M. [M] a relevé appel de ce jugement le 4 juin 2021, dans des conditions de forme et de délai non discutées, en énonçant dans sa déclaration d'appel les chefs critiqués.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 28 février 2022, auxquelles il est expressément fait référence, M. [M] demande à la cour de :
- réformer le jugement dont appel, sauf en ce qu'il a, sur le principe, requalifié les CDD de M. [M] en CDI, condamné la clinique du [4] à verser à M. [M] 1388,69 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement, 3 633,93 euros au titre de rappel de salaire sur les périodes interstitielles, 363,39 € au titre des congés payés sur les périodes interstitielles, 1 200 euros sur le fondement de l'
article 700 du code de procédure civile🏛, ordonné la remise des documents sociaux rectifiés et condamné la Clinique du [4] aux entiers dépens de l'instance,
Puis, statuant à nouveau :
- rejeter toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,
- déclarer recevable la demande de requalification des CDD successifs en CDI à compter du 21 novembre 2016 comme étant non prescrite,
- déclarer irrecevable la demande de la clinique du [4] relative à l'indemnité légale de licenciement reprise uniquement dans les motifs et non le dispositif des écritures, pour ne pas avoir fait l'objet d'un appel incident, et en toute hypothèse la rejeter,
- requalifier les contrats de travail à durée déterminée successifs en contrat de travail à durée indéterminée à compter du 21 novembre 2016 jusqu'au 6 août 2018,
- condamner la Clinique du [4] à payer la somme de 9 750 euros net à M. [M] au titre de l'indemnité de requalification,
- juger que la Clinique du [4] a manqué à son obligation de sécurité quant à la protection de la santé et de la sécurité de M. [M],
- condamner la Clinique du [4] à payer à M. [M] la somme de 13 000 euros net de dommages et intérêts en réparation des préjudices subis,
- juger que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- juger que l'application du barème résultant des dispositions de l'
article L1235-3 du code du travail🏛 doit être écartée comme non conforme aux engagements internationaux de la France, notamment la Convention n°158 de l'OIT en son article 10 et la Charte sociale européenne du 3 mai 1996 en son article 24, et à tout le moins comme portant une atteinte disproportionnée aux droits du salarié au moyen d'un contrôle de conventionnalité in concreto,
- condamner en conséquence, la Clinique du [4] à payer à M. [M] 26000 euros net de dommages et intérêts pour licenciement abusif et, à titre subsidiaire, 6 500 euros net (équivalent à 2 mois de salaire),
- ordonner la remise de l'attestation pôle emploi et du certificat de travail après modification de l'ancienneté du salarié fixée au 21 novembre 2016,
- condamner la Clinique du [4] aux intérêts légaux,
- condamner la Clinique du [4] à payer 4 500 euros au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛 et à supporter les entiers dépens de l'instance.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 30 novembre 2021, auxquelles il est expressément fait référence, la société Clinique du [4] demande à la cour de :
A titre principal :
- déclarer irrecevables, comme étant prescrites, les demandes de M. [Y] [M] tendant à la requalification de ses CDD en CDI à compter du 21 novembre 2016 et à la condamnation de la Clinique du [4] au paiement de la somme de 9750 euros à titre d'indemnité de requalification,
- confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Montauban,
- débouter M. [M] de l'intégralité de ses demandes,
- condamner M. [M] à payer à la Clinique du [4] une indemnité de 1500 euros par application de l'
article 700 du code de procédure civile🏛,
- condamner M. [M] aux dépens d'appel.
A titre subsidiaire :
- limiter les condamnations de la Clinique du [4] aux indemnités suivantes:
*3 200 euros au titre de l'indemnité de requalification du CDD du 21 novembre 2016 en CDI,
* 6 496,78 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
- débouter M. [M] de ses demandes plus amples et contraires.
MOTIFS :
Sur la recevabilité des demandes et la requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée :
Par application des
articles L.1242-1 et L.1242-2 du code du travail🏛🏛, un contrat à durée déterminée quel qu'en soit son motif, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale de l'entreprise.
Par ailleurs le contrat à durée déterminée est soumis à un certain formalisme, en ce que le motif de recours à ce type de contrat de travail, dérogatoire du droit commun, doit y être précisé.
Il ne peut y avoir de contrat à durée déterminée successifs que dans les conditions et circonstances limitativement énumérées par les
articles L.1244-1, L.1244-2, L.1244-3 et L.1244-4 du code du travail🏛🏛🏛🏛. L'accroissement temporaire d'activité ne fait donc pas partie des cas légaux de recours à des contrats à durée déterminée successifs.
Il existe par ailleurs un délai de carence entre les contrats à durée déterminée qui ne peuvent être successifs.
Il résulte enfin des dispositions de l'
article L 1245-2 du code du travail🏛, qu'en cas de requalification, il est accordé au salarié une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à un mois de salaire.
Aux termes de l'
article L. 1471-1 du code du travail🏛, toute action portant sur l'exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit ; il en résulte que le délai de prescription d'une action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, fondée sur un vice de forme (par exemple l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification, ou le non respect du délai de remise du contrat au salarié), court à compter de la conclusion de ce contrat ; en revanche le point de départ du délai de prescription de la même action en requalification mais fondée sur un vice de fond, tel qu'un motif illicite ou inopérant de recours au contrat à durée déterminée, est la date du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, la date de terme du dernier contrat.
En l'espèce, la clinique du [4] soulève la prescription biennale des demandes de M. [M] : celui-ci sollicite la requalification de ses 130 contrats à durée déterminée conclus entre le 21 novembre 2016 et le 2 mai 2018 (date de son embauche en contrat à durée indéterminée) au motif que ceux-ci étaient destinés à répondre à un besoin structurel de main-d'œuvre et donc correspondaient à l'activité pérenne de la clinique.
Ces contrats à durée déterminée successifs étaient selon lui systématiquement conclus pour le même poste d'infirmier, sous couvert de remplacements de salariés absents.
M. [M] invoque donc un vice de fond, de sorte que le point de départ de l'action en requalification est la date du terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, la date de terme du dernier contrat, soit en l'espèce le 26 avril 2018.
M. [M] a saisi le conseil de prud'hommes le 5 avril 2019 soit moins de deux ans après le terme du dernier contrat litigieux, de sorte que sa demande de requalification des contrats à durée déterminée conclus à compter du 21 novembre 2016 n'est pas prescrite, pas plus que la demande d'indemnité de requalification y afférente.
Sur le fond, M. [M] a été affecté au même poste de travail durant plus de 18 mois, moyennant plus d'une centaine de contrats à durée déterminée ; il travaillait en tant qu'infirmier dans le même service de réanimation et moyennant la même rémunération; les pièces produites montrent que M. [M] était intégré dans les plannings plusieurs semaines avant la date d'effet de chaque contrat, il recevait en effet des plannings mensuels à l'avance (ex : le 17 janvier 2017 pour tout le mois de février 2017) alors que sur un même mois étaient conclus au dernier moment plusieurs contrats à durée déterminée (par ex : 7 contrats à durée déterminée en février 2017 pour remplacer des salariés en congés payés ou en maladie), ce qui est totalement antinomique et révèle que, sous couvert de contrats à durée déterminée, M. [M] était parfaitement intégré au service pour répondre aux besoins de l'activité pérenne de la clinique, étant observé qu'au travers de missions d'intérim et de divers contrats à durée déterminée, la relation contractuelle a duré 16 ans sous statut précaire.
Le fait que M. [M] ait démissionné en juillet 2016 d'un précédent contrat à durée indéterminée conclu avec la clinique sans formuler d'observations sur la précarité antérieure de sa situation est sans incidence sur sa demande de requalification qui, de surcroît, porte sur la période postérieure au 21 novembre 2016.
Son refus d'un précédent poste d'infirmier en contrat à durée indéterminée en 2013 est tout aussi inopérant à faire obstacle à la demande de requalification.
La cour estime au vu des pièces produites que la succession de contrats à durée déterminées conclus entre les parties avait pour vocation de répondre à un besoin en main d'oeuvre relevant de l'activité pérenne de la clinique. Les brèves périodes d'interruption entre certains contrats, au vu de leur durée et leur nombre, ne sont pas de nature à remettre en cause cette analyse et correspondent à des absences pouvant relever de la prise de congés payés pour un salarié en contrat à durée indéterminée.
En conséquence, le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a requalifié la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, mais infirmé sur la date à compter de laquelle il convient de faire prendre effet cette requalification, la cour fixant celle-ci à compter du 21 novembre 2016.
Le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a alloué à M. [M] une indemnité de requalification par application de l'
article L1245-2 du code du travail🏛, néanmoins au vu du préjudice subi par M. [M], maintenu dans la précarité durant une longue durée, il lui sera alloué la somme de 6000 € par réformation du jugement sur le quantum, étant précisé que le salaire moyen de M. [M] s'élevait en dernier lieu à 3248,39 €.
Enfin, s'agissant des rappels de salaire sollicités sur les périodes interstitielles, la cour considère comme les premier juges qu'il convient de faire droit à la demande dans la mesure où durant les très brèves périodes entre deux contrats, M. [M] était dans l'impossibilité d'occuper un autre emploi et se tenait à la disposition permanente de l'employeur ; le chiffrage auquel a procédé M. [M] en pièce n°34 n'est pas spécialement critiqué par l'employeur et est validé par la cour, ainsi le jugement entrepris sera confirmé sur le montant des rappels de salaire alloués.
Sur l'obligation de sécurité :
Dans le cadre de l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur destinée notamment à prévenir les risques pour la santé et la sécurité des salariés, la loi lui fait obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.
Et l'
article L.4121-1 du code du travail🏛 lui fait obligation de mettre en place :
- des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail,
- des actions d'information et de formation,
- une organisation et des moyens adaptés,
et de veiller à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes.
L'
article R.4624-10 du Code du travail🏛, dans sa version antérieure au 1er janvier 2017 et applicable au début de la relation de travail de M. [M], prévoyait que le salarié bénéficiait d'un examen médical avant l'embauche ou au plus tard avant l'expiration de la période d'essai par le médecin du travail.
L'article R. 4624-24 du Code du travail, applicable depuis le 1er janvier 2017, prévoit l'obligation pour l'employeur d'organiser une visite d'information et de prévention dans un délai qui n'excède pas trois mois à compter de la prise effective du poste de travail, ou, s'il s'agit d'un emploi à risque, d'organiser une visite d'aptitude d'embauche.
En l'espèce, M. [M] soutient que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité en ne lui faisant pas passer de visite médicale, lors de son embauche le 21 novembre 2016. Il est constant que le salarié n'a pas bénéficié d'une telle visite.
De plus, il résulte des pièces produites que la dernière visite médicale dont a bénéficié le salarié date de 2013, alors qu'il aurait dû faire l'objet d'un suivi médical renforcé en ce qu'il était exposé à des agents biologiques et à des allergènes respiratoires T66, et qu'il travaillait de nuit.
La clinique du [4] justifie certes de difficultés rencontrées par la médecine du travail en raison d'une pénurie de médecins pour assurer le suivi des salariés de la clinique, néanmoins les courriers évoquant ces difficultés sont datés de 2019 et 2020 soit postérieurement au départ du salarié, et sont très postérieurs à la période au cours de laquelle le suivi aurait dû être effectué.
La cour retient donc, contrairement aux premiers juges, que la clinique a manqué à son obligation de sécurité à ce titre.
M. [M] a subi un préjudice, car il avait fait l'objet d'un arrêt maladie pour état dépressif en 2016 à la suite duquel il a démissionné, avant d'être de nouveau ré-embauché en septembre 2016 sans faire l'objet d'une quelconque visite ni d'un suivi ultérieur.
Il a fait l'objet d'un nouvel arrêt de travail sur la période du 27 mai 2018 jusqu'au 1er juin 2018 inclus, prolongé à plusieurs reprises jusqu'au 5 mars 2019, et a été sollicité par la directrice des soins, pendant cet arrêt maladie, pour remplacer un salarié absent et intervenir durant la nuit du 31 mai au 1er juin 2018.
M. [M] soutient s'être blessé à l'épaule droite durant cette nuit de travail, s'en est plaint à l'employeur par un mail du 5 juin 2018 qu'il produit, et n'a pu passer une radiographie de contrôle que le 13 juin 2018, dont il produit le compte-rendu mettant en évidence une lésion cicatricielle, de nature à corroborer ses dires.
Il indique avoir fait l'objet d'un état dépressif lié à un épuisement professionnel et produit en ce sens les certificats de son médecin généraliste et son médecin psychiatre.
Depuis le 27 mai 2018, le salarié fait l'objet d'une affection psychiatrique de longue durée, et est classé en invalidité de catégorie 2.
L'absence de tout suivi médical durant la relation contractuelle lui a fait perdre une chance de bénéficier de mesures de prévention et/ou d'aménagement de poste.
Ainsi il sera alloué à M. [M] la somme de 5000 € à titre de dommages-intérêts, par infirmation du jugement entrepris.
Sur le licenciement :
Il appartient à la cour d'apprécier, conformément à l'
article L 1235 - 1 du code du travail🏛, le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur dans la lettre de licenciement et rappelés dans l'exposé du litige ; si un doute subsiste, il profite au salarié.
En l'espèce, M. [M] a été licencié par courrier du 5 juillet 2018 motivé comme suit :
'Le 23 mai 2018, vous étiez en poste 19h/7h, sur le service de réanimation/soins continus. Vous êtes arrivé en retard ce soir-là car vous m'avez rencontré et nous avons discuté.
Vous avez prévenu le cadre de nuit Mme [Aa]. Vous étiez la 4ème IDE, les transmissions étaient déjà faites quand vous êtes arrivé.
Il y avait ce soir-là beaucoup d'activité dans le service, un patient venait de décéder, il fallait le descendre à la morgue, nettoyer le box, un transfert de patient était à faire de la réanimation vers les soins continus et patient de réanimation (occupant la place de déchocage) attendait son lit une fois le transfert fait.
Les aides-soignantes ont demandé votre aide à plusieurs reprises pour accélérer le travail ; elles vous ont sollicité mais sans succès. Vous nous avez dit en entretien que cela vous a énervé. Vous êtes parti du service pour aller fumer et 'faire retomber la pression'. Vers 21h30, le cadre de nuit vous a trouvé devant le service des urgences en train de faire une pause, vous lui avez dit que vous étiez un peu énervé. Les personnels ont ensuite appelé la cadre de nuit vers 21h45 pour lui demander de vous faire remonter et de les aider en réanimation. La cadre de nuit vous demande de remonter de suite.
Selon vos propos, cela vous a énervé. Vous êtes remonté au 4ème étage furieux contre les équipes.
Vous êtes arrivé très en colère dans le box d'un patient (Mr Ab), où il y avait déjà 2 IDE et une aide-soignante. Vous avez crié sur les équipes en demandant « qui a dit que je ne voulais pas venir ' » devant le patient conscient, une altercation violente éclate et vous avez jeté votre gobelet de café dans un mouvement brusque sur le lit du patient. Un peu de café a atterri sur les jambes du patient. Nous avons dû dès le lendemain matin nous excuser officiellement auprès du patient, lequel nous a relaté la même version que les équipes présentes cette nuit-là.
Les 2 aides-soignantes sont choquées, elles appellent la représentante syndicale présente ce soir-là et la cadre de nuit. Vous redescendez aux urgences, vous recroisez la cadre de nuit et lui dites que puisque cela se passe comme ça, vous ne les aiderez pas.
Vous reconnaissez pendant l'entretien, avoir accumulé trop de stress, que vous ne pouvez pas travailler dans ces conditions.
Une nouvelle fois, vous reconnaissez le geste et la faute et vous nous expliquez que vous êtes impulsif, mais qu'il n'y avait aucune intention de nuire.
Cette attitude de violence et de colère est grave ; elle remet en cause le travail en équipes et la collaboration IDE/aide-soignant et la bonne prise en charge de nos patients, elle met potentiellement en danger nos patients et nuit à l'image de la clinique.
Cette situation est pour nous inacceptable et nous ne pouvons prendre le risque de la voir se répéter.
Nous considérons que ces faits caractérisent un véritable manquement et constituent une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Votre préavis conventionnel d'une durée d'un mois débutera à la première présentation de la présente lettre. Nous avons décidé de nous dispenser de l'exécution de ce préavis'.
La clinique du [4] a ainsi licencié M. [M] en raison d'une altercation survenue entre le salarié et deux aides-soignantes ayant vainement sollicité son aide avant de s'en plaindre au cadre de nuit.
Deux rapports d'incident sont produits aux débats au sujet de ces faits :
-un rapport établi par Mme [R] le 25 mai 2018, ayant entendu les deux aides-soignantes Ac [Ad] et [E] ainsi que M. [M] ; il en ressort que M. [M], alors posté au service USC (Unité de Soins Continus) a été sollicité à plusieurs reprises par ses collègues du service de réanimation surchargé, pour les aider ; que M. [M] a refusé et est descendu fumer une cigarette de sorte que les deux aides-soignantes ont appelé un cadre de santé, Mme [Aa] ; M. [M] est alors remonté furieux en vociférant et a, selon les aides-soignantes, jeté son gobelet de café sur le lit d'un patient.
M. [M] a contesté cette version, indiquant à Mme [R] qu'il avait dit qu'il viendrait les aider une fois ses soins finis, et s'est énervé car elles n'ont pas attendu et ont appelé un cadre ; il admet une dispute dans le box 4 devant un patient ;
-un rapport établi par Mme [Aa], cadre de santé, laquelle mentionne avoir rencontré M. [M] B, alors qu'il fumait et buvait un café, ce salarié lui indiquant avoir été sollicité à plusieurs reprises par Mme [E] alors qu'il était occupé à relever un patient souillé et à le changer ; Mme [Aa] ajoute avoir sollicité M. [M] à 21h45 afin qu'il aide ses collègues, et qu'il a obtempéré ; à 22h M. [M] est remonté énervé en indiquant qu'il s'était 'un peu engueulé' avec les aides-soignantes et avait jeté son gobelet en partant ; les aides-soignantes ont indiqué qu'il restait un peu de café dans le gobelet et que celui-ci avait atteint les jambes d'un patient, lequel avait l'air apeuré.
M. [M] a alors indiqué à Mme [Aa] qu'il avait été poussé à bout, qu'il ne s'était pas rendu compte que le gobelet était tombé sur le patient ni qu'il restait un fond de café.
Il est également produit un mail intitulé 'fiche d'événement indésirable' du 23 mai 2018, établi par Mme [N], l'une des aides-soignantes en cause, dénonçant les faits tels que décrits dans les deux rapports d'incident.
Dans ses conclusions, M. [M] ne conteste pas le déroulement des faits mais estime qu'ils ne sauraient constituer une cause réelle et sérieuse de licenciement alors que l'employeur l'a sollicité pour qu'il reprenne son poste après l'incident du gobelet, lequel était vide selon lui lorsqu'il est tombé sur le patient. Il indique qu'il était poussé à bout et épuisé, et qu'il n'a jamais eu le moindre incident disciplinaire en plus de quinze ans.
Il estime la sanction disproportionnée au regard des faits, qu'il impute aux conditions de travail.
La clinique du [4] admet que les faits, qualifiés de cause réelle et sérieuse de licenciement, ne faisaient pas obstacle à ce que M. [M] travaille après l'incident, aucune mise à pied conservatoire n'ayant effectivement été prononcée.
Il est exact que M. [M] n'a pas été licencié pour faute grave ; néanmoins l'employeur, qui insiste sur la gravité des faits lorsqu'il les relate dans la lettre de licenciement, a pourtant sollicité M. [M] pour travailler y compris durant son arrêt maladie, lequel débutait le 27 mai 2018.
Il ressort en effet des échanges de mails produits que l'employeur insistait pour que M. [M] reprenne son poste après l'incident, notamment pour la nuit du 31 mai 2018 et pour le 15 juin 2018, en demandant au salarié d'écourter son arrêt maladie en consultant le médecin de garde de la clinique afin qu'on lui établisse un certificat de reprise, ce qui ne fut pas fait, M. [M] reprenant néanmoins son poste en précisant même par mail que son arrêt de travail se poursuivait et que 'si c'est pas possible d'être payé, ce n'est pas très grave!'.
L'employeur considérait donc, le 30 mai 2018, que le comportement de M. [M], adopté ponctuellement le 23 mai ne faisait pas obstacle à la poursuite de la relation de travail.
Cette position de l'employeur est corroborée par un mail de la responsable de soins Mme [C], en date du 12 juin 2018 : lorsque M. [M] lui indiquait, face à l'insistance de l'employeur pour sa reprise, que son médecin lui déconseillait de reprendre avec l'équipe actuelle, et qu'il se disait prêt 'à reprendre quand vous voulez mais avec l'équipe d'IRIA', Mme [C] répondait : 'votre mutation sur la contre équipe est prévue à compter du 20/08, sachant qu'en août il y a des congés d'une ASD. En juin j'ai fait des aménagements pour que vous soyez en contre équipe et si vous pouvez travailler ce vendredi 15 où vous êtes en reprise, ce sera parfait. Pour juillet je verrai plus tard'.
La cour considère donc que les faits commis par M. [M] étaient certes fautifs mais s'inscrivaient dans un contexte de surcharge de service ayant généré une altercation à laquelle ont d'ailleurs participé d'autres soignants ; que M. [M] n'avait aucun passé disciplinaire en 16 ans d'activité au service de la Clinique du [4] sous divers statuts et contrats, et que l'employeur avait envisagé et annoncé au salarié une mesure destinée à éviter tout incident ultérieur en maintenant M. [M] dans son emploi; ainsi le licenciement intervenu est disproportionné au regard de ces éléments.
Le jugement sera donc infirmé en ce qu'il a considéré que le licenciement reposait sur une cause réelle et sérieuse ; le licenciement de M. [M], jugé par la cour comme dénué de cause réelle et sérieuse, ouvre droit à celui-ci à l'indemnisation de son préjudice issu de la rupture sur le fondement de l'
article L 1235-3 du code du travail🏛, modifié par l'ordonnance du 22 septembre 2017.
M. [M] estime que le barème de l'
article L1235-3 du code du travail🏛 doit être écarté en raison de son inconventionnalité, notamment avec l'article 10 de la Convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail sur le licenciement et l'article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996 ; subsidiairement il demande à la cour de l'écarter en faisant une appréciation in concreto de sa situation, car le barème ne lui assurerait pas une réparation adéquate de son préjudice.
L'article 55 de la Constitution du 4 octobre 1958 dispose que les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie.
Lorsque des dispositions internes sont en cause, comme en l'espèce, le juge du fond doit vérifier leur compatibilité avec les normes supra-nationales que la France s'est engagée à respecter, au besoin en écartant la norme nationale en cas d'incompatibilité irréductible.
L'article 24 de la charte sociale européenne révisée le 3 mai 1996 consacré au 'droit à la protection en cas de licenciement' dispose :
'En vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s'engagent à reconnaître :
a. le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service ;
b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s'engagent à assurer qu'un travailleur qui estime avoir fait l'objet d'une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial'.
Ces dispositions de la charte sociale européenne révisée le 3 mai 1996 ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.
Dès lors, ce texte ne peut être utilement invoqué par l'appelant pour voir écarter les dispositions de l'
article L.1235-3 du code du travail🏛.
Selon l'article 10 de la convention internationale du travail nº 158 sur le licenciement de l'organisation internationale du travail, qui est d'application directe en droit interne:
« Si les organismes mentionnés à l'article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »
Le terme 'adéquat' doit être compris comme réservant aux Etats parties une marge d'appréciation.
Selon l'
article L. 1235-3 du code du travail🏛, dans sa rédaction issue de l'
ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017🏛, dont les dispositions sont applicables aux licenciements prononcés postérieurement à la publication de ladite ordonnance, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux.
La cour estime que l'indemnisation fixée par ce barème est de nature à assurer la réparation du préjudice né de la rupture du contrat de travail de manière adéquate, il n'y a donc pas lieu d'en écarter l'application.
Selon le tableau, pour un salarié tel que M. [M], ayant 1 an et 7 mois d'ancienneté (compte tenu de la requalification en contrat à durée indéterminée à compter du 21 novembre 2016) dans une entreprise comprenant au moins 11 salariés, cette indemnité est comprise entre 1 et 2 mois de salaire brut.
M. [M] était âgé de 56 ans et son salaire de référence était fixé en dernier lieu à 3248,39 € bruts, il n'a pas retrouvé d'emploi et perçoit une pension d'invalidité depuis le mois de juin 2021.
En considération de ces éléments, la cour lui allouera la somme de 6496,78 € à titre de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
S'agissant de l'indemnité légale de licenciement allouée par le conseil de prud'hommes à hauteur de 1388,69 €, la cour observe que M. [M] sollicite la confirmation de ce chef de jugement, et que la Clinique du [4] sollicite à la fois l'irrecevabilité de la demande de requalification des contrats à durée déterminée en contrat à durée indéterminée, la confirmation du jugement en toutes ses dispositions, et le débouté de toutes les demandes de M. [M], sans solliciter l'infirmation du jugement de ce chef; dans ces conditions la cour ne peut que confirmer le jugement sur ce point.
Sur le surplus des demandes :
S'agissant des sommes 'nettes' réclamées par M. [M] au titre des dommages-intérêts et de l'indemnité de requalification, la cour rappelle qu'elle n'a pas le pouvoir de déroger aux dispositions relatives au paiement de la contribution sociale généralisée et de la contribution pour le remboursement de la dette sociale instituées aux articles L 136-2 II 5° du code de la sécurité sociale et 14 de l'
ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996🏛.
Il sera fait droit à la demande de M. [M] tendant à la remise par l'employeur de l'attestation Pôle emploi et du certificat de travail mentionnant une ancienneté au 21 novembre 2016, le jugement étant confirmé sur le principe de la remise de documents rectifiés.
La Clinique du [4], succombante, supportera les dépens de première instance par confirmation du jugement entrepris ainsi qu'aux dépens d'appel, et à payer à M. [M] la somme de 3500 € au titre des frais irrépétibles exposés en appel, cette somme s'ajoutant à celle allouée à M. [M] en première instance au titre de l'
article 700 du code de procédure civile🏛.