Jurisprudence : CE 9/10 ch.-r., 27-01-2023, n° 436098, mentionné aux tables du recueil Lebon

CE 9/10 ch.-r., 27-01-2023, n° 436098, mentionné aux tables du recueil Lebon

A31739AR

Identifiant européen : ECLI:FR:CECHR:2023:436098.20230127

Identifiant Legifrance : CETATEXT000047069067

Référence

CE 9/10 ch.-r., 27-01-2023, n° 436098, mentionné aux tables du recueil Lebon. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/92728443-ce-910-chr-27012023-n-436098-mentionne-aux-tables-du-recueil-lebon
Copier

Abstract

01-01-03 Requérant ayant demandé au Premier ministre la suspension des autorisations préalables d’exportation de matériels de guerre à destination d’un Etat étranger. ...Le refus implicite opposé à cette demande de portée générale n’est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France, sans que puissent être utilement invoqués à cet égard les articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, l'article 2 de la charte des Nations-Unies et l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ainsi que les articles 1 et 2 de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et de l’article L. 2335-4 du code de la défense. ...La juridiction administrative n’est donc pas compétente pour connaître de la demande tendant à l’annulation pour excès de pouvoir de ce refus.



CONSEIL D'ETAT

Statuant au contentieux

N° 436098

Séance du 16 décembre 2022

Lecture du 27 janvier 2023

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

(Section du contentieux, 9ème et 10ème chambres réunies)


Vu les procédures suivantes :

Procédures contentieuses antérieures :

L'association Action sécurité éthique républicaines (ASER) a demandé au tribunal administratif de Paris, avant dire droit, d'enjoindre au Premier ministre de déclassifier et de verser à l'instance, après avis de la commission du secret de la défense nationale, d'une part, l'ensemble des licences délivrées aux pays membres de la coalition internationale impliquée dans la guerre au Yémen à compter du 26 mars 2015 et antérieurement, mais dont l'exécution serait postérieure, d'autre part, l'ensemble des délibérations et avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériel de guerre afférents à ces licences et, enfin, toutes les informations susceptibles d'éclairer la juridiction et les parties sur la conformité aux engagements internationaux de la France des licences délivrées. Elle a également demandé au tribunal d'annuler la décision implicite de refus née du silence gardé pendant deux mois par le Premier ministre sur sa demande du 1er mars 2018 tendant à la suspension des licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen. Par un jugement n° 1807203 du 8 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris⚖️ a admis l'intervention à l'instance de l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) et rejeté la demande de l'association ASER.

Par une ordonnance n° 19PA02929 du 26 septembre 2019, le premier vice-président, président de la troisième chambre de la cour administrative d'appel de Paris, a rejeté l'appel formé par l'association ASER contre ce jugement, ainsi que les interventions présentées au soutien de la requête par les associations Action contre la faim, Médecins du monde, Salam for Yemen et Sherpa.

Par une ordonnance n° 19PA02930 du 26 septembre 2019, le premier vice-président, président de la troisième chambre de la cour administrative d'appel de Paris, a rejeté l'appel formé par l'association ACAT contre ce même jugement.

Procédures devant le Conseil d'Etat :

I. Sous le n° 436098, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et deux nouveaux mémoires, enregistrés les 20 novembre 2019, 21 février 2020, 15 et 19 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, l'association ACAT demande au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 19PA02930 du 26 septembre 2019 ;

2°) réglant l'affaire au fond, de faire droit à son appel ;

3°) avant dire droit, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne les questions préjudicielles suivantes :

- La qualification d'acte de gouvernement des licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés est-elle compatible avec le droit au recours effectif garanti par l'article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne '

- Le juge interne est-il contraint d'exercer un contrôle de conformité de la politique nationale par rapport à la position commune 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 définissant des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et d'équipements militaires '

4°) avant dire droit, de surseoir à statuer et enjoindre au Premier ministre de déclassifier et communiquer au contradictoire, après avis de la Commission du secret de la défense nationale :

- l'ensemble des licences délivrées aux pays membre de la coalition impliquée dans la guerre au Yémen à compter du 26 mars 2015 et antérieurement mais dont l'exécution serait postérieure ;

- l'ensemble des délibérations et avis de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG) afférents aux licences susvisées ;

- plus généralement, toutes informations susceptibles de mettre le Conseil d'Etat et les parties en mesure d'apprécier la conformité des autorisations délivrées par rapport aux engagements internationaux de la France ainsi que la légalité des procédures suivies et le respect des conditions qui assortissent éventuellement le maintien des licences ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

II. Sous le n° 436099, par un pourvoi sommaire, un mémoire complémentaire et trois nouveaux mémoires, enregistrés les 20 novembre 2019, 21 février 2020, 8 janvier, 15 et 19 juillet 2021 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, les associations ASER, Action contre la faim, Salam For Yemen, Médecins du monde et Sherpa demandent au Conseil d'Etat :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 19PA02929 du 26 septembre 2019 ;

2°) réglant l'affaire au fond, d'admettre les interventions des associations Action contre la faim, Salam For Yemen, Médecins du monde et Sherpa, et de faire droit à l'appel de l'association ASER ;

4°) avant dire droit, de renvoyer à la Cour de justice de l'Union européenne les mêmes questions préjudicielles que dans le pourvoi n° 436098 ;

5°) avant dire droit, de surseoir à statuer et enjoindre au Premier ministre de déclassifier et communiquer au contradictoire, après avis de la Commission du secret de la défense nationale, les mêmes documents et informations que ceux mentionnés dans les conclusions du pourvoi n° 436098 ;

6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛.

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu :

- la Constitution ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la charte des Nations-Unies signée à San Francisco le 26 juin 1945 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le traité sur le commerce des armes signé à New York le 3 juin 2013 ;

- la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 ;

- le code de la défense ;

- le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :

- le rapport de M. A B de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire,

- les conclusions de Mme Céline Guibé, rapporteure publique ;

La parole ayant été donnée, après les conclusions, à la SCP Sevaux, Mathonnet, avocat de l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture et autres ;

Considérant ce qui suit :

1. Les pourvois n° 436098 et n° 436099 présentent à juger les mêmes questions. Il y a lieu de les joindre pour statuer par une même décision.

2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que l'association Action sécurité éthique républicaines (ASER) a demandé au tribunal administratif de Paris d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite de rejet du Premier ministre de sa demande du 1er mars 2018 tendant à la suspension des licences d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination des pays impliqués dans la guerre au Yémen. Par un jugement du 8 juillet 2019, le tribunal administratif de Paris a admis l'intervention de l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture (ACAT) et a rejeté la demande de l'association ASER. Par deux ordonnances du 26 septembre 2019, le premier vice-président de la cour administrative d'appel de Paris a rejeté les appels formés par les associations ACAT et ASER contre ce jugement ainsi que les interventions présentées au soutien de la requête de l'association ASER par les associations Action contre la faim, Médecins du monde, Salam for Yemen et Sherpa.

Sur le désistement de l'association Sherpa :

3. Le désistement de l'association Sherpa est pur et simple. Rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.

Sur le pourvoi :

4. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que par lettre en date du 1er mars 2018, l'association ASER a demandé au Premier ministre " la suspension sans délai de l'ensemble des autorisations préalables d'exportation de matériels de guerre et matériels assimilés à destination de l'Arabie saoudite ". Le refus implicite opposé à cette demande de portée générale n'est pas détachable de la conduite des relations internationales de la France, sans que puissent être utilement invoquées à cet égard les stipulations des articles 6 et 7 du traité sur le commerce des armes, de l'article 2 de la charte des Nations-Unies et de l'article 47 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ainsi que les dispositions des articles 1 et 2 de la position commune n° 2008/944/PESC du Conseil du 8 décembre 2008 et de l'article L. 2335-4 du code de la défense🏛. Dès lors, l'auteur des ordonnances attaquées, qui ne sont pas entachées de contradiction de motifs, a pu juger, sans commettre d'erreur de droit ni inexactement qualifier les faits qui lui étaient soumis, que la juridiction administrative n'était pas compétente pour connaître de la demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de ce refus.

5. En second lieu, l'auteur des ordonnances attaquées, qui a implicitement mais nécessairement statué sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative🏛, dont le 2° prévoit que les requêtes ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative peuvent être rejetées par ordonnance, n'a pas fait un usage abusif de la faculté ouverte par ces dispositions.

6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle ni de faire droit à la demande de déclassification et de communication de certains documents, que les associations requérantes ne sont pas fondées à demander l'annulation des ordonnances qu'elles attaquent.

7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative🏛 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat lequel n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

D E C I D E :

--------------

Article 1er : Il est donné acte du désistement du pourvoi de l'association Sherpa.

Article 2 : Les pourvois de l'association ACAT et de l'association ASER et autres sont rejetés.

Article 3 : La présente décision sera notifiée à l'association Action des chrétiens pour l'abolition de la torture, à l'association Action sécurité éthique républicaines, première dénommée sous le pourvoi n° 436099, à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré à l'issue de la séance du 16 décembre 2022 où siégeaient : M. Christophe Chantepy, président de la section du contentieux, présidant ; M. Bertrand Dacosta, Mme Anne Egerszegi, présidents de chambre ; M. Nicolas Polge, M. Vincent Daumas, Mme Nathalie Escaut, M. Alexandre Lallet, M.Frédéric Gueudar Delahaye, conseillers d'Etat et M. Cyril Martin de Lagarde, maître des requêtes en service extraordinaire-rapporteur.

Rendu le 27 janvier 2023.

Le président :

Signé : M. Christophe Chantepy

Le rapporteur :

Signé : M. Cyril Martin de Lagarde

La secrétaire :

Signé : Mme Fehmida Ghulam

La République mande et ordonne à la Première ministre et au ministre de l'intérieur et des outre-mer chacun en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Pour la secrétaire du contentieux, par délégation :

Agir sur cette sélection :