CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 35030
Ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget
Lecture du 27 Juin 1984
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 7ème Sous-Section
Vu le recours, enregistré au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 18 juin 1981, présenté par le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, et tendant à ce que le Conseil d'Etat:
1°) annule le jugement en date du 3 février 1981 par lequel le tribunal administratif de Lille a accordé à la société "Courtaulds", société anonyme, dont le siège est à Calais (Pas-de-Calais), Pont du Leu, une réduction de l'impôt sur les sociétés de 1971;
2°) rétablisse la société "Courtaulds" au rôle de l'impôt sur les sociétés au titre de l'année 1971 à titre principal, à raison de l'intégralité des droits et pénalités qui lui avaient été assignés mais diminués de l'impôt sur les sociétés au taux de 10 % sur les plus-values à long terme (1 128 820 F) versé spontanément; à titre subsidiaire, à raison d'une base rehaussée de 699 600 F, l'impôt correspondant à cette base étant diminué de l'impôt sur les sociétés d'un montant de 69 690 F correspondant aux plus-values à long terme déclarées à tort par la société;
Vu le code des tribunaux administratifs;
Vu le code général des impôts;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;
Vu la loi du 30 décembre 1977;
Vu la loi du 29 décembre 1983, portant loi de finances pour 1984, notamment son article 93-II.
Considérant que la société anonyme "Courtaulds", qui produit des fibres de "nylon" et notamment du "celon", a accordé, le 16 juin 1971, à la société "Tissages de Colmar", société filiale à 69,96 %, une subvention de 1 600 000 F, et a consenti au profit de cette filiale, le 2 septembre suivant, un abandon de créances se montant à 1 086 342,20 F, portant ainsi l'actif net de sa filiale à une valeur de 1 000 000 F, égale à celle de son capital social; qu'après l'absorption intervenue le 17 novembre 1971, de la société "Tissages de Colmar" par la société "Tricots-France", également filiale de la société "Courtaulds", des titres supplémentaires de la société "Tricots-France" ont été substitués à ceux de la société "Tissages de Colmar" dans l'actif de la société "Courtaulds" pour une valeur de 699 600 F; que l'administration n'a pas admis la déduction par la société "Courtaulds" de la somme de 2 686 342,20 F, correspondant à la subvention et à l'abandon de créances susmentionnés, et a réintégré cette somme dans ses bénéfices imposables; que le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, et des finances, chargé du budget fait appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a accordé à la société "Courtaulds" décharge du complément d'impôt sur les sociétés qu'avait entraîne la réintégration susmentionnée; qu'il demande, à titre principal, que la société "Courtaulds" soit rétablie au rôle de l'impôt sur les sociétés, au tire de l'année 1971, à raison de l'intégralité des droits et pénalités qui lui ont été assignés, diminué de l'impôt de 10 % sur les plus-values à long terme versé spontanément par la société, et, à titre subsidiaire, à raison d'une base rehaussée de 699 600 F, l'imposition correspondante étant également diminuée de l'impôt de 10 % sur les plus-values à long terme, déclaré à tort par la société;
Sur les conclusions principales:
Considérant, en premier lieu, que le ministre soutient que la société "Courtaulds", pour venir en aide à sa filiale, la société "Tissages de Colmar", qui éprouvait des difficultés en raison de la mise au point d'un procédé nouveau de tissage à jet d'eau, aurait dû procéder par la voie d'un apport en capital ou d'un prêt, et non pas de procéder, comme elle l'a fait, par la voie d'une subvention et d'un abandon de créances, et qu'en procédant ainsi, la société "Courtaulds" n'a agi qu'en fonction de motivations fiscales, commettant ainsi un abus de droit;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte de l'instruction que la société "Tissages de Colmar" se trouvait, au moment où sont intervenus la subvention et l'abandon de créances dont s'agit, dans une situation financière difficile qui pouvait conduire à une cessation d'activité; que la société "Courtaulds" a cherché à éviter le dépôt de bilan de sa filiale, lequel aurait risqué de porter atteinte à son crédit et, surtout, aurait eu une incidence grave sur la poursuite de ses propres activités commerciales, cette filiale achetant la totalité du "celon", matière de base qu'elle utilisait, à la société "Courtaulds" dont cette matière représentait 40 % de la production: que, dans ces conditions, la société "Courtaulds" a pu estimer à juste titre qu'il était conforme à ses propres intérêts d'assainir la situation financière de sa filiale; que la société "Courtaulds" doit, dès lors, être réputée avoir agi dans le cadre d'une gestion normale en consentant, à des fins commerciales, la subvention et l'abandon de créances litigieux, alors même qu'elle aurait pu recourir à d'autres mesures pour parvenir aux mêmes fins, en particulier souscrire à une augmentation de capital de la filiale, précédée ou non d'une réduction de capital;
Considérant, en troisième lieu, que dès lors, ainsi qu'il a été dit plus haut, qu'ils ont eu une contrepartie commerciale pour la société "Courtaulds", la subvention et l'abandon de créances susmentionnés ne peuvent être regardés comme une libéralité accordée aux associés minoritaires de la société "Tissages de Colmar";
Considérant, en quatrième lieu, que s'il est vrai que l'absorption de la société "Tissages de Colmar" par la société "Tricots-France" a été réalisée quelques semaines après que soient intervenus la subvention et l'abandon de créances litigieux, cette circonstance ne suffit pas à établir, contrairement à ce que soutient le ministre, que la société "Courtaulds" a consenti à sa filiale la subvention et l'abandon de créances dont s'agit pour des raisons financières, en vue de permettre la fusion susmentionnée et l'acquisition par elle de 2 334 actions supplémentaires de la société "Tricots-France", alors qu'il résulte de l'instruction que la société "Courtaulds" possédait déjà 78 % du capital de la société Tricots-France", et, qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les abandons consentis par la société "Courtaulds" à la société "Tissages de Colmar" étaient essentiellement motivés par des impératifs commerciaux;
Considérant, enfin, qu'eu égard notamment tant au délai qui s'est écoulé entre l'acquisition par la société "Courtaulds" du capital de la société "Tissage de Colmar", à hauteur de 69,96 %, intervenue en 1968 et la subvention ainsi que l'abandon de créances au profit de celle-ci, consentis en 1971, qu'à la circonstance que la société "Tissages de Colmar" a subi des pertes d'exploitation pendant ce délai, cette subvention et cet abandon de créances ne peuvent, contrairement à ce que soutient le ministre, être regardés comme un complément du prix d'acquisition des titres de la société "Tricots-France";
Sur les conclusions subsidiaires:
Considérant que le ministre fait valoir, à titre subsidiaire, que la subvention et l'abandon de créances litigieux, ayant eu pour effet de porter à 1 000 000 F l'actif de la société "Tissages de Colmar", montant de son capital social, ont nécessairement augmenté, à concurrence de 69,96 % de cette somme, la valeur comptable de la participation détenue par la société "Courtaulds" dans la société "Tissages de Colmar", et que cette revalorisation devait se retrouver à l'actif de la société Courtaulds"; que, toutefois, ainsi qu'il a été dit plus haut, la subvention et l'abandon de créances susmentionnés ont été consentis par la société "Courtaulds", non dans le cadre de la gestion de ses participations financières, mais à des fins relevant essentiellement de son activité commerciale; que, dès lors, et sans qu'il y ait lieu de rechercher les effets sur l'actif net de la société mère de l'aide ainsi consentie à la filiale, cette subvention et cet abandon de créances constituaient pour la société "Courtaulds" des charges déductibles;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a accordé à la société "Courtaulds" décharge des impositions litigieuses.
DECIDE
Article 1er: Le recours du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget est rejeté.