CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 33747
Ministre de l'environnement et du cadre de vie
contre
Monastère de la Visitation et autre
Lecture du 02 Juillet 1982
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 4ème Sous-Section
Vu le recours enregistré au Secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 28 avril 1981, présenté au nom de l'Etat par le ministre de l'environnement et du cadre de vie et tendant à ce que le Conseil d'Etat: - 1°) annule le jugement en date du 10 mars 1981 par lequel le Tribunal administratif de Paris a annulé, à la demande du comité de défense du quartier de l'Observatoire, du syndicat des copropriétaires du 3 rue Boissonnade, de MM. BEYSSEN, GUYARD, MILOE et REINHAREZ et de Mmes BARON, GREGOIRE et WIDMER-MAIER, l'arrêté du 23 avril 1980 par lequel le Maire de Paris a accordé au Monastère de la Visitation un permis en vue de la construction d'un bâtiment aux n°s 7 et 9 rue Boissonnade à Paris (14 ème); - 2°) décide qu'il sera sursis à l'exécution de ce jugement;
Vu l'article 54 du décret du 30 juillet 1963;
Vu le Code de l'urbanisme;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;
Vu la loi du 30 décembre 1977.
Considérant, d'une part, que le monastère de la Visitation a intérêt à l'annulation du jugement attaqué, d'autre part, que l'association SOS Paris a intérêt au maintien dudit jugement; qu'ainsi, ces interventions sont recevables;
Sur le bien fondé du motif retenu par les premiers juges:
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article UR-13 du règlement annexé au plan d'occupation des sols de la ville de Paris approuvé par arrêté préfectoral du 28 février 1977, "sur les emplacements inscrits au plan sous la rubrique "espaces verts intérieurs à protéger", toute construction, reconstruction ou installation devra sauvegarder les espaces plantés existants... Toute modification de l'état des propriétés concernées ne peut être effectuée que dans la mesure où il n'est pas porté atteinte à la superficie, à l'unité et au caractère desdits espaces verts..."; que ces dispositions, si elles soumettent à des règles restrictives la construction sur les emplacements figurant au plan d'occupation des sols de la ville de Paris sous la rubrique "espaces verts intérieurs à protéger", ne frappent pas de tels emplacements d'une inconstructibilité absolue; que ces emplacements ne sauraient dès lors être regardés comme des "emplacements réservés aux espaces verts" au sens de l'article R. 123-18 (4e) du code de l'urbanisme, sur lesquels, en vertu de l'article R. 123-32 du même code, la construction est interdite;
Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article R. 123-22 (2e) du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue du décret du 29 mars 1976, "le coefficient d'occupation du sol s'applique à la superficie du terrain qui fait l'objet de la demande d'autorisation de construire... les emplacements réservés visés à l'article R. 123-18 (4e) sont déduits de la superficie prise en compte pour le calcul des possibilités de construction..."; que ni cette disposition, ni aucune autre disposition ne prévoit la déduction de la superficie du terrain qui fait l'objet de la demande d'autorisation de construire des emplacements autres que ceux visés à l'article R. 123-18 (4e);
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les emplacements figurant au plan d'occupation des sols de la ville de Paris sous la rubrique "espaces verts intérieurs à protéger" n'ont pas à être déduits de la superficie a prendre en compte pour le calcul des droits à construire;
Considérant que le monastère de la Visitation a présenté une demande de permis de construire portant sur un terrain de 18 200 mètres carrés dont 16 000 mètres carrés figurent au plan d'occupation des sols de la ville de Paris, approuvé par arrêté préfectoral du 28 février 1977, sur la liste des "espaces verts intérieurs à protéger"; que le terrain faisant l'objet de la demande d'autorisation de construire comprend en outre une bande rectangulaire de 2 200 mètres carrés bordée par la rue Boissonade et sur laquelle doit être réalisée la construction autorisée par l'arrêté du maire de Paris en date du 23 avril 1980;
Considérant que la surface totale à prendre en compte pour le calcul des droits à construire est de 18 200 m2; qu'il ressort des pièces du dossier que la surface de plancher hors oeuvre de la construction projetée est de 7 586,70 m2; que même en y ajoutant la surface totale de plancher hors oeuvre des constructions déjà réalisées dans le parc du monastère de la Visitation, dont il n'est pas contesté qu'elle n'excède pas 16 200 m2, le coefficient d'occupation du sol resterait inférieur à 1,3; qu'ainsi, le ministre de l'urbanisme et du logement est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé le permis litigieux comme délivré en violation des dispositions de l'article UR-14 du règlement annexé du plan d'occupation des sols de la ville de Paris, lesquelles fixent à 1,5 ou à 2,7, selon le cas, le coefficient d'occupation au sol maximal de la zone;
Considérant toutefois qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés tant en première instance qu'en appel;
Sur la compétence de l'auteur de l'acte:
Considérant, d'une part, que si les dispositions combinées des articles R. 421-32-12°, R. 421-38-4 et R. 421-38-8 du code de l'urbanisme donnent compétence au préfet pour délivrer le permis de construire lorsque l'immeuble projeté est situé dans le champ de visibilité d'un immeuble classé ou inscrit, l'immeuble litigieux n'est pas situé dans le champ de visibilité de l'observatoire de Paris, édifice classé qui se trouve à 500 mètres de la rue Boissonnade;
Considérant, d'autre part, qu'il résulte des dispositions combinées des articles 1 et 3 de son arrêté du 9 janvier 1978, publié le 14 janvier 1978 au bulletin municipal officiel de la ville de Paris, que le maire de Paris a régulièrement délégué sa signature à M. Jolain, directeur de la construction et du logement, concurremment avec MM. Ferrari, Stockburger et Fischer, administnateurs civils placés auprès de la sous-direction de la construction, à l'effet de signer les arrêtés accordant ou refusant les permis de construire; que M. Jolain était donc compétent pour signer au nom du maire de Paris l'arrêté litigieux;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les auteurs de la demande de première instance ne sont pas fondés à soutenir que le permis de construire litigieux a été délivré par une autorité incompétente;
Sur la régularité de l'instruction de la demande de permis de construire:
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la superficie mentionnée dans la demande de permis de construire correspond à celle du terrain faisant l'objet de la demande; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le maire de Paris aurait statué au vu d'un dossier comportant des indications erronées manque en fait;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'association dénommée "plateforme des comités parisiens d'habitants et de participation à la vie de la cité" s'est donnée pour objet "de créer un échange d'expériences d'information et de réflexion communes entre les comités parisiens d'habitants, d'arrondissements et de quartiers, de manière à permettre un appui mutuel entre leurs activités propres: aménagement du cadre de vie et animation de la vie urbaine; d'assumer leur participation à l'aménagement de la ville et de la région"; que le représentant de cette association a pu, dès lors, régulièrement siéger à la commission départementale des sites parmi les représentants des associations qui ont pour objet d'assurer la conservation ou de favoriser la protection esthétique du cadre de vie urbain visés au 9ème alinéa de l'article 8 du décret du 28 mars 1977; que, lors de la séance du 17 avril 1980, au cours de laquelle la commission départementale des sites a examiné le projet litigieux, vingt membres sur ving-trois étaient présents; que les conditions de quorum fixées par l'article 9 du décret du 28 mars 1977, modifiant et complétant le décret du 9 juillet 1968 relatif aux commissions des sites de la région parisienne, étaient, dès lors, réunies;
Sur la légalité des dispositions du plan d'occupation des sols de la ville de Paris sur le fondement desquelles a été délivré le permis litigieux:
Considérant que les demandeurs de première instance contestent la légalite de la modification du plan d'occupation des sols de la ville de Paris ordonnée par arrêté préfectoral du 12 mars 1976, en tant qu'elle a eu pour effet de réduire la surface de "l'espace vert intérieur et à protéger" de la rue Boissonnade figurant au plan d'occupation des sols de la ville de Paris rendu public par arrêté préfectoral du 10 octobre 1975;
Considérant que les emplacements figurant au plan d'occupation des sols de la ville de Paris dans la liste des "espaces verts intérieurs à protéger" ne sauraient être regardés comme des "zones naturelles ou non équipées"; qu'ainsi, les demandeurs ne peuvent utilement invoquer, pour contester la compétence du préfet pour ordonner la modification dont s'agit, les dispositions combinées des articles R. 123-18 et R. 123-35 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction en vigueur à la date de l'arrêté préfectoral du 12 mars 1976, lesquelles donnaient compétence au ministre chargé de l'urbanisme pour ordonner toute modification d'un plan d'occupation des sols portant sur des "zones naturelles ou non équipées";
Considérant que la surface de la partie du parc de monastère de la Visitation figurant sur la liste des "espaces verts intérieurs à protéger" annexée au plan d'occupation des sols de la ville de Paris rendu public le 10 octobre 1975 s'élevait à 18 200 m2; que la soustraction de cette surface d'une parcelle rectangulaire de 2 200 m2, bordée sur son petit côté par la rue Boissonnade, a été ordonnée par arrêté préfectoral en date du 12 mars 1976, entérinée par délibération du conseil de Paris en date du 18 mars 1976, rendue publique par arrêté préfectoral en date du 28 avril 1976, soumise à enquête publique par arrêté préfectoral en date du 29 avril 1976 et approuvée par arrêté préfectoral en date du 28 février 1977; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le motif déterminant de la modification ainsi intervenue résultant de la délibération du conseil de Paris et de l'arrêté préfectoral soit entaché de détournement de pouvoir ou d'erreur manifeste d'appréciation;
Considérant que la réduction d'un "espace vert intérieur à protéger" ne saurait être assimilée à une indemnisation des propriétaires concernés; que la modification du plan d'occupation des sols dont la légalité est contestée n'a donc pu contrevenir aux dispositions de l'article L. 160-5 du code de l'urbanisme, lesquelles prohibent l'indemnisation des servitudes d'urbanisme;
Considérant que la légalité de la délibération du 28 juin 1973 du Conseil de Paris -- est sans influence sur celle de la procédure de modification du plan d'occupation des sols dont le contenu a fait l'objet de l'avis en date du 18 mars 1976 au conseil de Paris;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'exception d'illégalité soulevée ne peut être accueillie;
Sur la légalité du permis au regard du règlement annexé au plan d'occupation des sols de la ville de Paris et du code de l'urbanisme:
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article UR 7-1 du règlement annexé au plan d'occupation des sols de la ville de Paris l'implantation en limite séparative "peut être refusée si elle a pour effet de porter gravement atteinte soit à la salubrité et aux conditions d'habitalité de locaux appartenant à un bâtiment voisin important, durable et régulièrement occupé, soit à l'aspect des voies";
Considérant que ces dispositions donnent à l'autorité administrative le pouvoir d'apprécier, dans chaque cas particulier, si, en raison de la gravité de l'atteinte portée par la construction à la salubrité et à la sécurité publique ou au caractère et à l'intérêt des lieux avoisinants il convient de refuser le permis de construire; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'appréciation à laquelle s'est livré le maire de Paris en décidant que l'immeuble qui a fait l'objet du permis ne portait atteinte ni à la salubrité ou aux conditions d'habitabilité des immeubles voisins, ni au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants, soit manifestement erronée;
Considérant par ailleurs qu'il ressort des pièces du dossier, eu regard notamment à l'implantation et à l'aspect du bâtiment projeté, à l'excédent des arbres plantés sur les arbres abattus et aux prescriptions dont est assorti le permis de construire, que la modification de l'état du parc du monastère de la Visitation entraîné par le projet ne portera atteinte ni à la superficie, ni à l'unité, ni au caractère de la partie de ce parc classée "espaces verts intérieurs à protéger", dont les plantations ne seront pas affectées par l'opération; qu'ainsi l'arrêté du maire de Paris ne méconnaît pas les dispositions de l'article UR. 13 du règlement précité lesquelles interdisent toute modification de l'état d'une propriété portant atteinte à la superficie, à l'unité et au caractère d'un emplacement inscrit au plan sous la rubrique "espaces verts intérieurs à protéger"; que, pour les mêmes raisons, il ne méconnaît pas davantage les dispositions de l'article R. 111-14-2 du code de l'urbanisme relatives au respect des préoccupations d'environnement définies à l'article 1er de la loi du 10 juillet 1976;
Considérant enfin qu'aux termes du premier alinéa de l'article R. 315-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue du décret du 26 juillet 1977; "constitue un lotissement au sens du présent chapitre toute division d'une propriété foncière en vue de l'implantation de bâtiments qui a pour objet ou qui, sur une période de moins de dix ans, a eu pour effet de porter à plus de deux le nombre de terrains issus de ladite propriété"; qu'à supposer même qu'une parcelle du parc du monastère de la Visitation ait été détachée du parc, à la demande du monastère en vue d'y implanter un immeuble moins de dix ans avant la délivrance du permis de construire litigieux, la réalisation de la construction par le même propriétaire ne saurait être regardée par elle-même comme une opération de lotissement au sens des dispositions du premier alinéa de l'article R. 315-1 du code de l'urbanisme; que l'association "comité de défense du quartier de l'observatoire" et les autres demandeurs de première instance ne sauraient, dès lors, utilement se prévaloir des dispositions des articles R. 315-39 et R. 421-7-1 du même code pour contester la légalité du permis de construire;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'environnement et du cadre de vie est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a annulé l'arrêté du maire de Paris du 23 avril 1980 accordant au monastère de la Visitation un permis en vue de la construction d'un bâtiment aux n° 7 et 9 rue Boissonnade à Paris; qu'il y a lieu par suite de rejeter les demandes présentées en première instance contre cet arrêté.
DECIDE
Article 1er - Les interventions du monastère de la Visitation et de l'association "SOS Paris" sont admises.
Article 2 - Le jugement du 10 mars 1981 du tribunal administratif de Paris est annulé.
Article 3 - La demande présentée au tribunal administratif de Paris par le comité de défense du quartier de l'observatoire et autres est rejetée.