Jurisprudence : CA Poitiers, 25-01-2023, n° 21/00622, Infirmation partielle


MHD/PR


ARRET N° 39


N° RG 21/00622


N° Portalis DBV5-V-B7F-GGO4


[L]


C/


A. BCC MAREE


RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS


COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre sociale


ARRÊT DU 25 JANVIER 2023


Décision déférée à la Cour : Jugement du 03 février 2021 rendu par le Conseil de Prud'hommes des SABLES D'OLONNE



APPELANT :


Monsieur [X] [L]

né le … … … à [Localité 4]

[Adresse 1]

[Adresse 1]


Ayant pour avocat Me Sylvie ROIRAND de la SELARL BARREAU- ROIRAND, avocat au barreau de LA ROCHE-SUR-YON


INTIMÉE :


S.A.R.L. BCC MAREE

N° SIRET : 824 334 643

[Adresse 2]

[Adresse 2]


Ayant pour avocat Me Julien SEVE de la SELARL ACTES ET CONSEILS AVOCATS, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT



COMPOSITION DE LA COUR :


En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile🏛, l'affaire a été débattue le 09 novembre 2022, en audience publique, devant :


Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente qui a présenté son rapport

Madame Valérie COLLET, Conseiller


Ces magistrats ont rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :


Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Valérie COLLET, Conseiller

Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles


GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE


ARRÊT :


- CONTRADICTOIRE


- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile🏛,


- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



EXPOSÉ DU LITIGE :


Par contrat à durée indéterminée en date du 1er novembre 2018, Monsieur [X] [L] a été engagé par la Société " RG Olonne" - dont le gérant est Monsieur [W] [Aa] - en qualité de responsable du rayon poissonnerie pour travailler dans l'établissement 'Couleur Marché' situé au [Localité 3], faisant partie du réseau de magasins multifrais 'L'heure du marché'.


Le 1er décembre 2018, aux termes d'une convention tripartite de mutation concertée entre Monsieur [L], la Société RG Olonne et la Société Muca devenue par la suite la SARL BCC Marée, le contrat de travail du salarié a été transféré à cette dernière structure dans le cadre d'une restructuration intra-groupe avec reprise d'ancienneté acquise au sein de la RG Olonne et période d'essai de trois mois.


Par courrier recommandé avec accusé de réception du 26 février 2019, l'employeur a informé le salarié qu'il mettait un terme au contrat de travail les liant au motif que la période d'essai n'avait pas été concluante.


Par requête en date du 28 mai 2019, Monsieur [Ab] a saisi le conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne aux fins de voir condamner son employeur à lui verser un rappel de salaires et une indemnité pour travail dissimulé, déclarer son licenciement nul pour non respect des dispositions de l'article L 1152-3 du code du travail🏛 et obtenir les indemnités subséquentes, à titre subsidiaire de voir déclarer son licenciement sans cause réelle et sérieuse et obtenir les indemnités subséquentes et à titre infiniment subsidiaire de voir déclarer abusive la rupture de sa période d'essai.



Par jugement en date du 3 février 2021, le conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne a :


- condamné la Société BBC Marée à payer à Monsieur [Ac] [L] les sommes de :

° 3 000 € nets au titre de dommages et intérêts pour l'évocation ambigüe d'un motif économique comme motif de rupture de la période d'essai,

° 1 000 € nets au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- débouté Monsieur [X] [L] de toutes ses autres demandes, fins et prétentions,

- débouté la société BBC Marée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- débouté les parties de toutes leurs autres demandes,

- dit que les éventuels dépens seront à la charge de la société BBC Marée.


Par déclaration du 25 février 2021, Monsieur [Ab] a interjeté appel de cette décision.


***


L'ordonnance de clôture a été prononcée le 12 octobre 2022.



PRÉTENTIONS DES PARTIES


Par conclusions en date du 16 août 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, Monsieur [Ab] demande à la cour de :


- dire son appel recevable et bien fondé.

- infirmer le jugement attaqué sauf en ce qu'il a alloué une somme de 1 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- statuant à nouveau :

- condamner la société BCC Marée à lui verser les sommes suivantes :

° en toute hypothèse

* rappel de salaires : 777,78 €b

* congés payés afférents : 77,77 €b

* dommages et intérêts pour travail dissimulé : 17 500,00 €n

* dommages intérêts pour non délivrance de documents de fin de contrat conformes : 5 000,00 €n

° à titre principal

* indemnité compensatrice de préavis : 8 749,98 €b

* congés payés afférents : 874,99 €b

* dommages et intérêts pour licenciement nul : 17 500,00 €n

° à titre subsidiaire

* indemnité compensatrice de préavis : 8 749,98 €b

* congés payés afférents : 874,99 €b

* dommages et intérêts pour licenciement abusif : 2 916,66 €n

° à titre infiniment subsidiaire

* dommages et intérêts pour rupture d'essai nulle, subsidiairement abusive : 12 000,00 €n

- condamner en outre la société BCC Marée à lui verser une somme de 2 500 € au titre de l'article 700 du CPC🏛, en sus de la somme de 1 000 € déjà allouée à ce titre en première instance.

- dire que les créances allouées produiront intérêt au taux légal à compter du dépôt de la demande, et dire qu'il sera fait application de l'article 1154 du code civil🏛 prévoyant la capitalisation des intérêts.

- condamner la société BCC Marée aux entiers dépens.


Par conclusions en date du 3 août 2021 auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions, la SARL BCC Marée demande à la cour de :


- la déclarer recevable et bien fondée en ses écritures ;

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a :

° débouté Monsieur [X] [L] de ses demandes formulées au titre des rappels de salaire et des dommages et intérêts pour travail dissimulé

° débouté le salarié de ses demandes indemnitaires relatives à la non-délivrance de documents de fin de contrat conformes

° débouté le salarié de ses demandes indemnitaires au titre d'un licenciement

- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il :

° l' a condamnée à payer au salarié les sommes de :

¿ 3.000 € nets à titre de dommage et intérêts pour l'évocation ambiguë d'un motif économique comme motif de rupture de la période d'essai,

¿ 1.000 € nets au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛

° l'a déboutée de sa demande reconventionnelle au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

° l'a condamnée aux éventuels dépens.

- statuant à nouveau,

- débouter le salarié de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;

- condamner le salarié au paiement de la somme de 3.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- condamner le salarié aux éventuels dépens.



SUR QUOI,


I - SUR L'EXECUTION DU CONTRAT DE TRAVAIL :


A - Sur le travail dissimulé :


1 - Sur l'existence d'un contrat de travail prenant effet à compter du 22 octobre 2018 :


L'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l'activité litigieuse, la relation de travail étant caractérisée par l'exécution d'une prestation, par le versement d'une rémunération en contre partie et par l'existence d'un lien de subordination.


Celui-ci est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné.


S'il appartient à celui qui se prévaut d'un contrat de travail d'en établir l'existence, à l'inverse, en présence d'un contrat de travail apparent, il incombe à celui qui invoque son caractère fictif d'en apporter la preuve.


***


En l'espèce, Monsieur [Ab] soutient :

- que dès le 22 octobre 2018, il a travaillé à la mise en place du rayon poissonnerie sous la subordination de Monsieur [Aa] qu'il a, en permanence, tenu informé de l'état de ses démarches, soit par téléphone soit par mail,

- que cependant, il n'a été officiellement déclaré qu'à compter du 1er novembre 2018 et n'a pas été rémunéré pour le travail effectué pendant une semaine et demi correspondant à 8 jours de travail.


Afin d'étayer ses affirmations, il verse aux débats :

- tous les échanges de courriels intervenus entre la direction et lui, (pièces 10 et 10.17),

- les échanges de courriels intervenus entre l'employeur, les candidats et lui-même (pièce 10.2)

- la photocopie des feuilles de son agenda correspondant à la période litigieuse.


En réponse, l'employeur fait valoir en substance que la date de conclusion du contrat de travail ne peut pas être fixée à une date antérieure au 1er novembre 2018 dans la mesure où le salarié ne peut pas se constituer à lui-même des preuves, où les courriels échangés entre le gérant et le salarié sont purement informatifs et où c'est le salarié qui de lui-même s'est impliqué dans les préparatifs de l'ouverture de la poissonnerie.

***


Cela étant, il convient de rappeler :


- que durant la période litigieuse, les courriels échangés par les parties sont - pour l'essentiel - les suivants :

° le 25 octobre 2018 :

- un message de Monsieur [Aa] à Monsieur [K] à 15 h 26 mn 35 s pour lui transmettre un courriel reçu deux heures auparavant d'un fournisseur potentiel venant présenter son entreprise à la poissonnerie,

- un message de Monsieur [K] adressé à Monsieur [Aa] à 14 h 24 mn indiquant "je reviens vers toi concernant certains éléments que nous avons communément évoqués ce jour. Concernant le magasin et l'emplacement poissonnerie... Concernant la jeune poissonnière... sur le sujet des achats en criée... procédure d'achat... je reviendrai vers toi prochainement pour la partie expression des besoins en matériel, autres consommables...".

° le 26 octobre 2018 :

- un message de Monsieur [K] adressé à Monsieur [Aa] à 2 h 49 mn 41 s pour lui transmettre la liste du matériel et des fournitures nécessaires pour la poissonnerie,

- un message de Monsieur [Aa] adressé à Monsieur [Ad] à 7 h 32 mn 22 s pour lui demander si les homards, langoustes et crabes pouvaient vivre dans le même vivier ou s'il fallait prévoir qu'ils soient séparés,

- un message de Monsieur [Aa] adressé à un tiers avec copie à Monsieur [Ad] à 10 h 41 mn 39 s pour demander l'ouverture d'un compte à la criée aux Sables d'Olonne,

- un message de Monsieur [Aa] adressé à Monsieur [K] à 12 h 15 mn pour lui transférer le courriel confirmatif d'une commande passé auprès d'un fournisseur,

- divers messages échangés entre Monsieur [K] et Monsieur [Aa] au sujet de cette commande,

- un message de Monsieur [K] adressé à un tiers avec Monsieur [Aa] en copie à 12 h 34 mn pour indiquer : "Bonjour, je reviens vers vous concernant la commande ci-dessous et je souhaite m'assurer que cette commande sera bien livrée au [Localité 3] à l'adresse mentionnée,"

- un message de Monsieur [Aa] adressé à Monsieur [K] à 12 h 36 mn 37 s pour lui dire : "OK désolé j'ai validé trop vite, tiens moi informé de la suite de cette demande. Merci. [W]"

- un message de Monsieur [Aa] adressé à Monsieur [Ad] à 13 h  6 mn 22 s pour lui transmettre les curriculum vitae des candidats en poissonnerie,

- le 28 octobre 2018 :

- un message de Monsieur [K] adressé à la DRH de la société et en copie à Monsieur [Aa] à 19 h14 mn 56 s: pour lui transmettre le CV d'un candidat au poste de poissonnier,

- un message de la DRH de l'entreprise adressé à Monsieur [Ad] et en copie à Monsieur [Aa] à 19 h 24 mn : pour lui confirmer qu'elle avait déjà en sa possession cette candidature,

- un message de Monsieur [K] adressé à la DRH de la société à 20 h 19 mn en réponse à son courriel de bienvenu et dire qu'il était ravi et enthousiaste d'avoir rejoint l'entreprise,

- le 29 octobre 2018 :

- un message de la DRH à Monsieur [K] à 7 h 57 mn 40 s pour lui demander de lui transmettre diverses pièces afin de lui permettre d'établir son contrat de travail,

- un message de la DRH à Monsieur [K] et à Monsieur [Aa] à 10 h 52 mn 52 s pour confirmer la présence d'une candidate à l'entretien d'embauche devant se dérouler le lendemain,

- un message de Monsieur [Ad] à Monsieur [Aa] à 13 h 22 mn pour lui demander des informations sur les moyens de communication dont il pourra disposer, à savoir mails, fax, tel, portable, ordi... etc...

-un message d'un fournisseur adressé à Monsieur [K] à 15 h 26 mn 05 s pour lui transmettre un devis,

- un message de Monsieur [Ad] à Monsieur [Aa] à 16 h 13 mn pour lui indiquer qu'il avait édité les documents qu'il lui avait demandé de signer et qu'il avait pu voir avec les ouvriers les possibilités de connexion d'un four professionnel,

- un message de Monsieur [Aa] à Monsieur [Ad] à 16 h 51mn 40 s pour lui dire qu'ils feront le point le lendemain,

- un message de Monsieur [Ad] à Monsieur [Aa] à 17 h 16 mn 42 s pour lui faire part de ses propositions pour l'équipement du four,

- un message de Monsieur [Ad] à Monsieur [Aa] à 17 h 32 mn 29 s pour suggérer la création d'une adresse email,

- le 31 octobre 2018 :

- un message de Monsieur [Ad] à Monsieur [Aa] à 12 h 41 mn pour lui commenter un entretien d'embauche qui s'était déroulé la veille de la façon suivante : "je reviens vers toi concernant l'entretien d'hier du candidat préparant le concours du meilleur ouvrier de France en poissonnerie..." et poursuivre par l'exposé détaillé d'une partie des propos du candidat.


Il en résulte :


- que Monsieur [Ab] ne rapporte aucun élément permettant d'établir que le contrat de travail a couru du 22 au 24 octobre 2018 dans la mesure où les annotations qu'il a portées sur son agenda au titre des 22, 23 et 24 octobre se bornent à reprendre des numéros de téléphone ou à mentionner qu'il a rencontré le 24 octobre les associés et sont, de ce fait, totalement insuffisantes, à défaut de tout autre élément, pour établir, à elles seules, que tout au long de ces trois jours, il aurait travaillé et aurait reçu des instructions de la part du gérant de la société avec lequel il se trouvait dans un lien de subordination,


- qu'en revanche, il établit par la production de l'ensemble des courriels qu'il a échangés avec son employeur que son contrat de travail a pris effet dès le 25 octobre 2018.


En effet, leur lecture démontre qu'à compter de cette date, il ne s'est pas borné à recevoir des messages d'information ou des retransmissions de courriels envoyés par des tiers à son employeur mais a répondu aux demandes de ce dernier en participant à la passation d'entretiens d'embauche conjointement avec lui comme en atteste le courriel qu'il lui a envoyé le 31 octobre 2018 à 12 heures 41 (pièce 37 du dossier du salarié), en étant en lien régulier avec lui, en exécutant ses ordres et en lui soumettant des propositions d'organisation du service et du rayon de poissonnerie.


Ainsi, contrairement à ce que prétend la société, le salarié n'a pas fait preuve "d'un zèle inapproprié" mais a seulement répondu aux questions que son employeur lui posait et a exécuté les directives qu'il lui donnait tout en lui rendant compte au fur et à mesure de l'exécution de ses diligences.


En conséquence, il convient d'infirmer le jugement attaqué de ce chef et de dire que le contrat de travail a pris effet le 25 octobre 2018.


***


L'employeur doit être condamné à verser au salarié la somme de 680, 55 € bruts à titre de rappels de salaires sur la période du 25 au 31 octobre 2018 outre celle de 68,05€ bruts à titre de rappels d'indemnités de congés payés afférentes.


Le jugement attaqué doit donc être infirmé de ce chef.


2 - Sur le travail dissimulé :


En application des articles :


- L. 8221-1 alinéa 3 du code du travail, sont interdits :

° 1° Le travail totalement ou partiellement dissimulé, défini et exercé dans les conditions prévues aux articles L. 8221-3 et L. 8221-5"


- L. 8221-5 alinéa 2 du même code, pris dans sa rédaction applicable au présent litige :

'Est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour tout employeur :...

1° Soit de se soustraire intentionnellement à l'accomplissement de la formalité prévue à l'article L. 1221-10, relatif à la déclaration préalable à l'embauche ;'


- L. 8223-1 du même code🏛
: 'En cas de rupture de la relation de travail, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L. 8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L. 8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.'


Il en résulte que la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle.


***


En l'espèce, Monsieur [Ab] soutient que l'employeur ne pouvait ignorer qu'il avait commencé à travailler sans être déclaré, puisqu'il a échangé avec lui régulièrement, validé tous ses choix, validé ses commandes, et réglé les factures.


L'employeur s'en défend.


***


Cela étant, la déclaration d'embauche a été effectuée par l'employeur le 31 octobre 2018 pour une embauche devant débuter le 1er novembre 2018 à 5 heures.


Or, il vient d'être établi qu'en réalité, Monsieur [Ab] a commencé à travailler à compter du 25 octobre 2018.


Ceci ne pouvait être ignoré par l'employeur qui, durant la période du 25 au 31 octobre 2018, lui donnait des directives, le sollicitait et procédait à des entretiens d'embauche conjointement avec lui.


Le caractère intentionnel de la dissimulation d'emploi sur cette période est donc établi.


Il en résulte en conséquence que l'employeur doit être condamné à verser au salarié la somme de 17 500 € à titre de dommages intérêts pour travail dissimulé correspondant à 6 mois de salaire en application de l'article 8223-1 du code du travail🏛.


B - Sur la violation du principe d'immunité :


En application des articles :


- L. 1152-2 du code du travail pris dans sa version applicable au litige :

'Aucun salarié, aucune personne en formation ou en stage ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.'


- L. 1152-3 dudit code :

'Toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2, toute disposition ou tout acte contraire est nul.'


Il est acquis que la protection instituée par l'article L. 1152-2 du code du travail🏛 ne joue que si le salarié dénonce des faits qualifiés par lui de harcèlement moral (cass ; soc.13 septembre 2017, n°15-23.045⚖️).


***


En l'espèce, Monsieur [Ab] soutient :


- que c'est Monsieur [Aa] qui a choisi seul Monsieur [Ae] alors qu'ils avaient mené en commun les entretiens de recrutement des deux autres vendeurs,

- que celui-ci lui a été imposé pour une raison inconnue alors qu'il présentait un curriculum vitae peu rempli et que son parcours professionnel était en dents de scie,

- que dès la mi-décembre, son comportement a commencé à poser de nombreuses difficultés qu'en sa qualité de responsable poissonnerie il a été tenu de signaler par mail du 27 janvier 2019 à Monsieur [Aa] avec copie à la DRH, en lui faisant un récit circonstancié des incidents survenus et en évoquant, à deux reprises, le harcèlement dont Madame [Af] était victime de la part de Monsieur [Ae],

- que le 31 janvier 2019, Monsieur [Aa] est venu sur site faire son enquête sans pour autant échanger avec lui sur les faits relatés, ni même lui signaler son passage,

- que c'est dans ces conditions que le 26 février 2019, qu'à son retour de vacances, son employeur lui a annoncé son intention de rompre la période d'essai pour des motifs économiques.


Il en conclut que l'exposé du déroulement des faits montre que la rupture est, au moins pour partie, une réponse à la dénonciation des agissements de Monsieur [Ae] et que la dénonciation du harcèlement moral, motif essentiel à l'origine de son éviction, entraîne la nullité de la rupture du contrat de travail.


En réponse, l'employeur fait valoir :


- que le lien familial unissant l'appelant à Madame [Af] qui est sa compagne permet, de toute évidence, de douter du caractère objectif des faits de harcèlement moral dénoncés par celui-ci et de l'attestation de cette dernière versée au débat,

- qu'en tout état de cause, malgré ce lien de parentalité, il a pris très au sérieux les faits dénoncés et a réagi immédiatement, en s'entretenant - hors de la présence de Monsieur [Ab] - dès le 31 janvier 2019 avec les salariés sur le comportement de Monsieur [Ae] et plus généralement sur le fonctionnement général du rayon poissonnerie,

- que le retour fait par les salariés interrogés a été sans appel pour Monsieur [L] remettant en cause directement son aptitude à diriger le rayon poissonnerie tant sur le plan managérial qu'économique,

- que fort de ces informations, Monsieur [Aa], en bon gestionnaire, a préféré prendre le temps de la réflexion sur le futur qui le liait à l'appelant, lequel était encore à l'époque en cours d'essai sur ses fonctions de responsable.


Il précise que Monsieur [Ae] a fait l'objet d'un licenciement pour motif personnel le 7 septembre 2020 et que la démission de Madame [Af] s'explique par le départ de son poste de travail de son compagnon.


***


Cela étant, à titre liminaire, il doit être précisé que la connaissance de la nature des relations existant entre Monsieur [Ab] et Madame [Af] ne présente aucun intérêt pour la cour.


Par ailleurs, même si dans le courriel qu'il a adressé le 27 janvier 2019 à la DRH de la société avec copie à Monsieur [Aa], l'appelant décrit le comportement de Monsieur [Ae] de la façon suivante : 'durant cette période (NDLR : à la mi-décembre) le plus gênant est que [I] attribuait à [S] des tâches totalement inutiles telles que laver quotidiennement les bacs et... les boîtes poly, lui faisant faire le ménage derrière lui, tous les jours le frigo...' et considère que ce comportement constitue 'une forme de harcèlement', il n'en demeure pas moins qu'au-delà du raisonnement qu'il construit, il ne verse aucun élément pouvant laisser supposer le lien existant entre la rupture de son contrat de travail et la dénonciation qu'il a faite du comportement adopté par Monsieur [Ae] à l'égard de Madame [Af].


En conséquence, il convient de le débouter de l'intégralité de ses demandes formées de ce chef.


II - SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL :


A - Sur la nature juridique de la rupture :


Il est acquis que le salarié qui signe un nouveau contrat avec le même employeur pour occuper le même poste ne doit pas effectuer une nouvelle période d'essai.


Si dans le cadre du contrat de travail initial, il se trouvait en période d'essai, c'est la période d'essai initiale qui se poursuit jusqu'à son terme.


***


En l'espèce, Monsieur [Ab] soutient :


- que la période d'essai initiale était de 4 mois,

- que la convention de transfert, valant nouveau contrat de travail, a prévu une seconde période d'essai de trois mois,

- que si cette stipulation restait possible à l'occasion du transfert, dans la continuité de l'essai en cours, il fallait tenir compte de la période déjà effectuée, en raison de la continuité des essais,

- que de ce fait, avec la reprise d'ancienneté, la période de 3 mois se décomptait soit à compter du 22 octobre 2018 puisqu'il avait effectivement commencé à travailler à cette date, dans le cadre d'un travail dissimulé, avec un essai expirant au 21 janvier 2019, soit au pire, à compter du 1er novembre en reprenant la date officielle du début de contrat, avec un essai expirant au 31 janvier 2019,

- que dans tous les cas, l'essai avait largement pris fin quand la rupture lui a été notifiée le 26 février 2019.


En réponse, l'employeur soutient qu'en réalité la période d'essai était de 4 mois et que la rupture est intervenue dans le délai des 4 mois dans la mesure où le contrat de travail a commencé à courir le 1 er novembre 2018.


***


Cela étant, en application du principe rappelé ci-dessus, il convient de considérer que seule la durée de la période d'essai stipulée au contrat de travail initial doit être prise en compte.


Il en résulte que comme le contrat de travail a pris effet au 25 octobre 2018, la période d'essai de quatre mois initialement prévue a expiré le 24 février 2019 à minuit, selon le calcul calendaire applicable en la matière.


Ainsi, lorsque la rupture du contrat de travail est intervenue le 26 février 2019, la période d'essai était terminée.


B - Sur les conséquences de la rupture du contrat de travail :


1 - Sur le licenciement sans cause réelle et sérieuse :


En l'espèce, compte tenu de l'expiration de la période d'essai, si l'employeur voulait rompre le contrat de travail le liant à Monsieur [Ab], il se devait d'engager une procédure de licenciement avec la notification d'un licenciement pour motif personnel ou pour motif économique par lettre recommandée avec accusé de réception.


Or, il n'a engagé aucune procédure de licenciement et n'a notifié aucun licenciement au salarié se bornant à lui adresser une lettre recommandée de rupture de période d'essai ne comportant aucun motif.


En conséquence, il en résulte que le salarié a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse lui ouvrant droit à indemnisation.


2 - Sur les indemnités :


En application de l'article 3.2.2 de la convention collective de commerce de détail des fruits et légumes et de l'épicerie, l'employeur doit être condamné à verser à Monsieur [Ab] les sommes de :

- 8 749,98 €b à titre d'indemnité de préavis,

- 874,99 €b à titre d'indemnités de congés payés sur préavis.


***


En application de l'article L1235-3 du code du travail🏛, l'employeur doit être condamné à verser au salarié la somme de 2916, 66 € à titre de dommages intérêts pour licenciement abusif.


Le jugement attaqué doit donc être infirmé de ces chefs.


3 - Sur les documents de fin de contrat :


Monsieur [L] sollicite une somme de 5 000 €n à titre de dommages et intérêts pour la non délivrance de documents de fin de contrat conformes en exposant :


- qu'il n'arrive pas à obtenir de son employeur des documents de fin de contrat, notamment une attestation Pôle Emploi, correctement remplis,

- qu'il a subi de ce fait, une notification de rejet d'allocations chômage et que la situation n'est toujours pas réglée à ce jour,

- qu'il a été suspecté de fraudes, compte tenu des nombreuses erreurs affectant les attestations de Pôle Emploi,

- qu'il n'a pu prétendre qu'à des allocations de solidarité spécifiques en raison de l'incompétence de l'employeur.


En réponse, la société reconnait que la remise des documents de fin de contrat rectifiés au salarié a souffert d'un retard substantiel en raison des erreurs commises par son service prestataire extérieur de paie.


Elle fait valoir ;


- qu'en réalité, la notification de rejet d'allocations chômage ne lui incombe pas mais résulte de l'inertie du salarié qui n'a pas fait les démarches nécessaires ou qu'il devait être en fin de droit,

- qu'en tout état de cause, le salarié n'apporte aucun élément de nature à prouver l'imputabilité de sa situation à son ancien employeur et l'existence d'un quelconque préjudice issu du retard dans la transmission des documents de fins de contrat.


***


Cela étant, il convient de relever :


- que d'une part, la SARL ne conteste pas qu'elle a tardé dans un premier temps à transmettre en temps utile à Monsieur [L] des bulletins de salaire et une attestation de pôle emploi conformes en raison des erreurs commises par son prestataire extérieur dans l'établissement de ses documents,


- que d'autre part, elle se borne - pour établir que la seconde attestation qu'elle avait transmise à Pôle Emploi était correcte - à verser :

° un courriel qu'elle a adressé le 12 septembre 2019 au conseil de Monsieur [L] par lequel elle l'a informé que la seconde attestation était correcte et que le défaut de perception par le salarié d'indemnité résultait de l'absence de démarches faites parMonsieur [L] qui devait être de surcroît en fin de droits,

° un récapitulatif du dossier de Monsieur [L] rédigé par la DRH de la société,


- que ces dernières pièces ne sont confortées par aucun élément extérieur, notamment une correspondance officielle de pôle emploi.


- qu'enfin, si le salarié produit des justificatifs de ses démarches réalisées auprès de Pôle Emploi en mars 2019, il ne produit aucune pièce nouvelle récente sérieuse.


En conséquence, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, le préjudice causé par l'employeur à la suite des erreurs commises par son prestataire de service doit être estimé à la somme de 300 €.


L'employeur doit être condamné à verser au salarié ce montant.


IV - SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES :


Les sommes allouées à Monsieur [L] produiront intérêts au taux légal avec capitalisation comme il sera dit au dispositif.


***


Les dépens doivent être supportés par la SARL BCC Marée qui succombe dans ses prétentions.


***


Il n'est pas inéquitable de :

- condamner l'employeur à verser au salarié une somme de 1 500 € au titre des frais irrépétibles exposés en cause d'appel qui viennent s'ajouter à l'indemnité sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛 prononcée par le premier juge,

- débouter l'employeur de sa propre demande de remboursement de frais irrépétibles.



PAR CES MOTIFS


La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,


Confirme le jugement prononcé le 3 février 2021 par le conseil de prud'hommes des Sables d'Olonne en ce qu'il a :

- condamné la Société BBC Marée à payer à Monsieur [Ac] [L] la somme de 1 000 € nets au titre de l'application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

- débouté la société BBC Marée de sa demande reconventionnelle au titre de l'articte 700 du code de procédure civile🏛,

- dit que les éventuels dépens seront à la charge de la société BBC Marée,


Infirme pour le surplus,


Statuant à nouveau,


Déclare que le contrat de travail a pris effet le 25 octobre 2018,


Déclare que Monsieur [Ab] a fait l'objet d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse,


Condamne la SARL BBC Marée à payer à Monsieur [Ac] [L] les sommes de :

° 680, 55 €b à titre de rappel de salaires pour la période du 25 au 31 octobre 2018,

° 68, 05 €b au titre des congés payés afférents,

° 17 500,00 €n au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,

° 300,00 €n à titre de dommages intérêts pour non délivrance de documents de fin de contrat conformes,

° 8 749,98 €b au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

° 874,99 €b au titre des congés payés afférents,

° 2 916,66 €n à titre de dommages et intérêts pour licenciement abusif,


Dit que les sommes allouées à Monsieur [L] produiront intérêts au taux légal avec capitalisation dans les conditions prévues par l'article 1342-2 du code civil🏛 :


- s'agissant des créances indemnitaires, exonérées de cotisations sociales dans les conditions légales et réglementaires applicables, à compter de la présente décision,


- s'agissant des créances salariales, à compter de la date de réception par la SARL BCC Marée de la convocation devant le bureau de conciliation,


Condamne la SARL BCC Marée à payer à Monsieur [Ab] la somme de 1 500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


Déboute la SARL BCC Marée de sa demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


Condamne la SARL BCC Marée aux dépens.


LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,

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