juin 2020, sera confirmée, sauf à fixer ces montants au passif de la procédure collective de la SCP [N] [O] & Associés.
Sur les demandes de dommages- intérêts pour procédure abusive
La SCP [N] [O] & Associés demande la condamnation de Mme [V] à lui payer des dommages et intérêts pour procédure abusive en soutenant que la salariée a tenté de troubler la religion du juge en affirmant avoir été licenciée verbalement alors même que son contrat de travail avait déjà été repris par la SARL [F] et qu'elle n'a connu aucun jour de chômage.
Toutefois, la cour ayant partiellement accueilli les demandes de Mme [V], la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive formée par la SCP [N] [O] & Associés ne peut qu'être rejetée, par voie de confirmation.
De la même manière, la SARL [F] forme une demande indemnitaire pour procédure abusive à l'encontre de la SCP [N] [O] & Associés. Toutefois, elle ne démontre pas que son adversaire a fait dégénérer en abus son droit de se défendre en justice et doit donc être déboutée de sa demande de dommages-intérêts, par voie de confirmation.
Sur les autres demandes
Le sens du présent arrêt conduit à confirmer la décision déférée en ses dispositions sur les dépens et les frais irrépétibles
Chacune des parties succombant en cause d'appel, il y a lieu de laisser à chacune d'elle la charge des dépens exposés.
Les circonstances de la cause et l'équité justifient de ne pas faire application des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 en faveur de l'une ou l'autre partie, qui seront en conséquence toutes déboutées de leurs demandes respectives de ce chef.