PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières conclusions, Monsieur [W] demande à la cour de :
A titre liminaire
- déclarer recevables ses conclusions récapitulatives et en réponse n°2 ainsi que ses pièces 72 et 73, notifiées par RPVA le 29 septembre 2022 à 9h54;
- prendre acte qu'il ne s'oppose pas à la demande de rabat de clôture au jour des plaidoiries formulée par la société GOODYEAR, à condition que les présentes conclusions soient déclarées recevables
Sur le fond :
- infirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de RIOM, le 29 juillet 2020, sous la référence RG n° F 18/00286, en ce qu'il a seulement alloué à Monsieur [W] la somme de 8.339,70 euros au titre des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
Et, en conséquence,
- condamner la SAS GOODYEAR FRANCE à lui payer les sommes suivantes :
- dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
À titre principal :
Dommages et intérêts (préjudice réellement subi) : 1.700,69 euros nets de toutes charges sociales, CSG et CRDS, au titre du préjudice économique subi et 50.000 euros nets de toutes charges sociales, CSG et CRDS, au titre du préjudice moral subi, soit la somme totale de 101.700,69 euros nets de toutes charges, CSG et CDRS.
À titre subsidiaire : Dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse en application du barème de l'
article L 1235-3 du Code du travail🏛 (19,5 mois) : 54.208,05 euros nets de toutes charges, CSG et CRDS
-
article 700 du code de procédure civile🏛 en cause d'appel : 1.200 euros
- intérêts de droit à compter de la demande avec capitalisation des intérêts conformément aux règles légales
- condamner la SAS GOODYEAR DUNLOP TIRES FRANCE aux entiers dépens
- confirmer le jugement rendu par le Conseil de Prud'hommes de RIOM, le 29 juillet 2020, sous
- 26 / 28 - la référence RG n° F 18/00286, pour le surplus ;
Et en conséquence,
- débouter la SAS GOODYEAR France de l'ensemble de ses demandes.
Dans ses dernières conclusions, la société Goodyear France demande à la cour de :
- d'infirmer le jugement rendu par le Conseil de prud'hommes de Riom le 29 juillet 2020 en ce qu'il a jugé sans cause réelle ni sérieuse le licenciement de Monsieur [W] pour violation de l'obligation de sécurité, de statuer à nouveau et de :
A titre liminaire :
- écarter des débats les dernières écritures et pièces de Monsieur [W] ou à titre subsidiaire, si le rabat de clôture devait être ordonné, prendre en compte les conclusions récapitulatives d'intimée et d'appel incident n°3 ;
A titre principal :
- constater que Monsieur [W] n'apporte aucun élément permettant de laisser démontrer que son licenciement serait dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
En conséquence,
- dire que le licenciement de Monsieur [W] pour inaptitude d'origine professionnelle
repose sur une cause réelle et sérieuse et n'est entaché d'aucune irrégularité et le débouter de ses - ordonner la restitution par Monsieur [W] des sommes que lui a versées la Société en exécution du jugement du 29 juillet 2020 à cet égard, à savoir 8.339,70 euros au titre d'un licenciement sans cause réelle ni sérieuse.
A titre subsidiaire :
- débouter Monsieur [W] de sa demande de voir écartées les dispositions du barème Macron en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de sécurité ;
- limiter la condamnation de la Société à des dommages et intérêts limités à 3 mois de salaire, ou à titre infiniment subsidiaire compris entre 3 et 19.5 mois de salaires, soit 8 249,28 euros et 53 620,32euros bruts en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse pour manquement à l'obligation de sécurité ;
En tout état de cause :
- débouter Monsieur [W] de sa demande de rappel sur indemnité compensatrice de
préavis et congés payés y afférents ;
En conséquence,
- ordonner la restitution par Monsieur [W] des sommes que lui a versées la Société en exécution du jugement du 29 juillet 2020 à cet égard, soit 4.006,30 euros au titre du rappel sur indemnité compensatrice de préavis et de 400,63 euros au titre des congés payés y afférents ;
- débouter Monsieur [W] de ses demandes au titre de l'
article 700 du Code de procédure civile🏛 en première instance et en appel ;
- condamner Monsieur [W] au versement d'une somme de 500 euros sur le fondement de l'
article 700 du Code de procédure civile🏛, au titre d'une partie des frais de procédure qu'elle a été contrainte d'engager ;
- condamner Monsieur [W] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Conformément aux dispositions de l'
article 455 du code de procédure civile🏛, la Cour se réfère, pour un plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, à leurs conclusions écrites précitées.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de rabat de la clôture formée par la société Goodyear France :
Sur la recevabilité des conclusions et pièces notifiées par les parties postérieurement à la clôture :
Les parties s'accordant sur ce point, il y a lieu de rabattre l'ordonnance de clôture et de fixer la clôture au jour de l'audience.
De ce fait, les dernières conclusions notifiées par monsieur [Y] [W] le 19 octobre 2022 et par la société Goodyear France le 30 octobre 2022 sont recevables ainsi que les pièces 72 à 75 de la partie appelante.
Sur le bien fondé du licenciement :
Selon
article R4541-4 du code du travail🏛 : 'Lorsque la nécessité d'une manutention manuelle de charges ne peut être évitée, notamment en raison de la configuration des lieux où cette manutention est réalisée, l'employeur prend les mesures d'organisation appropriées ou met à la disposition des travailleurs les moyens adaptés, si nécessaire en combinant leurs effets, de façon à limiter l'effort physique et à réduire le risque encouru lors de cette opération'.
Selon l'article R4541-5 du même code : 'Lorsque la manutention manuelle ne peut pas être évitée, l'employeur :
1° Evalue les risques que font encourir les opérations de manutention pour la santé et la sécurité des travailleurs ;
2° Organise les postes de travail de façon à éviter ou à réduire les risques, notamment dorso-lombaires, en mettant en particulier à la disposition des travailleurs des aides mécaniques ou, à défaut de pouvoir les mettre en œuvre, les accessoires de préhension propres à rendre leur tâche plus sûre et moins pénible'.
Selon les dispositions de l'
article R4541-8 du même code🏛 : 'L'employeur fait bénéficier les travailleurs dont l'activité comporte des manutentions manuelles :
1° D'une information sur les risques qu'ils encourent lorsque les activités ne sont pas exécutées d'une manière techniquement correcte, en tenant compte des facteurs individuels de risque définis par l'arrêté prévu à l'article R. 4541-6 ;
2° D'une formation adéquate à la sécurité relative à l'exécution de ces opérations. Au cours de cette formation, essentiellement à caractère pratique, les travailleurs sont informés sur les gestes et postures à adopter pour accomplir en sécurité les manutentions manuelles'.
Aux termes de l'
article L 4121-1 du code du travail🏛, l'employeur est tenu, pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs, de prendre les mesures nécessaires qui comprennent des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail, des actions d'information et de formation et la mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. L'employeur est en outre tenu de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
Ne méconnaît pas l'obligation légale lui imposant de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs l'employeur qui justifie avoir pris toutes les mesures de prévention prévues par les
articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail🏛🏛.
Le licenciement pour inaptitude est dépourvu de cause réelle et sérieuse lorsqu'il est démontré que l' inaptitude était consécutive à un manquement préalable de l'employeur qui l'a provoquée.
En l'espèce, le salarié soutient que l'accident du travail dont il a été victime le 2 mars 2017 (hernie discale et fracture du pied gauche) et le licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement sont la conséquence directe d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité.
De façon plus précise, il reproche à l'employeur :
- de ne pas lui avoir fourni un chariot manuel ergonomique pour manutentionner les colis qu'il devait donc porter à la main entre le premier étage et le rez de chaussée du service maintenance
- de ne pas avoir installé le monte charge destiné au service maintenance commandé suite à une réunion du 15 mars 2016 et livré depuis le 6 septembre 2016
- de ne pas avoir mis à sa disposition un chariot ergonomique pour lui éviter de porter toutes les charges
- de lui avoir dispensé une seule formation sur l'ergonomie et les gestes et postures de 30 minutes seulement
- de ne pas avoir commandé le chariot ergonomique dont la commande avait également été décidée lors de la réunion du 15 mars 2016
- de ne pas avoir laissé à sa disposition le chariot élévateur utilisé le 7 mars 2016 pour monter la palette contenant deux cartons de lames jusqu'à la fin du déchargement.
Il ajoute :
- qu'en effet, ce chariot était partagé entre le service logistique, qui en avait constamment besoin, et le service maintenance
- que compte tenu de la largeur de l'échelle de meunier permettant d'accéder au premier étage du service maintenance, il ne pouvait adopter une posture ergonomique adéquate
- que le diable à trois roues ne pouvait être utilisé pour emprunter l'échelle de meunier reliant le rez de chaussée au premier étage du service maintenance car les roues de ce chariot étaient d'un diamètre trop important pour reposer sur les marches de 17 centimètres de largeur.
L'employeur conteste tout manquement à l'obligation de sécurité et soutient:
- que l'accident du 2 mars 2017 est entièrement imputable à Monsieur [Aa] [W] qui n'aurait pas dû stocker les cartons de lames au premier étage de la maintenance mais au rez de chaussée et aurait dû utiliser le chariot élévateur utilisé pour les monter au premier étage ou le diable à trois roues adapté à la montée et à la descente d'escaliers mis à sa disposition pour redescendre les cartons de lames au rez de chaussée, au lieu de les porter dans les escaliers
- que Monsieur [Aa] [W] ne rapporte pas la preuve que le chariot élévateur utilisé pour monter les deux cartons au premier étage n'était plus disponible au moment de l'accident pour les redescendre et que le salarié n'était pas dans une situation urgente lui interdisant d'attendre le retour du chariot élévateur pour redescendre les cartons
- qu'elle a dispensé au salarié les formations nécessaires pour manier les charges lourdes (19 formations en 10 ans) et procéder en toute sécurité aux gestes de manutention manuelle
- qu'elle avait également lancé une campagne de sensibilisation sur l'ergonomie au mois d'avril 2016
- que le médecin du travail n'a jamais préconisé l'utilisation d'un monte charge ou d'un chariot élévateur par les salariés occupant le poste de magasinier cariste
- que le chariot à trois roues mis à la disposition de Monsieur [Y] [W] était adapté à l'escalier reliant le rez de chaussée et l'étage de la maintenance emprunté par ce dernier au moment de l'accident
- que dans la mesure où le monte charge ne peut être utilisé pour porter de façon répétée des charges de plus de 10 kgs, l'utilisation d'un monte charge n'aurait pas empêché l'accident.
Il est constant que le 2 mars 2017, a soulevé un carton de lames de brosseuses d'environ 20 kgs qui se trouvait sur les marches d'un escalier reliant le premier étage et le rez de chaussée du service maintenance, qu'il a alors ressenti une vive douleur dans le bas du dos et a lâché le carton qui est tombé sur son pied gauche entraînant une fracture.
S'agissant des formations sur les gestes et postures dispensées au salarié la cour relève :
- que l'employeur ne justifie pas du contenu des formations mentionnées dans le Passeport formation du salarié (pièce 18)
- que pour autant, Monsieur [Y] [W] ne conteste pas que la formation 'Sandbox' du 29 septembre 2016 d'une durée de 30 minutes a porté sur les gestes et postures en cas de manutention de charge lourde
- que la formation 'job safety analysis' destinée aux salariés occupant le poste de cariste magasinier se borne à préconiser l'utilisation du diable spécial pour la manutention de cartons
- qu'il n'est pas justifié de ce que la formation 'A vos marques, prêt, soulevez avec vos têtes' sur les gestes et postures ait été dispensée à Monsieur [Aa] [W], cette formation n'apparaissant pas sur le passeport formation du salarié et étant visiblement destinée aux ouvriers en charge du travail sur les pneus.
Dans ces conditions, l'employeur ne démontre pas avoir dispensé au salarié une formation suffisante et adéquate sur les gestes et postures comme l'
article R4541-8 du code du travail🏛 lui en fait obligation.
S'agissant de la mise à disposition des aides mécaniques à la manutention de charge imposée par l'
article R4541-5 du code du travail🏛, il est constant qu'au moment de l'accident, aucun monte charge n'était en service pour permettre au salarié de monter ou descendre les charges entre le rez de chaussée et le premier étage de la maintenance.
Contrairement à ce que soutient la société Goodyear France, ce monte charge était de nature à éviter l'accident du 2 mars 2017 puisque, dans la fiche 'analyse des accidents et incidents du travail' établie par ses soins au sujet de cet accident (sa pièce 2), elle évoque elle-même la mise en place d'un tel équipement parmi les mesures de prévention.
De plus, l'employeur ne rapporte pas la preuve qui lui incombe de ce que Monsieur [Y] [W] disposait du chariot élévateur au moment de l'accident, alors qu'il n'est pas discuté que ce chariot était partagé entre le service manutention et le service logistique.
En revanche, il n'est pas discuté que Monsieur [Aa] [W] avait un diable à trois roues à sa disposition le 2 mars 2017 et que l'usage de ce matériel était de nature à éviter l'accident.
Cependant, la société Goodyear France ne rapporte pas la preuve suffisante au moyen des fiches techniques du produit de ce que l'utilisation de ce diable était possible dans l'escalier reliant le rez de chaussée au premier étage du service maintenance au regard du giron des marches de 17 centimètres, alors que le salarié soutient que son utilisation était dangereuse dans cette configuration compte tenu du diamètre des roues de 16 centimètres et de l'instabilité ainsi générée et qu'il verse aux débats une fiche établie par le service sécurité le 8 février 2017 faisant état de l' 'escalier dangereux pour approvisionner les différents colis à l'étage'.
Enfin, s'agissant de la mise à disposition d'un chariot ergonomique pour porter les charges, la société Goodyear France reconnaît que cet équipement n'a jamais été mis à la disposition des magasiniers caristes mais soutient que cette mise à disposition n'a jamais été préconisée par le médecin du travail ou le CHSCT.
Cependant, elle ne rapporte pas la preuve de la consultation du médecin du travail ou du CHSCT sur ce point, notamment après le déménagement du magasin général au premier étage du service maintenance au mois de mai 2016 et du changement de configuration des lieux d'exercice de l'activité de Monsieur [Aa] [W] dont ce dernier soutient, sans être contredit, qu'elle a entraîné une multiplication des manutentions via l'escalier de la maintenance.
Il résulte de tout ce qui précède que la société Goodyear France ne justifie pas avoir pris les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique du salarié prévues par les
articles L4121-1 et L4121-2 du code du travail🏛🏛.
Le manquement à l'obligation de sécurité est ainsi établi et l'erreur initiale du salarié ayant consisté à monter à l'étage un carton qui devait rester au rez-de-chaussée n'est pas de nature à exonérer l'employeur.
Par application du principe susvisé et dans la mesure où le lien entre l'accident du 2 mars 2010 cette inaptitude n'est pas discuté, le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Le jugement déféré sera donc confirmé de ce chef.
Sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
Monsieur [Aa] [W] fait valoir au soutien de sa demande dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse :
- qu'en application de l'article 55 de la constitution, l'article 24 de la charte sociale européenne est d'application directe en droit interne comme il a déjà été jugé dans un arrêt la chambre sociale de la Cour de cassation du 10 mai 2010 n°09-60.426 et par le
conseil d'État dans un arrêt n° 358992⚖️ du 10 février 2014
- que l'
article L 1235-3 du code du travail🏛 dans sa version applicable au litige n'est pas conforme à l'article 24 de la charte sociale européenne qui prévoit le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, article 24 qui est d'application directe dans l'ordre interne en application de l'article 55 de la constitution,
- qu'en effet, l'
article L 1235-3 du code du travail🏛 en prévoyant un plafond indemnisation, ôte à l'indemnisation du licenciement sans motif valable sa double fonction compensatrice et dissuasive
- que l'
article L 1235-3 du code du travail🏛 n'est pas non plus conforme à l'article 10 de la convention 158 de l'OIT qui impose le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée dans la mesure où le barème qu'il institue remet en cause le principe de réparation intégrale du préjudice subi par le salarié injustement licencié
- que les arrêts de la chambre sociale de la Cour de cassation du 11 mai 2022 :
* ont assimilé deux régimes de réparation pourtant distincts : celui de la nullité du licenciement et celui du licenciement sans cause réelle et sérieuse
* pourraient être remis en cause par la décision du Comité européen des droits sociaux du 23 mars 2022 ayant jugé que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée au sens de l'article 24.b de la charte n'est pas garanti par les ordonnances travail adoptées en 2017 car ' les plafonds prévus ne sont pas suffisamment élevés pour réparer le préjudice subi par la victime est dissuasif pour l'employeur
- que du fait de ce licenciement il a subi un préjudice économique de 51'700,69 euros constitué par la différence entre le montant total les allocations de retour à l'emploi et des indemnités journalières perçues depuis le 1er décembre 2018 et le montant total des rémunérations qu'il aurait perçues s'il avait continué à travailler au sein de la société Goodyear France
- qu'il bénéficiait au jour de son licenciement une indemnité de plus de 28 ans
- qu'il se retrouve aujourd'hui sans emploi à l'âge de 51 ans, souffrant de graves séquelles physiques et dans un contexte économique particulièrement difficile
- que le montant des dommages et intérêts alloués par les premiers juges, correspondant à trois mois de salaire, n'assure pas une réparation adéquate et appropriée de son préjudice
- que du fait du licenciement, il a également suivi un préjudice moral qu'il évalue à la somme de 50'000 euros nets
- qu'en toute hypothèse, au regard de son ancienneté, il peut prétendre à une indemnité correspondant à 19,5 mois de salaire en application du barème fixé à l'
article L1235-3 du code du travail🏛.
La société Goodyear France réplique notamment :
- que l'
article L1235-3 du code du travail🏛 est conforme à l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT comme l'ont jugé le conseil d'État dans un arrêt du 7 décembre 2017 et le Conseil constitutionnel dans trois décisions dont la dernière en date du 7 septembre 2017
- que l'ordre juridique interne et l'ordre juridique supranational ne consacrent pas le droit fondamental à une réparation intégrale du préjudice comme un principe à valeur constitutionnelle
mais uniquement comme un principe général du droit à valeur législative, auquel le législateur peut donc déroger par des dispositions particulières comme cela est le cas pour le barème institué par l'
article L1235-3 du code du travail🏛 - que l'article 24 de la charte sociale européenne n'a pas d'effet direct en droit interne et ne peut être invoqué dans un litige entre particuliers
- le salaire de référence doit être fixé sur la base du salaire moyen brut qu'il aurait perçu au cours des 3 ou 12 derniers mois précédant l'accident du 2 mars 2017, selon la formule la plus avantageuse pour lui
- que de ce fait, la prime de 900 euros bruts perçue au mois de janvier 2017 correspondant au versement différé de sa 5ème prime due au titre de l'année 2016 doit être proratisée en raison de son caractère annuel et que seule la partie de cette prime se rapportant à la période de référence doit être pris en compte,
- qu'en tenant compte de cette proratisation, le salaire de base le plus avantageux pour le salarié correspond à la moyenne des salaires sur les 12 derniers mois avec proratisation de la prime perçue au mois de janvier 2017 s'élève à la somme de 2749,76 euros bruts et non pas à celle de 2779,90 euros retenue par les premiers juges
- que Monsieur [Y] [W] ne justifie ni de sa situation professionnelle, ni de ses éventuelles recherches d'emploi, ni les hypothétiques refus qu'il aurait essuyés et se contente d'arguer d'un préjudice financier et moral dont il ne justifie pas de sorte que le montant des dommages et intérêts pour licenciement abusif ne peut s'élever à trois mois de salaire
- qu'en outre, il convient de tenir compte, pour apprécier le préjudice économique invoqué :
* du placement en arrêt de travail de Monsieur [Y] [W] entre le 14 octobre 2019 et le 31 octobre 2020, durant lequel il n'aurait perçu qu'un prorata de son salaire en application des dispositions de l'article 7 de l'avenant collaborateur de la convention collective du caoutchouc
* des sommes perçues de Pôle emploi à hauteur de 34'643 euros
* de la part de l'indemnité spécifique de licenciement ne correspondant pas à l'indemnité légale de licenciement
- qu'en tenant compte de tous ces éléments, le montant des dommages et intérêts s'établit à 10'379,19 euros correspondant à 3,7 mois de salaire
- que s'agissant du préjudice moral, l'appelant ne produit aucun élément permettant d'établir l'existence d'un suivi psychologique régulier, d'une prise d'anxiolytiques ou d'antidépresseurs en lien avec son licenciement.
Selon l'
article L. 1235-1 du code du travail🏛, en matière de licenciement, à défaut d'accord, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il justifie dans le jugement qu'il prononce le montant des indemnités qu'il octroie.
Il résulte d'une jurisprudence constante que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause nécessairement un préjudice dont il appartient au juge d'apprécier l'étendue, de façon souveraine et en fonction des préjudices subis.
Selon l'article L1235-3 dans sa rédaction issue de la Loi n°2018-217 du 29 mars 2018, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le même article.
Selon ce même article :
- pour déterminer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, le juge peut tenir compte, le cas échéant, des indemnités de licenciement versées à l'occasion de la rupture, à l'exception de l'indemnité légale de licenciement
- cette indemnité est cumulable, le cas échéant, avec les indemnités suivantes mais uniquement dans la limite des montants maximaux (plafonds) prévus à l'article L. 1235-3 :
* l'indemnité allouée au salarié licencié pour motif économique en cas de non-respect par l'employeur des procédures de consultation des représentants du personnel ou d'information de l'autorité administrative ;
* l'indemnité allouée au salarié licencié pour motif économique en cas de non-respect de la priorité de réembauche ;
* l'indemnité allouée au salarié licencié pour motif économique lorsque le Comité social et économique n'a pas été mis en place dans une entreprise alors qu'elle est assujettie à cette obligation et qu'aucun procès-verbal de carence n'a été établi.
Le nouvel
article L. 1235-3 du Code du travail🏛 définit des montants minimaux (plancher) et maximaux (plafond) d'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse calculés en mois de salaire brut (c'est à dire comprenant le salaire et les accessoires du salaire, les primes et avantages, les heures supplémentaires accomplies par le salarié au cours des six derniers mois précédant la rupture du contrat de travail avant déduction de l'impôt sur le revenu et des charges sociales), en fonction de l'ancienneté et du nombre de salariés dans l'entreprise.
Ainsi, dans les entreprises employant habituellement 11 salariés ou plus, l'article L. 1235-3 prévoit que l'indemnité de licenciement varie de 1 à 20 mois de salaire brut suivant l'ancienneté dans l'entreprise, en fixant des montants minimaux et maximaux.
Dans les entreprises de moins de 11 salariés, l'article L. 1235-3 fixe un régime dérogatoire au barème précédent pour les seules indemnités minimales, qui oscillent de 0,5 à 2,5 mois de salaire brut entre 0 et 10 années d'ancienneté dans l'entreprise.
La Convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail, d'application directe en droit interne, prévoit en son article 10 que les juges doivent être « habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ». L'article 24 de la Charte Sociale Européenne contient une disposition similaire.
L'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme garantit le droit à un procès équitable.
Le barème prévu par l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛 a été critiqué devant le Conseil d'Etat et le Conseil Constitutionnel.
Dans sa décision 415-243 du 7 décembre 2017, le Conseil d'État a validé ce barème.
Dans sa décision
n° 2018-761 DC du 21 mars 2018, le Conseil Constitutionnel⚖️ a déclaré le mécanisme du barème prévu par l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛 conforme à la Constitution.
Dans un arrêt du 11 mai 2022 (pourvoi
21-14490⚖️), la Cour de cassation a jugé que :
- les dispositions des
articles L. 1235-3 et L. 1235-3-1 du code du travail🏛🏛, qui octroient au salarié, en cas de licenciement injustifié, une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux variant en fonction du montant du salaire mensuel et de l'ancienneté du salarié et qui prévoient que, dans les cas de licenciements nuls énumérés, le barème ainsi institué n'est pas applicable, permettent raisonnablement l'indemnisation de la perte injustifiée de l'emploi. Le caractère dissuasif des sommes mises à la charge de l'employeur est également assuré par l'application, d'office par le juge, des dispositions précitées de l'
article L. 1235-4 du code du travail🏛. Les dispositions des
articles L. 1235-3, L. 1235-3-1 et L. 1235-4 du code du travail🏛🏛🏛 sont ainsi de nature à permettre le versement d'une indemnité adéquate ou une réparation considérée comme appropriée au sens de l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT. Il en résulte que les dispositions de l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛 sont compatibles avec les stipulations de l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT ;
- le juge du fond, à qui il appartient seulement d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'
article L.1235-3 du code du travail🏛, ne peut pas relever la nécessité d'une indemnisation adéquate et appropriée du préjudice subi, compatible avec les exigences de l'article 10 de la Convention n°158 de l'OIT, pour condamner l'employeur au paiement d'une somme supérieure au montant maximal prévu par l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛.
Dans cet arrêt, la cour de cassation rappelle, que le terme 'adéquat' visée à l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT signifie que l'indemnité pour licenciement injustifié doit, d'une part être suffisamment dissuasive pour éviter le licenciement injustifié, et d'autre part raisonnablement permettre l'indemnisation de la perte injustifiée d'emploi.
De ce fait et contrairement à ce que soutient Monsieur [Y] [W], cet article ne consacre pas le droit à réparation intégrale du préjudice du salarié injustement privé de son emploi.
Enfin, dans un arrêt (
pourvoi 21-15247) du 11 mai 2022, la Cour de cassation⚖️ a jugé que la Charte sociale européenne n'étant pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers, l'invocation de son article 24 ne peut pas conduire à écarter l'application des dispositions de l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛 et qu'il convient d'allouer en conséquence au salarié une indemnité fixée à une somme comprise entre les montants minimaux et maximaux déterminés par ce texte.
Le barème prévu par l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛 apparaît donc conforme aux textes européens et internationaux, et ce nonobstant le fait que le Comité Européen des Droits Sociaux (CEDS) a estimé, dans une décision en date du 23 mars 2022, que le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement injustifié constitue une violation de la charte sociale européenne en ce que le droit à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée, au sens de l'article 24.b de la Charte, n'est pas garanti.
Il résulte des pièces versées aux débats qu'à compter du 30 novembre 2018, Monsieur [Y] [W] a perçu une Allocation de retour à l'emploi de 48,70 euros par jour.
Il n'est pas contesté qu'il a été placé en arrêt de travail pour maladie du 14 octobre 2019 au 31 octobre 2020 et qu'il percevait toujours l'Allocation de retour à l'emploi le 1er avril 2021.
En revanche, il n'est pas justifié de sa situation professionnelle et financière actuelle et aucun élément n'est versé aux débats pour rapporter la preuve de l'existence et de l'étendue du préjudice moral subi du fait du licenciement injustifié.
Les calculs du salaire de base figurant en page 36 des conclusions de la société Goodyear France n'étant pas discutés, la cour relève que le salaire de base le plus favorable au salarié est celui tiré de la moyenne des 12 derniers mois de salaire, après proratisation de la prime de 900 euros figurant sur le bulletin de salaire du mois de janvier 2017, soit la somme de 2 749,76 euros.
Enfin, l'indemnisation des conséquences des séquelles de l'accident du travail du 2 mars 2017
n'entre pas dans le champ des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au vu de ces différents éléments, de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise s'élevant à 28 ans et de l'âge du salarié au jour du licenciement (49 ans) la cour fixe à la somme de 42 000 euros le montant des dommages et intérêts réparant le préjudice subi du fait du licenciement, assortis d'intérêts légaux à compter du jugement jusqu'à la somme de 8 339,70 euros et à compter du présent arrêt pour le surplus.
Le jugement déféré sera donc infirmé de ce chef.
Sur le remboursement des sommes payées au salarié par Pôle Emploi:
Selon l'
article L1235-4 du code du travail🏛 dans sa version applicable au litige : "Dans les cas prévus aux articles L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé.
Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées".
S'agissant d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il y a lieu d'ordonner, d'office et par application de l'
article L 1235-4 du code du travail🏛, le remboursement par la société Goodyear France à Pôle Emploi des indemnités de chômage payées à Monsieur [Aa] [W] à la suite de son licenciement, dans la limite de six mois de prestations.
Sur la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement :
Compte tenu des termes du présent arrêt, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement présentée par la société Goodyear France.
Sur la capitalisation des intérêts légaux :
La capitalisation des intérêts sera ordonnée, conformément aux dispositions de l'
article 1343-2 du code civil🏛.
Sur les demandes accessoires :
Partie perdante, la société Goodyear France supportera la charge des dépens de première instance et d'appel.
Par ailleurs, M. [Y] [W] a dû pour la présente instance exposer tant en première instance qu'en appel des frais de procédure et honoraires non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser intégralement à sa charge.
Il y a donc lieu de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a condamné la société Goodyear France à lui payer la somme de 1200 euros par application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, et de condamner cet employeur à lui payer sur le même fondement une indemnité de 2000 euros au titre des frais qu'il a dû exposer en appel.