Jurisprudence : CE contentieux, 02-02-1996, n° 152406

CONSEIL D'ETAT

Statuant au Contentieux

N° 152406

SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET

Lecture du 02 Février 1996

REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux)


Le Conseil d'Etat statuant au Contentieux, (Section du contentieux, 8ème et 9ème sous-sections réunies), Sur le rapport de la 8ème sous-section, de la Section du Contentieux,
Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif, enregistrés le 29 septembre 1993 et le 31 janvier 1994 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentés pour la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET, dont le siège social est situé à Kerlys Dilon à Fort-de-France (97200), représentée par son président directeur général en exercice ; la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET demande que le Conseil d'Etat : 1°) annule le jugement du 22 juin 1993 par lequel le tribunal administratif de Fort-de-France a annulé la décision du 15 juin 1990 du ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, annulant la décision de l'inspecteur du travail du 11 décembre 1989 et l'autorisant à licencier, pour faute, M. Berthé Bleau ; 2°) rejette la demande présentée par ce dernier devant le tribunal administratif de Fort-de-France ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code du travail ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu l'ordonnance n° 45-1708 du 31 juillet 1945, le décret n° 53-934 du 30 septembre 1953 et la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Après avoir entendu en audience publique : - le rapport de M. Struillou, Auditeur, - les observations de la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat de la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET et de la SCP Lyon-Caen, Fabiani, Thiriez, avocat de M. Bleau, - les conclusions de M. Arrighi de Casanova, Commissaire du gouvernement ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance de M. Bleau, dirigée contre la décision du 15 juin 1990 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a autorisé la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET à le licencier :
Considérant que la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET soutient que le protocole d'accord qu'elle avait conclu, le 28 juin 1990, avec M. Bleau, délégué du personnel et délégué syndical, et en vertu duquel ce dernier s'était engagé à renoncer, en contrepartie du paiement d'une indemnité transactionnelle de 100 000 F, à toute action en justice "contre la décision du ministre du travail ayant autorisé son licenciement", faisait obstacle à ce que l'intéressé pût former un recours pour excès de pouvoir contre cette décision ; Mais considérant que les salariés investis de fonctions représentatives ne peuvent renoncer par avance aux dispositions protectrices d'ordre public instituées en leur faveur ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée par la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET doit être écartée ;
Sur la légalité de la décision ministérielle du 15 juin 1990 :
Considérant que, par cette décision, le ministre du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle a fait droit au recours hiérarchique formé par la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET contre le refus opposé le 11 décembre 1989 par l'inspecteur du travail à sa demande tendant à être autorisée à licencier M. Bleau ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET avait introduit le 13 février 1990 devant le tribunal administratif de Fort-de-France, une demande tendant à l'annulation de cette décision de l'inspecteur du travail, et , d'autre part, que le tribunal administratif n'avait pas encore statué sur cette demande, le 15 juin 1990 ; que le ministre restait, dès lors, compétent, à cette date, pourannuler lui-même la décision de l'inspecteur du travail ; que la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET est, par suite, fondée à soutenir que le tribunal administratif de Fort-de-France s'est à tort fondé sur le fait que son recours hiérarchique avait été tardivement présenté pour annuler la décision ministérielle du 15 juin 1990 ; Considérant, toutefois, qu'il appartient au Conseil d'Etat, saisi de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. Bleau devant le tribunal administratif de Fort-de-France ;
Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des représentants du personnel, qui bénéficient dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent d'une protection exceptionnelle, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale ; que, dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'autorité compétente de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi ;
Considérant que, pour autoriser le licenciement de M. Bleau, le ministre du travail a estimé que sa participation active à un piquet de grève organisé le 29 septembre 1989 au cours d'un conflit collectif, constituait une faute d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement ; qu'il n'est, toutefois, pas établi par les pièces du dossier que les salariés ayant participé à ce piquet, placé à l'entrée principale de l'entreprise, aient porté atteinte à la liberté du travail du personnel non gréviste, qui gardait la possibilité de pénétrer dans l'entreprise par deux autres voies d'accès ; que, eu égard à ces circonstances, le comportement de M. Bleau ne justifiait pas son licenciement ; que la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET n'est donc pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Fort-de-France a annulé la décision du ministre du travail du 15 juin 1990 ;
Sur les conclusions des parties qui tendent au remboursement des frais, non compris dans les dépens, qu'elles ont exposés :
Considérant que M. Bleau demande que la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET soit condamnée à lui payer une somme de 9 675 F sur le fondement des dispositions du décret n° 88-907 du 2 septembre 1988 ; que ces dispositions ayant été abrogées par le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991, ces conclusions doivent être regardées comme tendant à l'application de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application de ces dispositions et de condamner la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET à payer à M. Bleau la somme qu'il réclame ;
Considérant que les mêmes dispositions font obstacle à ce que M. Bleau, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer la somme qu'elle demande à la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET est rejetée.
Article 2 : La SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET paiera à M. Bleau une somme de 9 675 F, au titre de l'article 75-I de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : La présente décision sera notifiée à la SOCIETE ETABLISSEMENTS CROCQUET, à M. Berthé Bleau et au ministre du travail et des affaires sociales.

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