Jurisprudence : CA Douai, 27-01-2023, n° 20/01452, Confirmation


ARRÊT DU

27 Janvier 2023


N° 84/23


N° RG 20/01452 - N° Portalis DBVT-V-B7E-TCGZ


OB/AL


Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LILLE

en date du

23 Mars 2020

(RG 18/00739 -section )


GROSSE :


Aux avocats


le 27 Janvier 2023


République Française

Au nom du Peuple Français


COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-



APPELANT :


M. [X] [F]

[Adresse 2]

[Localité 5]

représenté par Me Antoine BIGHINATTI, avocat au barreau de VALENCIENNES


INTIMÉE :


CAISSE RÉGIONALE DE CRÉDIT AGRICOLE MUTUEL NORD DE FRANCE (CRCAM NDF)

[Adresse 1]

[Localité 3]

représentée par Me Romain THIESSET, avocat au barreau de LILLE



COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ


Olivier BECUWE


: PRÉSIDENT DE CHAMBRE


Aa A


: CONSEILLER


Isabelle FACON


: CONSEILLER


GREFFIER lors des débats : Ab B


DÉBATS : à l'audience publique du 13 Décembre 2022


ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 27 Janvier 2023,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile🏛, signé par Olivier BECUWE, Président et par Annie LESIEUR, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 22 Novembre 2022


EXPOSE DU LITIGE :


M. [F] a été engagé à durée indéterminée et à temps complet le 1er mai 1982 par la société Caisse Régionale de Crédit Agricole Mutuel Nord de France (la société) en qualité de guichetier.


A compter du 10 février 1999, il a occupé le poste de responsable de l'agence d'Hermies.


Au début de l'année 2006, il a été victime d'un accident vasculaire cérébral qui l'a contraint à prendre un arrêt de travail pendant trois ans.


Il s'est vu reconnaître la qualité de travailleur handicapé le 1er avril 2008.


La visite médicale de reprise a eu lieu le 16 mars 2009 et a préconisé 'une reprise à mi-temps thérapeutique au poste de conseiller commercial ou au siège [et] des déplacements kilométriques à 30 kilomètres autour du domicile du salarié'.


Le salarié a alors été affecté à un poste de conseiller de clientèle au sein de l'agence de [Localité 5], commune de son domicile, dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique du 22 mai 2009 au 21 août 2009.


Le médecin du travail ayant informé la société, dans le courant du mois de septembre 2019, de l'échéance du temps partiel thérapeutique, une visite médicale a eu lieu le 25 septembre 2019 à l'issue de laquelle M. [F] a été déclaré apte à exercer ces fonctions de conseiller à temps complet, la seule réserve étant de 'limiter le trajet à l'agence à 30 kilomètres'.


Le salarié est ainsi immédiatement repassé à temps complet.


Le 12 mars 2014, il s'est vu proposer un poste de 'vivier' au sein de la région métropole Sud, motivé par la suppression d'un poste de conseiller clientèle intermédiaire au sein de l'agence de [Localité 5], ce qu'il a refusé.


Il a alors été affecté, à compter du mois d'avril 2014, au sein de l'agence d'[Localité 4], distante de 17 kilomètres de la ville de [Localité 5], sur des fonctions similaires, le médecin du travail jugeant cette nouvelle affectation compatible avec son état de santé, selon avis des 21 mai et 9 décembre 2014.


La santé de M. [F] se détériorant, il a été placé en arrêt de travail de juin 2015 à décembre 2017.


Par décision du 12 septembre 2017, la caisse primaire a refusé la prise en charge de la maladie de M. [F] au titre d'une affection d'origine professionnelle.


Par lettre du 19 décembre 2017, il a informé son employeur de la fin de son arrêt de travail au 27 décembre 2017 et a sollicité la mise en place de la visite médicale de reprise.


Le 3 janvier 2018, à réception de cette lettre, la société lui a répondu que, pour bénéficier de cette visite médicale, il lui appartenait de reprendre le travail, et que tel n'était pas le cas puisqu'il ne s'était pas présenté à l'agence d'[Localité 4] depuis le 28 décembre 2017.


Malgré une mise en demeure adressée le 6 février 2018 à l'employeur d'avoir à organiser cette visite, celle-ci n'a pas été mise en place.


Resté sans salaire, et considéré en absences injustifiées, le salarié a saisi le 24 juillet 2018 le conseil de prud'hommes d'une demande en résiliation judiciaire du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement nul, en paiement d'un rappel de salaires à compter du 28 décembre 2017 ainsi qu'en dommages-intérêts au titre d'une discrimination à raison de l'état de santé et pour manquement à l'obligation de sécurité.



Par un jugement du 23 mars 2020, la juridiction prud'homale l'en a débouté.


Par déclaration du 9 juillet 2020, il a fait appel de ce jugement.


Par un avis du 12 octobre 2021, le médecin du travail a déclaré l'intéressé inapte au poste de travail et a ajouté : 'Capacités restantes compatibles avec un poste administratif avec des tâches simples, 30 minutes par jour sur un poste aménagé (siège ergonomique, écran sans filtres et grossissement des caractères), en télétravail, pas de contact direct avec le client, poste dans une entreprise différente'.


Il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement selon lettre du 31 décembre 2021.


Par des conclusions récapitulatives du 14 septembre 2022, l'appelant a sollicité l'infirmation du jugement, réitérant ses prétentions initiales et y ajoutant la contestation, à titre subsidiaire, du licenciement.


Sur la discrimination à raison de l'état de santé, il invoque, pour l'essentiel, le fait de n'avoir pas bénéficié ni du soutien de la cellule Handicap et Emploi Crédit Agricole (la cellule HECA) ni des dispositions de l'accord conventionnel afférent à cette cellule.


Il se plaint, par ailleurs, d'avoir été affecté sur différents postes sans considération de son état de santé, ce qui aurait contribué à l'aggravation de ce dernier, et d'avoir été victime d'une déclassification conventionnelle à la suite de son accident vasculaire cérébral.


Il en déduit un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.


Il soutient également que l'employeur a violé l'article R.4624-31 du code du travail🏛 sur l'organisation de la visite de reprise.


Il prétend que l'ensemble de ces manquements justifie que la résiliation judiciaire soit rendue imputable à l'employeur.


Sur le licenciement, il estime, à titre subsidiaire, que l'employeur a manqué à son obligation de reclassement et qu'en toute hypothèse, son inaptitude est imputable aux manquements de ce dernier.


Par des conclusions du 20 juin 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des moyens, la société demande la confirmation du jugement et, sur la prétention nouvelle au titre du licenciement, en soulève, à titre principal, l'irrecevabilité sur le fondement de l'abrogation du principe de l'unicité de l'instance et, à titre subsidiaire, le caractère infondé.


Elle se prévaut principalement du suivi médical dont a bénéficié le salarié et de la compatibilité en résultant des postes qu'il a occupés avec son handicap.


Elle récuse toute violation de l'article R.4624-31 du code du travail🏛, le salarié n'ayant pas repris le travail.


Sur le licenciement, elle insiste, d'une part, sur les termes très restrictifs de l'avis d'inaptitude qui rendaient illusoire toute recherche de reclassement, même si elle se propose de démontrer qu'elle y a procédé et, d'autre part, sur la situation de l'appelant, né en 1955 et en passe de faire liquider ses droits à la retraite.



MOTIVATION :


1°/ Sur la discrimination à raison de l'état de santé :


A - Sur la cellule HECA et l'accord conventionnel afférent :


La cellule HECA, prévue par l'accord conventionnel en son article 5.1, a vocation à se réunir chaque trimestre et a pour objet essentiellement d'accompagner un travailleur en situation de handicap en vue d'un aménagement de son poste de travail, de le faire bénéficier d'une surveillance médicale renforcée et de prendre en compte les incidences de la mobilité fonctionnelle ou géographique.


Il est certes exact, comme le soutient le salarié, que cette cellule ne s'est pas réunie dans son cas, sauf à une seule reprise dans le cadre du renouvellement de la reconnaissance du statut de travailleur handicapé.


Mais, le justifiant par la production des 11 fiches d'aptitude délivrées par le médecin du travail du 25 septembre 2009 au 9 décembre 2014, c'est à juste titre que l'employeur soutient que le salarié a, non seulement, été soumis à un suivi médical renforcé et qu'en outre ses fonctions ont été considérées comme compatibles avec son état de santé, le médecin du travail n'ayant, en ces occasions, émis aucune réserve sur le passage du temps partiel thérapeutique au temps complet en 2009 puis sur l'affectation de l'agence de [Localité 5] à celle d'[Localité 4] en 2014.


M. [F] se prévaut de son dossier médical personnel sur la base de certificats de ses différents médecins qu'il a consultés à titre privé.


Toutefois, l'employeur n'est tenu que par les préconisations et avis du médecin du travail qui n'appellent aucune critique sur les conditions dans lesquelles l'appelant a exercé.


B - Sur la discordance entre les diverses affectations professionnelles et les impératifs médicaux :


Sans qu'il ne soit nécessaire de suivre M. [F] dans le détail de son argumentation, il résulte de ce qui précède que l'employeur s'étant conformé aux fréquents avis du médecin du médecin du travail, ce grief ne peut être retenu.


C - Sur l'absence de prise en compte de l'état psychologique :


Sans qu'il ne soit nécessaire de suivre M. [F] dans le détail de son argumentation, il résulte de ce qui précède que l'employeur s'étant conformé aux fréquents avis du médecin du médecin du travail, ce grief ne peut être retenu.


D - Sur la déclassification conventionnelle :


Il est exact que M. [F] a perdu une classification conventionnelle à l'occasion de son affectation en 2009 en qualité de conseiller de clientèle à la suite de son accident vasculaire cérébral puisqu'il était auparavant responsable d'agence.


Mais cette affectation s'est faite, comme l'observe judicieusement la société, conformément aux préconisations du médecin du travail, M. [F] y ayant été associé par différentes lettres de celle-ci.


Le salarié a exercé ses nouvelles fonctions en pleine connaissance de cause à compter de l'année 2009 et ne peut sérieusement soutenir qu'il ne se serait rendu compte du changement de coefficient, mentionné sur les bulletins de paie, qu'au moment de la délivrance du certificat de travail lors de son licenciement en 2021.


Il ne soutient nullement ne pas avoir consenti à ses nouvelles fonctions de conseiller de clientèle et n'allègue donc pas d'une modification du contrat de travail imposé hors son consentement.


Il se borne à prétendre qu'il aurait été rétrogradé à ce poste en raison de son accident vasculaire cérébral.


Mais il ne pouvait pas en occuper un autre, comme l'avait souligné le médecin du travail, ce qui exclut toute discrimination à raison de l'état de santé.


Le grief ne peut être retenu.


2°/ Sur le manquement à l'obligation de sécurité :


Sans qu'il ne soit nécessaire de suivre M. [F] dans le détail de son argumentation, il résulte de ce qui précède que l'employeur s'étant conformé aux fréquents avis du médecin du médecin du travail, ce grief ne peut être retenu.


3°/ Sur le manquement dans l'organisation de la visite de reprise :


L'article R.4624-31 du code du travail🏛 dispose que :


'Dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise'.


Il résulte de ce texte que la visite dite de reprise doit avoir lieu lors de la reprise et au plus tard dans les huit jours de cette reprise.


L'initiative en incombe à titre principal à l'employeur mais ce dernier n'a pas, antérieurement à la reprise du travail, voire à la manifestation de volonté du salarié de le reprendre, l'obligation de faire procéder à un tel examen, et cela en dépit d'une jurisprudence parfois contrastée de la Cour de cassation sur le sens de laquelle les parties s'opposent d'ailleurs.


C'est donc à juste titre que la société, avisée le 3 janvier 2018 de la fin de l'arrêt de travail au 27 décembre 2017, a demandé au salarié, qui se bornait à solliciter l'organisation de la visite de reprise, sans manifester la volonté de reprendre le travail, de préalablement reprendre son emploi.


Faute pour M. [F] de s'être présenté à l'agence, l'employeur n'avait pas à l'organiser.


La société ne pouvait certes pas reprocher à M. [F] des absences injustifiées puisque le contrat de travail restait suspendu.


Mais la société n'en a tiré aucune conséquence autre que celle de ne pas lui payer son salaire, ce qui se justifie dès lors que M. [F] n'a fourni aucun travail, qu'il n'a pas manifesté l'intention de revenir travailler et qu'il ne s'est donc pas tenu à disposition à cette fin.


Du fait de l'obligation de sécurité, un employeur ne peut certes pas, en principe, contraindre un salarié, qui doit passer une visite de reprise, à travailler sans s'assurer s'il est apte ou non.


Cela signifie qu'il ne peut en tirer aucune conséquence disciplinaire.


En revanche, il a le droit de lui demander de revenir dans l'entreprise et de reprendre son travail aux fins de passer la visite de reprise dès lors que c'est celle-ci qui renseignera avec précision sur l'aptitude.


C'est donc à bon droit que la société, loin de se désintéresser de la demande du salarié, n'a pas organisé la visite de reprise, faute pour M. [F] de l'avoir permise.


Le grief tiré de la violation de l'article R.4624-31 du code du travail🏛 ne peut être retenu.


4°/ Sur la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail :


Il résulte de l'ensemble des développements qui précèdent que les griefs étant écartés, la demande de résiliation judiciaire sera rejetée.


5°/ Sur le licenciement pour inaptitude :


A - Sur la recevabilité de la contestation :


Le licenciement pour inaptitude a été prononcé en décembre 2021 soit postérieurement à la déclaration d'appel de sorte que cet événement, survenu au cours de l'instance d'appel, autorise, au sens de l'article 544 du code de procédure civile🏛, une nouvelle prétention fondée sur sa contestation.


B - Sur l'imputabilité de l'inaptitude pour méconnaissance de l'obligation de sécurité:


Il résulte des développements qui précèdent que l'inaptitude ne saurait être rendue imputable à l'employeur qui a systématiquement respecté les avis du médecin du travail.


C - Sur la violation de l'obligation de rechercher un reclassement :


Même si l'avis d'inaptitude du 12 octobre 2021 ne comporte pas dispense expresse de reclassement, il y ressemble fortement puisqu'ainsi qu'il l'a été retranscrit précédemment, il pose l'existence de capacités tout à fait résiduelles, à l'évidence incompatibles avec les exigences du secteur bancaire, et prescrit d'ailleurs un autre poste en dehors de l'entreprise.


L'avis du 12 octobre 2021 soulève directement la question de la faisabilité, et même de l'existence, d'un reclassement pour un salarié aussi diminué, né par ailleurs en avril 1955 et en passe de faire liquider ses droits à la retraite.


En outre, l'employeur justifie de l'existence d'une démarche en ce sens (pièces n° 52 et 53).


Le grief sera écarté.


6°/ Sur les frais irrépétibles d'appel :


Il serait inéquitable de condamner l'appelant, qui sera débouté de ce chef ayant succombé au fond, à payer à la société une indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛.



PAR CES MOTIFS :


La cour d'appel statuant publiquement, contradictoirement, et après en avoir délibéré conformément à la loi :


- confirme le jugement ;


- y ajoutant, déclare recevable la contestation du licenciement ;


- la rejette ;


- déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;


- condamne M. [F] aux dépens d'appel.


LE GREFFIER


Annie LESIEUR


LE PRESIDENT


Olivier C

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