SOC.
OR
COUR DE CASSATION
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Audience publique du 1er mars 2023
Cassation partielle
Mme CAPITAINE, conseiller doyen
faisant fonction de président
Arrêt n° 196 F-B
Pourvoi n° A 21-19.956
R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
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ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 1ER MARS 2023
M. [Y] [V], domicilié [… …], a formé le pourvoi n° A 21-19.956 contre l'arrêt rendu le 12 novembre 2020 par la cour d'appel de Rouen (chambre sociale et des affaires de sécurité sociale), dans le litige l'opposant à la société [C], société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt.
Le dossier a été communiqué au procureur général.
Sur le rapport de M. Chiron, conseiller référendaire, les observations de Me Balat, avocat de M. [V], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de la société [C], après débats en l'audience publique du 10 janvier 2023 où étaient présents Mme Capitaine, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Chiron, conseiller référendaire rapporteur, M. Pion, conseiller, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,
la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure
1. Selon l'arrêt attaqué (Rouen, 12 novembre 2020), M. [Aa] a été engagé le 3 mars 1997 par la société [C] (la société).
2. Par un avis du 11 décembre 2015, le médecin du travail l'a déclaré « inapte à tous les postes », avec danger immédiat.
3. Il a été licencié le 12 juillet 2016 pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
4. Le salarié a saisi la juridiction prud'homale en contestation de ce licenciement et a demandé diverses sommes à titre de rappels de salaire et indemnités.
Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés
5. En application de l'
article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile🏛, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
Mais sur le premier moyen
Enoncé du moyen
6. Le salarié fait grief à l'arrêt de limiter à 3 159,44 euros nets la somme qui lui a été allouée à titre de rappel de salaire pour la période du 11 janvier au 30 avril 2016 et de le débouter du surplus de sa demande dirigée contre la société s'élevant à la somme de 7 305,87 euros, outre les congés payés afférents, alors « que l'employeur est tenu de verser au salarié déclaré inapte et qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail, sans qu'aucune déduction ne puisse être opérée sur la somme fixée forfaitairement que l'employeur doit verser au salarié ; qu'en affirmant qu'il convenait de déduire les indemnités journalières des sommes dues à M. [Aa] sur le fondement des dispositions de l'
article L. 1226-4 du code du travail🏛, ''sauf à permettre définitivement au salarié de percevoir une rémunération plus importante que celle qu'il aurait perçue s'il avait travaillé'', la cour d'appel a violé ce texte. »
Réponse de la Cour
Vu l'
article L. 1226-4 du code du travail🏛 :
7. Aux termes de ce texte, lorsque, à l'issue d'un délai d'un mois à compter de la date de l'examen médical de reprise du travail, le salarié déclaré inapte n'est pas reclassé dans l'entreprise ou s'il n'est pas licencié, l'employeur lui verse, dès l'expiration de ce délai, le salaire correspondant à l'emploi que celui-ci occupait avant la suspension de son contrat de travail. Ces dispositions s'appliquent également en cas d'inaptitude à tout emploi dans l'entreprise constatée par le médecin du travail.
8. Il en résulte qu'en l'absence d'une disposition expresse en ce sens, aucune réduction ne peut être opérée sur la somme, fixée forfaitairement au montant du salaire antérieur à la suspension du contrat, que l'employeur doit verser au salarié.
9. Pour limiter la condamnation de l'employeur à la somme de 3 159,44 euros nets, outre 315,94 euros de congés payés afférents, l'arrêt retient que si la question de la conservation des avantages reçus au titre des prestations versées par une institution de prévoyance en raison de l'état de santé du salarié relève des seuls rapports entre ces derniers, les indemnités journalières versées par la sécurité sociale ne peuvent suivre le même régime dès lors que les sommes dues par l'employeur ont la nature de salaire et non de dommages-intérêts. Il ajoute qu'il résulte des
articles R. 323-11 et R. 433-12 du code de la sécurité sociale🏛🏛 que la caisse primaire d'assurance maladie n'est pas fondée à suspendre le service de l'indemnité journalière lorsque l'employeur maintient à l'assuré, en cas de maladie ou d'accident du travail, tout ou partie de son salaire ou des avantages en nature, soit en vertu d'un contrat individuel ou collectif de travail, soit en vertu des usages, soit de sa propre initiative, seul l'employeur étant subrogé de plein droit à l'assuré. Il en conclut qu'il convient de déduire les indemnités journalières des sommes dues à M. [Aa], sauf à permettre définitivement au salarié de percevoir une rémunération plus importante que celle qu'il aurait perçue s'il avait travaillé.
10. En statuant ainsi, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
Portée et conséquence de la cassation
11. La cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer à au salarié les sommes de 3 159,44 euros nets à titre de rappel de salaire pour la période du 11 janvier au 30 avril 2016 et 315,94 euros nets de congés payés afférents n'emporte pas cassation des chefs de dispositif de l'arrêt le condamnant aux dépens ainsi qu'au paiement d'une somme au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, justifiés par d'autres condamnations prononcées à l'encontre de celui-ci et non remises en cause.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il limite la condamnation de la société [C] à payer à M. [Aa] les sommes de 3 159,44 euros nets à titre de rappel de salaire pour la période du 11 janvier au 30 avril 2016 et 315,94 euros nets de congés payés afférents et déboute M. [C] du surplus de sa demande de rappel de salaires et congés payés afférents sur cette période, l'arrêt rendu le 12 novembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Rouen ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Caen ;
Condamne la société [C] aux dépens ;
En application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, rejette la demande formée par la société [C] et la condamne à payer à M. [V] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier mars deux mille vingt-trois.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour M. [V]
PREMIER MOYEN DE CASSATION
M. [V] reproche à l'arrêt attaqué d'avoir limité à 3 159,44 euros nets la somme qui lui a été allouée à titre de rappel de salaire pour la période du 11 janvier au 30 avril 2016 et de l'avoir débouté sur surplus de sa demande dirigée contre la société [C] s'élevant à la somme de 7 305,87 euros, outre les congés payés afférents ;
ALORS QUE l'employeur est tenu de verser au salarié déclaré inapte et qui n'est pas reclassé dans l'entreprise à l'issue du délai d'un mois à compter de la date de l'examen de reprise du travail ou qui n'est pas licencié, le salaire correspondant à l'emploi qu'il occupait avant la suspension de son contrat de travail, sans qu'aucune déduction ne puisse être opérée sur la somme fixée forfaitairement que l'employeur doit verser au salarié ; qu'en affirmant qu'il convenait de déduire les indemnités journalières des sommes dues à M. [Aa] sur le fondement des dispositions de l'
article L. 1226-4 du code du travail🏛, « sauf à permettre définitivement au salarié de percevoir une rémunération plus importante que celle qu'il aurait perçue s'il avait travaillé » (arrêt attaqué, p. 7, alinéa 2), la cour d'appel a violé ce texte.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION
M. [V] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts pour violation du respect de la vie privée ;
ALORS QUE la seule constatation de l'atteinte à la vie privée ouvre droit à réparation ; qu'en constatant que le système de surveillance mis en place par l'employeur aurait dû faire l'objet d'une déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés et que la société [C] avait ainsi manqué à ses obligations (arrêt attaqué, p. 8, alinéa 3), caractérisant ainsi l'existence d'une violation du droit des salariés au respect de leur vie privée, puis en considérant que M. [V] ne pouvait toutefois revendiquer à ce titre aucune indemnisation, faute de justifier d'un préjudice en lien avec l'installation du système de surveillance litigieux (arrêt attaqué, p. 8, alinéa 4), cependant que la seule constatation de l'atteinte à sa vie privée ouvrait droit à réparation au profit de M. [Aa], la cour d'appel a violé l'
article 9 du code civil🏛 et l'
article L. 1121-1 du code du travail🏛.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION
M. [V] reproche à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande de dommages et intérêts au titre d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
ALORS QUE l'avis du médecin du travail déclarant un salarié inapte à tout emploi dans l'entreprise ne dispense pas l'employeur de rechercher des possibilités de reclassement par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail au sein de l'entreprise et, le cas échéant, du groupe auquel elle appartient ; qu'en considérant que la société [C] avait satisfait à son obligation de reclassement de M. [Aa], salarié déclaré inapte à tous les postes dans l'entreprise, tout en constatant que l'employeur, se retranchant derrière l'inertie du médecin du travail, n'avait pas recherché la possibilité de reclasser M. [V] par la mise en oeuvre de mesures telles que mutations, transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail au sein de l'entreprise (arrêt attaqué, p. 10,, alinéa 6), la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'
article L. 1226-2 du code du travail🏛.