COUR D'APPEL
DE
VERSAILLES
Code nac : 58Z
12e chambre
ARRET N°
CONTRADICTOIRE
DU 19 JANVIER 2023
N° RG 21/02937 - N° Portalis DBV3-V-B7F-UPRQ
AFFAIRE :
S.A. AXA FRANCE IARD
C/
A. CANAL SUD
Décision déférée à la cour : Jugement rendu le 02 Avril 2021 par le Tribunal de Commerce de VERSAILLES
N° Chambre : 4
N° RG : 2020F00553
Expéditions exécutoires
Expéditions
Copies
délivrées le :
à :
Me Martine DUPUIS
Me Jean-Louis ROCHE
TC VERSAILLES
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LE DIX NEUF JANVIER DEUX MILLE VINGT TROIS,
La cour d'appel de Versailles a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :
S.A. AXA FRANCE IARD
RCS Nanterre n° 722 057 460
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me Martine DUPUIS de la SELARL LEXAVOUE PARIS-VERSAILLES, Postulant, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 625 et Me Pascal ORMEN et Me Gunou CHOI de la SELARL BOUCKAERT ORMEN PASSEMARD & AUTRES, Plaidants, avocats au barreau de PARIS, vestiaire : P0555
APPELANTE
****************
A. CANAL SUD
RCS Versailles n° 350 031 837
[Adresse 4]
[Localité 9]
Représentée par Me Jean-Louis ROCHE, avocat au barreau de VERSAILLES, vestiaire : 349
INTIMEE
****************
Composition de la cour :
En application des dispositions de l'
article 805 du code de procédure civile🏛, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 06 Octobre 2022 les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller chargé du rapport.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :
Monsieur François THOMAS, Président,
Madame Nathalie GAUTRON-AUDIC, Conseiller,
Madame Bérangère MEURANT, Conseiller,
Greffier, lors des débats : M. Aa B,
EXPOSÉ DU LITIGE
Le 27 janvier 2016, la SARL Canal Sud a souscrit auprès de la SA Axa France Iard (ci-après Axa) un contrat d'assurance multirisque professionnelle, prenant effet le 29 janvier 2016 et portant sur l'activité de café, bar, brasserie, restaurant exercée à [Localité 9] ([Localité 9]).
Par un arrêté du 14 mars 2020 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus Covid-19, le ministre des solidarités et de la santé a notamment interdit aux restaurants et débits de boissons d'accueillir du public.
Le 6 juillet 2020, la société Canal Sud a déposé une déclaration de sinistre auprès de la société Axa afin de mobiliser la garantie souscrite pour les pertes d'exploitation subies lors de la crise sanitaire.
Par courrier en réponse du 20 juillet 2020, la société Axa s'est prévalue des exclusions de la garantie pertes d'exploitation figurant dans le contrat.
Par acte du 1er septembre 2020, la société Canal Sud a saisi le président du tribunal de commerce de Versailles aux fins de condamnation de la société Axa à lui verser une provision, s'élevant dans le dernier état de ses demandes à la somme de 71.125 €. La société Canal Sud sollicitait également la désignation d'un expert.
Par ordonnance de référé du 21 octobre 2020, le président du tribunal de commerce de Versailles a :
- Renvoyé les parties à mieux se pourvoir ;
- Dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes de la SARL Canal Sud ;
- Renvoyé l'affaire à l'audience d'orientation du tribunal de commerce de Versailles du 30 octobre 2020 à 14 heures afin qu'il soit statué sur le fond ;
- Dit n'y avoir lieu à application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ;
- Condamné la SARL Canal Sud aux dépens.
Par jugement contradictoire du 2 avril 2021 le tribunal de commerce de Versailles a :
- Dit que la clause d'exclusion est inopposable à la SARL Canal Sud ;
- Condamné la SA Axa France Iard à payer à la SARL Canal Sud la somme de 25.000 € à titre provisionnel ;
- Ordonné une expertise ;
- Commis pour y procéder M. [V] [M], [Adresse 6], Tél : [XXXXXXXX02], Fax : [XXXXXXXX01], Port. : [XXXXXXXX03], Mèl : [Courriel 8], avec la mission suivante :
- Convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise,
- Se faire remettre toutes les pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,
- Evaluer la perte d'exploitation subie par la SARL Canal Sud pour chacun des sinistres déclarés et indemnisables dans le cadre du contrat d'assurance conclu avec la SA Axa France Iard au titre de la perte d'exploitation subie suite aux fermetures administratives décrétées,
- Donner son avis sur le montant des sommes dues par la SA Axa France Iard à la SARL Canal Sud, tenant compte des règles d'évaluation fixées au contrat,
- Rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties,
- Mettre, en temps utile, au terme des opérations d'expertise, par le dépôt d'un pré-rapport, les parties en mesure de faire valoir, dans le délai qu'il leur fixera, leurs observations qui seront annexées au rapport ;
- Fixé à 3.000 € le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, qui sera versé par la SARL Canal Sud, au plus tard le 3 mai 2021, entre les mains du greffe de cette juridiction, sous sanction de caducité prévue à l'
article 271 du code civil🏛 ;
- Dit que les opérations d'expertise seront suivies par le juge chargé du contrôle des expertises de ce tribunal ;
- Imparti à l'expert, pour le dépôt du rapport d'expertise, un délai de trois mois à compter de l'avertissement qui lui sera donné par le greffe du versement de la provision ;
- Dit qu'à l'issue de sa première réunion avec les parties, l'expert communiquera aux parties et au juge chargé du contrôle des expertises un calendrier de ses opérations, et une estimation de son budget ;
- Dit qu'en cas de refus ou d'empêchement de l'expert, il sera procédé à son remplacement par le juge chargé du contrôle des expertises ;
- Renvoyé la cause et les parties à l'audience du 8 octobre 2021 à 14 heures ;
- Réservé l'application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi que les dépens.
Par déclaration reçue au greffe le 6 mai 2021 et enregistrée le 7 mai 2021, la société Axa a interjeté appel du jugement.
L'expert désigné aux termes de ce jugement a déposé son rapport le 28 juillet 2021.
Par jugement du 24 avril 2022 le tribunal de commerce de Versailles a :
- Condamné la SA Axa France Iard à payer à la SARL Canal Sud la somme de 10.800 €, montant de l'indemnité d'assurance restant dû après déduction de la provision de 25.000 € ordonnée par le tribunal et versée par la SA Axa France Iard à la SARL Canal Sud ;
- Débouté la SARL Canal Sud de sa demande de dommages-intérêts ;
- Condamné la SA Axa France Iard à payer à la SARL Canal Sud la somme de 5.000 € au titre des dipositions de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ;
- Mis les dépens à la charge de la SA Axa France Iard, en sus les frais et honoraires d'expertise, dont les frais de greffe s'élèvent à la somme de 126,59 €.
La société Axa a interjeté appel de ce jugement par déclaration du 19 juillet 2022.
La cour est saisie du seul appel interjeté par la société Axa à l'encontre du jugement du 2 avril 2021.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Par dernières conclusions notifiées le 6 juillet 2022, la société Axa France Iard demande à la cour de :
- Déclarer recevable et fondé son appel ;
Y faisant droit,
- Confirmer le jugement du 2 avril 2021 du tribunal de commerce de Versailles en ce qu'il a jugé que la clause d'exclusion :
- Respecte le caractère formel prescrit par l'
article L.113-1 du code des assurances🏛 ;
Et,
- Infirmer le jugement du 2 avril 2021 du tribunal de commerce de Versailles en ce qu'il a :
« - Dit que la clause d'exclusion est inopposable à la SARL Canal Sud ;
- Condamné la SA Axa France Iard à payer à la SARL Canal Sud la somme de 25.000 € à titre provisionnel ;
- Ordonné une expertise ;
- Commis pour y procéder M. [V] [M], [Adresse 6], Tél : [XXXXXXXX02], Fax : [XXXXXXXX01], Port. : [XXXXXXXX03], Mèl : [Courriel 8] avec la mission suivante :
- Convoquer et entendre les parties, assistées, le cas échéant, de leurs conseils, et recueillir leurs observations à l'occasion de l'exécution des opérations ou de la tenue des réunions d'expertise,
- Se faire remettre toutes les pièces utiles à l'accomplissement de sa mission,
- Evaluer la perte d'exploitation subie par la SARL Canal Sud pour chacun des sinistres déclarés et indemnisables dans le cadre du contrat d'assurance conclu avec la SA Axa France Iard, au titre de la perte d'exploitation subie suite aux fermetures administratives décrétées,
- Donner son avis sur le montant des sommes dues par la SA Axa France Iard à la SARL Canal Sud, tenant compte des règles d'évaluation fixées au contrat,
- Rapporter toutes autres constatations utiles à l'examen des prétentions des parties,
- Mettre, en temps utile, au terme des opérations d'expertise, par le dépôt d'un pré-rapport, les parties en mesure de faire valoir, dans le délai qu'il leur fixera, leurs observations qui seront annexées au rapport ;
- Fixé à 3.000 € le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, qui sera versé par la SARL Canal Sud, au plus tard le 3 mai 2021, entre les mains du greffe de cette juridiction, sous sanction de caducité prévue à l'
article 271 du code civil🏛 ;
- Dit que les opérations d'expertise seront suivies par le juge chargé du contrôle des expertises de ce tribunal ;
- Imparti à l'expert, pour le dépôt du rapport d'expertise, un délai de trois mois à compter de l'avertissement qui lui sera donné par le greffe du versement de la provision ;
- Dit qu'à l'issue de sa première réunion avec les parties, l'expert communiquera aux parties et au juge chargé du contrôle des expertises un calendrier de ses opérations, et une estimation de son budget ;
- Renvoyé la cause et les parties à l'audience du 8 octobre 2021 à 14 heures ;
- Réservé l'application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, ainsi que les dépens » ;
- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Axa France Iard de ses demandes tendant à juger de la validité de la clause d'exclusion ;
Et statuant à nouveau,
A titre principal,
- Juger que l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie est assortie d'une clause d'exclusion, qui est applicable en l'espèce ;
- Juger que la clause d'exclusion est limitée, ne vide pas l'extension de garantie de sa substance et qu'elle ne prive pas l'obligation essentielle de la société Axa France Iard de sa substance ;
En conséquence,
- Déclarer applicable en l'espèce la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie ;
- Débouter la société Canal Sud de l'ensemble de ses demandes de condamnation à l'encontre de la société Axa France Iard ;
- Annuler la mesure d'expertise judiciaire ordonnée par le tribunal de commerce de Versailles ; A titre subsidiaire,
- Infirmer le jugement du 2 avril 2021 en ce qu'il a condamné la société Axa France Iard à verser à la société Canal Sud la somme de 25.000 € à titre de provision ;
En tout état de cause,
- Débouter la société Canal Sud de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
- Condamner la société Canal Sud à payer à la société Axa France Iard la somme de 1.000 € au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, outre les entiers dépens de première instance et d'appel.
Par dernières conclusions notifiées le 1er juillet 2022, la société Canal Sud demande à la cour de :
- Accueillir la société Canal Sud prise en la personne de sa gérante Mme [Ab] [O] ;
- La dire recevable et bien fondée en sa qualité d'intimée sur l'assignation qui lui a été délivrée par la société Axa France Iard en cause d'appel sur le jugement rendu le 2 avril 2021 par le tribunal de commerce de Versailles ;
- Débouter purement et simplement la société Axa France Iard de son appel ;
- Confirmer le jugement rendu par le tribunal de commerce de Versailles le 2 avril 2021 en ce qu'il a :
- Dit que la clause d'exclusion du contrat Axa signé le 27 janvier 2016 sous le n°6956269304 et conditions générales 690200N est inopposable à la société Canal Sud ;
- Condamné la société Axa France Iard à payer à la société Canal Sud la somme de 25.000 € à titre de provision ;
- Ordonné une expertise ;
Y ajoutant,
- Dire que les parties ont mutuellement reconnu qu'il existait deux sinistres indemnisables sur trois mois chacun, le premier à compter de l'arrêté du 14 mars 2020 et le deuxième à compter du 30 octobre 2020 ;
- Condamner la société Axa France Iard à payer à la société Canal Sud une somme de 35.000 € à titre de provision complémentaire ;
- Condamner la société Axa France Iard à régler à la société Canal Sud la somme de 6.786 € ;
- Condamner la société Axa France Iard à payer à la société Canal Sud la somme de 7.000 € sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 ;
- Condamner la société Axa France Iard aux dépens de la procédure d'appel.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 22 septembre 2022.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l'
article 455 du code de procédure civile🏛.
MOTIFS
La garantie « Perte d'exploitation suite à fermeture administrative » dont la société Canal Sud sollicite la mise en oeuvre est définie en page 8 des conditions particulières référencées n°6956269304 du contrat d'assurance multirisque professionnel qu'elle a souscrit le 27 janvier 2016. Elle est ainsi rédigée :
« La garantie est étendue aux pertes d'exploitation consécutives à la fermeture provisoire totale ou partielle de l'établissement assuré, lorsque les deux conditions suivantes sont réunies :
1. La décision de fermeture a été prise par une autorité administrative compétente, et extérieure à vous même
2. La décision de fermeture est la conséquence d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication. (...) »
Elle est suivie de la clause d'exclusion suivante :
« SONT EXCLUES
- LES PERTES D'EXPLOITATION, LORSQUE, À LA DATE DE LA DÉCISION DE FERMETURE, AU MOINS UN AUTRE ÉTABLISSEMENT, QUELLE QUE SOIT SA NATURE ET SON ACTIVITÉ, FAIT L'OBJET, SUR LE MÊME TERRITOIRE DÉPARTEMENTAL QUE CELUI DE L'ÉTABLISSEMENT ASSURÉ, D'UNE MESURE DE FERMETURE ADMINISTRATIVE, POUR UNE CAUSE IDENTIQUE. »
Le jugement dont appel a retenu que l'assureur ne pouvait opposer la clause d'exclusion à l'assuré dès lors que cette clause vidait la garantie de sa substance et donc qu'elle ne respectait pas le caractère limité prévu à l'
article L.113-1 du code des assurances🏛, ni les dispositions de l'
article 1170 du code civil🏛.
La société Axa entend se prévaloir de la stricte application de la clause d'exclusion figurant au contrat. Elle soutient que cette clause respecte le caractère formel exigé par l'
article L.113-1 du code des assurances🏛 et qu'elle est bien applicable en l'espèce ; qu'en outre, la clause d'exclusion ne prive pas l'extension de garantie de sa substance et que, dès lors, elle respecte également le caractère limité exigé par l'article L.113-1 et ne vide pas de sa substance l'obligation essentielle de l'assureur, ainsi que l'exige l'
article 1170 du code civil🏛.
La société Canal Sud répond que la clause d'exclusion d'Axa n'est pas claire et qu'elle est léonine en ce qu'elle a pour but de couvrir une épidémie à condition qu'il n'y ait qu'un seul établissement contaminé. Elle fait observer que l'assureur prouve lui-même l'ambiguïté du texte qu'il a imposé à ses clients puisque désormais il les oblige à signer un avenant et, à défaut, se croit fondé à résilier le contrat. Elle affirme que si elle avait su que la notion d'épidémie ou de pandémie était entendue de façon aussi restrictive, elle ne se serait pas engagée avec cet assureur.
Sur le caractère formel de la clause
La société Axa énonce que le sens de l'exclusion est clair et compréhensible, qu'il n'a pas à faire l'objet d'une interprétation, qu'iI n'est nullement besoin d'être un spécialiste en droit des assurances pour comprendre le cas où la garantie est due (mon établissement est le seul à subir une fermeture administrative) et le cas où la garantie est exclue (d'autres établissements dans le même département sont fermés pour la même cause).
Elle souligne que l'extension de garantie litigieuse ne constitue pas une garantie contre le risque d'une épidémie mais contre le risque d'une fermeture administrative. Elle considère qu'il ne peut lui être fait grief de ne pas avoir défini le terme « épidémie », qui est seulement employé au titre des conditions de garantie, puisque ce qui compte, ce n'est pas la nature, la localisation et l'étendue de l'épidémie mais sa conséquence, à savoir la fermeture du seul établissement assuré ou celle de plusieurs établissements dans le département, pour la même cause. Elle ajoute que la proposition d'avenant faite par Axa à ses assurés ne remet pas en cause la clarté de la clause d'exclusion.
La société Canal Sud prétend que la clause d'exclusion n'est pas claire. Elle se limite essentiellement à critiquer les arguments avancés par la société Axa en commentant la jurisprudence citée par cette dernière. Elle considère que l'assureur croit utile d'expliquer les termes de la clause d'exclusion tout en indiquant que celle-ci n'emploie pas un vocabulaire spécialisé ; qu'il a une définition tout à fait personnelle d'une épidémie et que ce terme en particulier nécessite d'être précisé.
*****
Il résulte de l'
article L.113-1 du code des assurances🏛 que les clauses d'exclusion de garantie qui privent l'assuré du bénéfice de la garantie en considération de circonstances particulières de la réalisation du risque doivent être formelles et limitées.
Une clause d'exclusion n'est pas formelle lorsqu'elle ne se réfère pas à des critères précis et nécessite interprétation.
A titre liminaire, la cour observe que le caractère formel et limité de la clause litigieuse doit s'apprécier au regard des seules stipulations du contrat dans lequel elle figure, sans considération des modifications envisagées voire effectivement apportées à ce contrat.
En l'espèce, la clause d'exclusion ne nécessite pas d'être interprétée et n'est pas de nature à créer un doute sur la portée de l'exclusion, selon laquelle lorsque la fermeture administrative affecte concomitamment, dans le même département, un autre établissement pour une cause identique, et donc lorsqu'une même épidémie entraîne la fermeture administrative d'un autre établissement, la garantie ne s'applique pas.
La société Axa fait justement observer qu'aucun des mots figurant dans la clause d'exclusion ne relève du vocabulaire spécialisé de l'assurance, qu'en sa qualité de professionnelle de la restauration soumise à de nombreuses règles d'hygiène, la société Canal Sud n'ignorait pas les périls sanitaires susceptibles de se traduire dans le cadre de son activité par des épidémies « localisées » et par la fermeture administrative « individuelle » de son établissement, qu'elle n'a pas pu se méprendre sur la portée de la clause d'exclusion, rédigée en caractères très apparents.
La mention « quelle que soit sa nature et son activité » permet à l'assuré de bien comprendre que la fermeture de tout autre établissement, quel qu'il soit, écarte l'application de la garantie lorsque cette fermeture, dans le même département, résulte d'une cause identique.
La mention de « cause identique » est sans ambiguïté et se réfère à la cause de fermeture des établissements concernés, à savoir la fermeture administrative consécutive à une maladie contagieuse, un meurtre, un suicide, une épidémie ou une intoxication, de sorte que la notion d'épidémie constitue une condition de la mise en oeuvre de la garantie.
Dès lors, la circonstance particulière de réalisation du risque privant l'assuré du bénéfice de la garantie n'est pas l'épidémie mais la situation dans laquelle, à la date de la fermeture administrative, un autre établissement faisait l'objet d'une mesure de fermeture administrative pour une cause identique à l'une de celles énumérées par la clause d'extension de garantie, de sorte que l'ambiguïté alléguée du terme « épidémie » est sans incidence sur la compréhension par l'assuré des cas dans lesquels l'exclusion s'applique.
La clause d'exclusion apparaît ainsi claire et précise, de sorte que son caractère formel ne peut être remis en cause.
Sur le caractère limité de la clause
La société Axa reproche au tribunal de commerce d'avoir jugé que la clause d'exclusion vidait la garantie de sa substance au sens de l'
article L.113-1 du code des assurances🏛. Elle soutient que cette clause vient seulement limiter le champ de la garantie mais ne la supprime pas ; qu'autrement dit, si la clause litigieuse exclut de la garantie les cas de fermetures dites « collectives » du type Covid-19, elle laisse en revanche entière la garantie des fermetures dites « individuelles » causées par des pathologies, du type listériose ou légionellose, ou encore lorsqu'Axa n'est pas en mesure de rapporter la preuve de la fermeture d'un autre établissement dans le même département.
Elle considère qu'au sens de l'
article 1170 du code civil🏛, la clause d'exclusion ne prive pas de sa substance l'obligation essentielle d'Axa dans la mesure où cette obligation correspond à la couverture de risques inhérents à l'activité de l'assurée (fermeture administrative au motif d'épidémie de légionellose, de gastro-entérite, de listériose, etc.) dans une fréquence et une proportion beaucoup plus larges que ceux d'une crise sanitaire nationale ayant pour effet la fermeture de plusieurs établissements.
Selon l'appelante, il ne peut pas non plus être jugé que la clause d'exclusion est contraire à l'
article 1171 du code civil🏛 en créant un déséquilibre significatif au détriment de l'assurée, dès lors que la fréquence de réalisation du risque assuré (fermeture administrative individuelle d'un restaurant pour cause d'épidémie) est plus « probable » que celle du risque exclu par le contrat d'assurance qu'elle a souscrit (fermeture collective d'établissements pour cause d'épidémie).
Elle en déduit que la clause d'exclusion est bien limitée car elle laisse dans le champ de la garantie la couverture du risque d'une fermeture administrative isolée causée par une épidémie, auquel l'intimée est exposée dans le cadre de son activité de restauration.
La société Canal Sud réplique que la fermeture administrative d'un unique établissement dans le cas d'une épidémie relève d'un cas d'école qui tendrait à démontrer qu'il s'agirait d'une épidémie qui n'en est pas une ; que les exemples donnés par l'appelante sont inopérants. Elle estime que la clause de garantie rédigée par la société Axa est « une poudre aux yeux ».
*****
Une clause d'exclusion n'est pas limitée, au sens de l'
article L.113-1 susvisé du code des assurances🏛, lorsqu'elle vide la garantie de sa substance, en ce qu'après son application elle ne laisse subsister qu'une garantie dérisoire.
En outre, selon l'
article 1170 du code civil🏛, « Toute clause qui prive de sa substance l'obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite ».
L'article 1171 du même code dispose que « Dans un contrat d'adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l'avance par l'une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ».
Il doit être à nouveau rappelé que le risque assuré est celui des pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative, et non le risque de survenance d'une épidémie.
A cet égard, ne doit pas seulement être envisagée la situation sanitaire créée par la Covid-19 mais aussi celle pouvant résulter de n'importe quelle épidémie.
Il convient aussi de tenir compte du fait que l'autorité administrative peut vouloir, dans certaines zones géographiques encore peu touchées par une maladie infectieuse, limiter, dans un département donné, les mesures de fermeture à un seul établissement pour éviter les contaminations pouvant avoir été détectées dans cet établissement ou dans une zone géographique qui lui est proche. Il a pu en être ainsi en période de Covid-19 en cas de « cluster » constaté dans un établissement alors que les autres établisssements du même type n'ont pas été fermés.
La garantie reste encore mobilisable lorsque l'assureur ne peut pas rapporter la preuve de la fermeture administrative d'un autre établissement dans le même département et pour la même cause.
Enfin, la garantie objet du litige couvre également le risque de pertes d'exploitation consécutives, non à une épidémie, mais à une fermeture administrative ordonnée à la suite d'une maladie contagieuse, d'un meurtre, d'un suicide, d'une épidémie ou d'une intoxication, de sorte que l'exclusion considérée, qui laisse dans le champ de la garantie les pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative liée à ces autres causes ou survenue dans d'autres circonstances que celles prévues par la clause d'exclusion, n'a pas pour effet de vider la garantie de sa substance.
Il se déduit de l'ensemble de ces éléments que la clause satisfait au caractère limité imposé par l'
article L.113-1 du code des assurances🏛.
Enfin, la proposition faite par la société Axa à ses assurés de souscrire de nouveaux avenants à l'effet de supprimer la garantie perte d'exploitation suite à une fermeture administrative pour cause d'épidémie ou de maladie infectieuse et de réécrire la garantie perte d'exploitation suite à une fermeture administrative, ne remet pas en cause la validité de la clause d'exclusion litigieuse et ne constitue pas un aveu d'inopposabilité de la clause d'exclusion par l'assureur.
Il est incontestable que les mesures d'interdiction d'accueillir du public prévues par l'arrêté du 14 mars 2020 susmentionné puis par le décret n°2020-293 du 23 mars 2020, le décret n°2020-548 du 11 mai 2020 et le décret n°2020-1310 du 29 octobre 2020 se sont appliquées « sur l'ensemble du territoire de la République » et qu'elles ont visé, pour une cause identique à savoir l'épidémie de Covid-19, d'autres établissements situés dans le même département que le restaurant exploité par la société Canal Sud.
La société Axa est en conséquence fondée à opposer aux déclarations de sinistres de la société Canal Sud la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative pour cause d'épidémie.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en toutes ses dispositions et la société Canal Sud sera déboutée de l'intégralité de ses demandes.
Il n'y a pas lieu de faire droit à la demande d'annulation de la mesure d'expertise judiciaire formulée par la société Axa dès lors que la cour est saisie d'une demande d'infirmation du jugement qui l'a ordonnée. En toute état de cause, cette demande d'annulation est sans objet puisque l'expertise a été réalisée et qu'en outre le tribunal de commerce a statué sur la charge des frais et honoraires d'expertise dans son jugement en date du 24 avril 2022 dont la société Axa a par ailleurs interjeté appel le 19 juillet 2022.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les dispositions du jugement déféré relatives aux dépens et à l'
article 700 du code de procédure civile🏛 seront infirmées.
En application de l'
article 696 du code de procédure civile🏛, la société Canal Sud supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
Il ne peut être fait droit à la demande de la société Canal Sud tendant à la condamnation de la société Axa à lui régler la somme de 6.786 €, laquelle correspond aux frais d'expertise, dès lors que le tribunal de commerce a statué sur ce point par un jugement du 24 avril 2022 qui ne fait pas l'objet du présent appel.
Il ne parait pas inéquitable de laisser à chaque partie la charge de ses frais irrépétibles.
PAR CES MOTIFS
La COUR, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu le 2 avril 2021 par le tribunal de commerce de Versailles ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que la société Axa France Iard est fondée à opposer à la société Canal Sud la clause d'exclusion dont est assortie l'extension de garantie relative aux pertes d'exploitation consécutives à une fermeture administrative ;
DÉBOUTE la société Canal Sud de l'intégralité de ses demandes ;
CONDAMNE la société Canal Sud aux entiers dépens de première instance et d'appel ;
DÉBOUTE la société Axa France Iard de sa demande au titre de l'
article 700 du code procédure civile🏛.
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'
article 450 du code de procédure civile🏛.
Signé par Monsieur François THOMAS, Président et par M. BELLANCOURT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
Le greffier, Le président,