Grosse + copie
délivrées le
à
COUR D'APPEL DE MONTPELLIER
Chambre commerciale
ARRET DU 21 FEVRIER 2023
Numéro d'inscription au répertoire général :
N° RG 21/03966 - N° Portalis DBVK-V-B7F-PBQY
Décision déférée à la Cour :
Jugement du 07 JUIN 2021
TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONTPELLIER
N° RG 2021002753
APPELANTE :
S.A AXA FRANCE IARD représenté par son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité au siège social
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Me Emily APOLLIS, avocat au barreau de MONTPELLIER substituant Me Gilles ARGELLIES de la SCP GILLES ARGELLIES, EMILY APOLLIS - AVOCATS ASSOCIES, avocat au barreau de MONTPELLIER, avocat postulant
Représentée par Me Pascal ORMEN, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant
INTIMEE :
S.A.R.L. IAN prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Me Yann LE TARGAT de la SEP ALAIN ARMANDET ET YANN LE TARGAT, avocat au barreau de MONTPELLIER
Ordonnance de clôture du 22 Novembre 2022
COMPOSITION DE LA COUR :
En application de l'
article 907 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue le 13 DECEMBRE 2022, en audience publique, le magistrat rapporteur ayant fait le rapport prescrit par l'article 804 du même code, devant la cour composée de :
Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre
Mme Anne-Claire BOURDON, Conseiller
M. Thibault GRAFFIN, Conseiller
qui en ont délibéré.
Greffier lors des débats : Madame Audrey VALERO
ARRET :
- Contradictoire
- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛 ;
- signé par Monsieur Jean-Luc PROUZAT, Président de chambre, et par Madame Audrey VALERO, Greffière.
*
* *
FAITS, PROCÉDURE - PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
La SARL Ian, dont le gérant est [B] [G], exploite un fonds de commerce de restauration et brasserie, sous l'enseigne la Cachette, situé [Adresse 1] à [Localité 3] (34).
Elle a souscrit auprès de la SA Axa France Iard (la société Axa) un contrat d'assurance multirisque professionnelle n°7087972204, à effet au 1er janvier 2020, tacitement reconductible, annulant et remplaçant le contrat souscrit le 15 mars 2016.
Le contrat comprend des conditions générales n°690200Q aux termes desquelles sont garanties les conséquences financières de l'arrêt de l'activité professionnelle déclarée de l'assuré au titre, notamment, des pertes d'exploitation (article 2.1), et des conditions particulières, qui prévoient au titre de la garantie « protection financière » une extension de la garantie aux « pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1. la décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à l'assuré,
2. la décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication ['] ».
Cette clause contractuelle précise que : «sont exclues les pertes d'exploitation, lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l'objet, sur le même territoire départemental que celui de l'établissement assuré, d'une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.»
Aux termes de deux arrêtés ministériels en date des 14 et 15 mars 2020, portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19, publiés au Journal officiel, les restaurants et débits de boissons (sauf activités de livraison et vente à emporter '), ont fait l'objet d'une mesure d'interdiction d'accueillir du public pour lutter contre la propagation dudit virus, entraînant une fermeture totale ou partielle des établissements concernés.
Par un décret n° 2020-1310 du 29 octobre 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, publié au Journal officiel, les restaurants et débits de boissons, ont, à nouveau, fait l'objet d'une mesure d'interdiction d'accueillir du public.
Par acte d'huissier délivré le 4 mars 2021, la société Ian a assigné la société Axa devant le tribunal de commerce de Montpellier qui, par jugement du 7 juin 2021, a :
«- dit que la clause d'exclusion prévue dans le contrat en question est réputée non écrite, en application de l'
article 1170 du code civil🏛 en ce qu'elle vide de sa substance la garantie souscrite en l'état de fermeture de la survenance d'une épidémie et contrevient aux dispositions de l'
article L. 113-1 alinéa 1er du code des assurances🏛 pour n'être pas limitée,
- dit que la garantie perte d'exploitation souscrite par la société Ian doit trouver pleine et entière application,
- ordonné le versement par la Compagnie d'assurance, à titre de provision, la somme de 30 000 euros à la société Ian,
- désigné comme expert judiciaire, M. [Aa] [S] avec pour mission,
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par la société Axa France Iard et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années,
* entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties le calendrier possible de la suite des opérations,
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicables,
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires ' charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,
* donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée,
- donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture,
* calculer le montant des indemnités résultant de chacun des deux sinistres en litige, conformément aux termes des paragraphes « les dommages assurés » et « calcul de l'indemnité » du paragraphe 2.1 Perte d'exploitation, pertes de revenus des conditions générales de la multirisque professionnelle d'Axa souscrite par la société Ian,
- fixé à 2 000 euros le montant de la provision sur frais d'expertise à consigner par la société Axa Iard France dans un délai de 2 mois à dater de la signification de la présente décision,
- dit qu'à défiant de consignation dans le délai prescrit, il sera constaté que la désignation de l'expert est caduque,
- dit que l'expert prendra contact avec le juge en charge du contrôle des mesures d'instruction dès le démarrage de sa mission pour exposer sa méthodologie,
- dit que ce même juge suivra l'exécution de la présente expertise dont le rapport devra être déposé au greffe dans un délai de 6 mois à compter de la consignation de la provision,
- condamné Axa à la somme de 1 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- ordonné l'exécution provisoire,
- débouté les parties de leurs autres demandes ('),
- réservé les dépens. »
Par déclaration enregistrée le 21 juin 2021, la société Axa Iard France a relevé appel de cette décision.
Elle demande à la cour, en l'état de ses conclusions déposées et notifiées le 21 septembre 2021 via le RPVA, de :
«- vu la clause d'exclusion stipulée dans le contrat d'assurance ('), vu les
articles 1103, 1170 et 1192 du Code civil🏛🏛🏛, les
articles L. 113-1 et L. 121-1 du code des assurances🏛🏛, (')
- déclarer recevable et bien-fondé son appel et, y faisant droit :
A titre principal, infirmer le jugement du 7 juin 2021 (..) en ce qu'il dit que la clause d'exclusion prévue dans le contrat en question est réputée non écrite, en application de l'
article 1170 du Code civil🏛 en ce qu'elle vide sa substance la garantie souscrite en l'état de fermeture de la survenance d'une épidémie et contrevient aux dispositions de l'
article L. 113- 1 alinéa 1 du Code des assurances🏛 pour n'être pas limitée ; dit que la garantie perte d'exploitation souscrite par Ia société IAN doit trouver pleine et entière application ; (') et désigné comme expert judiciaire (')
Statuant à nouveau,
- juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce,
- juger que cette clause d'exclusion répond au caractère formel et limité de l'
article L. 113-1 du code des assurances🏛,
- juger que cette clause d'exclusion ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et répond au caractère limité de l'
article L. 113-1 du code des assurances🏛 et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle d'Axa France de sa substance au sens de l'
article 1170 du code civil🏛,
- en conséquence, juger applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie,
- débouter la société Ian de l'intégralité de ses demandes formées à son encontre et la condamner à lui restituer les sommes perçues au titre de l'exécution du jugement du 7 juin 2021,
- annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Montpellier,
A titre subsidiaire, fixer la mission de l'expert comme suit :
* se faire communiquer tous documents et pièces qu'il estimera utile à l'accomplissement de sa mission, notamment l'estimation effectuée par l'intimé et/ou son expert-comptable, accompagnée de ses bilans et comptes d'exploitation sur les trois dernières années,
- entendre les parties ainsi que tout sachant et évoquer, à l'issue de la première réunion avec les parties, le calendrier possible de la suite de ses opérations,
* examiner les pertes d'exploitation garanties contractuellement par le contrat d'assurance, sur une période maximum de trois mois et en tenant compte de la franchise de 3 jours ouvrés applicables,
* donner son avis sur le montant des pertes d'exploitation consécutives à la baisse du chiffre d'affaires causée par l'interruption ou la réduction de l'activité, de la marge brute (chiffre d'affaires ' charges variables) incluant les charges salariales et les économies réalisées,
- donner son avis sur le montant des aides/subventions d'Etat perçues par l'assurée,
- donner son avis sur les coefficients de tendance générale de l'évolution de l'activité et des facteurs externes et internes susceptibles d'être pris en compte pour le calcul de la réduction d'activité imputable à la mesure de fermeture en se fondant notamment sur les recettes encaissées dans les semaines ayant précédé le 30 octobre 2020,
- en tout état de cause, condamner la société Ian à lui payer la somme de 1000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et aux dépens. »
Au soutien de son appel, elle fait valoir que :
- la clause d'exclusion à l'extension de garantie respecte le caractère formel exigé par l'
article L. 113-1 du code des assurances🏛 en ce qu'elle est claire,
- la clause ne laisse place à aucun doute dans l'esprit de l'assuré sur ce qui est exclu de la garantie de sorte qu'elle n'a pas à être interprétée (
article 1192 code civil🏛), et aucun des mots de cette clause ne relève du vocabulaire spécialisé de l'assurance,
- la société Ian, n'ignorait pas, en sa qualité de professionnelle de la restauration soumise à de nombreuses règles d'hygiène, l'existence de périls sanitaires susceptibles de se traduire dans le cadre de son activité par des épidémies «localisées» et par la fermeture administrative «individuelle» de son établissement de sorte qu'à la souscription, elle ne pouvait ignorer l'objet de la garantie ainsi souscrite,
- le débat sur la définition du mot «épidémie» est sans pertinence sur l'appréciation du caractère formel de la clause d'exclusion, dès lors que le risque assuré est celui d'une fermeture administrative et non un risque épidémique et que la couverture de ce risque est clairement limitée à la nature isolée de cette fermeture administrative,
- au demeurant, le terme «épidémie» ne figure pas dans la clause d'exclusion, et la compréhension de cette clause ne peut dépendre du sens donné à ce terme, étant précisé que les exclusions exprimées par le biais de termes médicaux techniques par exemple (dorsalgie, cervicalgie ' ) ne portent pas atteinte au caractère formel de ces clauses d'exclusion,
- le terme «cause identique» n'est pas ambigu, il renvoie à une même origine (même meurtre, même épidémie), et il appartient à l'assureur de prouver l'application de la clause d'exclusion,
- la proposition d'avenant n'a ni pour objet de modifier l'objet du contrat en cours, ni son interprétation, mais résulte de l'évolution de la position de l'assureur sur la couverture d'un risque lié à une épidémie,
- la survenue d'une épidémie ne peut à elle seule faire naître une obligation à la charge d'Axa, il s'agit seulement d'une des conditions permettant aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative d'être garanties au même titre qu'un meurtre, un suicide, une maladie contagieuse, ou une intoxication,
- le risque de fermeture individuelle d'un établissement pour cause d'épidémie est une réalité (légionellose, salmonellose, listériose, fièvre typhoïde, grippe aviaire) de sorte que la clause d'exclusion limitant la couverture d'assurance ne vide pas la garantie de sa substance,
- la garantie est exclue dès lors que d'autres établissements dans le même département ont été affectés par la fermeture administrative pour une même cause, il n'existe aucune contradiction entre la définition du terme «épidémie» quelle qu'elle soit (usuelle ou scientifique) et l'unicité d'établissement prévue par la clause litigieuse,
- la charge de la preuve de la validité de la clause de garantie repose sur l'assuré, qui se contente de se retrancher derrière une interprétation restrictive et biaisée de la notion d'épidémie et la charge de la preuve relative aux conditions de mise en œuvre de l'exclusion relève de l'assureur,
- le caractère limité de la clause d'exclusion doit s'apprécier, indépendamment du sinistre déclaré, au regard des autres situations de sinistre susceptibles d'être garantis,
- la possibilité d'une fermeture administrative individuelle, même improbable (contesté en l'espèce), suffit à valider la clause d'exclusion, qui n'est pas vidée de sa substance,
- les dispositions du code de la santé publique (articles L. 3131-1 et L. 3131-17 en vigueur en mars 2020) démontrent que l'autorité administrative peut, en cas d'épidémie ou de danger imminent pour la santé publique, prendre des mesures proportionnées, c'est-à-dire limitées et même individuelles,
- la commune intention des parties (article 1188), lors de la souscription du contrat, n'était pas de garantir une fermeture généralisée, mais de couvrir les conséquences d'une fermeture administrative isolée, et de se prémunir des aléas inhérents à l'exploitation d'un restaurant exposé à des risques biologiques (les toxi-infections alimentaires collectives TIAC) et le contrat n'a pas à être interprété à son encontre (article 1190),
- les pertes alléguées résultant de mesures gouvernementales généralisées, se traduisant par une fermeture collective de nombreux établissements, constituent un préjudice anormal et spécial qui ne relève pas d'une garantie individuelle de droit privé, ce qui serait contraire au principe constitutionnel d'égalité devant les charges publiques,
- la couverture des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture de l'établissement en cas d'épidémie, mais aussi de maladie contagieuse et d'intoxication, apporte une protection supplémentaire à l'assuré,
- la mission confiée à l'expert ne tient pas compte des méthodes de calcul définies par le contrat pour le chiffrage des pertes d'exploitation.
Formant appel incident, la société Ian sollicite, aux termes de ses conclusions déposées et notifiées par le biais RPVA le 14 novembre 2022, de :
« - statuer sur la recevabilité de l'appel en la forme,
- au fond le rejeter,
- vu l'
article L. 112-4, L. 113-1 du code des assurances🏛🏛, l'
article 1170, 1188, 1190 et 1191 du code civil🏛🏛🏛🏛, confirmer la décision en ce qu'elle a considéré que la garantie souscrite auprès de la société Axa France Iard était due,
- rejeter toutes demandes, fins et conclusions contraires, comme injustes et, en toutes hypothèses, mal fondées,
- condamner la société Axa France Iard au paiement de la somme de 118 000 euros au titre de la perte de marge brute telle que définie au contrat,
- A titre infiniment subsidiaire sur le quantum, condamner la société Axa France Iard au paiement de la somme de 52 973 euros,
- En toutes hypothèses, condamner la société Axa France Iard au paiement de la somme de 4 000 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et aux dépens ».
Elle expose en substance que :
- le cas d'espèce remplit les conditions de mise en œuvre de l'extension de garantie, ce qui n'est pas contesté par l'assureur,
- l'assureur n'a pas défini contractuellement le terme « épidémie », une épidémie existe lors qu'il y a apparition et propagation d'une maladie infectieuse contagieuse frappant en même temps et en un même endroit un grand nombre de personnes, elle ne peut donc être circonscrite à un seul établissement,
- l'assureur aurait dû définir contractuellement le contenu du terme «épidémie» s'il entendait en réduire l'application en écartant la définition communément admise,
- la notion de «cause identique», figurant dans la clause, n'est ni formelle, ni limitée, car elle ne différencie pas la maladie contagieuse, l'intoxication et l'épidémie, alors que les deux premières peuvent être circonscrites à un seul établissement contrairement à une épidémie,
- le terme « épidémie» figure dans la clause par renvoi à travers l'expression « cause identique »,
- il y a ainsi un manque de clarté quant à l'intelligibilité des termes (sens ambigu du mot «épidémie» et utilisation de l'expression «cause identique» sans pouvoir différencier l'intoxication, la maladie contagieuse et l'épidémie), ce qu'ont retenu huit cours d'appel,
- les exemples relatifs à la salmonellose et aux TIAC plus généralement sont sans portée, n'étant pas des épidémies,
- les dispositions de l'article L.3131-1 du CSP ne peuvent fonder l'exclusion de garantie, les fermetures administratives individuelles n'étant prévues que par l'article L. 3332-15,
- s'agissant d'un contrat d'adhésion, la commune intention des parties ne peut être recherchée, et le contrat s'interprète contre celui qui l'a proposé,
- n'étant ni précise, ni claire, la clause d'exclusion n'est pas formelle et n'est pas valable,
- la clause n'est pas exposée en caractères très apparents,
- la clause d'exclusion n'est pas non plus limitée, dès lors qu'il est avéré qu'une épidémie ne peut être circonscrite à un seul établissement,
- une clause n'est pas limitée, même si la garantie n'est pas totalement vidée de sa substance, mais seulement altérée démesurément, créant une illusion de garantie ou si reste garantie une seule hypothèse improbable (article 1170),
- les décisions rendues au profit de la société Axa traduisent une méconnaissance des principes relatifs au droit des contrats et en droit des assurances,
- sur le fond, il n'y a pas lieu de prendre en considération l'existence de facteurs externes dans l'évaluation, dès lors qu'ils ne sont pas, notamment, contractualisés.
Il est renvoyé, pour l'exposé complet des moyens et prétentions des parties, aux conclusions susvisées, conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛.
C'est en l'état que l'instruction a été clôturée par ordonnance du 22 novembre 2022 et fixée à l'audience du 15 décembre suivant, date à laquelle elle a été retenue.
Par conclusions déposées et notifiées via le RPVA le 22 novembre 2022, la société Axa Iard France a modifié ses prétentions, et produit de nouvelles pièces.
Par conclusions d'incident déposées et notifiées via le RPVA le 23 novembre 2022, la société Ian sollicite au vu des
articles 15, 16, 802 et 803 du code de procédure civile🏛🏛🏛🏛, que les conclusions n°2 notifiées le 22 novembre après la clôture soient déclarées irrecevables.
Tenant le message transmis via le RPVA le 8 décembre 2022, par la société Ian tendant au renvoi du dossier à la mise en état eu égard aux arrêts rendus par la Cour de cassation le 1er décembre précédent, par conclusions d'incident déposées et notifiées par le RPVA le 9 décembre 2022, la société Axa Iard sollicite au visa des
articles 802 et 803 du code de procédure civile🏛🏛, que la demande de la société Ian tendant à déclarer irrecevables les conclusions régularisées le 22 novembre 2022 soit rejetée, que ces conclusions soient déclarées recevables, que l'ordonnance de clôture soit révoquée avec réouverture des débats et qu'il soit accordé un délai raisonnable aux parties pour établir des nouvelles écritures au motif que l'avis de fixation du 7 octobre 2022 ne mentionnait pas l'heure à laquelle la clôture serait prononcée et que les quatre arrêts rendus par la Cour de cassation constituent un élément de nature à déterminer la solution du litige.
MOTIFS de la DECISION :
1- sur l'irrecevabilité des conclusions déposées et notifiées le 22 novembre 2022 par la société Axa :
Selon les
articles 15 et 16 du code de procédure civile🏛🏛, les parties doivent se faire connaître mutuellement en temps utile les moyens de fait sur lesquels elles fondent leurs prétentions, les éléments de preuve qu'elles produisent et les moyens de droit qu'elles invoquent, afin que chacune soit à même d'organiser sa défense et le juge, doit en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction, ne peut retenir, dans sa décision, les moyens, les explications et les documents invoqués ou produits par les parties que si celles-ci ont été à même d'en débattre contradictoirement.
En application des
articles 802 et 803 du même code🏛🏛, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée, ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, à l'exception des conclusions par lesquelles une partie demande la révocation de l'ordonnance de clôture ou le rejet des débats des conclusions ou production tardives, sauf survenance d'une cause grave.
Les conclusions de la société Axa ont été déposées et notifiées le 22 novembre 2022 à 13 heures 04 alors que l'ordonnance de clôture était intervenue le même jour à 9 heures 31 sans que cette dernière ne rapporte l'existence d'une cause grave l'ayant empêchée de respecter les délais fixés pour chaque partie dès le 7 octobre 2022, le jour de la clôture ne pouvant être un jour utile, de sorte que ces conclusions, qui contiennent une demande nouvelle sont irrecevables et les nouvelles pièces communiquées simultanément seront écartées des débats.
Ainsi, la cour n'est saisie que des conclusions déposées et notifiées par la société Axa le 21 septembre 2021 et par la société Ian le 14 novembre 2022.
2- sur le devoir d'information de l'assureur :
Les dispositions de l'
article L. 112-2 du code des assurances🏛 concernent la remise par l'assureur à l'assuré d'une fiche d'information sur le prix et les garanties avant la conclusion du contrat, que la société Ian ne conteste pas avoir reçue ; elles ont été respectées.
Par ailleurs, la clause d'exclusion figure en page 7 des conditions particulières en caractères très apparents, étant rédigée en lettres majuscules, au sein d'un paragraphe, intitulé «perte d'exploitation suite à fermeture administrative», rédigé en lettres minuscules, conformément aux dispositions de l'
article L. 112-4 du même code🏛.
Il en résulte que l'assureur a rempli son obligation d'information, l'absence de définition du terme «épidémie» dans le contrat ne relevant pas d'une telle obligation au sens des dispositions sus-rappelées.
3- sur la validité de la clause d'exclusion :
Le contrat d'assurance couvre le risque de pertes d'exploitation de l'activité déclarée et, dans le cadre d'une extension de cette garantie, celles résultant de la fermeture provisoire totale ou partielle du fonds de commerce assuré, décidée par une autorité administrative en cas notamment d'une épidémie, sauf en cas de fermetures administratives collectives.
Les conditions de la garantie des pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire du fonds de commerce de la société Ian, du fait du décret du 29 octobre 2020, sont, en l'espèce, réunies.
Concernant l'exclusion d'une garantie, il convient de rappeler que l'
article L. 113-1 du code des assurances🏛 prévoit que les pertes et les dommages occasionnés par des cas fortuits ou causés par la faute de l'assuré sont à la charge de l'assureur, sauf exclusion formelle et limitée contenue dans la police. (...)
Une clause d'exclusion de garantie n'est pas formelle et limitée lorsqu'elle doit être interprétée.
Une clause d'exclusion est formelle, lorsqu'elle est claire et précise.
De même, une clause d'exclusion n'est valable que si elle ne vide pas de sa substance la garantie consentie conformément aux dispositions de l'
article 1170 du code civil🏛, issues de l'ordonnance n°131-2016 du 10 février 2016, applicables en l'espèce eu égard au renouvellement tacite du contrat, qui, au demeurant, consacrent la jurisprudence antérieurement fondée sur les dispositions de l'ancien
article 1131 de ce code🏛, relatives au caractère non-écrit des clauses limitatives de responsabilité contredisant la portée de l'obligation essentielle souscrite.
Ni la clause contenant l'extension de garantie, ni celle contenant l'exclusion ne comprennent de termes ou expressions relevant d'un vocabulaire spécialisé.
Les termes «quelle que soit [la] nature et [l'] activité» (des autres établissements, susceptibles d'être également fermés administrativement), qui sont généraux, ne font pas obstacle au caractère clair et précis de la clause, en ce qu'ils désignent un ensemble défini sans exception, c'est-à-dire tout autre établissement au sens de la totalité de ceux-ci, permettant à l'assuré de connaître l'étendue exacte de la garantie.
De même, les termes «cause identique» concernant la motivation des décisions de fermeture administrative des autres établissements ne sont pas imprécis en ce qu'ils renvoient à la même cause que celle fondant la décision de fermeture du fonds de commerce assuré.
L'exclusion est, ainsi, sans ambiguïté ; la garantie ne peut pas être mobilisée en cas de fermetures administratives collectives pour la même origine ou le même fondement.
Le terme «épidémie» n'est pas défini dans le contrat d'assurance sans que cette absence de définition suffise à démontrer un caractère imprécis ou une utilisation dudit terme dans un sens contraire à celui communément accepté. À ce propos, les parties se rapprochent pour retenir une définition large de ce terme comme étant la propagation rapide d'une maladie, plutôt d'origine infectieuse, à un grand nombre de sujets en même temps dans une zone géographique ou une population données, étant constaté que la définition scientifique recouvre, peu ou prou, la même définition. Cette définition n'inclut nullement une transmission interhumaine.
Le recours à la définition du terme «épidémie», figurant dans la clause d'exclusion (par renvoi à la clause d'extension de garantie) ne contredit pas le caractère clair et précis que doit recouvrer une telle clause en ce que, en l'espèce, définir le terme «épidémie» permet d'expliciter son sens et, au demeurant, aux parties de s'accorder sur celui-ci sans, pour autant, procéder à une interprétation de ce mot et de la clause d'exclusion afin de pallier un prétendu caractère inintelligible.
La clause d'exclusion ne suscite pas de doute sur sa compréhension et n'est pas sujette à interprétation.
La société Ian reproche également à l'assureur d'avoir utiliser le terme « épidémie » dans un sens restrictif, contraire à sa définition, afin d'exclure un tel risque, qu'il présente au terme de l'extension de garantie, comme étant couvert.
L'appréciation de la limitation de la garantie, qui ne doit pas tendre à annuler les effets de celle-ci, doit se faire au regard du risque couvert. Le caractère limité d'une clause d'exclusion s'apprécie non pas en considération de ce qu'elle exclut, mais en considération de ce qu'elle garantit après sa mise en œuvre.
En l'espèce, le contrat d'assurance ne couvre pas le risque de la survenance d'une épidémie, mais celui d'une fermeture administrative découlant, notamment, d'une épidémie. Une telle fermeture relève d'une décision de l'autorité compétente, qui, tenant compte de différents éléments, peut varier et ce au visa de l'
article L. 3131-1 du code de la santé publique🏛, dans sa rédaction applicable en l'espèce, qui prévoit la prescription de «toute mesure proportionnée aux risques encourus et appropriée aux circonstances de temps et de lieu afin de prévenir et limiter les conséquences des menaces d'épidémie», en ce compris des mesures individuelles.
De même, il appartient à l'assureur de démontrer qu'un autre établissement situé dans le même département fait l'objet d'une fermeture administrative pour la même épidémie, ce qui n'exclut pas, de ce fait, toute possibilité de mobiliser la garantie.
Concernant les motifs de fermeture administrative, tels que le meurtre et le suicide, pour lesquels une commission à l'identique au même moment dans le même département est peu envisageable, l'exclusion de garantie ne devrait pas pouvoir être appliquée, la garantie demeurant.
Concernant les motifs tels que l'intoxication, la maladie contagieuse et l'épidémie, la distinction existante est favorable à l'assuré, puisqu'une maladie non contagieuse, telle que la légionellose (qui n'est pas, non plus, une intoxication), peut donner lieu à une épidémie et à l'inverse, une maladie contagieuse, telles que la gastro-entérite ou la méningite, n'entraîne pas, forcément, du fait de mesures adaptées, une épidémie. Pareillement, une intoxication n'est pas nécessairement virale (intoxication au monoxyde de carbone) et épidémique.
L'assureur démontre à l'appui d'une documentation circonstanciée, que la fermeture d'un seul établissement dans un même département fondée sur des cas de listériose, grippe aviaire, légionellose ou fièvre typhoïde, donnant lieu à des épidémies, est avérée. Il est d'ailleurs établi qu'un fonds de commerce de restauration supporte un risque non négligeable quant à la propagation de toxi-infections alimentaires collectives (au nombre desquelles figure la salmonellose), dont il peut être le foyer (en 2019, 41 % des TIAC sont survenues en restauration commerciale) alors que son activité est encadrée par diverses obligations en matière d'hygiène alimentaire et de sécurité sanitaires, susceptibles d'entraîner une fermeture administrative.
L'épidémie de covid-19, qui a entraîné la fermeture administrative des restaurants en France par un même arrêté ou décret ministériel, ne constitue qu'un cas d'épidémie et qu'un motif de fermeture administrative parmi d'autres, pour lequel ladite fermeture, qui était collective, n'était pas couverte par la garantie souscrite.
Seule l'absence d'aléa, et non son caractère rare, prive le contrat d'assurance d'objet ou de cause.
La proposition d'un avenant à l'assuré par courrier en date du 29 septembre 2020 par la société Axa, qui exclut de la garantie toutes les pertes d'exploitation consécutives à une épidémie ou une maladie contagieuse est indifférente quant à l'analyse du contrat litigieux, si ce n'est qu'elle atteste que ce dernier n'avait pas été envisagé par les parties au regard d'une épidémie telle que celle de la covid-19.
Il en résulte que l'exclusion de garantie, relevant d'une fermeture administrative, découlant d'une épidémie, lorsque celle-ci n'est pas limitée au fonds de commerce assuré au sein du département où il se trouve, ne vide pas de sa substance la garantie, étendue, des pertes d'exploitation souscrite ; elle est parfaitement valable.
En conséquence, la demande de la société Ian tendant à voir déclarer non-écrite la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnelle n°7087972204 dans le cadre de l'indemnisation du sinistre lié au décret n°2020-130 du 29 octobre 2020, sera rejetée ainsi que les demandes subséquentes.
Le jugement sera donc infirmé dans toutes ses dispositions sans qu'il y ait lieu de prononcer la nullité de la mesure d'expertise ayant été ordonnée.
Le présent arrêt infirmatif constitue le titre ouvrant droit à restitution des sommes versées en exécution du jugement déféré au titre de l'exécution provisoire. Il s'ensuit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur cette demande formée par la société Axa.
4 - sur les autres demandes :
La société Ian, qui succombe, sera condamnée aux seuls dépens d'appel, le jugement ayant réservé les dépens de première instance, et au vu des dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, à payer la somme de 1 000 euros, sa demande sur ce fondement étant rejetée.
PAR CES MOTIFS :
La cour, statuant publiquement et par arrêt contradictoire,
Déclare irrecevables, comme étant tardives, les conclusions déposées et notifiées par la SA Axa France Iard le 22 novembre 2022 et écarte des débats les pièces n°5.32 à 5.54, 6.2 à 6.9, 7.14 à 7.17 et 26 à 29, communiquées au soutien de ces conclusions,
Infirme dans toutes ses dispositions le jugement du tribunal de commerce de Montpellier en date du 7 juin 2021 et statuant à nouveau,
Dit que la clause d'exclusion figurant dans le contrat d'assurance multirisque professionnelle n°7087972204 (conditions générales 690200Q), à effet au 1er janvier 2020, liant la SARL Ian et la SA Axa France Iard, est valable,
Rejette les demandes formées par la SARL Ian,
Dit n'y avoir lieu à prononcer la nullité de la mesure d'expertise judiciaire,
Dit n'y avoir lieu à statuer sur la demande de restitution des sommes versées en vertu de l'exécution provisoire attachée au jugement déféré, formée par la SA Axa France ;
Condamne la SARL Ian à payer à la SA Axa France Iard la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
Rejette la demande de la SARL Ian fondée sur les dispositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
Condamne la SARL Ian aux dépens d'appel.
le greffier, le président,