ARRÊT DU CONSEIL D'ETAT
CONSEIL D'ETAT
Statuant au contentieux
N° 210695
COMMUNE D'EMERAINVILLE et autres
Mlle Verot, Rapporteur
Mme de Silva, Commissaire du Gouvernement
Séance du 11 octobre 2000
Lecture du 6 novembre 2000
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 1ère sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 20 juillet 1999 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par la COMMUNE D'EMERAINVILLE, représentée par son maire, domiciliée à l'hôtel de ville d'Emerainville (77184), l'ASSOCIATION AMELIORATION DU CADRE DE VIE A EMERAINVILLE, représentée par son président en exercice, domiciliée 11, rue du Crapaud Chanteur à Emerainville (77184), M. José BONNAZZI, demeurant 6, allée de la Marelle Jaune à Emerainville (77184) et M. Roger MANHIABAL, demeurant 7, allée de la Marelle Jaune à Emerainville (77184) ; la COMMUNE D'EMERAINVILLE et autres demandent au Conseil d'Etat
1°) l'annulation pour excès de pouvoir du décret du 19 mai 1999 déclarant d'utilité publique les travaux relatifs à l'aménagement de la RN 104 entre l'autoroute A4 l'échangeur de Val Maubuée) et la RN4 à Pontault-Combault, et portant mise en compatibilité des plans d'occupation des sols des communes de Croissy-Beaubourg, Emerainville, Noisiel, Pontault-Combault et Roissy-en-Brie et des plans d'aménagement de zone des zones d'aménagement concerté d'Emerainville, du Mandinet et de Paris-Est ;
2°) le sursis à exécution de ce décret ;
3°) la condamnation de l'Etat à leur verser une indemnité de 25 000 F sur le fondement de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'expropriation ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de la voirie routière ;
Vu le décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977 ;
Vu le décret n° 84-617 du 17 juillet 1984 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de Mlle Verot, Auditeur,
- les conclusions de Mme de Silva, Commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité de la procédure préalable à l'enquête publique :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme : "Les actions ou opérations d'aménagement ont pour objet de mettre en oeuvre une politique locale de l'habitat, d'organiser le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques, de favoriser le développement des loisirs et du tourisme, de réaliser des équipements collectifs de lutte contre l'insalubrité, de sauvegarder ou de mettre en valeur le patrimoine bâti ou non-bâti et les espaces naturels" ; que les travaux d'aménagement d'une route express ne constituent ni une action ni une opération d'aménagement au sens de ces dispositions ; que dès lors le projet concernant la création de deux voies de circulation supplémentaires et l'aménagement des échangeurs d'une section de la RN 104, à laquelle le caractère de route express avait été conféré, n'avait pas à être soumis à la procédure de concertation prévue à l'article L. 300-2 du même code ;
Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de ce que le directeur départemental de l'équipement de Seine-et-Marne ne disposait pas d'une délégation régulière du préfet de Seine-et-Marne pour signer l'arrêté procédant à l'ouverture de l'enquête publique manque en fait ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article R. 123-35-3 du code de l'urbanisme : "Lorsque l'utilité publique d'une opération doit être déclarée dans les conditions prévues à l'article L. 123-8, la mise en compatibilité des plans d'occupation des sols est effectuée selon les modalités ci-après. Le commissaire de la République informe de la nature de l'opération et de ses implications sur le plan d'occupation des sols, le maire ou le président de l'établissement public de coopération intercommunale, ainsi que les présidents du conseil régional, du conseil général et des organismes consulaires ...Simultanément le préfet ouvre par arrêté l'enquête publique portant à la fois sur l'utilité publique de l'opération et sur la mise en compatibilité du plan d'occupation des sols" ; .que le décret attaqué vise les lettres en date du 23 octobre 1997 par lesquelles le préfet de Seine-et-Marne a informé les autorités désignées par les dispositions précitées de l'ouverture de la procédure de mise en compatibilité des plans d'occupation des sols des procédure de mise en compatibilité des plans d'occupation des sols ;
Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 11-5 du code de l'expropriation : "L'acte déclarant l'utilité publique doit intervenir au plus tard un an après la clôture de l'enquête préalable. Ce délai est majoré de six mois lorsque la déclaration d'utilité publique ne peut être prononcée que par décret en Conseil d'Etat" ; qu'aux termes de l'article L. 151-2 du code de la voirie routière : "Le caractère de route express est conféré à une route ou une section de route, existante ou à créer, par décret en Conseil d'Etat portant, le cas échéant, déclaration d'utilité publique, pris après enquête publique..." ; qu'il résulte de ces dispositions que lorsque le caractère de route express a été conférée à une voie par décret en Conseil d'Etat, l'utilité publique des travaux intéressant cette voie doit être constatée par décret en Conseil d'Etat ; que le caractère de route express a été conféré à la section de voie en cause par décret en Conseil d'Etat du 5 septembre 1973 ; qu'ainsi l'utilité publique des travaux d'aménagement de cette voie devait être constatée par décret en Conseil d'Etat ; que l'enquête publique close le 31 janvier 1998 n'était pas devenue caduque à la date du décret attaqué ; qu'il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la déclaration d'utilité publique aurait été prise à la suite d'une procédure irrégulière doit être écarté ;
Sur la composition du dossier soumis à enquête publique :
Considérant qu'aux termes de l'article R. 11-3 du code de l'expropriation : "L'expropriant adresse au préfet pour être soumis à l'enquête un dossier qui comprend obligatoirement : I. Lorsque la déclaration d'utilité publique est demandée en vue de la réalisation de travaux ou d'ouvrages : ...5° l'appréciation sommaire des dépenses ; 6° l'étude d'impact définie à l'article 2 du décret n° 77-1141 du 12 octobre 1977... ; 7° l'évaluation mentionnée à l'article 5 du décret n° 84-617 du 17 juillet 1984" ; qu'aux termes de l'article 2 du décret du 12 octobre 1977 : "Le contenu de l'étude d'impact doit être en relation avec l'importance des travaux et aménagements projetés et avec leurs incidences prévisibles sur l'environnement. L'étude d'impact présente successivement : 1°) une analyse de l'état initial du site et de son environnement, portant notamment sur les richesses naturelles et les espaces naturels agricoles, forestiers, maritimes et de loisirs, affectés par les aménagements ou les ouvrages ; 2°) une analyse des effets directs et indirects, temporaires et permanents du projet sur l'environnement, et en particulier sur la faune et la flore, les sites et les paysages, le sol, l'eau, l'air, le climat, les milieux naturels et les équilibres biologiques, sur la protection des biens et du patrimoine culturel et, le cas échéant, sur la commodité du voisinage (bruits, vibrations, odeurs, émissions lumineuses) ou sur l'hygiène, la sécurité et la salubrité publique ; 3°) les raisons pour lesquelles, notamment du point de vue des préoccupations d'environnement, parmi les partis envisagés, le projet présenté a été retenu ; 4°) les mesures envisagées par le maître d'ouvrage ou le pétitionnaire pour supprimer, réduire et, si possible, compenser les conséquences dommageables du projet sur l'environnement, ainsi que l'estimation des dépenses correspondantes" ; qu'aux termes de l'article 4 du décret du 17 juillet 1984 : "L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte : 1° une analyse des conditions et des coûts de construction, d'entretien, d'exploitation et de renouvellement de l'infrastructure projetée ; 2° une analyse des conditions de financement et, chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière ; ... L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte également une analyse des différentes données de nature à permettre de dégager un bilan prévisionnel, tant des avantages et des inconvénients entraînés, directement ou non, par la mise en service des infrastructures... Ce bilan comporte l'estimation d'un taux de rentabilité pour la collectivité calculée selon l'usage des travaux de planification" ;
Considérant, en premier lieu, que l'obligation faite par les dispositions précitées à l'autorité qui poursuit la déclaration d'utilité publique d'inclure dans le dossier soumis à enquête publique une appréciation sommaire des dépenses a pour objet permettre à tous les intéressés de s'assurer que les travaux ou ouvrages, compte tenu de leur coût total réel, tel qu'il peut être raisonnablement apprécié à l'époque de l'enquête, ont un caractère d'utilité publique ; qu'alors que les requérants se bornent à soutenir que l'appréciation sommaire des dépenses n'aurait pas été suffisamment détaillée, celle-ci, qui précise le coût total du projet et les coûts respectifs des études, des acquisitions foncières et des travaux, satisfait aux dispositions précitées ;
Considérant, en second lieu, que l'étude d'impact décrit l'état initial du site, notamment du point de vue de l'état de la flore et de la faune ; qu'elle présente l'état du tissu urbain et mentionne le nombre important des équipements publics situés à proximité de la voie ; qu'elle analyse les nuisances supportées par les riverains et détaille les méthodes de mesure de ces nuisances ; qu'elle analyse les effets du projet sur la qualité des eaux, les nuisances sonores et atmosphériques et la sécurité routière ; que les mesures envisagées afin de réduire les conséquences dommageables du projet sur ces différents points sont également énumérées et leur coût évalué ; qu'ainsi, les dispositions de l'article 2 du décret du 12 octobre 1977 n'ont pas été méconnues ;
Considérant, en troisième lieu, que l'évaluation socio-économique figurant au dossier d'enquête indique notamment le taux de rentabilité économique de l'ouvrage calculé en fonction de ses coûts de construction, de la variation des coûts d'exploitation pour la collectivité, et des avantages attendus en terme de gain de temps, d'amélioration des coûts d'utilisation des véhicules, d'amélioration de la sécurité et de réduction des nuisances, calculés selon les méthodes habituellement pratiquées ; qu'ainsi l'évaluation contient les éléments essentiels imposés par les dispositions du décret du 17 juillet 1984 ; qu'il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de l'insuffisance du dossier soumis à enquête publique doit être écarté ;
Sur la compatibilité du projet avec le schéma directeur de la région Ile-de-France :
Considérant que les travaux déclarés d'utilité publique visent à la construction de deux voies de circulation supplémentaires et à l'aménagement des échangeurs sur la RN 104 entre l'autoroute A4 (échangeur de Val Maubuée) et la RN 4 (échangeur de Pontault-Combault) ; que si le schéma directeur de la région Ile-de-France prévoit la construction d'une voie nouvelle afin d'assurer le transit direct des véhicules entre l'autoroute A 104 (échangeur de Collégien) et la RN 104 (échangeur de Pontault-Combault), et si les travaux envisagés ne sont pas prévus par ce schéma directeur, celui-ci autorise cependant des améliorations ou des aménagements à caractère local sur des voies existantes ; que si ce schéma dispose que les tracés des grands ouvrages devront, dans la mesure du possible, éviter les espaces boisés, le projet prévoit des mesures de protection des eaux et l'acquisition de massifs forestiers afin de compenser les emprises nécessaires sur des espaces naturels classés ; qu'ainsi ces travaux ne remettent en cause ni les options fondamentales ; du schéma directeur de la région Ile-de-France, ni la destination générale des sols, ni la protection des sites ; que, dès lors, le décret attaqué n'est pas intervenu en méconnaissance de la règle de compatibilité résultant des dispositions combinées des articles L. 111-1-1 et L. 141-1 du code de l'urbanisme ;
Sur l'utilité publique du projet :
Considérant qu'une opération ne peut être légalement déclarée d'utilité publique que si les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, éventuellement, les inconvénients d'ordre social ou l'atteinte à d'autres intérêts publics qu'elle comporte ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente ;
Considérant que le projet déclaré d'utilité publique a pour objet l'amélioration des conditions de circulation, de sécurité, et de desserte des zones d'habitation et d'activité avoisinantes ; que ce projet revêt un caractère d'intérêt général ; que le coût du projet, qui s'élève à 880 millions de francs, soit 117 millions de francs par km, comprend le coût des mesures destinées à répondre aux contraintes d'aménagement liées à la traversée d'une zone urbanisée et d'espaces naturels classés, ainsi que des mesures destinées à compenser les nuisances créées par le projet ; que ce coût ne peut être regardé comme excédant par lui-même l'intérêt de l'opération, en regard d'un trafic journalier de 90 000 véhicules supporté par la voie ; qu'eu égard à l'importance des mesures compensatoires prévues, qui doivent permettre notamment de diminuer les nuisances sonores et les risques liés à la circulation en deçà de leur niveau actuel, les atteintes alléguées à la propriété et au cadre de vie des riverains, à l'environnement et à la santé publique, ne peuvent être regardées comme excessives par rapport à l'intérêt que présente l'opération ; qu'ainsi le moyen tiré du défaut d'utilité publique de l'opération doit être rejeté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à demander l'annulation du décret attaqué ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer aux requérants la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la COMMUNE D'EMERAINVILLE, de l'ASSOCIATION AMELIORATION DU CADRE DE VIE A EMERAINVILLE, de M. BONNAZZI et de M. MANHIABAL est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à la COMMUNE D'EMERAINVILLE, à l'ASSOCIATION AMELIORATION DU CADRE DE VIE A EMERAINVILLE, à M. José BONNAZZI, à M. Roger MANHIABAL et au ministre de l'équipement, des transports et du logement.