Jurisprudence : CE 4/1 SSR, 20-05-1996, n° 170343

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 170343

MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE
contre
M. Ali

Lecture du 20 Mai 1996

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 4ème et 1ère sous-sections réunies) Sur le rapport de la 4ème sous-section, de la Section du Contentieux,
Vu le recours enregistré au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 20 juin 1995, présenté par le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE ; le ministre demande au Conseil d'Etat : 1°) d'annuler les articles 2 et 4 du jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 7 avril 1995 ; 2°) d'ordonner le sursis à exécution de ces deux articles du jugement ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution ;
Vu la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et libertés fondamentales ;
Vu la loi du 10 juillet 1989 d'orientation sur l'éducation ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Girardot, Maître des Requêtes, - les conclusions de M. Schwartz, Commissaire du gouvernement ;
Considérant qu'aux termes de l'article 10 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789 : "Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi" ; qu'aux termes de l'article 2 de la Constitution du 4 octobre 1958 : "La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances" ; qu'aux termes de l'article 10 de la loi du 10 juillet 1989 susvisée : "Dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression. L'exercice de ces libertés ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement" ;
Considérant que le principe de la laïcité de l'enseignement public, qui résulte notamment des dispositions précitées et qui est un élément de la laïcité de l'Etat et de la neutralité de l'ensemble des services publics, impose que l'enseignement soit dispensé dans le respect, d'une part, de cette neutralité par les programmes et par les enseignants et, d'autre part, de la liberté de conscience des élèves ; qu'il interdit, conformément aux principes rappelés par les mêmes textes et les engagements internationaux de la France, toute discrimination dans l'accès à l'enseignement qui serait fondée sur les convictions ou croyances religieuses des élèves ; que la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit d'exprimer et de manifester leurs croyances religieuses à l'intérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui, et sans qu'il soit porté atteinte aux activités d'enseignement, au contenu des programmes et à l'obligation d'assiduité ; que, dans les établissements scolaires, le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas, par lui-même, incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l'exercice de la liberté d'expression et de manifestation de croyances religieuses, mais que cette liberté ne saurait permettre aux élèves d'arborer des signes d'appartenance religieuse qui, par leur nature, par les conditions dans lesquelles ils seraient portés individuellement ou collectivement, ou par leur caractère ostentatoire ou revendicatif, constitueraient un acte de pression, de provocation, deprosélytisme ou de propagande, porteraient atteinte à la dignité ou à la liberté de l'élève ou d'autres membres de la communauté éducative, compromettraient leur santé ou leur sécurité, perturberaient le déroulement des activités d'enseignement et le rôle éducatif des enseignements, enfin troubleraient l'ordre dans l'établissement ou le fonctionnement normal du service public ;
Sur la légalité de la décision du principal du collège :
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la décision par laquelle le principal du collège de Prévessin-Moëns s'est opposé à ce que Mlle Ali soit accueillie en cours aussi longtemps qu'elle n'aurait pas ôté le foulard par lequel elle entendait exprimer ses convictions religieuses était fondée, non sur le comportement de la jeune fille mais sur le seul motif que le port de ce foulard aurait été par nature incompatible avec le principe de laïcité ; que ce motif, auquel ne peuvent être substitués les motifs invoqués par le ministre en appel, est erroné en droit ; qu'ainsi, le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé la décision susvisée du principal du collège de Prévessin-Moëns ;
Sur la légalité de la décision du recteur : Considérant, d'une part, qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les conditions dans lesquelles Mlle Ali portait le foulard par lequel elle entendait exprimer ses convictions religieuses aurait revêtu le caractère d'un acte de prosélytisme ou de pression ; qu'il n'est ni allégué, ni établi que Mlle Ali aurait causé des troubles à l'ordre public au sein de l'établissement ; Considérant, d'autre part, qu'il ressort des pièces du dossier que l'administration a refusé à Mlle Ali tout accès à un enseignement quelconque aussi longtemps qu'elle n'aurait pas ôté son foulard ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que le comportement de l'intéressée aurait troublé les activités d'enseignement manque en fait ; Considérant, enfin, qu'aucun des moyens ci-dessus examinés n'étant de nature à établir le bien-fondé des motifs de la décision du recteur, les autres moyens du recours, qui tendent en réalité à substituer de nouveaux motifs à la décision annulée par le tribunal administratif ne sauraient utilement être invoqués à l'appui du recours dirigé contre le jugement attaqué ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a annulé, d'une part, la décision du principal du collège de Prévessin-Moëns refusant à Mlle Ali l'accès à tout enseignement aussi longtemps qu'elle n'aurait pas ôté son foulard et, d'autre part, la décision du recteur de l'académie de Lyon confirmant la sanction de l'exclusion définitive prononcée à l'encontre de Mlle Ali par le conseil de discipline du collège de Prévessin-Moëns ;
D E C I D E :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DE L'EDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPERIEUR ET DE LA RECHERCHE est rejeté.
Article 2 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'éducation nationale, del'enseignement supérieur et de la recherche et à M. Ali.

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