Jurisprudence : CA Douai, 30-08-2022, n° 21/00062, Infirmation partielle

CA Douai, 30-08-2022, n° 21/00062, Infirmation partielle

A742784T

Référence

CA Douai, 30-08-2022, n° 21/00062, Infirmation partielle. Lire en ligne : https://www.lexbase.fr/jurisprudence/91662517-ca-douai-30082022-n-2100062-infirmation-partielle
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ARRÊT DU

30 Août 2022


N° 1177/22


N° RG 21/00062 - N° Portalis DBVT-V-B7F-TMDC


PL/AL


Jugement du

Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de LENS

en date du

18 Décembre 2020

(RG 18/00391 -section )


GROSSE :


aux avocats


le 30 Août 2022


République Française

Au nom du Peuple Français


COUR D'APPEL DE DOUAI

Chambre Sociale

- Prud'Hommes-



APPELANTE :


S.A.R.L. LE VOLET HENINOIS

[Adresse 2]

[Adresse 2]

représentée par Me Franck SPRIET, avocat au barreau de LILLE


INTIMÉE :


Mme [O] [L]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Sylvie DUMOULIN, avocat au barreau de BETHUNE


DÉBATS : à l'audience publique du 24 Mai 2022


Tenue par Philippe LABREGERE

magistrat chargé d'instruire l'affaire qui a entendu seul les plaidoiries, les parties ou leurs représentants ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré,

les parties ayant été avisées à l'issue des débats que l'arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe.


GREFFIER : Aa A



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ


Philippe LABREGERE


: MAGISTRAT HONORAIRE


Ab B


: PRESIDENT DE CHAMBRE


Muriel LE BELLEC


: CONSEILLER


ARRÊT : Contradictoire

prononcé par sa mise à disposition au greffe le 30 Août 2022,

les parties présentes en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues à l'article 450 du code de procédure civile🏛, signé par Philippe LABREGERE, magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles et par Cindy LEPERRE, greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.


ORDONNANCE DE CLÔTURE : rendue le 30 Mars 2022



EXPOSE DES FAITS

 

[O] [L] a été embauchée par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 1er avril 2007 en qualité d'aide aux tâches administratives niveau A de la convention collective des employés, techniciens et agents de maitrise du bâtiment par la société VOLET HENINOIS.


Le 2 mars 2018, elle a découvert dans les toilettes des femmes de son lieu de travail la présence d'une mini caméra dotée d'un dispositif d'enregistrement et d'une mémoire sous la forme d'une carte SD. Après une entrevue avec [K] [W], gérant de la société, celui-ci lui a avoué être à l'origine de l'installation de ce dispositif qu'il actionnait dès qu'il constatait qu'elle se rendait aux toilettes. Le visionnage de la carte a fait apparaitre qu'au moins cinquante enregistrements la concernant, dévoilant son intimité, avaient été réalisés.


La salariée a déposé plainte le 5 mars 2018 et a fait dresser un constat d'huissier le 18 mars 2018. Après avoir été placée en arrêt de travail le 5 mars 2018, elle a pris acte de la rupture de son contrat de travail, par lettre recommandée du 5 juin 2018, en se fondant sur les faits qu'elle avait découverts.


A la suite des poursuites pénales engagées à l'encontre de [K] [W], le président du tribunal de grande instance de Béthune, statuant par ordonnance du 15 mars 2019 sur la requête du Procureur de la République en homologation des peines proposées à titre de sanction des infractions que constituaient les faits dont avait été victime la salariée, a homologué la peine de quatre mois d'emprisonnement avec sursis avec mise à l'épreuve acceptée par [K] [W], la confiscation de l'objet de l'infraction et a statué sur l'action civile d'[O] [L].


A la date de la prise d'acte, [O] [L] percevait un salaire brut mensuel de 932,98 euros pour une durée hebdomadaire de travail de 21 heures. L'entreprise employait de façon habituelle moins de onze salariés.

 

Par requête reçue le 6 décembre 2018, la salariée a saisi le Conseil de prud'hommes de Lens aux fins d'obtenir la requalification de la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse et la condamnation de l'employeur au paiement de diverses sommes salariales et indemnitaires.

 

Par jugement en date du 18 décembre 2020, le Conseil de Prud'hommes a qualifié de licenciement sans cause réelle et sérieuse la prise d'acte rupture du contrat de travail et a condamné la société à verser à la requérante

1934 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis

193,40 euros bruts à titre des congés payés y afférents

2658,73 euros bruts au titre de l'indemnité de licenciement

20000 euros nets pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse

10000 euros nets au titre de dommages et intérêts pour mesures particulièrement dégradantes et humiliantes

3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,

a ordonné la remise des documents réclamés sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ordonné l'exécution provisoire et condamné la société aux dépens y compris le constat d'huissier en date du 18 septembre 2018.



Le 11 janvier 2021 la société VOLET HENINOIS a interjeté appel de ce jugement.



Par ordonnance en date du 30 mars 2022, la procédure a été cl turée et l'audience des plaidoiries a été fixée au 24 mai 2022.


Selon ses écritures récapitulatives reçues au greffe de la cour le 7 février 2022, la société VOLET HENINOIS sollicite de la Cour la réformation du jugement entrepris en ce que les premiers juges ont constaté le non-respect des obligations de l'employeur dans l'exécution du contrat de travail et l'existence de mesures vexatoires, dégradantes et humiliantes perpétrées par ce dernier, ont alloué à la salariée des dommages et intérêts à ce titre, conclut au débouté de la demande de ces chefs, à titre subsidiaire, à la limitation de l'indemnité due à la somme de 2000 euros, à la limitation de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse à la somme de 7463,84 euros ou subsidiairement, à celle de 9796,29 euros, et à la limitation à 1000 euros la somme allouée au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛.

 

L'appelante expose qu'elle n'a pas contesté la matérialité des faits ayant conduit la salariée à prendre acte de la rupture de son contrat de travail, qu'elle a acquiescé à la demande de requalification de la prise d'acte en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, qu'elle sollicite la limitation des dommages et intérêts réclamés à ce titre, que le barème résultant de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017🏛 modifiant l'article L1235-3 du code du travail🏛 est applicable à l'espèce, que bénéficiant d'une ancienneté de onze années au sein de l'entreprise, l'intimée ne pouvait prétendre qu'à une indemnisation comprise entre 2332,45 et 9796,29 euros, que les dispositions de l'article L 1235-3 du Code du travail🏛 sont conformes à l'article 10 de la Convention 158 de l'Organisation Internationale du Travail et à l'article 24 de la Charte sociale européenne, que les premiers juges se sont fondés sur l'article 226-3-1 du code pénal🏛 pour allouer à l'intimée des dommages et intérêts au titre des «mesures particulièrement dégradantes et humiliantes» imputées au gérant de la société, que la juridiction répressive s'est prononcée sur l'infraction reprochée à ce dernier, que dans le cadre de cette procédure, l'intimée s'est constitué partie civile sans pour autant réclamer une quelconque indemnisation de son préjudice, que le certificat médical du 5 mars 2018 délivré par le docteur [P], qui a évalué à sept jours l'incapacité temporaire totale de travail personnel subie par l'intimée, n'est pas suffisant pour caractériser l'existence d'un préjudice distinct, que cette dernière ne démontre pas que le gérant de la société ait tenté de jeter le discrédit sur sa personne, qu'en revanche elle a tenté par tous moyens de nuire à son employeur en le décrédibilisant.


Selon ses conclusions récapitulatives reçues au greffe de la cour le 7 juillet 2021, [O] [L] intimée sollicite de la cour la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de l'appelante à lui verser 3000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛, y compris le coût du constat d'huissier.

 

L'intimée soutient qu'elle a refusé de restituer à son employeur le matériel qu'elle avait découvert malgré les demandes pressantes de ce dernier, qu'elle a été victime de tentatives d'intimidation provenant du gérant, que se trouvant dans l'impossibilité de poursuivre la relation de travail, elle a pris acte de sa rupture, qu'elle n'a retrouvé un emploi dans une société de pompes funèbres qu'à la fin de l'année 2020, que son employeur a commis un grave manquement à ses obligations contractuelles, que compte tenu de l'importance de ces manquements, le barème prévu à l'article L1235-3 du code du travail🏛 peut être écarté, que ce barème est en outre contraire à la convention 158 de l'Organisation Internationale du Travail et à l'article 24 de la Charte sociale européenne, que son employeur n'a nullement pris conscience de la gravité de son comportement, qu'elle a été atteinte dans sa dignité, qu'elle a subi un préjudice distinct du fait des conditions dans lesquelles la rupture du contrat de travail est survenue, que la société a tenté de jeter les discrédit sur sa personne, qu'étant célibataire et mère de deux jeunes enfants, elle a subi un choc psychologique à la suite de la découverte de ces vidéos.



MOTIFS DE L'ARRET


Attendu en application de l'article L1231-1 du code du travail🏛 que la légitimité de la prise d'acte de rupture par l'intimée n'est pas contestée ; qu'elle produit en conséquence les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ; qu'il n'existe aucune discussion sur le montant de l'indemnité compensatrice de préavis, des congés payés y afférents et de l'indemnité de licenciement allouées par les premiers juges ;


Attendu en application de l'article L1235-3 du code du travail🏛 que le plafonnement imposé par ces dispositions ne s'impose au juge que s'il ne porte pas atteinte de façon disproportionnée au droits du salarié, compte tenu des conséquences de son licenciement sur sa situation personnelle, et permet à ce dernier de bénéficier d'une réparation appropriée de son préjudice ; qu'à la date de la rupture de la relation de travail l'intimée était âgée de 31 ans et jouissait d'une ancienneté de onze années au sein de l'entreprise ; qu'elle a dû solliciter le bénéfice d'allocations de retour à l'emploi et n'a retrouvé un travail que plus de deux années plus tard ; que la perte de son emploi lui a bien occasionné un préjudice puisque par suite des manquements de son employeur, elle a dû rompre immédiatement la relation de travail et s'est retrouvée de ce fait soudainement sans ressources alors qu'elle supportait seule la charge de deux jeunes enfants ; que l'allocation de l'indemnité maximale prévue par l'article précité correspondant à dix mois et demi de salaire, soit 9796 euros, est de nature à réparer exactement le préjudice subi par l'intimée du fait de la perte immédiate de son emploi ;


Attendu, sur les dommages et intérêts au titre des mesures particulièrement dégradantes et humiliantes, que l'intimée sollicite la confirmation du jugement entrepris qui les a alloués en se référant à l'infraction commise par [K] [W] consistant en l'enregistrement à l'insu de cette dernière et la transmission de son image présentant un caractère sexuel, alors qu'elle se trouvait dans un lieu privé ; que toutefois pour les justifier, elle se fonde, dans ses écritures, sur le caractère vexatoire du licenciement ; que le tribunal de grande instance de Béthune, dans le cadre de l'ordonnance d'homologation précitée, a statué également sur l'action civile que l'intimée avait engagée en sa qualité de partie civile ; qu'il a déclaré le prévenu entièrement responsable du préjudice qu'elle avait subi à la suite de ces faits ; qu'elle ne peut donc en obtenir, une nouvelle fois, réparation ; que les manquements reprochés à son employeur ne portent que sur les conditions d'exécution du contrat de travail et non sur la rupture de celui-ci ; que le préjudice suscité par leur impact sur sa santé, que démontre l'intimée par la production du certificat médical du docteur [P] prévoyant une incapacité temporaire totale de travail personnel de sept jours, était susceptible d'être réparé dans le cadre de l'action civile ; que par ailleurs, elle ne peut alléguer que son licenciement soit survenu dans des conditions vexatoires alors que la relation de travail a été rompue à son initiative et que les tentatives de la discréditer qu'elle impute à son employeur ne sont nullement démontrées ; qu'il convient en conséquence de la débouter de sa demande de ce chef ;


Attendu qu'il ne serait pas équitable de laisser à la charge de l'intimée les frais qu'elle a dû exposer en cause d'appel et qui ne sont pas compris dans les dépens ; qu'il convient de lui allouer une somme complémentaire de 2000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile🏛 ;



PAR CES MOTIFS

 

La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,


REFORME le jugement déféré,


CONDAMNE la société VOLET HENINOIS à verser à [O] [L] 9796 euros à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,


DEBOUTE [O] [L] de sa demande de dommages et intérêts au titre des mesures dégradantes et humiliantes,


CONFIRME pour le surplus le jugement déféré,


ET Y AJOUTANT,


CONDAMNE la société VOLET HENINOIS à verser à [O] [L] 2000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile🏛,


CONDAMNE la société VOLET HENINOIS aux dépens, y compris le coût du constat d'huissier dressé le 18 septembre 2018 et d'un montant de 318,09 euros.


LE GREFFIER


Cindy LEPERRE


LE PRESIDENT


P. LABREGERE

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