CAA Nantes, 3e, 03-02-2023, n° 21NT02781
A17329C7
Référence
60-02-01-03 1) Saisi d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, il appartient au juge, pour écarter toute responsabilité de la puissance publique, non pas de rechercher si le lien de causalité entre l'administration du vaccin et les différents symptômes attribués à l'affection dont souffre l'intéressé est ou non établi, mais de s'assurer, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant le juge, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe.......2) Il appartient ensuite au juge, après avoir procédé à la recherche mentionnée au point précédent, soit, s'il en était ressorti, en l'état des connaissances scientifiques en débat devant lui, qu'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe, de rejeter la demande indemnitaire, soit, dans l'hypothèse inverse, de procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et de ne retenir alors l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressé et les symptômes qu'il avait ressentis que si ceux-ci étaient apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou s'étaient aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, qu'il ne ressortait pas du dossier qu'ils pouvaient être regardés comme résultant d'une autre cause que ces vaccinations.......3) En l'espèce, en l'état des connaissances scientifiques telles que rappelées notamment par l'Académie nationale de médecine, aucune probabilité d'un lien de causalité entre l'injection du vaccin contre le virus de l'hépatite B, contenant ou non un adjuvant aluminique, et la survenue d'un syndrome spécifique de myofasciite à macrophages ne peut être retenue. Dès lors, la cour n'avait pas à se prononcer sur la seconde étape du raisonnement afin de rechercher si un lien de causalité existe entre la vaccination et les symptômes présentés par l'intéressé.......1. cf CE, 29 septembre 2021, M. Douchet, n° 435323, A. ; CAA Nantes, 03 juin 2022, ONIAM c/ Mme Lalys, n° 21NT00333, C+, s'agissant de la survenue d'une sclérose en plaques.
Par un arrêt avant dire droit n° 21NT02781 du 1er juillet 2022 la cour a, en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative🏛, avant de statuer sur les conclusions de la requête d'appel de M. E tendant à l'annulation du jugement n° 1500510 du 30 mai 2017 par lequel le tribunal administratif d'Orléans a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à indemniser les préjudices qu'il estime avoir subis à la suite d'une vaccination obligatoire ainsi que les préjudices subis par ses enfants en raison des mêmes faits, procédé à une mesure d'instruction en invitant l'Académie nationale de médecine à lui fournir des observations sur le point de savoir si, en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'y a aucune probabilité qu'un lien de causalité existe entre une myofasciite à macrophages et une vaccination contre le virus de l'hépatite B.
L'Académie nationale de médecine a produit ses observations le 6 octobre 2022.
Par un mémoire enregistré le 24 octobre 2022, M. A E, agissant tant en son nom personnel qu'en celui de son fils mineur B E et G F E, devenue majeure, représentés par Me Jeudi, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif d'Orléans du 30 mai 2017 ;
2°) de condamner l'État à verser à M. A E la somme de 58 000 euros en réparation des préjudices qu'il allègue avoir subis en raison des vaccinations imposées dans le cadre de son activité professionnelle, outre la somme de 5 000 euros à verser à chacun de ses enfants F et B en réparation de leur préjudice moral ; d'assortir ces sommes des intérêts au taux légal à compter du 13 novembre 2013 ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'avis émis par l'Académie nationale de médecine ne permet pas d'exclure toute probabilité qu'un lien de causalité existe entre la vaccination et la survenue d'une myofasciite à macrophages ; il ne constitue pas une étude scientifique ;
- il ressort d'études étrangères que la myofasciite à macrophages est induite par les adjuvants vaccinaux, l'aluminium étant une substance neurotoxique, et figure au nombre des maladies rares reconnues par la communauté scientifique internationale.
Par un mémoire enregistré le 17 novembre 2021, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun moyen de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre,
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme D,
- les conclusions de M. C,
- et les observations de Me Jeudi, représentant les consorts E.
Une note en délibéré a été présentée le 12 janvier 2023 pour les consorts E.
1. M. E a été vacciné, à titre obligatoire, contre le virus de l'hépatite B pendant son service militaire en mai, juin et août 1994 et en février 1995. A partir de septembre 1995, il a souffert de divers troubles qui ont été attribués à une myofasciite à macrophages. Il a bénéficié à ce titre, à partir de 2001, d'une pension militaire d'invalidité dont le taux a été progressivement porté de 40 % à 60 %. Le 13 novembre 2013, il a adressé au ministère de la défense une demande d'indemnisation de divers préjudices non indemnisés par sa pension, demande qui a été rejetée par une décision du 9 juillet 2014. Le 31 juillet 2014, il a contesté cette décision devant la commission des recours des militaires. Le ministre de la défense a, après avis de la commission, rejeté son recours par une décision du 17 mars 2015. M. E a alors saisi le tribunal administratif d'Orléans de demandes tendant notamment à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 58 000 euros au titre de ses préjudices propres et celle de 10 000 euros au titre des préjudices de ses deux enfants mineurs. Le tribunal a rejeté cette demande au motif que sa créance était prescrite. Par un arrêt n° 17NT03250 du 5 juillet 2019, la cour administrative d'appel de Nantes⚖️ a rejeté la requête de M. E. Par sa décision n° 435323 du 29 septembre 2021, le Conseil d'État⚖️, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé devant la cour l'affaire, qui porte désormais le n° 21NT02781. Par un arrêt du 1er juillet 2022, la cour a, en application de l'article R. 625-3 du code de justice administrative, invité l'Académie nationale de médecine à lui présenter des observations écrites, de caractère général, de nature à l'éclairer sur le point de savoir si, en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'y a aucune probabilité qu'un lien de causalité existe entre la survenue de symptômes pouvant se rattacher aux manifestations cliniques caractéristiques d'une myofasciite à macrophages et l'administration de vaccins comportant des adjuvants aluminiques et éventuellement d'autres vaccins ne comportant pas de tels adjuvants.
Sur l'obligation de l'État :
2. Il appartient à la juridiction saisie d'un litige individuel portant sur les conséquences pour la personne concernée d'une vaccination présentant un caractère obligatoire, de rechercher, au vu du dernier état des connaissances scientifiques en débat devant elle, s'il n'y a aucune probabilité qu'un tel lien existe entre cette vaccination et les troubles dont elle souffre. Dans l'hypothèse inverse, elle doit procéder à l'examen des circonstances de l'espèce et ne retenir l'existence d'un lien de causalité entre les vaccinations obligatoires subies par l'intéressée et les symptômes qu'elle a ressentis que si ceux-ci sont apparus, postérieurement à la vaccination, dans un délai normal pour ce type d'affection, ou se sont aggravés à un rythme et une ampleur qui n'étaient pas prévisibles au vu de son état de santé antérieur ou de ses antécédents et, par ailleurs, s'il ne ressort pas du dossier que ces symptômes peuvent être regardés comme résultant d'une autre cause que les vaccinations.
3. La cour, eu égard à la teneur des débats devant elle quant à l'absence de toute probabilité d'un lien de causalité entre la myofasciite à macrophages et la vaccination contre le virus de l'hépatite B a, par son arrêt du 1er juillet 2022, invité l'Académie nationale de médecine à lui présenter des observations de nature à l'éclairer quant au point de savoir, si, en l'état actuel des connaissances scientifiques, il n'y a aucune probabilité qu'un lien de causalité existe entre cette pathologie et une vaccination contre le virus de l'hépatite B.
4. En vue d'émettre son avis, l'Académie nationale de médecine a procédé à l'examen d'un ensemble de travaux scientifiques réalisés depuis 1999 en vue de rechercher l'existence d'un éventuel lien de causalité entre la vaccination contre l'hépatite B et la survenue d'une myofasciite à macrophages.
5. Si le comité consultatif pour la sécurité des vaccins de l'Organisation mondiale de la Santé a, en 1999, conclu à un lien de causalité probable entre l'hydroxyde d'aluminium des vaccins et la lésion histologique de myofasciite à macrophage et recommandé la réalisation d'études complémentaires, le conseil scientifique de l'Agence de sécurité sanitaire des produits de santé, a, le 5 mai 2004, procédé à un examen des connaissances en la matière en y incluant notamment le rapport publié en 2003 par cette même agence et portant, en réponse aux préconisations de l'OMS, sur des cas-témoins. Ce conseil a observé que si l'association de la lésion histologique sur le site musculaire de la vaccination et l'administration de vaccins contenant un adjuvant aluminique est hautement probable, il indique qu'en revanche, l'état des connaissances scientifiques ne permet pas de considérer qu'il existe une association entre l'entité histologique " myofasciite à macrophages " et un syndrome clinique spécifique. L'Académie de médecine se réfère également aux travaux effectués par elle en 2012, à ceux du Haut Conseil de la santé publique de 2013 et de l'Académie nationale de pharmacie de 2016 qui aboutissent aux mêmes conclusions sur l'absence de lien entre la lésion localisée histologique et un syndrome spécifique associant myalgies, arthralgies et/ou asthénie.
6. Au regard de ces éléments, l'Académie nationale de médecine conclut que " si l'hypothèse que la persistance d'une quantité microscopique d'aluminium au site d'injection pendant des années après une vaccination reflèterait la distribution normale de l'élimination de l'aluminium au sein d'une population vaccinée peut être retenue, celle de son rôle éventuel dans la mise en œuvre d'une maladie clinique générale, qu'elle soit inflammatoire et/ou auto-immune n'est pas démontrée à ce jour ".
7. Dans ces conditions, en l'état des connaissances scientifiques telles que rappelées
ci-dessus, aucune probabilité d'un lien de causalité entre l'injection du vaccin contre le virus de l'hépatite B contenant ou non un adjuvant aluminique et la survenue de symptômes pouvant se rattacher aux manifestations cliniques caractéristiques d'une myofasciite à macrophages ne peut être retenue.
8. Il s'ensuit que les consorts E ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Orléans a rejeté la demande de M. E.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 ne permettent pas d'en faire bénéficier la partie perdante ou tenue aux dépens. Par suite, les conclusions présentées par les consorts E tendant à ce que l'État leur verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.
Article 1er : La requête des consorts E est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A E, à Mme F E et au ministre des armées.
Copie en sera transmise, pour information, à l'Académie nationale de médecine.
Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Salvi, président de chambre,
- Mme Brisson, présidente-assesseure,
- M. Catroux, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2023.
La rapporteure,
C. D
Le président,
D. Salvi
Le greffier
R. Mageau
La République mande et ordonne au ministre des armées, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N°21NT02781
Article, R625-3, CJA Arrêt, 17NT03250, 05-07-2019 Vaccination obligatoire Virus de l'hépatite Réparation d'un préjudice Préjudice moral Pension militaire d'invalidité Victimes de la guerre Demandes d'indemnisation des préjudices Créances prescrites Existence de lien de causalité Réalisation d'études Études complémentaires Produits de santé Injections de vaccin