CONSEIL D'ETAT
Statuant au Contentieux
N° 25167
xxxxx
Lecture du 22 Juin 1983
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)
Sur le rapport de la 9ème Sous-Section
Vu la requête sommaire, enregistrée au secrétariat du Contentieux du Conseil d'Etat le 7 juillet 1980, et le mémoire complémentaire, enregistré le 13 janvier 1981, présentés pour xxxxx à xxxxx et tendant à ce que le Conseil d'Etat:
1°) annule le jugement du 15 avril 1980 par lequel le Tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la décharge des suppléments d'impôt sur le revenu auxquels il a été assujetti au titre des années 1970 et 1971 dans les rôles de la ville de xxxxx;
2°) lui accorde la décharge des impositions contestées;
Vu le code général des impôts;
Vu le code des tribunaux administratifs;
Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 et le décret du 30 septembre 1953;
Vu la loi du 30 décembre 1977.
Considérant que xxxxx a constituté en 1967, avec trois autres architectes, une société de fait dénommée xxxxx; que cette société se charge, pour l'exécution des contrats et marchés dont elle est titulaire, d'effectuer elle-même les travaux de conception des ouvrages, mais confie les tâches d'élaboration des plans, d'établissement des devis et documents contractuels et, enfin, de surveillance et de réception des travaux de construction à la société anonyme xxxxx, créée le 1er décembre 1969, dont les architectes associés détiennent, par parts égales, la majorité du capital social et au sein de laquelle chacun exerce, en qualité de salarié, les fonctions de directeur d'études; que la société xxxxx a rétrocédé à la société anonyme xxxxx en paiement des prestations qu'elle lui a ainsi soustraitées, respectivement 75 et 85 % du montant global des honoraires perçus de ses clients en 1970 et 1971; que l'administration, estimant d'une part que la fraction des honoraires conservée par la société xxxxx pour rémunérer la part des travaux qu'elle avait exécutés avait été minorée, relevant d'autre part que cette pratique avait eu pour effet de permettre aux architectes de percevoir, sous forme de salaires versés par la société anonyme xxxxx des honoraires qui eussent normalement été imposables à l'impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux, a réintégré dans les résultats sociaux de la société de fait xxxxx une somme équivalant aux traitements et avantages complémentaires versés aux architectes par la société anonyme xxxxx; que xxxxx demande, pour ce qui le concerne, la décharge des impositions supplémentaires à l'impôt sur le revenu auxquelles il a été assujetti dans ces conditions au titre des années 1970 et 1971;
SUR LE BIEN-FONDE DES IMPOSITIONS LITIGIEUSES AU REGARD DE L'
ARTICLE 1649 QUINQUIES B DU CODE GENERAL DES IMPOTS:
Considérant qu'aux termes de l'article 1649 quinquies B du code général des impôts: "les actes dissimulant la portée véritable d'un contrat ou d'une convention sous l'apparence de stipulations donnant ouverture à des droits d'enregistrement ou à une taxe de publicité foncière moins élevés, ou déguisant, soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus, ou permettant d'éviter, soit en totalité, soit en partie, le paiement des taxes sur le chiffre d'affaires afférentes aux opérations effectuées en exécution de ce contrat ou de cette convention ne sont pas opposables à l'administration, laquelle supporte la charge de la preuve du caractère réel de ces actes devant le juge de l'impôt lorsque, pour restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse, elle s'est abstenue de prendre l'avis du comité consultatif dont la composition est indiquée à l'article 1653 C ou lorsqu'elle a établi une taxation non conforme à l'avis de ce comité"; que l'administration, qui s'est abstenue de recueillir l'avis du comité consultatif, soutient, à titre principal, que la constitution de la société xxxxx n'a eu d'autre objet que de permettre l'imposition dans la catégorie des traitements et salaires de sommes qui auraient normalement été imposées dans la catégorie des bénéfices non commerciaux;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que le capital de la société anonyme xxxxx n'est détenu qu'à concurrence de 64 % de son montant par les architectes associés au sein de la société de fait xxxxx; qu'au cours des deux années d'imposition, le chiffre d'affaires de la société anonyme a été constitué, à concurrence de 30 % environ, de recettes provenant de clients autres que la société xxxxx; qu'enfin, la distribution de l'activité entre les deux sociétés, agissant l'une comme un cabinet d'architecte et l'autre en qualité de bureau d'études et de maître d'oeuvre, répond à leur objet social et ne correspond pas à une répartition artificielle des tâches; qu'ainsi l'administration n'établit ni que la constitution de la société anonyme xxxxx et à plus forte raison les opérations réalisées par celle-ci aient eu un caractère fictif, ni que les modalités suivant lesquelles les deux sociétés ont aménagé leurs relations contractuelles n'aient été inspirées par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que les architectes associés auraient normalement supportées eu égard à leur situation et à leur activité réelles; que, dès lors, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Marseille dans le jugement attaqué, les impositions litigieuses ne peuvent pas trouver leur fondement dans les dispositions précitées de l'article 1649 quinquies B du code général des impôts;
SUR LE CARACTERE NORMAL DES HONORAIRES ALLOUES A LA SOCIETE
Considérant que l'administration soutient, à titre subsidiaire, que le versement à la société anonyme xxxxx d'une part d'honoraires excessive constitue, de la part de la société de fait, un acte de gestion anormale;
EN CE QUI CONCERNE L'ANNEE 1970:
Considérant que, pour rémunérer la mission de conception des ouvrages assurée en son sein par les quatre architectes associés, la société de fait xxxxx a en 1970 conservé pour elle-même une somme totale de 373 940 F, représentant près de 25 % des honoraires reçus de la clientèle durant l'année, le solde étant reversé à la société xxxxx;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, suivant les usages de la profession, la fraction des honoraires d'architectes rémunérant la tâche de conception des ouvrages n'est pas, en moyenne, supérieure à 25 % du montant desdits honoraires; que d'ailleurs, s'agissant des travaux effectués pour le compte des départements, des communes, des établissements publics et services en dépendant, le même partage est prescrit par le décret n° 59-1157 du 29 septembre 1959; que dès lors, contrairement à ce que soutient l'administration, les modalités de partage des honoraires entre les deux sociétés ne peuvent pas être regardées en 1970 comme révélatrices d'une gestion anormale de la société de fait;
EN CE QUI CONCERNE L'ANNEE 1971:
Considérant qu'au cours de l'année 1971, sur un montant d'honoraires de 1 819 140 F, le cabinet xxxxx a rétrocédé 1 548 000 F à la société xxxxx ne conservant pour lui que 271 140 F, soit un peu moins de 15 % du total; qu'aucune explication tenant à une modification des activités respectives des deux sociétés n'est fournie par le requérant pour justifier cette diminution importante de la part des honoraires attribuée au cabinet d'architectes; que, d'autre part, un tel partage n'est conforme ni aux usages de la profession ni aux prescriptions du décret n° 59-1157 du 29 septembre 1959 ci-dessus rappelées; qu'ainsi, l'administration doit être regardée comme apportant la preuve que les versements effectués par la société de fait xxxxx à la société anonyme xxxxx en 1971 ont constitué un acte de gestion anormale dans la mesure où ils ont laissé à la première société une rémunération inférieure à 25 % du total, soit 454 785 F; que, dès lors, l'administration était en droit de réintégrer dans les résultats de la société de fait la différence entre les deux sommes susmentionnées de 454 785 F et de 271 140 F, soit 183 645 F; que, par suite, compte tenu d'un déficit déclaré de 3 194 F, le bénéfice de la société de fait en 1971 s'élève à 180 451 F, dont le quart, soit 45 112 F, doit être imposé entre les mains du requérant dans la catégorie des bénéfices non commerciaux;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que xxxxx est fondé à demander la décharge de l'imposition supplémentaire à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 1970 et, dans les limites qui viennent d'être indiquées, la réduction de l'imposition mise à sa charge au titre de l'année 1971, ainsi que la réformation en ce sens du jugement attaqué.
DECIDE
ARTICLE 1er - xxxxx est déchargé de l'imposition supplémentaire à l'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 1970.
ARTICLE 2 - Le montant des bénéfices non commerciaux à comprendre dans les bases de l'impôt sur le revenu dû par xxxxx au titre de l'année 1971 est fixé à 45 112 F.
ARTICLE 3 - xxxxx est déchargé de la différence entre le montant de l'imposition supplémentaire à l'impôt sur le revenu à laquelle il a été assujetti au titre de l'année 1971 et celui qui résulte de l'article 2 ci-dessus.
ARTICLE 4 - Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 15 avril 1980 est réformé en ce qu'il a de contraire à la présente décision.
ARTICLE 5 - Le surplus des conclusions de la requête de xxxxx est rejeté.