CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 34731
Ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances chargé du budget
Lecture du 19 Decembre 1984
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 7ème sous-section
Vu le recours du ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, enregistré au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 4 juin 1981, et tendant à ce que le Conseil d'Etat:
1°) annule le jugement du tribunal administratif de Bordeaux, en date du 5 février 1981, en tant que, par ce jugement, le tribunal a accordé à M. Vignals la réduction des impositions supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles celui-ci a été assujetti, dans les rôles de la commune de Pessac (Gironde), au titre des années 1975 et 1976;
2°) remette intégralement les impositions contestées à la charge de M. Vignals;
Vu le code général des impôts;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;
Vu la loi du 30 décembre 1977;
Vu la loi du 29 décembre 1983, portant loi de finances pour 1984, notamment son article 93-II.
Considérant que le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget, demande l'annuiation du jugement, en date du 5 février 1981, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a accordé à M. Vignals, expert foncier auprès de compagnies d'assurances, la réduction des cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et à la majoration exceptionnelle auxquelles celui-ci a été assujetti au titre, respectivement, des années 1975 et 1976, et de l'année 1975; que, par la voie du recours incident, M. Vignals demande la décharge de la cotisation supplémentaire au même impôt qui lui a été assignée au titre de l'année 1974.
En ce qui concerne l'imposition afférente à l'année 1974:
Considérant que M. Vignals n'a pas introduit, dans le délai du recours contentieux, de pourvoi contre le jugement du tribunal administratif de Bordeaux, en tant que ce jugement rejette ses conclusions relatives à la cotisation supplémentaire à l'impôt sur le revenu qui lui a été assignée au titre de l'année 1974; qu'il n'est pas recevable à former un recours incident devant le Conseil d'Etat, dès lors que le ministre, dans son recours, n'a contesté le jugement qu'en tant que celui-ci porte sur l'imposition du contribuable à l'impôt sur le revenu au titre des années 1975 et 1976;
En ce qui concerne l'imposition afférente à l'année 1975:
Considérant que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, le revenu global de M. Vignals, au titre de l'année 1975, n'a pas été déterminé selon la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article 1649 quinquies A du code général des impôts, applicable en l'espèce, mais, comme le soutient le ministre, en vertu de la procédure de taxation d'orfice, résultant des dispositions combinées du 4ème alinéa de l'article 176 et du 2ème alinéa de l'article 179 du même code;
Considérant qu'aux termes de l'article 176 du code général des impôts: "En vue de l'établissement de l'impôt sur le revenu, l'administration vérifie les déclarations de revenu global prévues à l'article 170. -Elle peut demander au contribuable des éclaircissements. Elle peut en outre lui demander des justifications: a) au sujet de sa situation et de ses charges de famille; b) au sujet des charges retranchées du revenu net global par application de l'article 156. -Elle peut également lui demander des justifications lorsqu'elle a réuni des éléments permettant d'établir que le contribuable peut avoir des revenus plus importants que ceux qui ont fait l'objet de sa déclaration . . . Les demandes d'éclaircissements et de justifications doivent indiquer explicitement les points sur lesquels elles portent et assigner au contribuable, pour fournir sa réponse, un délai qui ne peut être inférieur à 30 jours"; qu'aux termes de l'article 179 du même code: "Est taxe d'office à l'impôt sur le revenu tout contribuable qui n'a pas souscrit, dans le délai légal, la déclaration de son revenu global prévue à l'article 170 - Il en est de même . . . lorsque le contribuable s'est abstenu de répondre aux demandes d'éclaircissements et de justifications de l'administration";
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par lettre du 14 avril 1977, le service a informé M. Vignals de ce qu'il se proposait d'entreprendre une vérification approfondie de sa situation fiscale personnelle en matière d'impôt sur le revenu, au titre des annees 1973 à 1977, en lui précisant qu'il serait nécessaire "d'analyser avec lui les mouvements de tous les comptes qu'il utilisait" et l'a invité à se présenter à son bureau pour que lui soient communiques "les éléments d'indentification de tous (ses) comptes bancaires et assimilés, ainsi que de ceux ouverts au nom de (son) épouse et de (ses) enfants et de ceux sur lesquels (il) bénéficiait d'une procuration"; que M. Vignals, au cours de la rencontre ainsi proposée, a remis au service, comme celui-ci le lui demandait, de nombreux documents personnels, parmi lesquels la totalité de ses bordereaux de remise de chèques et les souches de ses carnets de chèques; que, le 6 juillet 1977, après avoir dépouillé les documents remis par le contribuable, le service a adressé à celui-ci une demande de justifications motivée par la circonstance que l'intéressé avait pu avoir des revenus plus importants que ceux qu'il avait déclarés et, tout en conservant par devers, lui les documents communiqués, a, sur le fondement des dispositions précitées du 4ème alinéa de l'article 176 du code, invité M. Vignals à lui faire parvenir, dans un délai de 30 jours, "toutes justifications sur l'insuffisance des disponibilités employées par rapport aux disponibilités dégagées" insuffisance qui ressortait d'une "balance de trésorerie" jointe à la demande, sous la forme d'un tableau récapitulatif détaillé; que les justifications produites, en réponse, par le contribuable n'ayant pas été estimées pertinentes par le service, après plusieurs échanges de correspondances entre les parties, l'imposition a été établie d'office, sur la base d'un redressement notifié le 15 décembre 1977;
Considérant que l'administration demeure en droit, après avoir procédé à une vérification approfondie de la situation fiscale d'un contribuable, laquelle ne revêt pour celui-ci aucun caractère contraignant, de lui demander, au vu des renseignements qu'elle a obtenus tant à la suite de cette vérification qu'en vertu du droit de communication prévu par les dispositions de l'article 1987 du code général des impôts applicable en l'espèce, et sur le fondement des dispositions précitées du 4ème alinéa de l'article 176 du même code, des justifications relatives à ses revenus d'origine inexpliquée et, en cas de réponse insuffisante de l'intéressé, de recourir à la procédure de taxation d'office; que, toutefois, elle ne peut, - eu égard à la sanction qui, par l'effet des dispositions du 2ème alinéa de l'article 179 du code, est attachée au défaut de production par le contribuable, dans le délai assigné, des justifications qui lui sont demandées- adresser à ce contribuable, sur le fondement desdites dispositions du 4ème alinéa de l'article 176 du code, la demande de justifications dont s'agit que si elle a, au préalable, restitué à l'intéressé les documents que celui-ci lui a remis à l'occasion de la vérification approfondie de sa situation fiscale;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la demande de justifications adressée à M. Vignals le 6 juillet 1977, sur le fondement du 4ème alinéa de l'article 176 du code, a été formulée alors que celui-ci n'avait pas été remis en possession de l'ensemble des documents qu'il avait communiqués à l'administration à l'occasion de la vérification approfondie de sa situation fiscale; que, par suite, cette demande a été formulée dans des conditions qui ne permettaient pas au contribuable de faire valoir pleinement ses droits; que ladite demande est, dès lors, entachée d'une irrégularité de nature à vicier l'ensemble de la procédure d'impostion; que la circonstance que des correspondances auraient été ultérieurement échangées entre l'intéressé et le service n'est pas de nature à couvrir cette irrégularité;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre délégué auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget n'est pas fondé à demander que les cotisations supplémentaires à l'impôt sur le revenu et à la majoration exceptionnelle assignées à M. Vignals, au titre de l'année 1975, soient remises, en totalité, à sa charge;
En ce qui concerne l'imposition afférente à l'année 1976:
Considérant qu'il est constant que M. Vignal n'a, malgré une mise en demeure, souscrit que plusieurs mois après l'expiration du délai prévu par la loi la déclaration de ses revenus au titre de l'année 1976; que, dès lors, l'intéressé était en situation d'être taxé d'office, en application des dispositions du 1er alinéa de l'article 179 du code; qu'il suit de là, et sans qu'il y ait lieu de rechercher si la procédure contradictoire, qui a été suivie en fait, est régulière, le contribuable ne peut obtenir décharge ou réduction de l'imposition ainsi fixée qu'en apportant, par la voie contentieuse, la preuve de l'exagération de l'évaluation faite par l'administration de ses bases d'imposition;
Considérant que le ministre soutient que c'est à tort que les premiers juges ont déduit de la base imposable de M. Vignals à l'impôt sur le revenu une somme de 40 000 F correspondant, selon eux, à une évaluation excessive de ses dépenses de "train de vie";
Considérant que M. Vignals n'a établi ni que l'estimation faite par le service desdites dépenses serait exagérée, ni que certaines de ces dépenses étaient déjà incluses dans le poste "débits bancaires" qu'a retenu l'administration dans ses calculs; que, si l'intéressé soutient que les disponibilités dégagées devaient être majorées de la fraction non encore remboursée d'un emprunt antérieur et d'un complément de prêt, il n'apporte, à l'appui de cette assertion, aucune justification; qu'il suit de là que, le ministre est fondé à demander que soit rétablie, pour la détermination du revenu imposable de M. Vignals au titre de l'année 1976, une somme de 40 000 F, faisant apparaître un revenu imposable de 291 822 F.
DECIDE
Article 1er. - Le montant des bases d'imposition de M. Vignals à l'impôt sur le revenu au titre de l'année 1976 est fixé à 291 822 F.
Article 2. - M. Vignals est rétabli, en droits et pénalités, au rôle de l'impôt sur le revenu, au titre de l'année 1976, à raison des bases d'imposition résultant de l'article 1er ci-dessus.
Article 3. - Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux, en date du 5 février 1981, est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
Article 4. - Le surplus des conclusions du recours du ministre de l'économie, des finances et du budget et le recours incident de M. Vignals sont rejetés.